- Miraculous Ladybug !
Une nuée de coccinelles s'éleva dans les airs et tourbillonna à une vitesse vertigineuse dans les rues de Paris, provoquant plusieurs exclamations ébahies sur son passage. Les coccinelles s'enroulèrent autour du Louvre, puis de l'Obélisque de la Place de la Concorde avant de disparaître dans le ciel. En moins d'une seconde, toute la ville était restaurée. Plus aucune trace des dégâts causés par le dernier akuma du Papillon n'était visible.
Ladybug contemplait la magie opérer depuis le haut de la Tour Eiffel d'un air émerveillé. Malgré le ciel d'un noir d'encre et la pluie qui tombait sans s'arrêter depuis des heures, rien n'aurait pu entacher son moral ce soir.
Une fois de plus, ils avaient vaincu leur ennemi.
Jamais elle ne laisserait le Papillon gagner, elle s'en était fait la promesse. Et tant que Chat Noir serait à ses côtés, rien ne pourrait les arrêter.
D'humeur joyeuse, elle se tourna vivement vers son coéquipier et lui présenta son poing avec un sourire éclatant.
- Bien joué ! lança-t-elle d'un ton léger.
Au lieu de faire preuve de sa verve habituelle, Chat Noir leva machinalement son propre poing d'un geste mécanique, plus par réflexe que par réelle conviction. Il avait l'air complètement ailleurs, comme perdu dans ses pensées.
Ladybug fronça les sourcils.
- Tout va bien Chat Noir ? demanda-t-elle en laissant retomber son bras le long de son corps.
Cette question sembla sortir Chat Noir de sa torpeur et il s'empressa de revêtir son sourire le plus charmeur en guise de réponse. Mais cette apparente bonne humeur ne trompait pas Ladybug : elle connaissait son coéquipier par cœur, et elle avait bien remarqué que son sourire ne se reflétait pas dans son regard habituellement étincelant d'espièglerie.
- Bien entendu ma Lady. Je suis simplement terriblement triste à l'idée de devoir te quitter, comme à chaque fois, répondit-il avec une courbette en embrassant le dos de sa main.
Ladybug leva les yeux au ciel avec un sourire.
- Tu devrais te dépêcher de rentrer, il ne fait pas un temps à mettre un chat dehors, lança-t-elle, une lueur de malice brillant dans son regard.
Le visage de Chat Noir s'éclaira instantanément.
- Ma Lady, si tu te mets à faire des jeux de mots, je vais te trouver encore plus irrésistible.
- Allez file idiot, tu vas attraper la crève ! fit-elle en ébouriffant ses cheveux trempés.
Lorsqu'elle retira sa main, elle vit que le regard de Chat Noir s'était aussitôt éteint à ces mots. Avec un soupir, il se pencha vers elle et prit sa main dans la sienne.
- Rentre vite au chaud toi aussi. Il est tard, je ne voudrais pas que tu tombes malade, dit-il d'un ton doux et sans artifices, qui contrastait avec son habituelle légèreté. A très bientôt, ce fut un plaisir, comme toujours.
- Rentre bien Chaton, répondit-elle avec un sourire bienveillant.
Chat Noir déplia son bâton et s'élança d'un bond au dessus des toits de Paris avec un signe de la main. En quelques secondes, il avait disparu à l'horizon.
Un éclair zébra soudain le ciel d'un noir d'encre et un frisson parcourut la colonne vertébrale de Ladybug : il était grand temps qu'elle rentre elle aussi se blottir sous la couette. Elle repoussa sa frange mouillée pour dégager sa vision et lança son yo-yo droit devant elle.
oOo
Tout en bondissant de toit en toit, Ladybug s'interrogeait sur l'attitude de Chat Noir ; il semblait complètement ailleurs ce soir, et son regard habituellement lumineux et pétillant était terne. Comme éteint. Elle aurait voulu insister, lui demander ce qui le travaillait au point d'être distrait pendant le combat et d'en oublier de faire des blagues douteuses, mais elle savait pertinemment qu'elle ne pouvait pas le laisser s'épancher ainsi et prendre le risque qu'il ne dévoile trop de détails sur sa vie privée. Ladybug se pinça les lèvres ; qu'il était frustrant de ne pas pouvoir se confier l'un à l'autre sous peine de mettre en danger non seulement leurs identités secrètes, mais par extension leurs familles et leurs amis qui seraient pris pour cible si jamais le Papillon découvrait qui se cachait sous leurs masques. Ils n'avaient pas le choix. Et paradoxalement, seul son partenaire pouvait comprendre ce qu'ils traversaient presque quotidiennement depuis deux ans. Ladybug avait beau être bien entourée dans la vie de tous les jours, ses activités de super-héroïne n'étaient pas quelque chose dont elle pouvait parler ouvertement avec ses proches. Un soupir lui échappa, et elle continua sa progression sous l'orage, pressée de se jeter dans son lit.
oOo
De son côté, Chat Noir approchait de son domicile et semblait totalement dépourvu d'entrain à l'idée de rentrer chez lui. Plus le temps passait et plus l'emprise qu'avait son père sur lui s'intensifiait. Il avait espéré qu'avec les années, son père lui laisserait un peu plus de lest, qu'il pourrait enfin faire des choix de son propre chef et avoir plus de liberté. Mais il avait beau être au lycée à présent, l'ombre de son père était plus pesante que jamais. Chaque instant de sa vie était millimétré, et il ne pouvait se permettre aucun écart, de peur de se voir interdire des sorties avec ses amis ou bien de faire une croix pour toujours sur une scolarité normale. Son Miraculous était le seul moyen qu'il avait de s'échapper, de mettre cette vie de contraintes en pause l'espace de quelques heures, mais il craignait par moments que son père ne découvre ses absences injustifiées et qu'il ne l'enferme à double tour dans sa chambre pour le restant de ses jours.
Adrien expira douloureusement ; il ne supportait plus la prison dorée dans laquelle son père le cloîtrait, ni la façon dont il contrôlait tous les aspects de sa vie. Et ce soir, même derrière le masque de Chat Noir, il étouffait.
oOo
En arrivant Place des Vosges, il stoppa net sa progression en apercevant le manoir Agreste qui se dressait devant lui dans le ciel orageux. Un frisson parcourut son corps trempé, et son estomac se noua instantanément.
Il ne voulait pas rentrer.
Tout son être lui criait de partir en courant, de fuir cet endroit glacial dans lequel il passait ses journées tout seul.
A cette pensée, ses épaules s'affaissèrent : même s'il s'enfuyait de chez lui, il n'avait nulle part où aller. Et surtout, il savait que les conséquences d'une fugue seraient désastreuses, son père ne lui pardonnerait pas.
Perché sur le toit d'un des bâtiments de la place, il resta accroupi un long moment sous la pluie battante, incapable de prendre une décision. Son cœur lui sommait de s'enfuir loin, de tout plaquer, mais son esprit, plus rationnel, pesait le pour et le contre et envisageait les pires scénarios possibles si jamais son père venait à découvrir sa disparition. Complètement désemparé, il finit par déplier son bâton pour regagner la terre ferme, et il se réfugia sous les arcades désertes à cette heure avancée de la nuit. Avec un long et pesant soupir, il se laissa glisser le long d'un mur, à l'abri des potentiels regards, et il murmura du bout des lèvres :
- Détransformation.
Plagg apparut dans un éclair vert et commença à grommeler en réclamant du camembert, mais lorsqu'il vit la mine désabusée d'Adrien, il se tut instantanément. Plagg avait déjà vu Adrien au plus bas, mais ce soir, son porteur semblait particulièrement déprimé. Ne sachant que faire, Plagg s'approcha de lui et posa maladroitement une patte sur le haut du crâne d'Adrien, qui lui adressa un faible sourire de reconnaissance ; au moins, il n'était pas seul.
oOo
Ladybug grelottait de froid. L'obscurité de la nuit déjà bien avancée mêlée à la pluie torrentielle qui s'abattait sur la ville rendait sa progression difficile, aussi se dépêchait-elle de foncer jusqu'à chez elle sans faire trop de détours.
Elle survola la Place des Vosges et s'apprêtait à prendre son élan pour atterrir sur son balcon lorsqu'un éclair zébra le ciel noir, illuminant le jardin l'espace d'une seconde. Cette seconde suffit à Ladybug pour se rendre compte que la place n'était pas complètement déserte : elle avait distinctement aperçu une silhouette assise sous les arcades. Mais qui diable pouvait rester dehors à cette heure-ci par un temps pareil ? Un sans-abri ? Quelqu'un qui s'était égaré et qui n'avait trouvé que ces arcades pour s'abriter le temps que le déluge ne s'arrête ? Ladybug voulut en avoir le cœur net : même si la perspective de regagner rapidement son lit était plus que tentante, elle ne pouvait décemment pas ignorer une personne en détresse.
Tout en espérant pouvoir aider cet inconnu, elle amorça sa descente et s'approcha discrètement. Elle distinguait un peu mieux la silhouette à présent, et elle manqua de lâcher le fil de son yo-yo en réalisant qui était assis là : elle avait reconnu ces baskets oranges estampillées du logo de la marque Gabriel. Ce T-shirt noir à bandes colorées. Ces cheveux blonds et ce regard incroyablement vert qui lui faisait régulièrement perdre tous ses moyens. Il n'y avait aucun doute, c'était bien Adrien. Mais que faisait-il ici, tout seul, à cette heure plus que tardive ? Ladybug hésita, sentant ses joues chauffer rien qu'à l'idée de lui adresser la parole, mais elle se raisonna rapidement : il avait dû lui arriver quelque chose de grave pour qu'il se retrouve ici au beau milieu de la nuit, et il était hors de question de le laisser sans rien faire. Elle pouvait clairement voir à son expression qu'il n'avait pas l'air bien du tout. Prenant une grande inspiration pour se donner une certaine contenance, elle s'approcha de lui et atterrit à bonne distance sous les arcades, de façon à lui indiquer sa présence sans le surprendre.
Malgré ces précautions, Adrien sursauta vivement lorsqu'il l'aperçut. Le cœur tambourinant sous sa poitrine, il se flagella mentalement. Mais quel idiot ! Il aurait dû se douter que cette situation allait arriver, ils venaient à peine de se quitter après la bataille et il ne s'était pas arrêté bien loin de l'endroit où ils avaient vaincu l'akuma quelques instants plus tôt ! Agacé par son propre manque de vigilance, il passa ses mains sur son visage, comme si ce geste pouvait l'aider à avoir les idées plus claires et trouver une solution. Il espérait de tout cœur que Ladybug n'allait pas s'éterniser : la dernière chose qu'il souhaitait était qu'elle s'inquiète pour lui.
Il se sentit rougir en voyant sa coéquipière approcher. Il lui était facile de faire le fanfaron lorsqu'il était transformé, mais sans le masque de Chat Noir, il se sentait extrêmement vulnérable et transparent face sa partenaire.
- Adrien ? appela doucement Ladybug en faisant quelques pas vers lui. Qu'est-ce que tu fais ici tout seul ? Tu as besoin d'aide ?
Ne sachant pas quelle attitude adopter, il préféra ne rien laisser paraître et adressa un sourire assuré à la justicière masquée.
- Tout va bien, Ladybug, c'est très gentil de ta part de t'inquiéter mais ça va, je t'assure. J'avais juste... besoin de prendre l'air.
- En plein orage ? demanda-t-elle en haussant un sourcil.
Pris de court, Adrien acquiesça faiblement, puis baissa les yeux, soudainement très intéressé par le bout de ses chaussures détrempées. Face à Ladybug, il ne savait visiblement pas tricher. Et ce soir, il n'arrivait pas à masquer son désarroi.
Une lueur d'inquiétude s'alluma dans le regard immensément bleu de Ladybug, et Adrien la connaissait suffisamment pour savoir qu'elle n'allait pas lâcher si facilement l'affaire. Son empathie et sa détermination à toujours vouloir venir en aide à ceux qui en avaient besoin faisaient partie des traits de caractère qu'il aimait chez sa coéquipière, et qui faisaient d'elle une parfaite Ladybug, toujours prête à servir sa ville et ses citoyens quels qu'ils soient. Mais ce soir, il aurait préféré qu'elle ne le trouve pas dans un état aussi vulnérable, assis à même le sol alors que le reste de la ville dormait à point fermés.
Ladybug s'approcha avec précaution, comme si elle cherchait à apprivoiser un animal sauvage. Lorsqu'elle fut certaine qu'Adrien n'allait pas s'enfuir, elle s'installa à côté de lui sur le sol de pierre.
- Adrien, je vois bien que ça ne va pas. Est-ce que tu veux en parler ?
Adrien se maudissait intérieurement ; s'il y avait bien une chose pour laquelle il était doué d'habitude, c'était de sourire sur commande. Toutes ces années de mannequinat avaient ancré ce réflexe en lui, et il puisait régulièrement dans ses talents d'acteur pour donner le change à ses interlocuteurs, quel que soit son état d'esprit du moment. Il avait toujours eu pour habitude de sauver les apparences coûte que coûte. Son père lui avait appris depuis sa plus tendre enfance à n'avoir aucun moment de faiblesse en public, à toujours sourire en toutes circonstances, même si la pire des tempêtes faisait rage dans sa tête. Après tout, il était Adrien Agreste, il avait tout pour être heureux, pas vrai ?
Mais pour la première fois de sa vie, face à la sincérité qui transparaissait dans le doux regard de Ladybug, il n'arrivait pas à donner le change.
Pour toute réponse, il ramena ses genoux tout contre sa poitrine, comme s'il cherchait à se faire le plus petit possible et disparaître.
- Je... Je ne veux pas t'embêter avec mes histoires, ce n'est rien, dit-il en secouant négativement la tête.
- Ce n'est pas rien si tes histoires t'amènent à te retrouver ici tout seul en plein milieu de la nuit. Vraiment je suis là si tu veux parler Adrien, tu ne m'embêtes pas du tout.
Adrien poussa un léger soupir et planta son regard dans les yeux de sa partenaire ; une partie de lui avait envie de se confier, il avait désespérément besoin de parler à quelqu'un. Mais il ne voulait pas se montrer sous un jour aussi peu glorieux face à la personne qu'il admirait plus que tout. Ladybug était forte et déterminée, et trouvait toujours une solution à tous ses problèmes, quels qu'ils soient. Adrien ne voulait pas qu'elle pense qu'il n'était qu'un moins que rien doublé d'un pleurnichard, incapable de gérer sereinement la moindre contrariété. Il devait se montrer solide. Digne de sa Lady.
Parasité par des sentiments contradictoires, Adrien détourna la tête. Ce soir, il se sentait tellement seul qu'il était prêt à envisager de s'épancher sur l'épaule compatissante que lui proposait Ladybug. Tant pis pour les apparences. Tout au fond de lui, il savait qu'elle ne le jugerait pas. Qu'elle ne le prendrait pas pour un gosse de riche en train de faire un caprice.
Ladybug n'avait pas bougé. Elle le regardait d'un air compréhensif, avec un sourire qui se voulait rassurant. Elle avait ce regard plein de compassion que Chat Noir lui avait parfois vu et qui lui faisait souvent manquer un battement de coeur, sans qu'il n'ose se l'avouer. Bien que Ladybug ne se doutait absolument pas qu'elle se trouvait face à son coéquipier, ce regard réchauffa le cœur d'Adrien et lui redonna de l'espoir. Son attitude bienveillante à son égard le décida à laisser tomber un morceau de la forteresse qu'il avait dressée autour de lui et à se confier par bribes.
- C'est mon père, finit-il par dire. Mais ça, ce n'est pas nouveau. Je... C'est compliqué chez moi tu sais. Je ne sais juste plus quoi faire. J'étouffe. Alors je suis parti.
- Ça t'arrive souvent de passer la nuit dehors comme ça ? s'inquiéta Ladybug.
Elle se doutait qu'Adrien n'avait parfois pas une vie facile, mais de là à préférer le sol dur et froid de la place à la sécurité de sa chambre...
De voir Adrien secouer négativement la tête la rassura un peu.
- Non, c'est la première fois. C'est juste que... je n'ai vraiment pas envie de rentrer chez moi ce soir.
- J'imagine ce que tu dois ressentir, répondit Ladybug d'une voix douce pour ne pas le brusquer. Mais tu comprends bien que je ne peux pas te laisser ici tout seul par un temps pareil. Tu vas tomber malade. Sans parler d'une mauvaise rencontre que tu pourrais faire.
Adrien se renferma sur lui-même en haussant les épaules.
- Ça m'est égal.
Il sentit Plagg s'agiter avec désapprobation dans la poche de sa chemise et il croisa les bras tout contre sa poitrine pour lui signifier d'arrêter. Ce n'était pas le moment de compliquer la situation avec une révélation accidentelle de son identité.
Ladybug ne répondit pas immédiatement, semblant évaluer les possibilités qui s'offraient à eux face à l'entêtement d'Adrien.
- Dans ce cas, je vais rester avec toi, décida-t-elle subitement.
Tant pis pour son lit douillet et la bonne nuit de sommeil qui l'attendaient. Elle serait certainement une vraie zombie le lendemain en cours mais il était hors de question qu'elle abandonne Adrien dans un tel état.
Surpris, Adrien ouvrit des yeux ronds. Personne n'avait jamais autant insisté pour l'aider, pour lui tenir compagnie dans un moment où il se sentait particulièrement fragile. Personne ne s'était jamais inquiété pour lui de cette façon.
Une petite voix dans sa tête lui souffla qu'il devait lui inspirer de la pitié pour qu'elle soit préoccupée à ce point par sa présence sous la pluie en pleine nuit, avant de repousser cette pensée d'un mouvement de tête. Ladybug n'était pas comme ça. Il voyait dans ses yeux qu'elle s'inquiétait réellement pour lui, sans même se douter de qui ils étaient l'un pour l'autre, et il était à la fois sincèrement touché et complètement mortifié.
- Non, non, Ladybug, ne fais pas ça, répondit-il aussitôt, gêné de l'ampleur que prenait sa petite crise existentielle. Ne te dérange pas. Rentre chez toi. Vraiment. En plus tu es trempée, tu vas attraper froid, non vraiment, je n'en vaux pas la peine.
Le cœur de Ladybug se serra à cette remarque : Adrien avait-il une si piètre opinion de lui-même ? Était-il si peu entouré qu'il ne se sentait indispensable pour personne ?
Elle se pencha vers lui et posa délicatement sa main sur son bras pour tenter de le réconforter et lui faire sortir cette idée de la tête, tout en tentant d'ignorer son propre cœur qui battait à cent à l'heure.
- Bien sûr que si tu en vaux la peine Adrien. Je m'inquiète pour toi. Il est hors de question que je te laisse tout seul ici en pleine nuit. Si tu comptes rester là, je reste avec toi.
Adrien culpabilisait ; il ne voulait pas retenir Ladybug, elle avait bien mieux à faire que de lui tenir compagnie sous la pluie. Il fallait qu'elle rentre se coucher, elle avait certainement une vie, peut-être des gens qui l'attendaient, qui s'inquiétaient de ne pas la voir rentrer...
- Est-ce qu'il y a quelque chose que je pourrais faire pour toi pour te remonter le moral ? demanda Ladybug, le sortant de ses pensées.
Face au mutisme d'Adrien, Ladybug réfléchissait à toute vitesse. Elle aurait aimé pouvoir lui fournir un toit pour la nuit, mais cela compromettrait son identité secrète. Il fallait pourtant absolument qu'elle trouve une solution.
- Tu as des amis à qui tu pourrais parler ? demanda-t-elle après un instant de réflexion.
Si elle ne pouvait pas l'aider directement, peut-être que quelqu'un d'autre le pourrait.
Adrien baissa les yeux.
- Mon meilleur ami n'est pas disponible ce soir, et de toute façon, je ne veux pas le déranger pour rien.
- Adrien, si c'est vraiment ton ami, tu ne le dérangeras jamais. Je suis sûre qu'il serait ravi de te remonter le moral. Appelle-le !
- Je sais, soupira-t-il. Mais ça ne sert à rien que je l'appelle, il était à l'étranger ce week-end. Je sais qu'il est rentré tard, il doit déjà dormir. Et puis vraiment, je ne veux pas l'inquiéter pour rien.
- Bon. Quelqu'un d'autre alors peut-être ?
Adrien fixait le sol d'un air embarrassé. Il semblait soudain vraiment mal à l'aise face à l'insistance de sa partenaire. Et puis ce n'était pas comme s'il ne pouvait pas se défendre tout seul en cas de problème : il était Chat Noir après tout, et il se promenait en permanence avec un kwami capable de désintégrer la planète d'un seul mouvement. Mais ça, Ladybug ne pouvait pas le savoir.
Il se redressa et appuya son dos contre le mur froid derrière lui, cherchant ses mots pour convaincre la justicière masquée qu'il n'avait pas besoin d'aide.
- Ladybug, je sais que ça part d'un bon sentiment, et j'apprécie vraiment que tu t'inquiètes autant pour moi. Vraiment. Mais, c'est que... Enfin... Je ne vois pas l'intérêt d'ennuyer quelqu'un avec mes problèmes. Je t'assure que je peux gérer ça tout seul. J'ai l'habitude.
Sous sa combinaison rouge à pois noirs, le cœur de Marinette plongea dans son estomac. Derrière son apparente désinvolture, Adrien semblait si triste. Elle détestait l'idée qu'il n'ait jamais vraiment eu quelqu'un vers qui se tourner en cas de souci, et cela ne fit que renforcer sa détermination à trouver une solution pour qu'il ne reste pas seul. Elle mourrait d'envie de le serrer dans ses bras de toutes ses forces jusqu'à ce que tous ses problèmes disparaissent, mais sa timidité envers le jeune homme la pétrifiait sur place.
- Ce n'est pas bon de tout garder pour soi, lui dit-elle avec douceur. Je t'assure que tu ne perdras pas tes amis juste parce que ça ne va pas et que tu as besoin de vider ton sac de temps en temps. Il y a des gens pour qui tu comptes beaucoup tu sais.
Adrien sentit son cœur battre un peu plus fort. Il avait beau s'être fait des amis depuis qu'il avait repris une scolarité normale, il avait encore du mal à voir les choses de la façon dont Ladybug les lui décrivait. Les habitudes bien ancrées étaient compliquées à perdre. Comment ne pas se sentir insignifiant et encombrant alors qu'il était utilisé par son propre père qui n'en avait que faire de ce que lui désirait vraiment ? De ce qu'il ressentait ?
- Tu es sûr que tu veux garder ce qui te tracasse pour toi ? tenta-t-elle à nouveau.
Pour toute réponse, Adrien baissa la tête. Il hésitait toujours, partagé entre l'idée de soulager son cœur lourd de chagrin et la gêne qu'il ressentait à cette idée.
- Écoute, reprit Ladybug, sentant son hésitation. Ma proposition de rester avec toi tient toujours. On n'est pas obligés de parler si tu n'en as pas envie, il n'y a aucun souci.
Le regard incertain que lui lança Adrien lui fit ajouter :
- Sinon, appelle quelqu'un en qui tu as confiance, mais promets-moi de ne pas rester ici tout seul, dit Ladybug d'une voix douce en posant sa main sur la sienne, légèrement étonnée par l'audace de ce contact.
Elle était reconnaissante d'être toujours en costume : elle était si nerveuse que sans ses gants, Adrien aurait certainement senti la moiteur de ses mains. Elle sentait son visage brûlant, et ses joues rouges auraient très certainement été visibles depuis l'espace si elles n'avaient pas été à moitié dissimulées par son masque.
Troublée, elle s'éclaircit la voix.
- Tu sais, parfois une simple présence amicale peut faire des miracles, ajouta-t-elle avec un clin d'œil exagéré, espérant ainsi de pas laisser transparaître sa nervosité.
Adrien planta son regard d'émeraude dans les yeux bleus de Ladybug et esquissa un sourire pour la première fois depuis le début de leur conversation. L'idée semblait faire un bout de chemin dans son esprit, et lorsqu'il leva les yeux, son regard se posa sur la devanture de la Boulangerie Pâtisserie qui se dressait devant lui, au bout de la place. Une simple présence amicale...
La lumière tamisée qui émanait de la chambre de Marinette attira son regard. Il était un peu étonné qu'elle soit toujours debout à cette heure-ci, mais la connaissant, elle devait sûrement être en pleine création. Son sourire s'étendit en l'imaginant en train de mesurer et d'assembler des morceaux de tissus, deux ou trois épingles coincées entre ses lèvres et un mètre ruban autour du cou.
- J'ai une amie qui n'habite pas loin, peut-être que... Mais elle doit dormir à cette heure, ce n'est pas une bonne idée, bégaya-t-il, les joues légèrement roses.
- Appelle-là, l'encouragea Ladybug avec un sourire rassurant. Je suis sûre que tu ne la dérangeras pas.
Ladybug ne put s'empêcher de détourner le regard, un pincement de jalousie lui étreignant le cœur malgré elle.
- Il doit certainement penser à Chloé, se dit-elle, les lèvres pincées. Le Grand Hôtel est littéralement de l'autre côté de la place. Et puis c'est son amie d'enfance, c'est logique qu'il préfère rester avec elle plutôt qu'avec moi. Au moins, il sera à l'abri au chaud.
Malgré l'amertume qui menaçait de l'envahir, elle se força à recentrer son attention sur Adrien. Sa jalousie ne lui serait d'aucun secours dans cette situation, et le bien-être de son ami était sa priorité.
Elle pouvait voir le conflit intérieur que provoquait cette décision chez Adrien. Il ne devait vraiment pas avoir l'habitude de compter sur quelqu'un d'autre que lui-même. Il fixait un point droit devant lui, les lèvres serrées, se demandant vraiment s'il devait déranger son amie au beau milieu de la nuit à cause de ses états d'âme.
En suivant machinalement son regard, Ladybug remarqua soudain que les yeux d'Adrien étaient dirigés vers sa chambre. Elle réalisa avec effroi qu'il avait repéré la lumière qu'elle avait laissée allumée avant de sortir s'occuper de l'akuma un peu plus tôt, et elle s'étrangla à moitié en comprenant ce qui était en train de se passer dans la tête du jeune homme.
- Moi ? se dit-elle en paniquant. Adrien est en train de penser à... MOI ?
Le cœur de Ladybug se mit à battre à cent à l'heure, et elle sentit son visage prendre la couleur du soleil levant. C'était trop beau pour être vrai. De tous les gens qu'il connaissait, c'était elle - Marinette - qu'il voulait contacter ? Mais pourquoi ?
Inspirant un grand coup pour tenter de se calmer, elle analysa la situation. Si Adrien était sérieusement en train de considérer l'idée de lui demander de l'aide, il était hors de question qu'elle le laisse tomber. Elle ferait tout ce qui était en son possible pour lui remonter le moral et trouver une solution.
Ladybug ne voyait qu'un seul problème à cette situation, et pas des moindres : elle ne pouvait clairement pas être à la fois sous les arcades de la Place des Vosges avec Adrien et dans sa chambre. En panique, elle réfléchissait à toute vitesse : Comment allait-elle faire pour s'éclipser rapidement et se détransformer avant qu'il ne l'appelle ? Est-ce qu'elle pouvait dépasser la vitesse de la lumière avec son yo-yo en prenant suffisamment d'élan ? Existait-il un kwami qui pouvait lui donner le pouvoir de se téléporter ou bien de se dédoubler ? Est-ce que Tikki avait à tout hasard le pouvoir d'arrêter le temps pour qu'elle puisse arriver le plus vite possible dans sa chambre sans qu'Adrien ne bouge un orteil ?
La seule chose qu'elle craignait était qu'Adrien ne l'appelle avant qu'elle n'ait pu se détransformer. Elle ne voulait pas risquer qu'il tombe sur son répondeur et qu'il ait l'impression de ne pas pouvoir compter sur elle. Mais d'un autre côté, elle refusait de le quitter tant qu'elle n'était pas certaine qu'il n'allait pas rester là toute la nuit sous la pluie.
- Arrête de paniquer Marinette et secoue-toi, se sermonna-t-elle. Adrien a besoin de toi.
Ce fut le moment que choisirent ses boucles d'oreille pour émettre un léger « bip ». Saisissant cette excuse pour s'éclipser, Ladybug déplia ses jambes légèrement engourdies par sa position précédente et se redressa, une détermination sans faille coulant à présent dans ses veines. Si Marinette pouvait l'aider, Ladybug se devait de l'encourager dans cette voie.
Elle se tourna vers Adrien.
- Je vais me détransformer, je vais devoir te laisser un instant, mais tu me promets d'appeler ton amie ? lui dit-elle. Je reviendrai un peu plus tard pour voir si tu es toujours là, je ne veux pas que tu restes tout seul dehors.
A ces mots, Adrien secoua négativement la tête avec une certaine assurance.
- Ce n'est pas la peine de repasser. Rentre chez toi, s'il te plaît. Je te promets de l'appeler.
Le cœur de Ladybug fut assailli de sentiments totalement contradictoires et elle eut toutes les peines du monde à garder un visage impassible alors qu'elle était en train de se dissoudre intérieurement dans une combustion spontanée. A la fois déterminée et complètement paniquée, elle adressa un grand sourire à Adrien pour masquer son trouble.
- Je suis heureuse de te l'entendre dire, réussit-elle à articuler. Je suis sûre que ça va aller.
- Merci Ladybug, merci pour tout du fond du cœur, répondit Adrien, qui semblait avoir repris du poil de la bête. Je ne veux pas te retenir plus longtemps. Mais ça m'a fait du bien de rester un peu avec toi.
- Je ne serai jamais loin en cas de besoin. Tu pourras toujours compter sur moi Adrien, je t'en fais la promesse.
Ces mots allumèrent une lueur de tendresse et de joie dans le regard d'émeraude d'Adrien. La façon dont son expression passa du désespoir à l'émerveillement en quelques secondes serra le cœur de Ladybug : elle voyait bien qu'il n'avait pas l'habitude d'entendre ce genre de choses, et elle se promit de faire plus attention à lui à l'avenir, aussi bien en tant que Ladybug que en tant que Marinette. Adrien méritait d'avoir des gens sur qui compter dans sa vie.
Reprenant ses esprits, Ladybug lui fit un signe de la main en guise d'au revoir et s'envola rapidement. A peine le dos tourné, elle ne vit pas Adrien lui envoyer timidement un baiser du bout des doigts, un sourire tendre suspendu à ses lèvres.
- Merci ma Lady, murmura-t-il, le regard rêveur.
Une fois dans les airs, Ladybug fit mine de prendre la direction opposée et vérifia qu'Adrien n'était plus visible avant de faire demi-tour et de se poser discrètement sur l'autre côté du toit pour qu'il ne la repère pas. Plaquée contre le muret, elle retint sa respiration, fixant sa lucarne des yeux. Plus que quelques mètres et elle était sauvée. Le souffle court, elle se glissa à plat ventre sur sa terrasse, entrouvrit sa lucarne, et se laissa tomber sur son lit la tête la première. Il ne restait plus qu'un dernier détail, et pas des moindres : il fallait qu'elle se détransforme. La nuit était tellement noire que, de là où il était, Adrien verrait certainement le flash de lumière qui accompagnait sa détransformation. Ladybug n'était pas certaine que beaucoup de monde puisse faire le lien entre cette lumière et ses super-pouvoirs étant donné que personne ne l'avait jamais vue se détransformer, mais elle ne préférait prendre aucun risque. Elle descendit le plus vite possible de sa mezzanine, et tourna frénétiquement la tête dans tous les sens à la recherche d'une solution, ou au mieux, d'une idée, pour se détransformer aussi discrètement que rapidement. Après avoir sérieusement considéré l'idée de vider entièrement sa malle pour s'y cacher, elle avisa finalement son placard. Sans plus attendre, elle s'y engouffra, vérifia que la porte était hermétiquement fermée pour laisser passer le moins de lumière possible, et murmura :
- Détransformation.
Le flash de lumière rose emplit l'espace exigu dans lequel elle se trouvait et l'aveugla l'espace d'un instant. Marinette cligna plusieurs fois des yeux pour se réhabituer à la pénombre du placard, et, une fois détransformée, elle ressortit précipitamment, Tikki dans ses mains.
- Qu'est-ce que je vais faire, Tikki ? Adrien risque de m'appeler, je ne vais pas réussir à gérer ! Je ne vais pas y arriver ! paniqua-t-elle.
- Marinette, calme-toi ! répondit Tikki. Tu viens de réussir à tenir une conversation complète avec lui, il n'y a pas de raison !
- « Ladybug » a réussi à tenir une conversation complète avec lui, Tikki, la corrigea Marinette qui faisait les cent pas dans sa chambre, dans un état de nervosité bien avancé. « Marinette » ne va jamais y arriver !
- C'est la même chose ! Tu es Ladybug ! répliqua Tikki. Marinette, tu peux y arriver, tu...
La phrase de Tikki fut interrompue par les vibrations du téléphone de Marinette.
- Tikki, c'est lui, dit-elle d'une voix mourante en fixant l'écran de son téléphone sur lequel le nom d'Adrien s'était affiché.
- Tu vas y arriver, lui souffla Tikki avant de s'envoler vers la mezzanine.
Tremblant de la tête aux pieds, Marinette prit une grande inspiration et décrocha.
- A-Allô Adrien ? Ça va ?
Marinette l'entendit hésiter, aussi resta-t-elle silencieuse pour l'inciter à continuer, tandis que son cœur menaçait de fracasser sa cage thoracique pour s'en échapper.
- Je suis vraiment désolé de t'appeler aussi tard Marinette, mais je... j'avais besoin de parler à quelqu'un, finit-il par dire.
Marinette l'entendit pousser un long soupir à l'autre bout du fil. Il semblait sur le point de se mettre à pleurer. Le cœur de Marinette se serra douloureusement ; elle n'aimait pas le savoir aussi mal. Il fallait absolument qu'elle réussisse à lui remonter le moral. Elle l'encouragea à se confier, tout en puisant dans ses talents de comédienne pour se comporter comme si elle découvrait la situation.
- Ne t'excuse pas Adrien, tu as bien fait ! Est-ce que je peux t'aider ?
Adrien était terriblement gêné d'appeler Marinette de façon aussi impromptue au beau milieu de la nuit, mais il était un peu rassuré de voir qu'elle n'avait pas l'air de lui en tenir rigueur. Ladybug... Marinette... Il ne méritait décidément pas ces deux formidables personnes dans sa vie.
Il tenta pendant quelques minutes d'entretenir des sujets de conversation sans intérêt, avant de finalement capituler et d'avouer à Marinette qu'il s'était enfui de chez lui. Techniquement, il n'était pas encore rentré, mais il ne pouvait pas lui donner cette version de l'histoire sans risquer de dévoiler ses activités de super-héros.
- Adrien, tu ne peux pas rester dehors. Où es-tu ?
Adrien hésita, puis finit par lui donner sa localisation du bout des lèvres.
- Place des Vosges, dit-il d'une toute petite voix.
- J'arrive.
- Non non, ce n'est pas la peine Marinette, tu ne vas pas sortir par un temps pareil ! Reste au chaud s'il te plaît, la supplia-t-il.
Il se détestait à chambouler ainsi la nuit de tout le monde.
- J'arrive, répéta-t-elle.
Le ton de Marinette était doux mais ferme, ne souffrant d'aucune réplique. Elle enfila rapidement un manteau et des bottes de pluie, attrapa le parapluie noir d'Adrien qui ne l'avait jamais quittée en deux ans, et descendit le plus rapidement possible sans faire de bruit pour ne pas réveiller ses parents. Sabine et Tom dormaient depuis longtemps, et l'heure bien avancée de la nuit était plus proche de leur réveil que de leur coucher.
oOo
Lorsque Marinette avait raccroché en lui signifiant son intention de venir à sa rencontre, Adrien s'était rapproché de l'entrée de la boulangerie le plus vite possible. Il détestait l'idée de l'avoir dérangée et il refusait de la voir traverser toute la place sous cette pluie torrentielle par sa faute. Il se plaqua le plus possible au mur de son immeuble, résolu à l'attendre.
- Adrien, est-ce que tu es au courant que les chats n'aiment pas l'eau ? grogna Plagg depuis la poche trempée au fond de laquelle il s'était terré pour s'abriter alors qu'Adrien se tenait debout sous la pluie battante.
- Chut Plagg, Marinette arrive ! chuchota Adrien en serrant sa chemise contre lui pour le faire taire.
- J'espère que ton amoureuse a du camembert chez elle, j'ai faim.
- Ce n'est pas mon amoureuse, c'est juste une amie... Et ne me dis pas que tu as déjà fini tout ce qu'il y avait dans ma poche ? s'exclama-t-il le plus doucement possible.
- Tu veux dire les trois miettes que tu y avais mis avant de partir ?
- Plagg, il y avait au moins la moitié d'un camembert !
- Oui, c'est bien ce que je dis, marmonna-t-il entre ses dents.
Adrien s'apprêtait à répliquer, mais la lumière qui s'alluma dans le hall l'en dissuada. Sans un mot, il fit signe à Plagg de se tenir tranquille tout en guettant anxieusement l'arrivée de Marinette.
oOo
Une fois en bas de l'escalier, Marinette resta un instant immobile, la main sur le verrou ; son cœur battait à mille à l'heure. Elle était presque tentée de faire demi-tour et de remonter aussi sec se terrer dans sa chambre mais elle se raisonna rapidement : la sécurité d'Adrien était bien plus importante à l'heure actuelle que son crush stupide.
Elle déverrouilla discrètement la porte d'entrée de l'immeuble et prit une longue inspiration, se préparant mentalement à s'élancer sous la pluie et retrouver Adrien à l'endroit où elle l'avait laissé. Mais avant d'avoir pu mettre un pied dehors, une ombre dans sa vision périphérique la fit violemment sursauter. Le cœur bondissant de peur sous sa poitrine, elle brandit son parapluie comme une batte de baseball pour se défendre et s'apprêtait à asséner un coup à son potentiel agresseur lorsqu'elle reconnut le jeune homme qui avait fait un bond en arrière.
- Adrien ! s'exclama-t-elle en suspendant son geste.
- Désolé, s'excusa-t-il, ses deux mains levées devant lui en signe de paix. Je ne voulais pas te faire peur !
Son cœur fracassant sa cage thoracique pour une tout autre raison à présent, Marinette posa son poing serré sur sa poitrine, comme si ce geste allait la calmer. Ils se dévisagèrent un instant, avant que Marinette ne réalise qu'Adrien se tenait toujours dehors sous la pluie, la tête rentrée dans ses épaules voûtées par le froid et le déluge qui s'abattait sur lui. Elle se ressaisit et lui fit signe d'entrer dans le hall de l'immeuble d'un mouvement de la main.
- Tu as de bons réflexes, lança Adrien d'un ton amusé pour tenter de détendre l'atmosphère.
Ne sachant quoi répondre, Marinette esquissa un faible sourire et replia le parapluie afin d'occuper ses mains légèrement tremblantes et de ne pas se focaliser sur le fait qu'Adrien était à présent dans le hall de son immeuble.
Ils restèrent immobiles, plantés l'un devant l'autre, un peu gênés par cette situation inédite. Visiblement, aucun des deux adolescents ne savait quoi dire ou faire pour lever le silence inconfortable qui s'était installé entre eux.
Surmontant sa timidité, Marinette finit par réagir et lui tendit une grande serviette moelleuse qu'elle avait descendue avec elle, tout en l'observant des pieds à la tête. Le pauvre était complètement trempé. Surpris, Adrien esquissa un sourire de remerciement face à cette petite attention.
- Merci beaucoup Marinette, dit-il en passant la serviette dans ses cheveux pour tenter de les sécher un peu. Je suis vraiment désolé de te déranger comme ça au beau milieu de la nuit.
- Tu ne me déranges jamais Adrien, répondit-elle, les joues aussi rouges que son costume de super-héroïne.
Un autre silence pesant tomba entre eux.
Marinette prit soudain une décision.
- Est-ce que... tu... Tu veux monter ? demanda-t-elle timidement.
Adrien secoua instantanément la tête de droite à gauche pour signifier son refus. Il avait déjà beaucoup trop abusé de la gentillesse et de l'hospitalité de la jeune fille.
- Non, c'est gentil mais je ne veux pas vous déranger, toi et tes parents, et je...
- Mes parents dorment depuis longtemps, on ne les réveillera pas si on ne fait pas de bruit. Et puis les connaissant, jamais ils n'auraient accepté de te laisser repartir sous la pluie comme ça. Je pense que ma mère aurait bloqué la porte d'entrée avec la pelle à pain de la boulangerie et mon père t'aurait monté à l'étage comme un sac de farine sur son épaule sans que tu n'aies eu ton mot à dire, lança-t-elle dans une tentative de plaisanterie pour tenter de masquer le fait qu'elle était mortifiée.
A ces mots, le corps d'Adrien s'était réchauffé de quelques degrés, et cela n'avait rien à voir avec la douce chaleur qui régnait dans le hall d'entrée de l'immeuble. Il laissa échapper un petit rire en imaginant la scène que Marinette venait de lui décrire, et la jeune fille sentit sa poitrine se gonfler de bonheur de l'entendre rire ainsi. Elle lui adressa un sourire éclatant, et fut ravie de voir Adrien sourire à son tour. Tout n'était pas perdu.
Ils redevinrent rapidement sérieux, et craignant qu'il ne change d'avis, Marinette lui tendit sa main pour l'inviter à monter.
- Viens au moins te réchauffer, tu as l'air frigorifié. Reste... S'il te plaît. Il pleut beaucoup trop dehors.
Touché par tant de gentillesse, Adrien ne sut quoi dire. L'idée de s'abriter dans un environnement sec et chaleureux sembla enfin le décider, et il finit par accepter timidement l'invitation, pour le plus grand bonheur de la jeune fille.
oOo
Marinette le fit silencieusement entrer dans le salon, son cœur battant à tout rompre à la simple idée qu'Adrien se trouvait chez elle. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'il venait, mais l'idée qu'il soit là en pleine nuit, à une heure où seuls les hiboux étaient éveillés, lui semblait tout à coup très intime. Elle l'invita d'un geste de la main à emprunter l'escalier qui menait à sa chambre, le suivant dans son sillage, mais lorsqu'il ouvrit la trappe, le sang de Marinette se figea dans ses veines. Dans sa précipitation, la jeune fille avait complètement oublié un détail, et pas des moindres : les photos de mannequin d'Adrien qui ornaient chaque centimètre carré de ses murs.
- Oh non non non non non ! paniqua-t-elle intérieurement. J'aurais dû les décrocher avant de descendre, il va réellement me prendre pour une psychopathe ! Plus jamais il ne m'adressera la parole ! En plus, quand il va voir ça, il va partir en courant et il va préférer retourner dormir dehors sous la pluie plutôt que de rester une seconde de plus ici... quelqu'un va l'agresser, ou bien il va avoir un accident, ou il va attraper une pneumonie très grave, ça va faire la une des journaux et son père saura qu'il a découché et il ne pourra plus jamais revenir au lycée, et tout sera de ma faute, j'ai tout foiré !
Blême, elle se dépêcha de gravir les marches qui montaient à sa chambre, manquant de trébucher dans sa précipitation lorsqu'elle posa un pied sur son plancher.
- Adrien attends, je...
Le souffle court, elle s'interrompit tout net lorsque son regard se posa sur les murs de sa chambre et elle ouvrit des yeux ronds : toutes les photos d'Adrien avaient disparu. Marinette expira longuement, soulagée.
« Merci Tikki », la remercia-t-elle mentalement.
Le petit kwami avait dû les entendre rentrer, et avait visiblement eu la bonne idée de les retirer avant qu'Adrien ne monte. Marinette se promit de lui offrir tous les cookies et macarons qu'elle pourrait trouver à la boulangerie le lendemain pour la remercier de lui avoir évité une cuisante humiliation.
Adrien était resté timidement planté au milieu de la chambre, les deux mains enfoncées dans ses poches de jean pour se donner une contenance. Son regard rencontra celui de Marinette, et la jeune fille y décela un profond embarras. Adrien semblait toujours visiblement gêné à l'idée de s'imposer chez son amie et de la déranger.
- Marinette, c'est adorable de ta part de m'accueillir mais je ne devrais pas être là, finit-il par dire du bout des lèvres. Je ne veux pas te déranger plus longtemps, je vais y aller. Merci pour tout en tout cas.
Il s'apprêtait à faire volte face lorsque Marinette le retint par la manche de sa chemise.
- Adrien, si c'est pour rentrer dormir chez toi, d'accord, mais je refuse de te laisser partir si c'est pour te retrouver allongé sous un banc de la place des Vosges ou bien je ne sais où. Il est hors de question que tu passes la nuit dehors, répondit-elle plus fermement, peu désireuse de devoir le convaincre à nouveau.
Ne constatant aucune réaction, Marinette se décida à faire tomber les barrières qu'elle dressait systématiquement en sa présence et laissa parler son cœur.
- Je t'assure que tu ne me déranges pas, dit-elle d'une voix douce. Si je peux t'aider, j'en suis ravie. Ça me touche beaucoup que tu m'aies appelée tu sais. Je ne te laisserai pas tomber, tu peux compter sur moi.
Adrien se mordit les lèvres face au regard à la fois tendre et inquiet de Marinette, ne sachant quoi lui répondre. Ses yeux verts fixaient le sol, ne sachant plus quoi faire. Il détestait la position dans laquelle il avait mis son amie, tout en ayant vraiment envie de rester un peu auprès d'elle.
- Ecoute, soupira-t-elle. Si vraiment tu n'as pas envie de rentrer chez toi, tu... tu peux rester dormir ici, il n'y a vraiment aucun souci, proposa-t-elle, les joues légèrement rouges. Si ça ne va pas t'attirer d'ennuis bien sûr.
Le cœur d'Adrien fit un looping sous sa poitrine. Cette proposition était réellement difficile à refuser. Il n'avait vraiment aucune envie de rentrer chez lui pour le moment, et à chaque fois qu'il était venu chez Marinette, il s'était senti comme à la maison, en famille. Tom et Sabine avaient toujours été extrêmement accueillants avec lui, et il n'y avait aucun autre endroit qui lui procurait une telle sensation de bien-être.
- Tu es vraiment sûre que ça ne te dérange pas ? demanda-t-il.
Il se rassura de voir Marinette secouer négativement la tête avec un sourire.
- Bien sûr que non, je te l'ai dit !
- Merci, je... je ne sais pas vraiment quoi dire. Merci.
- Avec plaisir, ça sert à ça les amis, répondit-elle timidement.
Intérieurement, Marinette était au bord de la crise cardiaque ; elle n'en revenait pas d'avoir réussi à proposer à Adrien de rester dormir chez elle. Mais le jeune homme semblait tellement décidé à passer la nuit dehors plutôt que de rentrer chez lui que Marinette ne voyait pas vraiment d'autre solution.
Elle ne put s'empêcher de remarquer à quel point il avait l'air soulagé de ne pas avoir besoin de retourner chez lui dans l'immédiat, et son cœur se serra. Elle avait beau savoir que Gabriel Agreste était quelqu'un de très strict et peu présent, elle n'avait jusque-là pas eu l'impression qu'Adrien était malheureux chez lui. Mais depuis qu'elle l'avait retrouvé assis par terre Place des Vosges en plein milieu de la nuit sous une pluie battante, elle commençait sérieusement à se poser des questions, et se promit d'être beaucoup plus vigilante à l'avenir.
La jeune fille s'activa pour lui sortir des couvertures et lui constituer un lit de fortune sur sa banquette moelleuse.
- Tiens, lui dit-elle en lui tendant des habits. Ce jogging est bien trop grand pour moi, il devrait t'aller. Tu... Tu seras plus à l'aise pour dormir. La salle de bain est par ici si tu veux prendre une douche bien chaude, ajouta-t-elle en le voyant grelotter malgré lui dans ses vêtements complètement trempés. Tu dois être congelé ! Ne t'inquiète pas, le radiateur chauffe bien, tes vêtements seront secs quand tu repartiras demain matin. Enfin, tout à l'heure plutôt, dit-elle en laissant échapper un petit rire nerveux.
Sentant qu'elle était en train de se perdre dans un babillage à n'en plus finir, elle se força à faire une pause dans sa tirade et observa les réactions d'Adrien d'un air anxieux.
- Ça va aller ? lui demanda-t-elle d'une toute petite voix.
Face à tant de sollicitude, Adrien ne savait plus quoi dire. Il était épuisé, et l'idée de se glisser sous une couette moelleuse après une bonne douche était plus qu'attrayante.
- Oui, c'est parfait. Merci mille fois de m'accueillir comme ça Marinette, tu es un ange.
Marinette se sentit rougir jusqu'à la racine des cheveux et laissa échapper un petit cri suraigu qu'elle tenta de masquer avec une toux forcée. Un ange. Adrien venait de la comparer à un ange. S'il voulait la tuer sur le champ, il n'aurait pas pu s'y prendre d'une autre manière. Se forçant à garder une attitude normale, Marinette esquissa un sourire surnaturel le temps que son rythme cardiaque reprenne une pulsation plus lente.
Adrien descendit s'enfermer dans la salle de bain, et Marinette en profita pour lui préparer de quoi grignoter. Elle ne savait pas depuis quand il s'était enfui de chez lui, mais elle se doutait qu'un petit encas ne serait pas du luxe et lui ferait certainement plaisir. Elle remonta discrètement de la cuisine avec une assiette de cookies et une tasse de chocolat chaud en priant pour ne rien renverser, et les disposa à côté du lit d'Adrien.
Elle grimpa rapidement sur sa mezzanine pour se mettre en pyjama, échangeant silencieusement des regards paniqués avec Tikki qui tentait tant bien que mal de la calmer discrètement.
Adrien trouva les gâteaux et la tasse encore fumante en sortant de la salle de bain, et cette petite attention le réchauffa bien plus que la douche qu'il venait de prendre. Il n'en revenait toujours pas que Marinette l'ait accueilli chez elle pour la nuit, sans avoir besoin d'une quelconque justification. Elle le savait triste et seul, et il ne lui en fallait pas plus pour tenter de lui remonter le moral. Il n'avait eu que très peu l'occasion de partager ce genre de moments privilégiés avec quelqu'un dans sa vie, et il réalisa que cela lui faisait un bien fou. D'autant plus que Marinette avait cette étonnante capacité à lui réchauffer le cœur en un instant, uniquement par sa présence, et il regrettait presque de ne pas passer plus de temps avec elle au lycée. Un sourire éclaira son visage, et il se promit de tout faire pour la remercier au quotidien d'avoir été là pour lui, alors que lui-même n'avait pas réalisé à quel point il avait désespérément besoin d'une amie.
Lorsque Marinette redescendit de sa mezzanine en pyjama, Adrien lui adressa un sourire si étincelant qu'il la laissa légèrement étourdie l'espace d'un instant.
- Merci pour les cookies et le chocolat, c'est vraiment adorable, dit-il, reconnaissant.
- Tu te sens mieux ? lui demanda-t-elle.
Adrien acquiesça vivement.
- Oui, la douche chaude m'a vraiment fait du bien.
De le voir ainsi vêtu de ses propres habits, Marinette ne put s'empêcher de le détailler de la tête aux pieds, un drôle de sentiment flottant dans l'estomac. Lorsqu'il remarqua son regard appuyé, Adrien prit exagérément la pose avec un sourire espiègle.
- Alors ? demanda-t-il d'un ton enjoué. Qu'en pensez-vous, mademoiselle la créatrice de mode ? Est-ce que je peux défiler comme ça ?
Marinette laissa échapper un petit rire devant la pose ridicule d'Adrien, ce qui accentua le sourire du jeune homme.
- Je crois que je vais être obligée de te céder ces vêtements, ils te vont beaucoup mieux qu'à moi, dit-elle d'un air narquois en fixant le bas du pantalon trop court pour lui. Tu devrais porter cette tenue à la prochaine Fashion Week, tu vas faire un malheur.
- Je note l'idée, dit-il d'un air joyeux, et Marinette remarqua qu'une lueur de malice s'était allumée dans son regard.
Adrien s'installa confortablement en tailleur dans le fond de la chaise, un plaid moelleux autour de ses épaules, et fit signe à Marinette de s'installer à côté de lui pour discuter.
- Je te jure que ce n'est pas dans mes habitudes de découcher, dit-il pour la rassurer. Mais ce soir, je ne savais vraiment plus quoi faire.
Le sourire d'Adrien disparut soudain et ses épaules s'affaissèrent.
- Je me sens vraiment stupide d'être parti comme ça, avoua-t-il, ses deux mains se serrant inconsciemment autour de sa tasse. Je ne fais que créer des ennuis à tout le monde.
Peu désireuse de le laisser à nouveau se morfondre et qu'il ne retombe dans une tirade d'auto-flagellation, Marinette tenta de lui changer les idées.
- Tu as eu des nouvelles de Nino ? demanda-t-elle pour bifurquer sur un autre sujet. Alya était hystérique tout le week-end à propos de son concours de DJ, ça s'est bien passé apparemment.
- Oui, répondit Adrien en acquiesçant d'un mouvement de tête. Il aura le résultat à la fin de la semaine, mais il a de grandes chances d'aller en finale. Avec le talent qu'il a, ça ne m'étonne pas vraiment.
Marinette ne put s'empêcher de sourire face à la bienveillance d'Adrien. Les deux garçons étaient inséparables depuis leur rencontre en 3ème. Ils se portaient réciproquement une admiration sans borne et faisaient preuve d'un soutien infaillible l'un envers l'autre.
- En tout cas, je ne sais pas ce qui l'excitait le plus dans l'histoire, ajouta Adrien avec un sourire malicieux. L'idée de pouvoir jouer sa musique devant un parterre de professionnels, ou bien de passer un week-end entier avec Alya dans un hôtel avec vue sur la mer sans être dérangé par son petit frère, ses sœurs ou leurs parents.
- Oh, définitivement le week-end en amoureux avec Alya, confirma Marinette, à qui Alya s'était confiée en long, en large, et en travers sur leur escapade idyllique, à peine arrivée chez elle.
La remarque arracha un petit rire à Adrien, et Marinette ne put s'empêcher de remarquer que le poids qui pesait sur les épaules du jeune homme semblait avoir disparu.
Un silence retomba entre eux, beaucoup plus confortable que les précédents. Ce silence contenait tellement de choses, et Adrien se sentit soudain bien plus en paix qu'il ne l'avait été de toute la semaine. Il aimait la façon dont Marinette était déterminée à ce qu'il passe un bon moment, et il lui en était éternellement reconnaissant de lui changer les idées ainsi. Le sourire aux lèvres, il se laissa retomber sur le dossier de la banquette, tournant machinalement sa tasse entre ses doigts.
Marinette n'avait que très rarement eu l'occasion de passer autant de temps avec lui, et elle ne pouvait s'empêcher de le détailler discrètement du regard, notant sa façon de se passer la main sur la nuque lorsqu'il était gêné, ou bien sa manie de jouer nerveusement avec la chevalière qui ne quittait jamais son annulaire.
Adrien prit une gorgée de chocolat chaud tout en parcourant la chambre de Marinette d'un œil distrait, comme pour s'imprégner de l'atmosphère chaleureuse et accueillante qui régnait dans la pièce. Sa propre chambre était certes beaucoup plus grande, mais il lui manquait cette douceur, cette vie qui caractérisait si bien Marinette.
Ses yeux se posèrent sur les poupées Ladybug et Chat Noir installées sur le bureau, et un grand sourire apparut sur son visage.
- Oh, c'est toi qui les a fabriquées ? s'exclama-t-il avec excitation non feinte en étudiant les poupées de plus près. Tu as vraiment du talent, elles sont super mignonnes !
Marinette se mit à rougir malgré elle face aux compliments d'Adrien. Pourquoi fallait-il qu'il soit toujours aussi enthousiaste et adorable ?
- D'ailleurs je ne savais pas que tu étais fan de Ladybug et Chat Noir ! ajouta-t-il en lui adressant un sourire espiègle.
Derrière sa question qui se voulait innocente se cachait une véritable curiosité : il avait rarement eu l'occasion d'avoir ce genre de discussion avec Marinette, et il était sincèrement intéressé d'avoir son opinion sur le sujet.
Prise de court, Marinette détourna les yeux.
- Qui ne le serait pas ? répondit-elle en gigotant sur la chaise longue, légèrement mal à l'aise.
Même si elle endossait régulièrement le rôle de Ladybug incognito depuis deux ans, elle avait toujours beaucoup de mal à s'habituer à parler d'elle comme si elle était quelqu'un d'autre. Cette expérience « hors de son corps » pouvait être parfois assez déroutante. Mais quel que soit son ressenti, elle se devait d'être crédible et passer pour une personne lambda pour protéger sa double identité.
Elle avait souvent surpris des conversations sur les deux super-héros parmi les parisiens, et elle se basait généralement sur les opinions assez génériques qu'elle entendait autour d'elle dans la vie de tous les jours.
- Ils sont vraiment incroyables, continua-t-elle, créant sa réponse de toutes pièces. Ils font tellement pour la ville de Paris, pour protéger tout le monde au péril de leur vie. Tu ne crois pas ?
Adrien acquiesça vaguement, son sourire s'étirant un peu plus.
Marinette en profita pour lui retourner la question.
- Et toi ? continua-t-elle. Ladybug et Chat Noir ? Qu'est-ce que tu penses de nos super-héros ?
L'expression rêveuse et ébahie qui apparut sur le visage d'Adrien à la simple mention du nom de Ladybug la déstabilisa légèrement. Adrien était fan de Ladybug ?
- Ladybug est... incroyable, lâcha-t-il, les joues légèrement roses. Elle est forte, ingénieuse, créative, généreuse... Elle est juste... géniale.
Prise de court, Marinette se mit à rougir furieusement. Elle ne s'attendait pas à ce qu'Adrien peigne un portrait aussi dithyrambique de son alter ego. En deux ans, elle n'avait pas eu beaucoup d'interactions avec lui en tant que Ladybug. Sur quoi se basait-il pour faire d'elle une description si élogieuse ? Lui avait-elle fait un si grand effet lors de leur rencontre sous la pluie ?
Marinette évinça mentalement cette idée ; Adrien était loin d'être quelqu'un de superficiel, et la façon dont il venait de décrire Ladybug semblait provenir d'un sentiment bien plus profond. Était-il simplement super fan, comme beaucoup de gens, ou bien y avait-il quelque chose qui lui échappait ?
Sentant qu'Adrien attendait une réaction de sa part, elle s'éclaircit légèrement la voix.
- Tu ne crois pas que tu l'idéalises ? dit-elle avec prudence.
Adrien fronça légèrement les sourcils, désapprouvant visiblement sa remarque, ce qui plongea Marinette dans une confusion et un embarras encore plus profonds.
- Non vraiment, dit-il d'un ton ferme.
Adrien se surprit à être légèrement blessé par cette réflexion. Comment Marinette ne pouvait-elle pas voir à quel point Ladybug était fantastique ? Bien évidemment, Adrien avait l'immense avantage d'être son partenaire depuis deux ans, et son opinion se basait réellement sur son expérience, mais il se sentit soudain sur la défensive.
- Ce ne sont pas des paroles en l'air, je le pense vraiment. Il n'y a pas besoin de la connaître pour savoir que c'est une personne fantastique. Tu n'es pas d'accord avec moi ?
Ne sachant que dire, Marinette se contenta d'acquiescer, encore un peu sonnée par les paroles d'Adrien.
- Si si, elle est... formidable ! força-t-elle. Mais Chat Noir aussi est formidable, et ça, les gens ont tendance à l'oublier. Et sans lui, il n'y aurait jamais eu de Ladybug.
A ces mots, Adrien tourna vivement la tête vers elle, l'air visiblement étonné.
- Comment ça ?
Sentant qu'elle pouvait facilement déraper sur ce sujet, elle tenta de se forger une réponse suffisamment neutre pour ne pas éveiller de soupçons dans l'esprit d'Adrien.
- Ils sont complémentaires, répondit-elle simplement. Comme le Yin et le Yang. Ladybug a besoin de Chat Noir, et Chat Noir a besoin de Ladybug.
- Ladybug est bien plus importante que Chat Noir, objecta-t-il. Il n'y a qu'elle qui peut restaurer les dégâts causés et purifier les akumas. Si Chat Noir n'était pas là, le résultat serait le même, c'est Ladybug qui est essentielle à l'histoire, ajouta-t-il avec une drôle de lueur dans le regard. Chat Noir, il est juste...
- Mais comment est-ce que tu peux dire ça ? le coupa Marinette avec véhémence. Bien sûr qu'il a un rôle essentiel ! Ladybug a besoin de lui ! C'est son partenaire !
Marinette fit une pause pour reprendre son souffle, mais avant d'avoir pu s'en empêcher, elle continua sur sa lancée.
- Les gens encensent Ladybug, mais ils devraient traiter Chat Noir de la même façon. C'est quelqu'un de courageux, loyal, et altruiste. Même un peu trop parfois. Il ne réfléchit pas une seconde avant de bondir face au danger s'il faut secourir quelqu'un, même si c'est au péril de sa vie. Ladybug doit être terrifiée de le voir constamment s'interposer pour la protéger, il prend beaucoup trop de risques, ajouta-t-elle en secouant la tête avec désapprobation.
Marinette planta son regard saphir dans les yeux d'Adrien, et le jeune homme fut étonné d'y lire une telle conviction. Marinette avait toujours eu un regard fuyant et paniqué en sa présence, et il découvrait ce soir une toute autre facette de sa personnalité, qui non seulement le frappait de familiarité, mais qui était également loin de lui déplaire.
- Imagine si un jour il prend un coup fatal ! continuait-elle avec fougue. Le super-pouvoir de Ladybug a beau tout réparer après la bataille, je ne suis pas certaine qu'il puisse ramener les gens à la vie.
Marinette semblait soudain d'une humeur plus sombre, sans qu'Adrien n'en comprenne la raison. Par peur d'avoir rendu l'atmosphère étouffante, Marinette se ressaisit et tenta de prendre un ton plus léger.
- Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il a beau faire des blagues douteuses et se comporter d'une façon désinvolte, il prend les choses très au sérieux, et Ladybug est vraiment chanceuse d'avoir un coéquipier comme lui. Elle ne pourrait pas avoir de meilleur partenaire. Je pense que c'est vraiment quelqu'un de bien, avec un grand cœur, et les gens ne lui rendent pas assez justice.
Face à l'absence de réaction d'Adrien, Marinette leva les yeux vers lui, et resta un instant interdite face à son expression à la fois émue et incrédule. Son sourire était si rayonnant qu'il aurait pu alimenter toute la ville de Paris en électricité.
- Tu es dure avec lui, moi je trouve ses jeux de mots vraiment au poil ! s'exclama-t-il joyeusement, les yeux plus lumineux qu'à l'accoutumée.
Cette remarque fit lever les yeux de Marinette au ciel, mais elle laissa malgré tout échapper un petit rire affectueux. Le visage d'Adrien se fit soudain plus sérieux, et il lui lança un regard incertain, tout en resserrant son duvet autour de lui.
- Tu... Tout ce que tu as dit sur Chat Noir, tu le penses vraiment ?
Réalisant qu'elle s'était un peu enflammée, la fougue de Marinette retomba et elle acquiesça d'un mouvement de tête sans oser le regarder. Elle espérait que son emportement ne paraisse pas trop étrange à Adrien, mais elle n'avait pas pu s'empêcher de défendre son coéquipier.
- C'est fou, tu parles de lui comme si tu le connaissais, souligna Adrien avec un doux sourire.
Le cœur de Marinette manqua un battement. S'était-elle trahie ? Un drôle de couinement s'échappa de sa gorge, bruit qu'elle couvrit par une toux forcée.
- Je... J'ai pour meilleure amie la journaliste fondatrice du Ladyblog, je suis bien obligée de suivre tout ça de près, se rattrapa-t-elle en haussant les épaules d'un air qui se voulait détaché.
Adrien lui adressa un sourire franc.
- Ah ça j'imagine, concéda-t-il. Quand Alya se passionne pour quelque chose, c'est difficile de l'arrêter.
Ils changèrent rapidement de sujet, mais cette conversation les avait enveloppés dans un édredon de douceur, comme une étreinte familière et réconfortante, sans qu'ils ne puissent se l'expliquer.
Ils discutèrent encore un peu tous les deux, et Marinette était ravie de constater qu'elle avait visiblement retrouvé un rythme cardiaque normal et qu'elle formait des phrases sensées, sans balbutier. Peut-être allait-elle réussir à tenir tout le reste de la soirée sans trébucher sur ses mots ?
Le menton posé dans la paume de sa main, l'expression de Marinette se fit soudain pensive. Elle qui n'avait jamais réussi à avoir une discussion cohérente avec Adrien, de se retrouver ainsi tous les deux en tête à tête lui fit prendre conscience qu'elle était en train de discuter avec un tout autre garçon que celui qu'elle s'était imaginée, et qu'elle ne le connaissait finalement pas si bien que ça. Quelle ironie pour quelqu'un qui clamait haut et fort tout savoir de lui ! Mais ce soir, dans l'intimité de sa chambre, elle le découvrait sous un autre jour. Derrière le garçon optimiste, poli, et toujours souriant qu'elle voyait tous les jours au lycée, il y avait en réalité un autre garçon, un peu plus réservé et sensible, mais aussi très drôle et curieux de tout. Un garçon qu'un rien émerveillait, et qui ne rêvait que de croquer la vie à pleines dents, mais qui était souvent bridé par les obligations que son père lui imposait.
- Marinette ?
Marinette sursauta, et réalisa qu'elle fixait Adrien depuis plusieurs minutes, complètement perdue dans ses pensées. Joliment rougissante, elle secoua rapidement la tête de droite à gauche, comme pour retrouver ses esprits.
- Désolée, je... je pensais à autre chose.
- Je vois ça, dit-il avec bonne humeur. A croire que ce que je te raconte ne te passionne pas du tout, lança-t-il le nez en l'air, avec un air faussement vexé.
- Mais non Adrien ! Au contraire ! J-Je t'assure ! paniqua-t-elle.
Le rire franc d'Adrien la rassura, et elle ne put s'empêcher de rire à son tour, soulagée. Elle l'avait très rarement entendu rire ainsi, et l'idée qu'il soit vraiment à l'aise avec elle lui fit énormément plaisir.
Lorsqu'ils se calmèrent un peu, le regard à la fois complice et empli de beaucoup de tendresse qu'Adrien posa sur elle la toucha jusqu'au plus profond d'elle-même. Elle eut soudain la sensation de se noyer dans son regard incroyablement vert, et son cœur manqua un battement lorsqu'elle réalisa quelque chose : elle qui était persuadée être amoureuse d'Adrien depuis le jour où il avait mis les pieds au collège était en train de prendre conscience que ces sentiments n'étaient rien face à ce qu'elle ressentait pour lui à présent. Elle était en train de tomber amoureuse de lui à nouveau, mais d'une toute autre manière. Et cette pensée l'apaisait d'une façon inattendue. Son regard saphir se posa machinalement sur les murs roses de sa chambre, décelant les infimes démarcations de couleur que les photos d'Adrien avaient laissées, et elle se surprit à penser qu'elle ne souhaitait plus vraiment les remettre au mur une fois Adrien parti. Peut-être les remplacerait-elle plus tard.
Un léger soupir de contentement lui échappa, et elle resserra autour d'elle la couverture dans laquelle elle s'était blottie, un sourire rêveur suspendu à ses lèvres.
- Je suis contente que tu sois là, avoua-t-elle d'une toute petite voix, les yeux fixés sur le sol.
La façon dont le visage d'Adrien s'illumina agrandit son sourire, et son cœur se mit à battre un peu plus fort lorsqu'il lui répondit.
- Moi aussi je suis content d'être là.
Il s'interrompit, comme cherchant ses mots.
- Tu sais, reprit-il. C'est la première fois de toute ma vie que je passe la soirée chez une amie, et... je passe vraiment un bon moment avec toi. J'espère qu'on aura l'occasion de refaire ça. Enfin... Dans d'autres conditions bien sûr, se rattrapa-t-il d'un air gêné, se souvenant brutalement des raisons qui l'avaient amené à atterrir sur la banquette de Marinette. Je te promets que c'est la dernière fois que tu recueilles un chat errant sous la pluie comme ça, ajouta-t-il avec un petit rire embarrassé. Mais j'espère vraiment qu'on pourra faire d'autres soirées ensemble.
La voix de Marinette se coinça dans sa gorge, et elle se contenta d'acquiescer, joliment rougissante.
Le nez plongé dans sa tasse de chocolat, Adrien ne put réprimer un bâillement.
- On devrait peut-être aller se coucher, tu ne crois pas ? suggéra timidement Marinette.
Cette remarque lui fit soudain prendre brutalement conscience qu'Adrien était dans sa chambre, et qu'il s'apprêtait à y passer la nuit. Elle qui se sentait jusqu'à présent apaisée par la présence du jeune homme paniqua à nouveau.
Elle et Adrien.
Dans la même chambre.
Son rythme cardiaque s'emballa, et elle eut toutes les peines du monde à retrouver son calme.
« Recentre-toi Marinette, tu as réussi à te comporter normalement jusqu'à présent, ce n'est pas le moment de paniquer », se répéta-t-elle intérieurement.
Elle entendit la voix de Tikki tout au fond d'elle qui lui disait de se calmer, et elle se concentra sur la sensation de bien-être qu'elle ressentait d'être en compagnie d'Adrien au lieu d'angoisser.
Ignorant tout de son trouble, Adrien acquiesça à sa suggestion. Marinette remarqua qu'il tripotait machinalement les poupées de Chat Noir et Ladybug du bout des doigts, comme pour se réconforter. Un sourire attendri apparut sur ses lèvres : Adrien Agreste était dans sa chambre, enroulé dans son édredon rose comme s'il s'était confectionné un château-fort de draps, avec un air d'enfant un peu perdu sur le visage. Qu'est-ce qu'elle pouvait se sentir idiote à s'être ridiculisée devant lui pendant deux ans alors qu'il était juste un garçon comme n'importe qui d'autre, qui avait juste besoin d'un peu d'attention. Qui avait juste besoin d'une amie.
- Tu peux les garder pour dormir si tu veux, lui dit-elle avec une infinie tendresse dans la voix.
Adrien lui lança un regard interrogateur, avant de comprendre à quoi elle faisait allusion.
- Ah ! Euh... C'est gentil Marinette, mais je crois que j'ai passé l'âge de dormir avec des peluches, bégaya-t-il, les joues légèrement rouges.
- Comme tu veux, dit-elle, sans se départir de son sourire.
Marinette finit par se lever, à contrecœur. Elle aurait pu rester encore des heures à discuter avec lui, mais tous deux ne pouvaient décemment pas passer une nuit blanche à refaire le monde. Il y avait cours demain.
Adrien s'allongea sous la couette moelleuse avec un soupir de contentement. Même ce couchage de fortune était bien plus doux et réconfortant que son propre lit au draps hors de prix. Il aurait voulu s'y noyer et ne plus jamais en ressortir tant il s'y sentait bien.
- Bonne nuit Marinette, et encore merci, dit-il avec un regard reconnaissant.
Le cœur de Marinette manqua un battement, mais elle se sentait bien plus sereine qu'en début de soirée.
- Bonne nuit Adrien. Et si tu as besoin de quoi que ce soit, tu n'hésites pas à me réveiller. Tu me le promets ?
Adrien acquiesça faiblement, mais cette assurance était suffisante pour Marinette. Sans un mot de plus, elle grimpa les marches jusqu'à son lit mezzanine et s'allongea sur le dos, se sentant soudain épuisée. Un mélange d'euphorie, de légère panique, et d'incrédulité bouillonnait dans ses veines, et elle n'était pas certaine de réussir à s'endormir après tant d'émotions. Elle jeta un regard vers Tikki qui avait déjà sombré depuis longtemps dans les bras de Morphée, blottie bien au chaud dans le petit panier que Marinette lui avait confectionné.
oOo
Marinette tournait et retournait depuis un bon moment dans son lit, tout en prenant soin de ne pas faire trop de bruit pour ne pas réveiller Adrien. Mais rien à faire, le sommeil ne venait pas.
Son cœur se mit soudain à battre un peu plus fort rien qu'à l'idée de savoir Adrien endormi dans la même pièce, à deux pas d'elle. Elle avait l'impression que toute sa chambre vibrait au rythme de ses pulsations cardiaques affolées.
Elle tenta de focaliser son attention sur le bruit de la pluie qui martelait la vitre de sa lucarne, mais c'était peine perdue : toute son attention était tournée vers le jeune homme qui dormait en contrebas. Retenant son souffle, elle se redressa et risqua un regard par-dessus la balustrade qui bordait son lit. Lorsque ses yeux se posèrent sur la forme allongée d'Adrien sur sa banquette, la scène qui se dévoila sous ses yeux manqua de lui provoquer une crise cardiaque, tout en baignant son corps d'une douce chaleur : roulé en boule sous la couette, Adrien dormait paisiblement, sa poupée Ladybug serrée dans ses bras. Cette vision la secoua bien plus qu'elle n'aurait dû, et Marinette se rallongea dans son lit, les joues en feu et le cœur faisant des saltos sous sa cage thoracique. Elle contempla le ciel d'un noir d'encre au-dessus d'elle d'un air béat, ses pensées perdues dans un océan de douceur, avant de sombrer dans un profond sommeil.
oOo
« Bip bip bip ».
Marinette poussa un léger grognement lorsque son alarme retentit.
Elle avait la sensation de ne pas avoir fermé les yeux plus de cinq minutes depuis qu'elle s'était couchée. La faible luminosité qui filtrait à travers la lucarne au-dessus de son lit lui indiquait qu'il devait être encore très tôt. Pourquoi son réveil s'était-il déclenché alors qu'il faisait à peine jour ? Cherchant son téléphone à tâtons dans le noir, elle fronça les sourcils en constatant que l'écran était éteint. Mais d'où pouvait bien provenir cette sonnerie ?
L'alarme s'arrêta, et son sang se figea soudain lorsqu'elle perçut un mouvement en contrebas.
Il y avait quelqu'un dans sa chambre.
La mémoire lui revint instantanément, et elle sentit son visage s'enflammer d'un seul coup en se souvenant qu'Adrien avait dormi chez elle. Elle expira profondément pour tenter de calmer les vives pulsations de son cœur et elle s'enroula dans sa couverture avant de descendre maladroitement de sa mezzanine, les yeux encore gonflés de sommeil.
Adrien était déjà debout, complètement habillé, et s'activait à replier les couvertures dans lesquelles il avait dormi, dans une tentative de ranger un peu l'espace qu'il s'était approprié le temps d'une nuit. Lorsque son regard se posa sur son amie, le sourire lumineux qu'il lui adressa lui fit manquer un battement de cœur. L'esprit encore embrumé de Marinette s'affola, et dans sa précipitation, elle se prit les pieds dans sa couverture. Avec un cri de surprise, elle dévala les dernières marches, et seuls les vifs réflexes d'Adrien lui permirent de ne pas s'écraser de tout son long sur le plancher.
- Ça va Marinette ? demanda-t-il d'un air inquiet tout en la tenant fermement dans ses bras.
La tête appuyée contre l'épaule d'Adrien, Marinette se doutait que son visage était à présent rouge de honte après une telle cascade. Elle acquiesça timidement, sans oser relever la tête. Elle finit par se redresser avec des gestes désordonnés, et Adrien ne la lâcha qu'une fois qu'il fut certain qu'elle était stable sur ses deux jambes.
- Je suis désolé de t'avoir réveillée, j'avais mis mon alarme assez tôt pour pouvoir rentrer avant que mon père ne découvre que je ne suis plus là. Je ne voudrais pas qu'il mette des barreaux à mes fenêtres, dit-il sur le ton de la plaisanterie, mais la lueur de tristesse qui passa dans ses yeux n'échappa pas à Marinette.
- J'espère qu'on n'a pas réveillé tes parents, dit-il soudain d'un air inquiet.
Il fut rassuré de voir Marinette secouer négativement la tête.
- Non, ils sont déjà descendus à la boulangerie à cette heure-ci.
Adrien poussa un léger soupir de soulagement. Bien qu'il savait qu'il était toujours le bienvenu, il se voyait mal expliquer aux parents de Marinette sa soudaine apparition chez eux au beau milieu de la nuit.
- Bon, fit-il d'un air soudain timide. Je vais devoir te laisser.
- Tu ne vas pas avoir de souci pour rentrer chez toi ? demanda soudain Marinette. Si jamais le portail est fermé, comment est-ce que tu vas faire ?
- J'improviserai, affirma-t-il avec certitude en haussant les épaules. Ne t'en fais pas, je retombe toujours sur mes pattes, ajouta-t-il avec un clin d'œil, la voyant peu convaincue.
Fier de sa plaisanterie qu'il était le seul à pouvoir comprendre, il ne put s'empêcher de laisser échapper un petit rire face à l'air interloqué de Marinette, qui le regardait les sourcils froncés.
- Tu es sûr que ça va aller ? insista-t-elle.
Le sourire suspendu aux lèvres d'Adrien s'étendit alors qu'il acquiesçait vivement.
- Oui, ça va aller. Grâce à toi.
Avant que Marinette n'ait pu répondre, il la serra dans ses bras, dans une étreinte chargée d'émotion et de tendresse.
- Merci mille fois Marinette. Tu ne peux pas savoir comme ça m'a fait du bien. Merci pour tout ce que tu as fait pour moi. J'ai passé un super moment avec toi, et j'espère qu'on aura d'autres occasions.
- Mais ce n'était r-rien... Av-avec plaisir, bredouilla-t-elle, les joues plus rouges que jamais.
Elle prit une grande inspiration pour tenter de stopper son bégaiement, et, face à l'air si sincère d'Adrien, elle se décida à entrouvrir légèrement son cœur.
- Vraiment n'hésite pas si tu as le moindre souci, dit-elle d'un ton à la fois tendre et ferme. Si tu as besoin de parler, ou même de ne pas parler... ou bien si tu veux juste des cookies, ajouta-t-elle avec malice, ce qui arracha un sourire à Adrien. Vraiment. Si je peux faire quoi que ce soit, n'hésite pas. Ma porte te sera toujours ouverte.
A ces mots, un mélange d'émotions passa sur le visage d'Adrien, et il serra ses mains dans les siennes, touché. C'était la première fois que quelqu'un lui offrait un foyer, un véritable refuge en cas de besoin, sans rien demander en retour. D'ordinaire, il trouvait son salut derrière le masque de Chat Noir. Mais après cette nuit chaotique, l'idée d'avoir un endroit où se couper du monde et de ses problèmes pendant quelques heures lui réchauffait le cœur.
- Encore une fois merci, Super Marinette. Je ne mérite vraiment pas une amie comme toi. Merci pour tout.
Marinette prit un air modeste, mais dans son cœur explosait un véritable feu d'artifice.
Son regard saphir se posa sur sa poupée Ladybug qui avait retrouvé sa place sur son bureau, et un petit sourire apparut sur ses lèvres.
- Tiens, dit-elle en tendant la poupée à Adrien. Garde-là, je sais que tu en prendras soin.
Adrien sembla soudain paniquer.
- Oh, non non, Marinette, je ne peux pas faire ça, c'est ta poupée, c'est toi qui l'a faite, je... je ne peux pas te la prendre, refusa-t-il en bégayant légèrement. Et puis Chat Noir va se sentir seul sans Ladybug, tu ne crois pas ?
- Ne t'inquiète pas, je prendrai bien soin de Chat Noir. Et puis il sait que Ladybug ne sera jamais bien loin, répondit-elle avec un sourire qui résonna dans le cœur d'Adrien.
Ne sachant quoi répondre, il serra la poupée contre lui et déposa un baiser sur la joue de Marinette, qui en resta quelque peu étourdie. Dans le regard d'émeraude d'Adrien brillait un océan de gratitude, et un mélange de tristesse et de joie étreignit le cœur du jeune homme à l'idée de devoir la quitter, tout en sachant que ce n'était que pour quelques heures avant de la retrouver au lycée.
- On se voit tout à l'heure, dit-il avec entrain. Tu devrais te rendormir, tu as encore quelques heures de sommeil devant toi.
Marinette acquiesça, un peu triste que cette parenthèse enchantée prenne fin.
- Attends, je te raccompagne en bas, dit-elle subitement. Je te dirai si la voie est libre, comme ça, tu n'auras pas besoin de croiser mes parents.
Ils descendirent silencieusement les escaliers, alertes au moindre bruit. Une fois au rez-de-chaussée, Marinette vérifia que la porte de service qui menait à la boulangerie était fermée. Elle leva son pouce en direction d'Adrien qui dévala rapidement les dernières marches et s'éclipsa en silence avec un grand signe de la main.
La pluie diluvienne de la nuit avait enfin cessé, pour laisser place aux premières lueurs encore timides de l'aube. La place semblait paisible.
L'air complètement ailleurs, Marinette remonta se coucher et resta étendue sur le dos, à contempler les premières lueurs de l'aube à travers sa lucarne, un sourire idiot suspendu à ses lèvres.
oOo
Adrien se réfugia rapidement sous les arcades de la place, et une fois suffisamment éloigné de chez Marinette, il se transforma à l'abri des regards. Avant de prendre son élan pour s'élancer vers le manoir Agreste, il eut un tendre regard en direction de la chambre de son amie. Son cœur battait un peu plus vite qu'à l'accoutumée, et il cherchait à retenir les quelques bribes de douceur auxquelles il se raccrochait de façon à les conserver tout au fond de lui le plus longtemps possible. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas senti aussi bien. Sa différence d'humeur avec la veille était saisissante. Sa courte nuit auprès de Marinette lui avait redonné un véritable coup de fouet.
Lorsqu'il avait tenu tête à son père deux ans plus tôt pour pouvoir aller au collège et se faire des amis, il n'avait pas vraiment su à quoi s'attendre. Il avait sauté à pieds joints dans un monde totalement nouveau dont il ne maîtrisait toujours pas tous les codes, mais profitant malgré tout à cent pour cent de cette nouvelle vie. Jamais il n'avait regretté sa décision. Et cette soirée qui avait pourtant si mal commencé le conforta dans l'idée qu'il avait fait le bon choix. Car même si son père tentait régulièrement de le priver de sa liberté, il savait à présent qu'il avait des amis sur qui compter. Il n'était plus seul. Et il n'avait besoin de rien de plus.
oOo
Lorsqu'il atterrit dans sa chambre, il ne fut même pas déçu de constater que ni son père, ni Nathalie ne s'étaient rendus compte de sa disparition. Ce matin, rien ne pouvait l'atteindre.
« Je crois que Super Marinette m'a donné quelques-uns de ses pouvoirs magiques », pensa-t-il, amusé par sa propre bonne humeur.
Avec un sourire, il contempla un instant la poupée Ladybug qu'il tenait toujours serrée tout contre lui et la déposa avec délicatesse sur son oreiller. Marinette ne pouvait se douter qu'elle venait de lui faire un cadeau inestimable à ses yeux, et son cœur se gonfla d'une gratitude sans borne. Il ne la méritait décidément pas.
Il lui restait encore un peu de temps avant que Nathalie ne vienne frapper à sa porte, mais il savait pertinemment qu'il serait bien incapable de se rendormir. Il se prépara rapidement et arracha Plagg à son placard de camembert avant d'aller s'installer dans le salon pour prendre son petit-déjeuner, comme à son habitude.
oOo
Face à son miroir, Marinette terminait de se préparer, la tête ailleurs. Après le moment magique qu'ils venaient de passer, Marinette appréhendait un peu de retrouver Adrien dans un environnement qui n'était pas le cocon de sa chambre où ils avaient pu échanger en tête à tête. Quelle incidence allait bien pouvoir avoir ce moment privilégié sur leur quotidien ?
Malgré ses craintes, une seule certitude ne la lâchait pas : elle était déterminée à prendre soin d'Adrien. Marinette avait été réellement touchée qu'il soit venu la chercher dans un moment où il se sentait vulnérable, d'autant plus qu'elle savait à présent qu'il n'en avait vraiment pas l'habitude. Elle avait longuement échangé avec Tikki avant de partir, et ce moment de complicité avec Adrien lui avait ouvert les yeux. Elle se sentait à présent beaucoup plus sereine à l'idée d'être en sa présence, et se promit d'être une bien meilleure amie.
Sur le court chemin qui la menait au lycée, elle plongea une énième fois la main dans la poche de sa veste pour vérifier que le petit sachet de cookies qu'elle avait prévu de donner à Adrien ne s'était pas miraculeusement évaporé en cours de route. Après la nuit qu'il avait passée, elle espérait pouvoir ainsi lui apporter encore un peu de réconfort. Un doux sourire apparut sur son visage en imaginant la réaction d'Adrien face à cette petite attention.
Elle réajusta son sac à dos sur ses épaules et se dirigea vers le lycée d'un pas guilleret.
Lorsque son regard croisa celui d'Adrien, debout sur les marches, son cœur s'arrêta. Il était en grande conversation avec Nino et les deux garçons discutaient avec animation, mais lorsqu'il aperçut Marinette, son visage s'illumina. Il venait pourtant de la quitter à peine quelques heures plus tôt, mais il semblait visiblement ravi de la retrouver.
Complètement étourdie de bonheur à l'idée d'être la cause de son expression radieuse, Marinette flottait littéralement sur un nuage, et ne fit pas attention où elle mettait les pieds : un sac à dos posé sur les marches se retrouva sur son chemin et elle trébucha avec un cri de surprise.
Encore une fois, Adrien fut vif : il dévala les quelques marches en vitesse et étendit ses mains pour l'attraper au vol avant qu'elle ne s'étale de tout son long.
- Décidément... murmura-t-elle, gênée de se retrouver une nouvelle fois involontairement dans ses bras en l'espace de quelques heures. Me-Merci Adrien. Je suis désolée, je suis tellement maladroite...
Pour toute réponse, Adrien lui adressa un clin d'œil et l'aida à se redresser. Il n'avait pas l'air de lui en tenir rigueur, à son grand soulagement.
Alya arriva à ce moment-là et s'approcha de Nino les sourcils froncés face à la scène qui se déroulait sous ses yeux. Elle questionna son petit-ami du regard, mais Nino se contenta de hausser les épaules, pour lui signifier qu'il n'en savait pas plus.
Marinette était toujours dans les bras d'Adrien après sa cascade, et tous deux semblaient complètement absorbés l'un par l'autre. Alya tenta d'attirer leur attention, mais c'était peine perdue : ni Adrien ni Marinette ne s'étaient rendu compte qu'ils étaient épiés par leurs meilleurs amis. Ils flottaient tous les deux dans leur bulle de douceur, et n'étaient visiblement pas encore prêts à en sortir pour le moment.
Enhardie par l'attitude d'Adrien à son égard, Marinette prit son courage à deux mains, et lui tendit le sachet de cookies qu'elle lui avait préparé. Le sourire du jeune homme se mua en un air émerveillé, et l'éclat de tendresse qui s'alluma dans ses yeux verts envoya des papillons dans l'estomac de la jeune fille. Oubliant totalement le monde alentour, ils échangèrent un regard complice qui n'échappa pas à Alya et Nino. Adrien déposa un baiser sonore sur sa joue pour la remercier, et le sourire qu'affichait Marinette aurait clairement pu alimenter une centrale électrique tant elle était ridiculement heureuse. Ce moment privilégié qu'ils avaient partagé cette nuit avait libéré quelque chose en eux. Ils se dévisageaient, se découvraient à nouveau, comme s'ils se rencontraient pour la première fois de leur vie. Comme une sensation tenace que l'air qu'ils respiraient n'était plus le même, mais que rien n'avait changé pour autant.
Ils avaient l'impression d'être liés par ce secret qu'ils partageaient à présent, cette nuit inattendue qu'ils chérissaient tous les deux pour tout un tas de raisons, et qui semblait avoir noué le début d'une belle complicité qui ne demandait qu'à grandir. Ils savaient tout au fond d'eux qu'ils n'en parleraient à personne, que même le plus poussé des interrogatoires d'Alya et Nino ne leur ferait pas cracher le morceau. Ce moment précieux n'était fait que pour eux, et il resterait à jamais gravé tout au fond de leur cœur.
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EPILOGUE
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Lorsque Ladybug arriva sur leur lieu de rendez-vous habituel, un sourire apparut sur son visage en constatant que Chat Noir était déjà sur place.
- Bonsoir Buguinette ! s'exclama-t-il d'un ton enjoué, en se redressant d'une pirouette. Prête pour la patrouille ?
Ladybug ne put s'empêcher de constater qu'il semblait beaucoup plus en forme que lors de leur précédente rencontre, et l'idée de retrouver son Chaton, taquin et joueur, lui réchauffa le cœur.
- Toujours prête Chaton, répondit-elle avec un grand sourire.
Chat Noir s'apprêtait à bondir avec entrain, mais il se retourna vivement lorsqu'il sentit Ladybug le retenir par sa ceinture.
- Avant d'y aller, je voulais te parler, tu as deux minutes ?
Intrigué, Chat Noir acquiesça. Ladybug semblait soudain très sérieuse, presque timide. Cela devait être important.
Elle s'installa au bord du toit sur lequel ils se trouvaient, ses jambes se balançant au-dessus du vide, et invita Chat Noir à s'asseoir à côté d'elle d'un mouvement de la main. Ils restèrent un instant silencieux, profitant de la douceur du temps de cette fin de journée pour recharger leurs batteries. Avec un léger soupir de contentement, Ladybug posa sa tête sur l'épaule de Chat Noir qui lui adressa un regard à la fois surpris et affectueux. Ladybug se laissait rarement aller à des gestes tendres, préférant garder un certain professionnalisme dans leur relation. Mais ce soir, elle semblait plus décontractée, comme prête à laisser tomber quelques barrières, et cette idée enthousiasmait Chat Noir plus que raison.
Avant qu'il n'ait pu dire quoi que ce soit, Ladybug prit la parole :
- Chaton, je voulais te dire que... que je t'apprécie énormément, et même si nous ne savons pas qui nous sommes derrière nos masques, il y a quelque chose d'unique qui nous lie. Tu es vraiment important pour moi, et...
Ladybug s'interrompit, cherchant ses mots.
- Je ne peux pas te demander de te confier sur ta vie privée sans risquer que tu me dévoiles ton identité, reprit-elle. Et c'est frustrant car je vois bien que ça n'allait pas l'autre jour et j'aimerais pouvoir faire quelque chose pour toi, mais... en tout cas, ce que je voulais te dire, c'est que, si tu as besoin, je suis là.
A ces mots, elle sentit Chat Noir se redresser à côté d'elle, et elle leva les yeux vers lui pour comprendre sa réaction. Ce qu'elle lut dans le regard incroyablement vert de son coéquipier la toucha énormément : Chat Noir semblait véritablement ému, et les paroles de Ladybug lui allèrent droit au coeur. Il ne put s'empêcher de passer ses bras autour de ses épaules et de l'attirer contre lui, et son cœur bondit sous sa poitrine lorsque Ladybug retourna son geste.
- Merci ma Lady. Merci du fond du cœur. Toi aussi tu sais que tu peux compter sur moi.
Il sentit Ladybug légèrement resserrer son étreinte autour de sa taille, et il posa affectueusement sa tête sur le haut de son crâne.
- J'aimerais tellement pouvoir faire plus pour toi, mais je ne peux pas te laisser t'épancher ouvertement sur tes problèmes, ça serait beaucoup trop dangereux, dit-elle d'un ton d'excuse.
Chat Noir balaya ses craintes d'un mouvement de tête.
- Ne t'inquiète pas ma Lady, tu fais déjà bien plus pour moi que tu ne le crois, dit-il en la serrant dans ses bras, tandis que son coeur souriait en repensant à cette fameuse nuit.
- En tout cas, j'espère que tu es bien entouré dans ta vie de tous les jours, et que tu as des gens à qui tu peux te confier si besoin, dit-elle en se blottissant tout contre lui.
Le regard un peu troublé et rêveur qu'affichait à présent Chat Noir la prit de court, mais elle ne put s'empêcher d'être attendrie par son attitude vulnérable et sincère.
- Oui, je crois que je suis bien entouré, répondit-il, le cœur battant.
F I N
