HOLA jjk nation ! Je reviens pour poster un OS que j'ai terminé y a quelques temps déjà, qui se concentre sur les jumelles zenin parce que je peux pas résister au drama familial lol
SPOIL MANGA, ne lisez que si vous êtes à jour dans les chapitres, j'ai commencé à écrire juste après le retour de Maki après Shibuya, en me disant que damnnnnn j'avais besoin d'une réunification avec Mai et si Gege me la donne pas ill do it myself. Donc voilà où nous en sommes. Quelques différences avec le canon post Shibuya, puisqu'ici les personnages ne vont pas directement parler à Tengen et Maki est encore à l'hopital lorsque Yuuta revient. Mais bon à part ça, on reste dans la continuité du manga !
warning : famille dysfonctionnelle (LES ZENIN QUOI VOILÀ), présence de Naoya (ça se voit je souhaite sa mort), Kamo Noritoshi (l'étudiant) n'est pas pris au sérieux, Mai a besoin d'un câlin
Cet OS entre dans ma collection de textes où j'ai voulu inclure du nobamai et où j'ai pas réussi à le faire. Mais osef parce que c'est à propos des soeurs donc nique la romance comme on dit, et puis fuck Naoya sans raison je l'aime juste pas
Si vous cherchez une bande sonore j'ai écrit tout le texte en écoutant l'album Trinity de Eartheater, qui a une ambiance assez douce mais froide qui je trouve correspond plutôt bien. Bonne lecture !
i.
Il ne fait pas exactement nuit. Les ombres dehors sont encore en train de changer de taille, de couleur et de visage. Quand le noir sera complet, elles seront totalement invisibles — même leurs yeux brillants s'éteindront sans source de lumière —, et enfin Mai pourra penser à autre chose. Comme par exemple son carnet de notes, caché dans le second tiroir de sa commode, qu'elle n'ose pas montrer à son père. Bientôt, ils recevront son bulletin. Elle a longuement prié pour allonger le temps et transformer les heures en jours, mais les dieux ne l'ont pas écoutée.
Est-ce une mauvaise chose ? Mai déteste cet endroit, et si les heures devenaient des jours, alors elle devrait passer des jours, des semaines, des mois à rester dans la même position, le dos droit, les bras sagement repliés, le regard baissé. L'air brûlant de fin d'été lui assèche la bouche. Ses lèvres ressemblent à des bouts de papier.
— Ils pourraient pas fermer la porte ? se plaint Maki, qui elle ne se tient pas droite, qui elle laisse ses bras traîner n'importe comment, qui elle n'a pas pris la peine de cacher son carnet de notes, pourtant aussi mauvais que celui de Mai.
Les adultes sont trop occupés à se servir des coupes d'alcool pour l'entendre, mais Mai sait qu'il y a toujours quelqu'un pour noter les écarts de comportement. On le lui a répété, une main gigantesque sur son épaule, une bouche grimaçante. Obéis, obéis sans relâche, et tout ira bien. Toi, tu es encore récupérable.
Mai ne répond pas. Maki s'impatiente et utilisa sa main comme éventail. Ses cheveux sont courts et d'un vert bizarre. Personne n'a de cheveux de cette couleur. Elle a dû demander à une servante qu'on lui fasse une teinture. L'idée même plonge Mai dans la plus grande irritation.
— Sérieusement, reprend Maki en se tournant légèrement vers elle (Mai veut se retourner dans l'autre sens. Pourquoi est-ce que Maki lui parle encore devant tout le monde ? Elle va finir par mal se faire voir. Mai est encore récupérable, Maki ne l'est pas. Mai est encore récupérable). Je crève de chaud. Et on va encore se faire dévorer par les insectes.
Elle sait que Maki est irrécupérable car Naoya le lui a avoué le matin même. Il portait un Yukata tout neuf d'un blanc immaculé, et une ceinture d'un rouge qui, d'après lui, est de la couleur exacte du sang. Alors qu'il expliquait à Mai qu'il pourrait lui prouver ses dires en entaillant sa peau et en comparant, il a ajouté que le sang de Mai avait encore une certaine valeur. Qu'il serait dommage de le gâcher, et qu'elle devrait donc le croire sur parole. Après un léger silence, où Mai s'appliquait à le haïr de toute son âme, il avait ajouté que Maki était bonne à jeter.
— Mai ? Hé ho, reprend Maki, se laissant tomber jusqu'à être quasiment allongée sur le dos, retenue par ses coudes derrière elle. Tu portes des vêtements chauds aussi. Ils t'ont habillée en noir. Je sais que tu fatigues vite.
Mais Mai ne répond pas. Elle fixe la porte coulissante grande ouverte, les insectes qui se glissent lentement à l'intérieur, fuyant les dernières ombres. Le brouhaha est devenu presque insupportable, mais il reste toujours proportionnel à la quantité d'alcool qui circule. Plusieurs bouteilles sont déjà vides. Du coin de l'œil, elle voit Naoya en réclamer une, pourtant trop jeune pour boire. Les servantes qui l'entourent rient à ses remarques, et l'une d'entre elles lui fait passer une coupe, se croyant probablement discrète. Quelle erreur, pense Mai. Il y a toujours quelqu'un pour voir.
Elle sent la sueur couler dans son dos mais reste droite. Ne répond pas à Maki. Elles ont alors treize ans.
Dehors, il fait exactement nuit.
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— Maki est faible, dit Mai. Tu l'auras vaincue en moins de deux, je t'assure.
Elle est allongée dans le canapé du hall de l'école de Kyoto. La saison est encore douce et agréable, et s'entraîner lui paraît dérisoire. Une lueur de soulagement passe dans le regard de Miwa, dont le front plein de sueur luit bizarrement.
— Tu es sûre ? On ne sait jamais, ce sont tout de même les élèves de Gojo Satoru—
— Je promets, ricane Mai. C'est une moins que rien, le niveau zéro. Elle ne possède même pas d'énergie occulte.
— Vraiment ?
Miwa semble partagée entre l'idée de la croire sur parole et une méfiance naturelle. Bon, Mai a déjà montré dans le passé qu'elle n'était pas tout à fait digne de confiance.
— Vraiment, répète-t-elle, le ventre lourd et serré (est-ce comme cela que se sentait Naoya, son père, sa mère, tout le monde, dès qu'ils parlaient de Maki ?), vraiment, elle a été chassée du clan parce qu'elle ne savait rien faire.
Parce qu'elle ne savait pas se tenir droite, ou répondre sans prendre de haut ceux qui lui parlaient avec condescendance. Et si elle ne sait pas même faire cela, alors elle ne doit pas savoir faire grand-chose d'autre.
— Je croyais qu'elle avait quitté le clan, marmonne Noritoshi, assis à quelques mètres d'elles.
Contrairement à Maki, lui sait se tenir droit et s'exprimer correctement. Il sait respecter les autres et est assez fort pour leur demander du respect en échange. Naturellement, Mai le déteste également. L'existence même de Noritoshi prouve que Maki et Mai auraient pu régler les choses autrement. Si Mai est restée alors que Maki est partie pour devenir forte, lui est resté et devenu fort. Et Mai déteste l'absurdité. Elle ne veut pas être absurde. Elle ne veut pas que sa colère soit absurde. Noritoshi peut aller se faire voir, avec ses informations exactes et ses belles paroles moralisatrices.
— C'est de l'ordre privé, rétorque Mai d'un ton tranchant mais en apparence léger. Kamo, tu ne voudrais tout de même pas compliquer les choses plus qu'elles ne le sont déjà ?
— Bien sûr que non, répond-il avec un sourire calme. Je ne me permettrais pas.
— C'est bien ce que je pensais, reprend Mai, faussement inquiète, en posant une main contre sa bouche. Ce serait indigne d'un futur chef de clan, et cela m'aurait étonné de ta part.
— Naturellement, reprend Noritoshi. Je m'en excuse. De toute façon, pourquoi devrions-nous douter de toi ? Ce n'est pas comme si tu avais quelque chose à y gagner.
Miwa hoche la tête, remerciant même Mai au passage. Les deux autres élèves sont appelés ailleurs et Mai reste seule sur son canapé, les pieds dans le vide, la tête sur l'accoudoir. Sa mère ferait une crise cardiaque en la voyant comme ça, mais ça n'a plus d'importance. Mai sent un rire lui secouer les entrailles, et certaine d'être seule pour de bon, elle le laisse jaillir. Elle rit si longtemps que les larmes lui montent aux yeux, incontrôlables, et sa poitrine se met à lui faire du mal. Elle se sent grotesque et mauvaise, mais c'est sûrement un trait héréditaire dans la famille.
Elle rit encore quand Utahime passe pour lui demander de les rejoindre pour le dîner. Utahime est plus gentille que n'importe quelle figure d'autorité que Mai a connue auparavant. Pour cela, elle est presque véritablement heureuse d'être allée à l'école.
Elle tend ses bras et demande un câlin à Utahime, qui fronde les sourcils, ne cachant pas son incompréhension.
— Tout va bien ? demande-t-elle, en soupirant et en étreignant brièvement son élève. Tu n'as pas bu, au moins ?
Mai continue à rire.
— Non, non, pas du tout. J'ai juste raconté quelque chose de très drôle.
— Vraiment ?
— Je promets, répond Mai d'un ton innocent. Croyez-moi, Madame, je ne mens jamais.
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La vérité est que le monde est injuste et terriblement mauvais, et que Maki l'habite bien mieux que Mai ne le fera jamais. La vérité est que Maki est indestructible, une pierre taillée prête à trancher sa peau et à révéler la couleur d'un sang doré, prêt à s'envoler avec le vent, qui n'a rien à voir avec la description qu'en fait Naoya. Maki est plus forte que n'importe qui d'autre, mais surtout, elle est plus forte que Mai, qui est fragile physiquement mais aussi à l'intérieur. Mai n'est remplie que de choses mauvaises, ça elle le sait déjà. Elle ne sait que mentir et être méchante et obéir quand il faut désobéir ou désobéir quand il faut obéir.
Elles n'ont rien en commun. Pourtant pendant des années, on ne les considérait pas comme des individus séparés. Ce n'était pas Mai et Maki, juste les jumelles. Un noyau en deux parties inséparables, entouré d'une chair consistante, une chair qui elle seule avait de l'importance. C'est comme cela que les Zenin fonctionnent, après tout. Il y a la famille, la condition, il y a les règles, il y a tout ce qui n'est pas de l'ordre individuel avant qu'on attaque cette partie-là. Si elles avaient été des garçons, ça aurait été différent. À eux on leur laisse une chance de prouver qu'ils sont plus que ce qu'on trouve tout au fond d'un fruit, ce qu'on jette à la poubelle une fois la nourriture consommée.
Maki a trouvé la force de sortir elle-même de sa chair, et à se détacher de l'autre partie du noyau. Seule, sans l'aide de personne. Si quelqu'un leur a attribué des qualités à la naissance en pensant faire quelque chose de juste, il s'est bien loupé.
— Elle était terriblement forte, lui dit Miwa d'un ton plaintif, jetant à Mai un regard de détresse.
Mai bat des cils sous le regard réprobateur de Mechamaru. Noritoshi est à l'infirmerie, ce qui veut dire qu'il ne peut pas lui faire la morale. Elle secoue la tête avec une nervosité feinte, comme si la situation l'embêtait.
— … Vraiment ? La dernière fois que je l'ai vue, elle savait à peine tenir une arme. Je suppose que les rumeurs ne sont pas infondées, alors. Gojo Satoru fait bien des miracles.
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ii.
Kugisaki Nobara, qui ne possède que deux tenues de sport différentes, et qui se permet de juger les gens après avoir eu avec eux une seule conversation, ne croit pas aux miracles.
— Démodé, dit-elle d'un ton sans appel. Naze. Un truc de lâches.
— Il y a quand même des choses qui s'apparentent aux miracles, commente Megumi.
Mai hoche la tête. De tous ses cousins, c'est le seul à savoir formuler quelque chose d'à peu près intelligent. Elle ne voit pas de meilleur candidat pour diriger le clan. Mais Megumi n'est même pas un Zenin à proprement parler. Il n'a pas grandi avec eux, n'a pas assimilé leurs règles cruelles. C'est pour cela qu'il fait un candidat parfait, et pour cela qu'il ne prendra probablement jamais la tête du clan.
— Fushiguro, je t'ai déjà dit d'arrêter d'essayer de trop réfléchir, grogne Nobara en engloutissant une autre part de pizza. Je vois de la fumée sortir de ta tête, crois-moi c'est vraiment pas ton point fort.
— Hein ? C'est le type le plus futé de la bande, proteste Yuuji, en train de se couper sa propre part avec des ciseaux pour enfants que Noritoshi a sorti de sa poche sous leurs regards ébahis.
— On est mal barrés, fait Nobara.
— Mais ça, on le savait déjà, répond Mai avec un sourire en coin. On dirait que le monde est entre de mauvaises mains.
Miwa lui pose une main sur l'épaule, probablement pour la dissuader de chercher encore la bagarre avec une école face à laquelle ils viennent de perdre (aux deux épreuves), et qui est pour le moment la source de leur nourriture. Amusée, Mai lui tapote la main, l'air de dire je sais ce que je fais. Ce qui est vrai, au passage. Elle sait exactement ce qu'elle fait, même si elle ne sait pas quel genre de conséquences il y aura plus tard. Ça ne peut pas être si grave.
— Le monde est saint et sauf pour l'instant, intervient Noritoshi en tendant la main pour récupérer ses ciseaux pourris. C'est tout ce qui compte.
Il regarde les élèves de Tokyo avec une bienveillance qui donne la migraine à Mai. Dans la tête de ce type, tout est déjà classé, trié, doté d'une utilité certaine. S'entendre avec les autres exorcistes est une question de bon sens, après tout. Enfin, c'est la façon saine de penser.
— Je me fiche du monde, reprend Nobara, le regard agressif mais lumineux d'une certaine façon, qui résonne dans le corps de Mai avec une force mystérieuse. Je me fiche bien de tout ça. C'que je dis, c'est qu'il y a pas d'histoire de miracle là-dedans. Le monde n'est pas saint et sauf à cause d'un miracle à la con. Il est saint et sauf parce qu'on a fait en sorte qu'il le soit.
— Tu n'as pas fait grand-chose, pourtant, si ? demande Mai.
— Et alors ? Yuuji a fait des efforts. Son nouveau pote bizarre aussi. Fushiguro et Kamo. Inumaki, Maki.
— Il y en a pour qui faire des efforts est plus facile, objecte froidement Mai.
— C'est ça, cache-toi derrière tes excuses. Bientôt tu nous diras que c'est papa-maman qui t'ont élevé pour être aussi conne—
— Ils ne l'ont pas élevée du tout, ouais, intervient quelqu'un à l'autre bout de la pièce.
Tous les regards se retournent vers Maki, qui tient le dernier carton de pizza et avance jusqu'à la table avec sa nonchalance habituelle. Elle sourit fièrement, car pour elle le passé n'a pas d'importance. Elle ne pense qu'au futur, où elle est seule triomphante, où elle est le sens que l'on donne au mot miracle.
— Pas une raison, répond finalement Nobara d'une petite voix, croisant ses bras sur sa poitrine en fusillant Mai du regard.
— Nan, mais bon. Tu verrais les autres enfants. De vrais psychopathes. Passent leur temps à s'entendre répéter qu'ils sont les seuls à avoir la moindre valeur.
— Parce que ce n'est pas ce qu'elle pense, elle ? demande Nobara.
— Elle pense que tu devrais arrêter de te mêler de ce qui ne te regarde pas, intervient Mai. Non mais vraiment, attendez au moins que je sois partie pour parler de moi dans mon dos. Et il y a des choses biennn plus intéressantes à discuter à mon sujet, vous savez.
— Comme l'état déplorable de ta peau ? Ouais, c'est clair que c'est super intéressant, rétorque Nobara.
Maki les interrompt en éclatant de rire. Si Mai en avait le pouvoir, elle arracherait son sourire de son visage, pour l'empêcher de se moquer d'elle mais aussi pour garder pour elle quelque chose qui lui appartient. Maki la regarde droit dans les yeux, comme si elle pouvait lire ses pensées. Ses yeux sont dépourvus de haine ou même de tendresse. Ce qu'elle ressent pour Mai est de l'ordre de l'insondable. Elle ne l'a jamais vu comme une chose à protéger ou comme une amie, mais elle l'a vue comme une sœur. Elle l'a vue comme une personne indiscutablement liée à elle. Quand est-ce que cela a changé ?
— Encore en train de prendre ton pied pour les choses les plus futiles, Maki ? demande Mai, un sourire discret aux lèvres. Tu ne changeras définitivement jamais.
— Et toi, répond Maki d'un ton assuré (penchant sa tête sur le côté comme si, à la manière de n'importe quel Zenin, le monde lui appartenait), et toi, encore en train de mentir ? Il va falloir se décider à changer aussi, Mai. Grandis mieux que ça.
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La chambre est silencieuse jusqu'à ce que quelqu'un y entre bruyamment, claquant la porte sans se soucier de ce qu'on pourrait en dire. Par ce simple geste, Mai sait que c'est Maki qui la rejoint dans l'obscurité, tirant légèrement sur les rideaux avant d'escalader le lit pour la rejoindre sous les draps.
— J'ai ramené des tartelettes, fait savoir Maki dans un chuchotement amusé.
— Tu vas mettre des miettes partout, grogne Mai, encore toute patraque, toute endormie.
— Allez, j'ai fait ça pour toi, gros bébé. S'il y a des miettes, on les enlèvera, qu'est-ce que ça peut bien faire ?
— Quelqu'un va voir… Quelqu'un va comprendre que tu as volé les tartelettes. Ou bien ils sauront grâce à l'odeur.
Maki lui donne une tape affectueuse sur l'épaule, et Mai ne réagit que par un long grognement plaintif. Il faut toujours que Maki les mette dans l'embarras. Même à l'école, c'est comme ça. Alors qu'on les laisse enfin y aller ! Mai est certaine qu'on les empêchera d'aller au collège à cause du mauvais caractère de sa sœur. Pour cela, elle devrait la détester.
— Idiote, ricane Maki. Y a que ta vieille odeur de fille pas sortie de sa chambre depuis trois jours, dans cette pièce.
— Sois gentille, fait Mai. Je suis malade. Sois gentille, répète-t-elle en bâillant.
— J'ai ramené les tartelettes ! Si ça, c'est pas être la plus gentille des sœurs !
Avec l'ouverture du rideau, Mai peut désormais examiner les détails de son visage encore rond, de ses yeux pétillants. Elle baisse les yeux jusqu'à la boîte en carton que Maki tient serrée contre sa poitrine, et tend sa main pour l'ouvrir doucement. C'est vrai qu'elle a faim, qu'elle a envie de douceurs.
Un soupir déçu quitte ses lèvres.
— Il n'y en a pas aux fraises… commente-t-elle.
— Ah, ça, rit Maki en passant une main dans ses cheveux d'un air plus fier qu'embarrassé.
— Tu sais que ce sont mes préférées ! reprend Mai. Tu les as encore toutes mangées sans m'en laisser.
— Allez, t'en as au kiwi, à la mangue… Au citron, aussi ! Tu aimes bien celles-ci.
Mai secoue la tête.
— Je préfère celles aux fraises…
— Ce sont mes préférées à moi aussi, dit Maki.
Mais elle n'a toujours pas l'air désolée et Mai est frustrée, alors elle place sa main contre la bouche de sa sœur pour cacher son sourire. C'est un sourire désagréable et souvent moqueur, mais au moins il n'est joyeux qu'en sa présence à elle. D'une certaine façon, Mai en est la gardienne.
— Ta main est chaude, pouffe Maki.
— C'est la fièvre. Tu devrais au moins t'inquiéter pour moi et me ramener mes tartelettes préférées. Mauvaise sœur, grogne Mai, laissant néanmoins ses lèvres se fendre en un sourire sincère.
— Menteuse, chantonne Maki. Tu aimes celles au citron, je le sais. Je te connais trop bien.
— Tu te trompes, dit Mai.
Mais c'est vrai, que Maki la connaît trop bien. Et si elle continue à trop bien la connaître, alors on ne pourra plus jamais les différencier l'une de l'autre. Peut-être qu'il faudra penser à mettre un peu de distance.
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iii.
Et donc Mai survit à Shibuya.
Elle ignore encore si c'est une bénédiction ou tout l'inverse. Elle n'est pas la seule à survivre, mais les pertes sont telles que personne ne peut se résigner à attraper une bière et crier joyeusement j'ai survécu à Shibuya ! Les miracles doivent exister ! Même Shoko, dont l'excentricité détachée n'est inconnue de personne, ne commente pas la situation.
Mai s'est sentie perdue avant. Elle a senti qu'elle était sur un mauvais chemin, qu'elle s'était trompée de direction, qu'elle devrait faire marche arrière avant d'arriver à l'étape décisive, celle qu'elle détesterait, celle qui ferait d'elle quelqu'un de lamentable. Mais de cette façon, les chemins se sont tous effacés : on ne peut qu'avancer au hasard dans une brume épaisse, sans vision sur l'avenir. Même chez les Zenin, un clan dont la forme principale est maintenue par les traditions avant tout, l'avenir est incertain.
— Que penses-tu de Zenin Naoya ? lui demande Yuuta d'un ton incertain, le regard vif mais méfiant.
Ils sont tous réunis depuis quelques jours, sous les directives de Yuki et Shoko. Pas de nouvelles d'Utahime. Ils prévoient d'aller parler à Maître Tengen, mais l'attente se fait lourde, et à force d'essayer d'éviter tout le monde, Mai a pris un drôle de rythme de sommeil. Depuis qu'elle a quitté l'infirmerie, elle se sent étrangement lourde et engourdie, mais elle ne pense pas que les blessures physiques soient à l'origine de cet étrange état.
Yuuta, le visage entièrement éclairé par la lueur d'une lampe de salon, attend toujours sa réponse. C'est la première fois qu'ils se parlent réellement ; Mai l'a déjà vu combattre lors de son premier tournoi interlycée, mais ne garde de lui qu'une idée lointaine. Elle laisse son paquet de chips sur la table basse et se retourne vers lui en souriant.
— Naoya ? fait-elle. Un crevard. A passé son enfance à terroriser le quartier.
Yuuta hoche attentivement la tête.
— Donc tu es du côté de Maki, dit-il.
— Retire ce que tu viens de dire, grogne Mai. Je ne suis ni du côté de Naoya, ni du côté de Maki. Ce que je pense de Naoya ne veut rien dire, puisque ce sera probablement le prochain chef de clan.
À cela, Yuuta se met à rire doucement.
— Tu n'as pas peur de dire que le prochain chef de ton clan est un crevard à un inconnu ?
— Pourquoi ? Tu comptes le lui dire ? ricane Mai. T'es son meilleur pote, c'est ça ?
— Si tu devais choisir un côté, reprend-il en l'ignorant, duquel serais-tu ?
Mai croise ses bras et s'enfonce dans son canapé avec irritation. Pourquoi ce type se sent-il obligé de poser des questions indiscrètes ? Monsieur est la future star de l'exorcisme, alors il doit tout savoir ? C'est un Kamo 2.0, c'est ça ? N'ayant pas pour habitude de vouloir mettre les autres à l'aise, Mai fait claquer sa langue contre son palais pour montrer son antipathie, mais Yuuta ne flanche pas. Le visage baignant dans la lumière orange, dorée, le regard doux et apaisé, comme s'il avait déjà ses réponses, il attend simplement sa réponse.
— Du côté de personne, dit-elle. Je suis seule.
— Mais si tu avais une préférence ?
— Tiens, prends des chips et arrête de parler, grogne-t-elle en lui tendant son paquet.
Il accepte volontiers, et pendant quelques minutes, plus personne ne parle. C'est une situation relativement gênante. Mai ne sait pas ce que Maki a pu raconter à Yuuta sur elle, ou sur sa famille.
Quand enfin elle se rappelle qu'elle n'a pas répondu, elle soupire.
— C'est comme choisir entre la peste et le choléra, dit-elle. Mais si je devais choisir, bon, je prendrais quand même Maki.
Yuuta a au moins l'audace de ne pas réagir de façon sournoise. À la place, il s'adosse au canapé, visiblement inconfortable dans son propre corps, laissant d'abord ses bras traîner le long de son corps avant de les croiser, restant sur cette position.
— Je l'ai rencontré, dit-il au bout d'un moment. Mais j'en avais entendu parler avant.
— On m'a raconté ça, ouais. Vous avez collaboré ensemble, c'est cela ?
Yuuta se met à grimacer malgré lui.
— Disons que j'étais restreint par une promesse, dit-il.
Mai repense à son enfance.
— Tu en as de la chance, souffle-t-elle.
Personne ne pense jamais à lui faire de promesses. C'est toujours entre les autres et les autres. Maki a promis à leur oncle qu'elle reviendra, mais n'a rien dit à Mai. À cette époque, elles ne se parlaient déjà plus. Mais tout de même.
— J'espère que les choses s'arrangeront, dit finalement Yuuta (d'une telle franchise, d'une telle naïveté, que Mai pense un instant à se moquer). Mais en attendant, tu devrais aller la voir. Elle sait que tu es là, mais je crois qu'elle est trop fière pour faire le premier pas. Ah— ça, et le fait qu'elle soit coincée dans un lit d'hôpital.
— Ma sœur, fière ? demande innocemment Mai. Non, tu crois ?
Elle évite la question, mais Yuuta ne se laisse pas avoir par l'ironie. Il lui semble trop franc pour se faire avoir par quelque chose d'aussi facile. Peut-être est-ce pour cette raison qu'il s'entend avec Maki.
— Maki est forte, dit-il, et ce n'est pas comme si elle parlait de baisser les bras. Mais il y a des fois où même elle ne va pas bien, tu sais ? Et ce n'est pas pour être condescendant, mais tu n'as pas non plus l'air très heureuse, je me trompe ?
Juste après avoir parlé, il se met à rougir légèrement, réalisant qu'il est peut-être allé trop loin. Mai ne le reprend pas sur son manque de tact, mais ne le laisse pas gagner pour autant. Maki, ne pas aller bien ? Et alors ? Si Maki ne va pas bien, c'est entre elle et elle seule. Si Maki ne va pas bien, elle se sort de cet état et va bien, ayant au passage insulté deux ou trois personnes. Si Maki ne va pas bien, c'est une histoire d'un moment, et au suivant, l'affaire est déjà passée.
Mais quand Mai ne va pas bien, ce n'est pas une affaire d'un moment. Qui a pensé à ça, hein ? Quand Mai ne va pas bien, c'est pour une très longue période, enfermée dans sa chair à regarder le trou d'où s'est échappée l'autre moitié de son cœur. Elle attend le moment où il aura disparu, car à travers, elle peut observer l'extérieur, soit resplendissant, soit de l'ordre du cauchemar. Dans tous les cas, il lui paraît meilleur qu'ici.
— Je ne suis jamais heureuse, dit-elle d'un ton mélodramatique, un sourire collé aux lèvres. Mais si Naoya crève, peut-être que ça ira un peu mieux.
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Comme le court retard d'un métro en début de journée devient une longue attente en fin de journée, Mai ne cesse de décaler le passage où elle devra rendre visite à sa sœur. Mais après tout, pourquoi devrait-elle nécessairement la voir ? Si elle a bien compris tous les détails, Maki va s'en sortir, n'est-ce pas ? Si elle va s'en sortir, elle ne va pas mourir, et donc Mai n'a pas besoin d'aller pleurer sur son lit en listant tous ses regrets. Si Maki compte rester en vie, Mai compte rester dans l'indifférence. Elles ont vécu comme cela suffisamment longtemps. Quand se sont-elles aimées ? Jusqu'à leur douze ans ? Treize ? Elle ne s'en souvient même pas.
Parler d'indifférence est un peu injuste. Il est vrai que Maki n'a jamais laissée Mai indifférente. Pas par amour, mais par haine. Quand Mai a cessé d'aimer sa sœur, elle s'est mise à la détester intensément, se répétant chaque soir que sans Maki, son existence aurait été bien plus agréable. Elle n'aurait pas été associée à cette fille qui ne peut pas même voir les esprits maudits. Elle aurait été unique, une enfant bénie d'une technique simple mais utile. Naoya n'aurait pas passé son temps à l'embêter juste parce qu'il savait que Maki ne se serait jamais laissée faire. Tant de choses auraient été meilleures ! Elle aurait pu aller au collège plutôt que d'avoir cours à la maison. Manger ses tartes préférées sans que Maki les vole ! Oui, tout aurait été préférable.
Habituellement, Mai n'a pas de soucis à se faire détester des autres, mais il y a des limites. La plupart du temps, c'est elle qui maîtrise le niveau de haine, le pourquoi du comment, elle qui provoque, qui s'amuse, tire même du plaisir de la réaction des autres. Tout comme Maki aime faire sentir à ses adversaires qu'ils se sont trompés, qu'ils ne sont rien face à elle, Mai aime leur faire sentir qu'ils pourront mettre tous les efforts du monde à vouloir qu'elle se sente coupable et ne jamais y arriver. Mais bon. Elle a survécu à Shibuya, et il y a des moments pour se faire détester et des moments où elle a au moins besoin d'un semblant d'empathie.
— Ne pas prendre soin de ses frères et sœurs est le pire pêché dont peut se rendre coupable une personne douée de conscience, lui dit un type bizarre doté de deux couettes qui partent dans tous les sens et d'une longue marque en travers du visage.
Mai ne prend pas la peine de lui répondre. Le type semble tout droit sorti d'un de ces festivals hippies où les gens ne font que fumer et faire de la philosophie de comptoir sans dormir pendant trois ou quatre jours. Il continue son discours pendant quelques minutes, avant de se faire embarquer par Yuuji et Megumi, qui ne commentent pas l'incident.
Shoko, qui a assisté à toute la scène, lui demande s'il faut qu'elle lui trouve une église catholique pour qu'elle se confesse.
— Ça y est ? demande Mai d'un ton maussade. On a le droit de faire des blagues, maintenant ? Ça nous fait plus passer pour des sombres connards, parce que pleins de gens sont morts et que c'est déplacé, bla-bla ?
— Faut croire, sourit Shoko.
Entre dans la pièce Noritoshi, dont la moitié des membres sont encore bandés, et qui se met à cracher du sang dès qu'il essaye de faire la morale à quelqu'un.
— Bon, dit-il, si l'humour est accepté, je suppose que les réclamations aussi.
Pendant un horrible instant, Mai est persuadée qu'il va tenter de la forcer à aller voir sa sœur, mais ce qui sort de sa bouche est bien plus incroyable :
— Ne serait-il pas judicieux d'appeler notre ennemi Geto Suguru, étant donné qu'il s'agit du corps qu'il occupe, donc l'image qu'il renvoie directement, et parce que l'original est mort, ce qui éviterait toute confusion ?
Tout en parlant, il observe ses ongles, comme s'il évoquait un détail et non pas une chose qui le travaillait visiblement depuis des jours. Mai se retient d'éclater de rire. Pendant qu'elle pensait à Maki, Noritoshi pensait à cette histoire de nom.
— Je ne sais pas, répond Shoko. Cela porterait à confusion si l'on pouvait parler de l'ancien Geto Suguru.
— Mais c'est différent, reprend Noritoshi. Il est mort. Il n'y a pas de raison de l'évoquer.
— Parler du passé serait embêtant, ajoute Shoko.
— Je veux dire, je suis juste là, insiste Noritoshi. Et encore en vie.
— Mon pauvre Kamo, ricane Mai. C'est un peu tard.
Il lui jette un regard froid.
— Porter le nom d'un tel tyran ne me plaît guère, dit-il.
Mai hausse les épaules.
— On porte le nom qu'on porte, qu'est-ce que tu veux que je te dise.
En l'entendant, c'est Shoko qui éclate de rire. Elle se retourne vers Mai et pose sur elle un regard aussi amusé que fatigué, la bouche tordue d'une étrange façon, d'une façon qui ne prend ni Mai, ni Noritoshi au sérieux.
— Va déjà voir ta sœur, dit Shoko. Si ça continue, elle sera en mesure de sortir, et tu auras loupé le moment. Tu ne veux pas être absente quand tes proches ont besoin de toi.
Mai veut dire qu'elle sait ce qu'elle veut et ce qu'elle ne veut pas, mais la vérité est qu'elle n'en a aucune idée. Aucune.
Elle ouvre la bouche.
— Ne dis pas que vous n'êtes pas proches, ajoute Shoko. Vous l'êtes bien d'une façon, aussi bizarre soit-elle, tu ne crois pas ?
Et Mai referme la bouche, prise d'un frisson de colère. Elle est fatiguée qu'on lui dise quoi faire et, par-dessus tout, elle est fatiguée d'avoir l'impression d'être une plus grande ennemie encore que Kamo Noritoshi.
Veut-elle louper le moment ? Le seul où Maki sera tout juste assez vulnérable pour avoir besoin d'elle ? Veut-elle le vivre ? En replongeant dans le passé, elle ne trouve aucune réponse.
Une enfance sans Maki veut dire aller au collège et être unique, mais implique également que Mai n'aurait jamais trouvé la force de passer un pont sur lequel veille un esprit maudit, ou qu'elle n'aurait jamais eu personne pour la tirer des griffes de Naoya. Et peut-être qu'elle se fiche du goût de ses tartelettes, au final.
— Le moment est probablement déjà passé, soupire Mai en laissant sa tête retomber en arrière.
Si Shoko lève les yeux au ciel ou réagit d'une quelconque façon, elle ne la voit pas. Pour être sûre de ne pas la voir, Mai ferme les yeux.
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Un jour imprécis, dans le grand jardin des Zenin, sous la douceur d'un vent d'après-midi.
— Elle est tombée malade, répète Mai.
Elle baigne ses pieds dans le ruisseau, ne quittant pas des yeux son reflet distordu par le courant. L'eau est claire mais le fond du ruisseau est jonché de formes impossibles à identifier et de couleurs qui lui donnent des frissons. Ça n'a pas d'importance, car elle garde ses orteils à la limite de l'eau, assez loin du fond pour ne pas risquer de le toucher.
Naoya lance une pierre qui divise son reflet en milliers d'éclats brillants, sans continuité.
— Tu crois ? Je suis sûr qu'elle t'a menti, dit-il avec un rire silencieux. Maki ne peut pas tomber malade. C'est comme les animaux.
— Les animaux tombent malades aussi, répond Mai, suffisamment irrité pour se le permettre. Maki n'est pas un ani—
— Ne me répond pas, l'interrompt Naoya, le ton tranchant.
Mai ne répond pas.
— Elle en a eu marre de toi alors elle a menti. Tu es fragile mais n'oublie pas que sa solidité n'est pas une véritable force. Les femmes sont faites pour être fragiles, sois-en fière. Une femme trop forte n'est plus bonne à rien, tu comprends ça, n'est-ce pas ? Tu n'es pas aussi sotte que ta sœur.
C'est un de ces rares moments où Mai ne se sent pas assez obéissante pour aller dans son sens. Elle serre des poings et veut faire quelque chose d'assez mémorable pour que Naoya la laisse définitivement seule. Elle n'a pas menti. Maki est réellement malade, une fièvre légère, sûrement à force de rester sous la pluie dans ses jeux d'aventure. Mais dire quelque chose de mémorable est trop risqué. Mai se contente d'un regard froid.
— Bien, sourit Naoya. Au moins, nous sommes sur la même longueur d'onde.
C'est parce que Mai a laissé Maki jouer seule, et parce que Maki est partie jouer sans Mai. Elles étaient toutes deux fautives de la même façon. Elles n'ont pas veillé l'une sur l'autre, mais de toute façon, il y a un déséquilibre de ce côté. Si elles s'écoutaient, ce serait une autre histoire. Mais personne ne s'écoute, dans cette fichue famille. Et Mai commence à être fatiguée de toute cette situation. Personne ne s'écoute. Elle pourrait éclater en sanglots et dire tout ce qu'elle a sur le cœur, ça ne changerait rien. Maki ne vaut pas mieux que les autres : elle lui dirait probablement d'arrêter de se comporter comme un bébé et d'être plus forte que ça.
Si Mai est née mauvaise, Maki est née vide de compassion. Au moins, Mai se sent coupable de ses péchés, qu'elle l'avoue ou non.
— Maki a de la chance, reprend Naoya, heureux de constater le silence de Mai. Il n'y a pas si longtemps que ça, tu sais ce qu'ils faisaient aux fauteurs de troubles ?
— Non.
— Ils les enfermaient dans une pièce remplie d'esprits maudits, reprend Naoya, riant doucement, comme s'il racontait une chose pure et agréable. Puis ils attendaient et revenaient une heure plus tard pour voir ce qu'il était arrivé. Enfin bon, ils ont dû changer de punition. La dernière personne à y être passé a plutôt mal tourné.
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Dans un élan de courage, Mai retourne à l'infirmerie, mais dans sa précipitation se trompe de chambre. Elle ignore encore si l'erreur est réellement due à une inattention. Mais le visage à peine éveillé de Kugisaki Nobara, qui ne croit pas aux miracles et ne possède que deux tenues de sport différentes, suffit à la convaincre de quitter l'infirmerie pour ne plus jamais y mettre les pieds. Déjà, il y a Shoko. Quoi qu'on en dise, il est dur de trouver moins saint d'esprit qu'elle.
Nobara cligne doucement les yeux, encore toute endormie et fragile, elle aussi, terriblement fragile dans son lit et avec son visage couvert de bandages. Complètement immobile, et fixe Mai d'un air incompréhensible.
— Mauvaise Zenin, grogne-t-elle d'une voix lente et encore rauque. Je préfère l'autre.
Mai est fatiguée, elle aussi.
— Elle m'a laissée, tu sais ? Elle m'a laissée avec ces gens. Et je n'ai pas le droit de lui en vouloir ? demande-t-elle.
Nobara ne semble pas faire grand-chose d'autre que continuer à la fixer. Au bout d'un moment, elle répond :
— Tu n'avais qu'à partir avec elle, sale lâche.
L'insulte manque sérieusement d'entrain, mais Mai imagine que le contraire serait impensable. Nobara n'est pas dans un état propice aux émotions trop fortes. Elle semble au bord de sa propre fin, plus proche d'un corps vide que d'un corps habité. En essayant de s'imaginer Maki dans un même état, Mai est prise d'un violent frisson, d'une violente envie de s'enfuir loin. Maki a échappé à la pièce pleine de fléaux, mais pas au reste.
— Je ne sais pas faire ça, moi, dit Mai. Je ne sais pas abandonner les autres. Je ne sais pas partir.
C'est une mauvaise excuse, la pire des excuses, la plus lamentable. Mais c'est tout ce qu'elle a, il faudra faire avec. Mai n'est pas une personne qui va de l'avant, elle est fainéante et désagréable, elle se contente de ce qu'on lui donne si l'effort à donner n'est pas trop énorme.
Pour Maki, l'effort de l'obéissance est bien plus gros que tous les autres. Elle comprend bien ça. Peut-être aurait-elle dû partir, mais ce n'est pas comme si Maki l'avait formulé d'une façon qui impliquait qu'elle devait la suivre. Elle a simplement dit qu'elle partait. Elle n'a pas pris de décision pour Mai, qui n'a jamais fait l'effort d'en prendre elle-même.
— Tu sais, répond Nobara d'un ton fatigué et agacé, ce n'est pas avec moi que tu devrais avoir cette conversation. Ça me regarde pas et je m'en fiche. Va voir ta sœur, qu'on en finisse.
— Admet qu'elle n'est pas si parfaite que ça, répond Mai.
Nobara soupire, et la fixe de nouveau, sur le point de s'endormir.
— Personne n'est parfait, dit-elle. J'ai compris, t'as eu une sale vie, bla, bla. Maintenant, va la voir et laisse-moi tranquille.
Mai se lève silencieusement, docilement, car on a pris la décision pour elle. Elle quitte la pièce sans prendre la peine de lui répondre. Cette conversation n'aura rien changé à la situation. Si possible, elle est encore plus perdue qu'avant.
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Mai n'entre pas dans sa chambre, mais elle attend à l'extérieur, maussade et inquiète d'une certaine façon, assez épuisée pour ne pas sentir trop durement le temps passer. Lorsqu'elle ferme ses yeux, les paupières collantes de fatigue, elle imagine le visage tristement figé de Nobara, son regard seulement à moitié enflammé. Mai ne la connaît que juste assez pour savoir que Nobara n'est pas une fille de demi-mesure. Elle revoit donc ce visage et pense à Maki, jeune Maki, peut-être douze, treize ans, quand elles se parlaient encore et attendaient encore quelque chose de l'autre.
À un certain moment, Mai a dû oublier que Maki était aussi réelle qu'elle, et ne la voir plus que comme une chose terriblement résistante, peut-être même indestructible. Nobara lui paraissait destructible, et pourtant la voir si éloignée de ce qu'elle était entièrement lui a fait l'effet d'une pierre dans le ventre. Mais Maki doit être encore entière, car elle est toujours entière, présente passée et future, toujours cette même personne qui petite faisait pousser chez Mai un amour débordant d'épines. De sa peau encore douce naissait alors l'horreur de la solitude et de la jalousie, alors que de la peau de Maki, qui n'était pas particulièrement douce, ne naissait rien d'autre que de la peau, mais une peau réelle et impossible à trancher dans la pratique. Au final, Mai ne sait pas bien ce qu'elle a imaginé. A-t-elle pensé que Maki était trop irréelle pour ce monde, ou que c'était Mai l'irréelle, trop peu consistante pour habiter comme Maki un endroit si dur ?
Ce n'est qu'une porte qui la sépare d'elle, mais elle ignore encore quoi dire et s'il y a réellement quelque chose à dire. Le passé est ce qu'il est. Elle n'a pas aimé correctement sa sœur, peut-être qu'elle n'a aimé correctement personne. Peut-être qu'elle n'a pas non plus grandi correctement, mais personne ne peut contester ses tentatives. Une porte la sépare de Maki et elle se demande encore comment elle aurait pu mieux grandir.
— Tu n'entres pas, hein ?
La voix au-dessus d'elle la fait sursauter. Voilà ce qu'on obtient de Maki, son ton franc et sans pincettes. Lentement, en retenant sa respiration, Mai lève la tête. Elle se veut aussi impassible que possible. Elle a su passer des mois sans avoir la moindre nouvelle d'elle, pourquoi cette fois-ci serait-elle différente ?
— Je n'avais pas envie de voir ta sale tête, répond-elle froidement.
— Tant pis, je m'impose, ricane Maki.
Mai la découvre à ce moment précis. L'œil bandé, la peau rouge, marquée, brûlée. Elles s'observent silencieusement un moment, peut-être avec curiosité. Cela fait longtemps qu'elles n'ont pas pris la peine de le faire.
Mai décide d'ignorer la terrible, hideuse émotion qui lui touche le cœur.
— T'as voulu faire comme moi et te couper les cheveux ? demande finalement Mai. Fais un effort. C'est désastreux.
Maki laisse échapper un ricanement qui manque de volonté.
— Nan, je me suis fait cramer le visage et mes cheveux ont cramés avec. Pourquoi est-ce que j'essayerais de te ressembler ?
— C'est vrai, pourquoi donc ? sourit amèrement Mai. Le passé a bien montré que nous n'étions pas compatibles. Devrais-je laisser les miens pousser pour être sûre qu'on nous différencie bien ?
Maki soupire, et s'adosse au mur. Après un moment d'hésitation, elle se laisse glisser jusqu'à Mai, par terre, affalée comme elle l'était étant petite — ça ne fait rien, Mai est affalée aussi. Et il n'y a personne pour voir. Pas cette fois.
— Ils te vont bien courts, dit Maki. Tu as vu mon visage ? Ils n'auront aucune difficulté à nous différencier. Ils n'ont même plus besoin de le faire.
— Tu n'as pas besoin d'être si honnête, reproche Mai.
— Pourquoi, ça te fait peur ?
Bien sûr que cela lui fait peur. Si Mai commence à être honnête—
— Ça ne fait rien, pour ton visage, s'entend-elle dire.
— Facile à dire. Ce n'est pas une question d'apparence. Combattre avec un seul œil—
— Alors ne combats plus, dit Mai, retenant un soupir agacé.
Peut-être devraient-elles changer de corps. Mai n'a pas envie de combattre, et c'est vrai qu'un visage brûlé l'aurait dérangé pour des questions d'apparence. Mais dans l'absolu, ce n'est que du détail. Elle aurait eu une bonne excuse pour tout arrêter. Sa technique est insignifiante mais demande tout de même une répartie bien trop grande — n'est-ce pas la preuve qu'elle n'est pas faite pour combattre ?
— Je n'ai pas encore pris la tête du clan, sourit Maki. Je ne m'arrêterais pas avant.
— Si tu prends la tête du clan, il faudra juste te battre encore plus.
— Alors je ne m'arrêterais jamais.
— Comment peux-tu aimer ça ? demande Mai. Tu es partie. Tu t'es libérée. Je ne comprends pas comment on peut autant vouloir revenir dans un endroit qui nous a fait du mal.
— Et moi je ne comprends pas comment on peut souhaiter y rester sans rien faire.
— Ils ne m'ont pas fait du mal autant qu'à toi, dit Mai avec un haussement d'épaules. J'ai toujours été la meilleure des deux, à leurs yeux.
Et si elles avaient été des garçons, elle aurait été la pire. Ce monde n'a pas de sens mais il est ainsi. Mai est encore récupérable.
— Je ne voulais revenir que par pure provocation, soupire alors Maki. Leur prendre le clan pour les faire rager. Mais j'ai réalisé que si je leur prenais le clan, je devrais m'en occuper.
Elle s'interrompt un moment pour observer Mai, le visage peut-être plus ouvert qu'il ne l'a été depuis des années. La déchirure qui traverse sa peau ne fait que la rendre plus indestructible, même s'il prouve qu'elle est aussi destructible que les autres. Mai est aussi provocatrice qu'elle, c'est un trait de caractère qu'elles partagent. Un des seuls. Ou peut-être qu'elles ne se connaissent plus assez. La Maki du passé lui ressemblait plus. Elles avaient le même fruit préféré. Elles se connaissaient par cœur, au tout début. Elles n'étaient personne l'une sans l'autre.
— J'ai commencé à y réfléchir. Ce serait bien de changer les choses, dit finalement Maki. De tout changer.
Et la vérité est que Maki est la moins sentimentale des deux, tout en étant la plus honnête. Elle ne comprend le monde que par le prisme de l'évidence. Elle repère simplement l'essence des choses et prend ce qui lui va, laisse ce qui ne lui va pas. Vouloir changer les choses ? Pourquoi pas. Prendre ce qui ne lui va pas et en faire quelque chose qui lui va a du sens, dans une certaine mesure. Mai est probablement trop sentimentale pour comprendre. Elle prend ce qui lui tombe sous la main par nostalgie, sans penser à si ça lui va ou non.
Peut-elle changer aussi ?
— De tout changer, répète Mai, pensivement.
— Tu es plus heureuse à l'école qu'à la maison, pas vrai ? demande Maki.
— Qu'est-ce que tu crois ? répond-elle.
Les repense au triste sort de Kokichi, à la main de Todo, détachée de son corps. Bien sûr qu'elle est plus heureuse. À la maison, voir quelqu'un mourir ou perdre une main la ferait presque rire.
— Je ne vais pas m'excuser d'être partie, parce que c'est la meilleure décision que j'ai jamais prise, dit Maki. Mais pour ce que ça vaut, je suis contente que tu ailles bien.
— D'une certaine façon, la corrige Mai.
— Oh, on va comme on peut, pas vrai ? sourit Maki. Je te promets que tu seras plus heureuse si tu essayes d'aller vers l'avant.
Mai, elle, a encore la chance d'avoir ses deux mains. Elle en presse une contre son genou, et amène l'autre jusqu'à celle de sa sœur, timidement, avec une douceur que leur famille ne leur a jamais apprise mais qu'elles ont eue en elles, petites. Elles ne s'écoutaient pas, prenaient mal soin de l'autre, mais elles avaient encore ça. Et si on pense au futur, au changement, Maki n'a pas tord. On peut changer, et elles peuvent s'écouter. Mai ne l'admettra jamais à voix haute.
Maki lui prend la main, sans douceur ou dureté particulière. Personne ne commente ce geste.
— Tu ne peux pas t'excuser, comme tout le monde ? demande Mai.
— Non, je ne peux vraiment pas. J'ai le droit. Je viens de perdre un bout de mon visage, sourit Maki.
Mai aurait aimé venir en étant moins fatiguée, le ventre moins retourné, les yeux moins humides. Elle n'aurait pas aussi salement eu envie de pleurer.
— Mais non, regarde-toi, soupire Mai. Tu es entière.
— Et toi entièrement fausse, comme d'habitude, dit Maki en lui donnant un léger coup sur la tête de sa main libre. Je pensais que tu allais t'excuser.
— De quoi ? demande Mai.
— De m'avoir détestée sans raison.
— Je ne t'ai pas détestée sans raison. Je t'ai détestée pour les mauvaises raisons. Il y a une nuance.
Le jardin, le ruisseau, les pieds traînant jusqu'aux arbres fruitiers. Couper un fruit en deux et en virer le noyau. Dévorer la chair sucrée, se laver les mains dans l'eau claire. Quelqu'un dans l'ombre pour l'observer. Tu as consommé juste ce qu'il fallait. Ose en prendre un de plus, ose en ramener un, et nous verrons bien.
Mai est la plus sentimentale mais Maki est la plus généreuse. Mai est la plus raisonnable mais Maki est la plus juste.
— Je ne vais pas non plus m'en excuser, je suis horrible comme ça, dit Mai.
Elle observe la nuit tomber à travers la fenêtre lointaine, à l'autre bout du couloir, les ombres s'amasser autour d'elles. Attendre. L'odeur de désinfectant lui rappelle celle d'un rêve. Elle est terriblement fatiguée, mais ne veut pas s'endormir : aura-t-elle une autre occasion d'avoir cette conversation ? C'est encore important pour elle.
— Ne sois pas si dramatique, ricane Maki. Et arrête de pleurer, gros bébé.
— Je ne pleure pas, renifle Mai, réalisant à peine la moiteur de ses joues. Ça me fait rien du tout, tu me connais.
— Suffisamment. Pourquoi tu es venue, si ce n'était pas pour t'excuser ?
Pour voir comment tu allais et si tu étais aussi indestructible que dans mes souvenirs. J'ai ma réponse.
— Je suis venue chercher ma rédemption, répond Mai en s'essuyant les yeux.
— On n'a pas de rédemption sans excuses ! s'exclame Maki, la voix forte et amusée, brisant l'obscurité au-dehors.
— Et pourquoi pas ? demande Mai, contenant encore ses larmes. Donne-la-moi, qu'on en finisse.
— Je veux encore mes excuses.
— Tu as perdu ce droit quand tu as commencé à me laisser seule pour grandir sans moi. Et ne me parle pas de l'école. C'était avant ça.
Maki pousse un long, long soupir, et laisse sa tête retomber en arrière soudainement qu'elle la cogne contre le mur. Son regard fouille le plafond un instant, le nez retroussé par ennui, une grimace au coin des lèvres.
— Et si on laissait ça là ? demande-t-elle finalement. Je ne suis pas faite pour les grands discours. Pas de ce genre-là.
— Insensible, siffle Mai.
— Mais c'est toi qui m'as détestée la première, Mai ! N'oublie jamais ça.
Mai ne sait pas quoi faire d'autre que lui resserrer la main.
— Ne prends pas la grosse tête, je n'ai pas fini de te détester.
— Et je n'ai pas fini de partir devant.
— Alors on ne va jamais changer.
Maki marque une courte pause.
— Je t'ai dit de laisser tomber. Tu amènes les choses où ça t'arranges. Tu peux changer sans tout changer, qu'est-ce que tu crois ?
— On peut juste admettre qu'arrivé à un certain stade, on a oublié ce qui avait de l'importance, dit Mai, pensive. Peut-être qu'il faudra du temps avant qu'on ne s'en souvienne pleinement.
— Ou bien on peut admettre que c'est cette famille de cinglés qui nous a éloignées. Je suis pas du genre à attendre que quelques souvenirs débiles me reviennent. J'en ai pas besoin.
— Insensible, répète Mai.
Maki secoue la tête.
— Fais attention à ce que tu dis, Mai. Pour l'instant, je suis encore assez sentimentale pour te pardonner tout ce que tu veux. Accroche-toi à ta rédemption, et si tu n'oublies pas ça, tu l'auras bien un jour ou l'autre.
Mai se met à sourire, et essuie les dernières traces humides qui persistent sur ses joues. Peu importe ce que cette famille de cinglés leur a appris — parce qu'elles ont appris. Elles ont appris à vivre de travers, toutes les deux, d'une façon bien différente, mais à jamais liée. Mai n'a toujours pas de vue claire sur le futur ni d'envie particulière. Elle a côtoyé la folie d'assez près pour savoir qu'elle aura du mal à dire un jour qu'elle est sereine. Mais partout ailleurs — ailleurs qu'à la maison —, à l'école ou bien à Shibuya, en tenant la main d'une sœur qu'elle n'a détestée que parce qu'on ne lui avait pas dit qu'elle pouvait faire autrement, elle peut sentir son esprit s'apaiser rien qu'un peu.
Se dessine l'esquisse d'une décision importante. Leurs mains sont chaudes et entières, passées, présentes et futures.
— Pour l'instant, dit Mai, restons ensemble.
Dehors, il fait exactement nuit.
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— — —
fin.
VOILÀ, je poste ça vite fait avant que Gege nous donne une vraie réunion lol mais pleaaaase j'ai vraiment besoin qu'elles s'allient pour éclater les Zenin (AU MOINS NAOYA PAR PITIÉ)(avec Megs aussi mon fils). J'espère que vous avez aimé, n'hésitez pas à me laisser un petit retour si c'est le cas, vous aurez mon éternelle gratitude.
Des bisous et à bientôt !
