Bonjour/Bonsoir, et oui, dommage, les glaïeuls ne sont pas mises à l'honneur aujourd'hui, mais ce sont les roses nos invités spéciales. De ce fait, il n'est guère compliqué de deviner quel personnage aujourd'hui je vais travailler dans ce nouvel OS artistique, dans la même veine que ceux portant sur Kanon et Camus. Aphrodite est notre invité du jour et je vais être honnête tout de suite avec vous, j'ai cru que je ne m'en sortirai jamais. C'est la première fois pour moi que j'écris sur le personnage et je ne voulais pas lui donner ce caractère détestable que l'on retrouve souvent. J'aime soulever la fragilité des personnages et c'est ce que j'ai voulu faire aujourd'hui en vous l'associant avec une œuvre d'Annette Messager, Histoire des Robes.

Cette association allait de soi selon moi, ce fut la première œuvre qui me sembla bon de coupler avec ce personnage et niveau écriture c'est plus ou moins aller tout seul, notamment pour mon analyse. Je dois vous avouer, et cela dépend des personnes, que quand j'ai vu cette œuvre, cela m'a fait un petit quelque chose. C'est compliqué à développer en un sens mais c'est pour cela que je vous sers ce genre d'OS, pour expliciter mon ressenti en narrant un personnage.

Trois principaux thèmes sont abordés ici : le rêve/l'idéalisation (une fois encore), l'intime (dans le sens artistique) et les roses. Bien sûr, je n'ai fait que les traiter en surface et il se peut que je fusse assez maladroite. En tout cas, s'il y a des erreurs, dites-le-moi et comme tous les autres OS « artistiques », sa publication est temporaire.

Sur ce, je vous souhaite une agréable lecture.

(Rating T par précaution compte tenue de ce que représente l'œuvre analysée aujourd'hui).

Disclaimer : Les personnages ici mentionnés sont extraits de l'œuvre Saint Seiya de Masami Kurumada / Histoire des Robes est une œuvre composée par Annette Messager.


La goutte, perle translucide, prise d'une envie soudaine, courut le long du doucereux tapis pourpre. Sa course effrénée la mena jusqu'à la limite de ce voile vermeil éphémère et arrivée au bord de cette falaise végétale, elle n'eut plus le choix. Elle devait tomber et s'enfoncer dans les profondeurs du terreau de haute qualité qui habillait le sol, quelques dizaines de centimètres plus bas. Une brise délicate, sournois alizé méditerranéen, fit alors trembler le pauvre diamant aqueux qui chuta, délaissant alors la belle corolle flamboyante au cœur de laquelle il aurait préféré se noyer avec ses confrères.

C'était une fin, mais aussi un accomplissement. Venant abreuver cette terre riche en nutriments, la goutte participait également à l'entretien de la fleur qui s'épanouissait dans ce pot.

Aphrodite, qui avait suivi avec attention le parcours de la délicate goutte, se redressa alors, couvant d'un regard presque amoureux la voluptueuse rose écarlate. La contemplant, il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il n'avait jamais été un mordu d'art, quelque soit leur forme, comme son tendre ami Camus. Il était seulement jardinier à ses heures perdues comme il aimait se présenter, préférant largement soigner de petites beautés aux pétales délicats. Il avait la main étonnement verte comme se plaisait à lui faire remarquer ses proches à chaque fois qu'ils venaient dans son appartement. En effet, l'intérieur du petit T2 qu'il louait en banlieue montpelliéraine s'apparentait étrangement plus à un jardin floral, pour ne pas dire une roseraie, qu'autre chose.

Il y avait des fleurs partout. Il y en avait dans la minuscule cuisine. Il y en avait dans le salon. Il y en dans la chambre. Il y en avait sur le petit balcon – qui en débordait. Il y en avait même jusque dans les sanitaires pour tout dire !

On lui avait alors de ce fait souvent reproché son choix d'études alors qu'il avait la main extrêmement verte. Aucune plante ne semblait plus épanouie qu'auprès de lui. Il était presque la Déméter des temps modernes couplée à la beauté sulfureuse d'une déesse homonyme. Il avait un don fou avec les plantes, avec les fleurs notamment, et plus particulièrement avec celles faisant partie de la célébrissime famille des Rosaceae.

Il adorait les roses. Il se plaisait à les entretenir, à soigner cette beauté qui n'était qu'éphémère malheureusement. Il faisait tout pour qu'elle dure le plus longtemps possible, agissant presqu'égoïstement.

Néanmoins, malgré cette finalité funeste à laquelle personne n'échappait – personne ne pouvant fuir le temps qui passe –, il faisait tout pour que ses roses soient heureuses. Il n'y avait pas de jalouses parmi elles, puisqu'il les aimait toutes. Sans la moindre exception.

Que ce soit l'amoureuse juvénile rose anglaise…

Que ce soit l'amoureuse soupirante ou la sage rose blanche…

Que ce soit la sympathie rose de Chine…

Que ce soit la terrible infidèle rose jaune…

Que ce soit la loyale amoureuse rose rose…

Que ce soit l'amoureuse ardente ou la vertueuse rose rouge…

Que ce soit la plaisante rose thé…

Que ce soit l'amoureuse candide rose trémière…

Que ce soit la mystérieuse et inatteignable rose bleue.

Elles étaient ses trésors. Elles étaient ses amours.

Elles étaient son art.

Toutefois, même s'il n'aimait pas réellement les « arts plastiques », il lui était arrivé une fois, de venir dans un musée. Par solidarité envers Camus, il l'avait accompagné, lui et un autre homme du nom de Kanon s'il se souvenait bien. Là-bas, lieu qui n'était pas réellement un musée mais une FRAC, il avait commenté d'un regard critique les toiles colorées, n'arrivant à en déceler la véritable beauté cachée, l'œil artistique ne faisant pas parti de lui malheureusement. Ses commentaires constants lui avaient attirés quelques soupirs du roux et le blond, plus âgé que lui, lui avait alors fait avec amusement au bout d'un moment :

« Si la peinture n'est pas ta tasse de thé, essaie à l'étage. Deuxième salle à gauche. Peut-être que des œuvres plus plastiques pourraient venir faire vibrer ton âme. »

Et s'il n'était pas un amoureux de la peinture et même des arts en général, sa curiosité avait été soigneusement titillée par les propos de l'homme. Il n'avait bien sûr pas saisi la fin de la phrase, ne sachant pas comment une âme pouvait « vibrer » devant une toile qui avait été recouverte de différents enduits colorés mais il y était allé.

Il était alors entré dans cette pièce qui ne fourmillait pas de visiteurs comparé au reste des lieux, lui annonçant subtilement que les arts plastiques ne devaient guère être intéressants. Néanmoins, il avait fait un tour pour se donner bonne foi, observant avec une certaine attention les cadres photos ou les créations particulières qui habillaient les murs. Il voulait trouver cette chose qui pourrait faire vibrer son âme comme lui avait dit Kanon. Il prenait ça pour un défi plus personnel, passant des poignées de minutes des fois devant une œuvre bien que le sens lui échappait, encore et toujours. Et alors, il s'approcha du dernier mur blanc qui était orné d'un objet volumineux sans envie.

La curiosité, créature indomptable et envie irrépressible, prit alors le dessus.

Sans même le concerter, elle le mena d'un pas plus rapide qu'avant devant cet étrange sarcophage suspendu à hauteur d'homme et il comprit étrangement ce que lui avait confié le blond plus tôt. Son âme avait tout de suite vibré lorsque son regard azur s'était accroché au contenu de la boîte à la soigneuse apparence mortuaire.

Cette œuvre est intime. Elle dévoile un intime semblable à ceux de nombreuses œuvres modernes comme les portraits de toilettes. Mais elle se limite à un intime différent de celui que d'autres œuvres actuelles essaient de dévoiler indécemment. Se faisant, celles-ci ont tendance à confondre intime et vulgaire dans l'art contemporain. On a une perte de la question de l'intime au profit du voyeurisme. Et c'est ce qu'évite de faire Annette Messager dans cette composition qui peut être plus que malaisante pour certains. L'intime ne peut pas être totalement dévoilé. On peut voir ce qui est montrable. L'intime c'est ce qu'on ne peut explorer au travers d'une œuvre mais simplement effleurer par le biais de questionnements posés dans cette œuvre.

S'il s'était orienté vers les lettres, malgré son amour incontestable pour ses beautés, à savoir ses roses, c'était pour les contes. Il était, comme Camus était un féru de littérature en général, un amoureux de ces écrits fictifs dont certains remontaient à plusieurs siècles de là. Il les avait tous lus, quelque soit l'origine de ceux-ci, et il se plaisait à les relire encore et toujours. Mais s'il était autant attaché à ces récits chimériques, c'était à cause d'une femme. Et pas n'importe quelle femme. La première femme que l'on aime selon les philosophes, sa mère.

C'était elle qui lui avait fait part de cet amour pour les contes alors qu'il n'était qu'un enfant. A l'âge où l'on vient bercer l'enfant avec des récits fantasmagoriques, celle-ci venait le voir chaque soir, ayant choisi au préalable une nouvelle histoire et la lui contait. Elle la lui contait avec un talent inouï. Un talent tel que les mots, prononcés par cette doucereuse voix maternelle quinze ans plus tôt, avait imprégné son esprit au point qu'il les écoutait encore. Et il lui arrivait même, en lisant tel ou tel conte, d'entendre le timbre de voix de sa mère dans sa tête, comme si elle était toujours à ses côtés, à le bercer de sa voix enchanteresse.

Ainsi, ce qui se présente au spectateur est un volume, une caisse avec un cadre en bois, ou plutôt une longue et étroite vitrine horizontale. Celle-ci, suspendue à hauteur d'homme, est tapissée dans son fond d'un long tissu de violine aux reflets lie de vin. Si précieux, on dirait de la moire, une soie un peu moirée. Pas entièrement dépliée mais occupant tout l'espace, il s'agit d'une robe. Elle est figée, vêtement adulte, bout de tissu de violine, derrière cette vitre comme une momie à l'intérieur d'un sarcophage, prisonnière à jamais d'un temps ayant arrêté de s'écouler. Et de ce fait, cette composition offre au spectateur un étrange sentiment de malaise, coffret mortuaire dévoilant à qui veut le voir son contenu.

Puis, dans le milieu plus ou moins protégé, s'il pouvait dire ainsi, duquel il était issu, les rêves occupaient une place toute particulière. Il était l'oiseau emprisonné dans cette cage dorée à qui l'on ouvrait la porte que tard le soir, par le biais de ses récits aux allures utopiques. Sa mère faisait alors office de bonne fée et qu'est-ce qu'elle était belle ! Il ne pouvait effacer de son esprit les images où alors qu'il allait se coucher, une fée apparaissait, venant lui faire une bise avant de disparaitre dans l'obscurité. C'était bien souvent de cette façon qu'elle venait lui souhaiter une bonne nuit avant de partir à une quelconque soirée mondaine. Toujours parée d'une luxueuse robe qui lui sciait à la perfection, un coup violine ou de soie verte, il avait eu l'impression de rencontrer une des nombreuses fées issues des contes. Sa bonne fée qui l'emmenait dans un autre univers où il pouvait déployer de toute leur envergure ses ailes innocemment.

Et devant cette œuvre, il se vit à nouveau, oiseau emprisonné dans cette bien trop belle cage.

La robe somptueuse est parée de treize photographies, s'étalant dessus à l'horizontale, originellement noires et blanches mais qui ont été recolorées. Elles sont encadrées de fines baguettes noires, leur permettant presque de se confondre à la mignardise de l'étoffe. De ce fait, ce sont des cadres tantôt bleuâtres, tantôt orangeâtres, tantôt jaunâtres qui ressortent, attirant discrètement l'œil et certains se voient honteusement tâchés d'un ocre faisant penser à un certain fluide vital. Puis, une longue ficelle court sur le textile et d'autres plus petites suspendent ces clichés à l'aide d'épingles à nourrice à la préciosité de la moire. De ce fait, cela abime la luxueuse matière tout en présentant un certain travail de couture dans un sens.

Il y avait quelque chose qui se dégageait de la composition qui le mettait mal à l'aise. Ce n'était pas les photographies. Ce n'était pas le velours pourpre. Ce n'était pas les ficelles qui agrémentaient le tout. Oui, c'était ça. C'était le tout. C'était la composition en soi.

Il n'avait jamais su décrypter le sens caché d'une œuvre. Il ne s'y était jamais intéressé. Seules ses roses comptaient à ses yeux, mais là, il sentit quelque chose vibrer en lui. Il lui semblait entendre distinctement la voix de l'artiste à travers ce lourd sarcophage rempli de tabous. Une voix qui lui murmurait de ne pas baisser le regard, d'affronter cette vérité, cette réalité. Une réalité à laquelle personne n'était préparée.

Et cela résonna en lui.

Ces photographies demandent à être observées avec minutie, et comme une célèbre œuvre d'Alain Fleischer, présentent des fragments de corps. Un corps en action qui est celui-là même de l'artiste. Des parties de l'anatomie féminines, le dos, la main, une partie du bas-ventre, le cou… une nudité où des parties plus ou moins intimes sont au premier-plan. Et dans tous les cas, ces fragments se voient entachés de traces ou trainées vermillonnes, comme s'il était question de les scarifier. Placés sur ce tissu foncé, des clichés émane une luminosité intérieure aux teintes diluées et ils créent une longue ligne ondulante colorée, un subtil cheminement ponctué d'éléments dérisoires sur la somptuosité d'un riche textile.

C'est dont une composition à la fois qui gêne, ce sarcophage dévoilant quelque chose presque relevant de l'ordre du mystère, et d'autre part, les photographies mettent mal à l'aise, ne présentant pas cet idéal de beau auquel le spectateur, qui assiste aux clichés par effraction, s'attendrait.

Il avait vécu dans une certaine idéalisation de la réalité.

Il n'avait pas eu à se battre tous les jours.

Il n'avait pas vécu une vie de bohème.

Il avait vécu dans la domesticité.

Il avait vécu dans l'argent.

Il avait vécu enfermé dans ses rêves. Ses rêves peuplés des contes de fée racontés par sa mère, de ces histoires de chevaliers et de dragons, de ces histoires de princes charmants et de princesses.

Tout l'avait alors porté vers ce monde édulcoré, magique, et ce, dès sa petite enfance, son éducation l'entrainant sur cette voie.

Ce fut pour cela que tout éclata lorsqu'il prit contact pour la première fois avec la vraie réalité.

Histoire des Robes peut alors être interprétée de différentes façons. Raconte-t-elle l'histoire de la robe ? Sa fabrication - l'épingle en étant alors l'expression - ? C'est possible. Tout est possible selon l'interprétation à laquelle le spectateur veut se prêter. Toutefois, cette œuvre raconte l'envers du décor. Ce que dissimule ce vêtement dit une « robe ». Un corps, bien souvent une femme, une douleur ou une extase, un plaisir ou même une mort. Il s'agit de l'alchimie de la création d'une enveloppe. L'histoire que cette œuvre narre, quelle est-elle ? Celle de l'artiste ? Celle de toute petite fille devenue femme ? Celle de ceux qui se sont égarés en cours de route ? Celle de ceux qui ont vu leurs ailes se briser face à une réalité trop dure ? Quel est ce ô que trop doucereux conte de fée aux allures tragiques auquel il faut prêter une oreille attentive ?

Les premiers émois.

Les premières relations amicales.

Les premières relations amoureuses.

Tout cela se jouant à un moment où dans son être il s'était transformé, devenant adulte sans réellement le devenir, demeurant enfant sans plus réellement l'être.

Il s'était perdu…

Apparence et profondeur se conjuguent dans cette composition. Si la robe peut contait la couture, la « haute-couture », la « griffe », la signature, un certain art et un évident savoir-faire, elle en dit aussi bien plus sur celles et ceux qui la portent. Apparence et vraisemblance se confondent. Ils se confondent et se perdent dans les limbes de ce combat. C'est la présentation d'instants fragiles, d'un moment de rêve, ici certes aux allures féminines mais tout le monde peut se retrouver un jour à rêver, à rêver et puis peut-être à se perdre.

Il avait connu alors des sensations plaisantes mais tout aussi désagréables auxquelles il n'avait été préparé. Pour lui, il était l'enfant d'une fée. Ressentir tout ce qu'il put ressentir à ce moment-là lui donna l'impression d'être une faute, d'être souillé et il pourrait rajouter toute une panoplie de mots dures.

Il avait rejeté son corps.

Il avait eu l'impression de passer en un jour de l'enfance magnifique à l'adolescence troublée.

Il ne savait plus qui il était, et cela le perturba à tout jamais.

Il n'aurait cru que le corps, son propre corps disposerait de lui aussi aisément. Le contrôle, il l'avait perdu.

Or l'histoire n'est plus celle que l'on croyait. Ces clichés retenus par des ficelles dignes du plus grand marionnettiste, fils d'Ariane à la fragilité palpable, ne suffisent pas. La robe, incarnant ces rêves dans lesquels nombreux baignèrent, est « robe de bal », diaprure des princesses à la beauté toute aussi éternelle qu'éphémère. Cependant, elle est également robe de deuil aux reflets lourds, sarcophage venant se renfermer sur ces rêves lorsque la réalité éclate aux yeux de tous. Et les photographies n'arrangent pas la chose, accentuant sombrement cette sensation de duplicité des images. Ce corps morcelé, discrètement entraperçu via ces clichés, offre à voir une douleur extrême. Un véritable paroxysme de douleur tant les expressions sont violentes.

Pourtant, aucun drame n'est ici retranscrit en soi.

Il s'était égaré. Il avait longuement erré. Et il errait toujours. Il se complaisait dans ses rêves, reflets indécents d'une enfance brisée. Il ne voulait refaire face à cette réalité qui lui avait laissé un goût que trop amer et qui l'avait fait chuter de ce piédestal d'or et d'ivoire sur lequel il s'était cru tout ce temps. La réalité était mensongère. Elle était trompeuse. Et il n'osait la regarder dans les yeux, l'affronter en face.

Or, il avait eu l'impression qu'en contemplant cette composition que cette carapace dans laquelle il s'était renfermé avait volé en éclat. Soudainement, brusquement, il avait fait face à cette réalité abrupte. Comme le lui avait dit Kanon, une œuvre parviendrait à faire vibrer son âme, et cette œuvre, il l'avait bel et bien trouvé. Elle venait malicieusement le saisir au fond de lui pour l'imposer devant cette Histoire des Robes et le forcer à voir au-delà de ce tissu moiré parsemé de clichés que certains auraient qualifié de « pornographiques ».

Fut-il alors un voyeur ? Spectateur de cette vérité longtemps cachée mais qui était générale voire absolue, étalée enfin à la vue de tous. Non. Il n'était pas uniquement spectateur d'une vérité générale, il était spectateur de sa propre vérité. Il était spectateur de ce petit enfant brisé par la réalité du monde dans lequel on évoluait et qui avait besoin de se redresser, de lui faire face pour ne plus se complaire dans sa souffrance. L'enfant aux grands rêves, l'adolescent brisé par la réalité, l'adulte aux rêves édulcorés se confondaient.

Admirant ainsi, puisqu'il avait admiré cette œuvre sans se mentir, déchiffrant les dessous de ce voile moiré, il avait alors su. Il avait su ce qu'il devait faire. Il savait ce qu'il devait faire. Il le savait pertinemment mais il avait maintenant besoin de courage. Il avait besoin de courage pour se redresser, pour se confronter à cela, mais il avait surtout besoin de temps.

De temps pour guérir avant tout.

En outre, dans cette œuvre, il y a quelque chose de mystérieusement religieux. Hormis cette souffrance plutôt mystique, ces « images », présentées au bout de ces pauvres attaches, viennent rappeler les ex-voto des sanctuaires sombres parsemant l'Occident, une multitude de destinées oubliées. Mais la mort rode dans cette composition. La mort qui vient cueillir ceux s'étant égarés dans cette rencontre brutale avec la réalité. Majestueuse, elle est parée de ses plus beaux atouts, la mort a mis ses habits de fête. Moirée, présentant les couleurs du deuil et du flirt avec la nuitée, la mort est le silence feutré d'une étoffe luxueuse, et non l'oubli. L'écrin de verre, dans l'ombre de ses plis presque aussi obscurs que la nuit, semble renfermer l'âme de cette femme faucheuse. Châsse sacrée, la vitrine se révèle être une outrageante présentation de la mort. Elle n'est ni plus ni moins que le cercueil d'une Blanche-Neige qui n'attendrait plus aucun prince charmant.

Le conte de fée est fini.

La faux qui tranche les rêves comme elle tranche la vie n'est pas loin.

Et la dernière goutte quitta la pomme métallique percée d'une multitude de trous pour aller s'étaler lascivement sur l'un des pétales immaculé de la rose.

Satisfait, un fin sourire aux lèvres et délaissant enfin ses souvenirs dans lesquels il avait la fâcheuse tendance à se plonger facilement, Aphrodite se détourna du balcon végétal. Revenant dans le petit salon, il ferma derrière lui à moitié la baie vitrée, laissant l'air encore tiède bien qu'automnal circuler dans son appartement. Le pas léger, sa queue de cheval haute se balançant dans son dos, il se dirigea vers la petite cuisine attenante, rejoignant l'évier pour remplir une fois de plus son outil. A côté de celui-ci se trouvait dans un vase à la fois chic et simple un bouquet de glaïeuls agrémenté de lys et de marguerites qu'il avait composé plus tôt dans la semaine.

D'une main délicate, il redressa soigneusement un lys qui commençait à avoir mauvaise mine avant d'ouvrir le robinet. Veillant à ce que l'eau ne soit pas trop froide et qu'elle ne déborde pas de l'arrosoir – ne désirant pas une facture trop salée à la fin du mois pour ses aides –, il n'était pas loin de se laisser aller à ses précédentes pensées quand il entendit faire une voix rendue rauque par la consommation de tabac venant du salon.

« Décidemment, je ne comprendrai jamais pourquoi tu fais pas fleuriste...

- Hm ? Je te l'ai pourtant déjà dit mille fois Angelo, soupira discrètement le jeune homme à la main verte, coupant l'eau pour se tourner vers son ami qui n'avait pas quitté le canapé depuis le début d'après-midi, scotché à sa console.

- Oh bordel le con... »

Le blond aux pointes bleues se retint de grimacer face à l'injure – qui ne lui était heureusement pas destinée –, n'appréciant que très peu le langage vulgaire de son ami. Et ce n'était pas faute de l'avoir corriger à de nombreuses reprises. Il avait l'impression de ne faire que ça certaines fois. Cela en deviendrait presque lassant.

Il saisit une fois de plus avec habileté l'anse en plastique de son outil et se dirigea vers les fleurs se trouvant la partie « salon » de son appartement. Elles méritaient elles aussi d'être rafraîchies un peu, surtout à force de passer du temps à l'intérieur. Il essaierait de les sortir en fin de semaine pour faire tourner un peu, histoire que toutes ses beautés puissent profiter des derniers rayons chaleureux du soleil avant le retour de la mauvaise saison.

« Oui, enfin ton amour pour les contes de fée ça va deux secondes à la fin, lui fit presque avec insolence le « dresseur du jour » aux cheveux argentés sans pour autant quitter des yeux son écran.

- Pourquoi ? s'étonna Aphrodite en redressant son arrosoir de la « Mademoiselle de Sombreuil » pour jeter un regard sur son interlocuteur. En quoi est-ce un mal de vouloir continuer de rêver ? »

Sa question ne sembla émouvoir ou tout du moins atteindre son ami qui poussa un sifflement rageur en fronçant les sourcils, grognant en grimaçant :

« Foutu Spiritomb à la con...

- Ange'..., souffla avec dépit le blond aux pointes bleus avec un geste las de la main. Les pieds sur la table s'il te plaît et arrête de jurer sur ce jeu.

Devant le regard qui s'était fait sévère du blond, l'Italien, prêt à répliquer, soupira bruyamment et s'exécuta avec mauvaise foi, reposant ses pieds au sol, laissant enfin respirer la pauvre orchidée trônant sur la table basse. Toutefois, cela ne l'empêcha pas de se replonger dans son jeu vidéo sur lequel il était depuis deux bonnes heures. Certes concentré dans sa partie contre un certain « maître de ligue », il prit le temps de répondre finalement à la question du Suédois posée quelques instants plus tôt.

« Les rêves ne sont qu'éphémères, Princesse. Il faut bien un jour prendre pied avec la réalité. Même si cela peut être brutal et te déplaire fortement. Ce n'est pas parce qu'une fois tu es tombé que tu dois retourner te terrer pour une éternité relative dans tes univers édulcorés. Ce n'est pas là qu'est ta place. Peut-être qu'en faisant face à la réalité du monde, tes rêves vont se briser et tu risques une fois de plus de te perdre, mais ce ne sera qu'un temps. Si tu restes enfermé dans ton monde, c'est nous qui risquons de te perdre, et là, ce ne sera pas pour un temps. Mais pour l'éternité. »

Des paroles bien sages. Des paroles bien sages et qui résonnèrent étrangement en l'homme qui était jardinier à ses heures perdues. Celui-ci s'imprégna doucement de ces mots, les assimilant, abandonnant pour la seconde fois son arrosage quotidien. C'était étrange, ces paroles lui faisait un peu le même effet que lorsqu'il avait observé cette fameuse composition lors de sa visite du musée avec Camus et Kanon. Bien sûr, c'était moins intense, ce n'était que des mots. Mais de simples mots qui revêtaient une certaine apparence à ses yeux, prenant l'habit d'une Vérité qu'il cherchait à fuir depuis trop longtemps.

Mais l'ombre qui vint durant quelques secondes obscurcir ses iris clairs disparut bien vite lorsqu'il secoua légèrement la tête. Il revêtit alors avec un certain mal-être après l'écoute de ces propos son masque habituel pour lancer sur avec une malice non feinte :

« Dis donc, tu parles drôlement bien aujourd'hui Ange'. Ton petit assistant t'aurait-il redressé ou aurais-tu pris des cours d'éloquence auprès de Camus ? »

Délaissant ses amours florales, il s'approcha de son ami, une main sur la hanche droite, une petite lueur amusée dansant ses yeux céruléens. Ces derniers se baissèrent sur la petite console grise qui semblait avoir connu des jours meilleurs vu les rayures la couvrant, mais qui retenait toute l'attention de son ami.

« Ou serait-ce la faute de cet ardu combat sur ta console qui te rend si sage ? rajouta-t-il sur le ton de la taquinerie.

- Humpf ! Laisse mes Pokémons tranquilles. De toute façon, une fois que j'aurai battu cette démone, je ne touche plus à ce jeu de malheur, se promit celui qui se plaisait à se faire appeler Deathmask en spammant le bouton A.

- Oh ! Dommage, j'aimais bien le Pokémon qui ressemblait à une rose.

- Mais pas moi.

- Pourquoi ?

- Parce que j'ai une plus belle rose auprès de moi et je compte bien la tirer pour de bon de ses rêves utopiques, Princesse.

- Tu comptes donc devenir mon prince charmant ? »

La dernière créature pixélisée adverse disparut de l'écran, laissant place à quelques lignes de dialogue lorsque la fameuse « démone » s'adressa au joueur. La partie ainsi terminée, il abaissa le capot de la DS, mettant le jeu en veille et souffla bruyamment. Décidément, il avait la vile sensation qu'Aphrodite n'avait toujours pas compris où il voulait en venir vu l'air amusé qu'il avait pris. Et ce n'était pas faute de s'être répété. Mais bon, il n'abandonnerait pas et réussirait un jour à le libérer de ses rêves utopiques.

Ce fut pour cela qu'il répondit par la suite sur le ton de l'évidence :

« Malheureusement, je ne suis ni un prince ni charmant. Mais je suis moi et cela suffira. »


Petites notes de fin :

Histoire des Robes est une œuvre assez particulière à mes yeux. Je l'ai bien sûr traité simplement pour ne pas alourdir la chose et je vous ai donné à voir une vision globale de la chose. Pour de vrai, l'œuvre est plus profonde et s'intéresse en particulier à la condition des jeunes filles de l'époque. Ici, j'ai voulu donner une interprétation plus large de l'œuvre. Si à cette époque, elle s'adressait et représentait un public juvénile féminin enfermé dans un carcan qui explosait à l'aube d'une adolescence tortueuse, pourquoi ne pourrait-elle pas aujourd'hui s'adresser à tout être qui est emprisonné également dans ses propres rêves ? C'est ce que j'ai essayé de dire et navrée de ma maladresse.

Autrement, pour le futur OS artistique de ce genre, j'ai encore deux personnages dans ma poche : Aiolia et Saga. Lequel des deux voulez-vous voir en premier ? Avez-vous une œuvre de préférence ou un domaine artistique ? Et concernant les autres personnages de la franchise, je ne trouve pas d'œuvres auxquelles les associer pour écrire sur eux mais si vous avez des idées, je suis preneuse.