Hello, un petit texte que j'ai retrouvé en rangeant mes documents et qui date de 2018. Soit juste après la fin d'Aventures ! Je précise qu'il parle de Maninddha / sous entendu Mpreg sans entrer dans les détails.

Bref, j'espère qu'il trouvera grâce à vos yeux.
Bonne lecture !


Il faisait nuit quand il poussa la porte de la petite chaumière. Il avait marché pendant des heures, ne prenant guère le temps de se reposer. Ses cicatrices lui faisaient mal. Ses blessures encore fraîches tiraient sur les fils. Mais la plus grande douleur était dans son cœur. Il revoyait encore la scène se déroulait devant ses yeux. Il le revoyait encore les remercier pour tout. Pour leurs aventures. Pour leurs amitiés. Et il avait disparu. Disparu de leurs vies comme de leurs temporalités. Posant une main sur sa tête, l'elfe retenu les larmes qui manquaient de couler par dessus les bandages, en passant le pas de la demeure.

Un bon feu crépitait dans la cheminée, et au-dessus, une marmite bouillait avec patience. Un jeune homme à la chevelure de feu s'occupait de faire tourner les légumes à l'aide d'une longue et épaisse cuillère en bois, tandis que dans son dos, un vieil homme semblait dormir. Se raclant la gorge, Mani le Double attira l'attention sur lui. Rapidement, le roux lâcha son instrument pour porter son regard sur l'arrivant. Le saluant d'un hochement de tête, il laissa l'ancien s'occuper de leur invité. Se laissant faire, le brun fut guider autour d'une table et une assiette pleine de soupe fut mis sous ses yeux bandés. Il la regarda sans pour autant la toucher, la fumée frôlant son visage.

- Mani ? Questionna l'ancien, ses grands sourcils se relevant pour laisser ses yeux presque aveugle observés le blessé. Blessé qui encore plus aveugle que lui ne l'était avec l'âge. Aveugle avant d'avoir pu voir les merveilles du Monde.

- Oui ? Répondit ce dernier, sa voix se faisant presque faible.

- Où est Shin ?

Se raidissant rapidement et trop brutalement, l'elfe serra les dents, sa poigne sur sa cuillère témoignant de son état.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? Questionna plus doucement le roux en posant sa main sur la table.

-Il ne reviendra pas. Il ne reviendrait plus jamais. Murmura le botaniste dans un souffle.

Écarquillant les yeux devant la déclaration, les deux hommes vivant dans la chaumière échangèrent un regard avant de porter leurs attentions sur l'elfe voleur. Il leur semblait à la fois faible et en même temps fort. Avide de vengeance, mais emplit de tristesse. Il ne se nommait pas le Double pour rien.

- Je vais rester ici cette nuit. Je repartirais demain. Et une fois que j'aurais fini ce que j'ai à faire … Je reviendrais pour une dernière fois. Et vous n'entendrez plus jamais de moi.

Hochant la tête, le roux se releva en prenant son temps, il fit signe au blessé de le suivre dans une pièce à part. Cette dernière était plongée dans la pénombre. Un lit était collé contre un mur en grosses pierres. Prenant place sur le matelas, l'elfe attendit que l'autre homme quitte la chambre pour retirer ses habits. Ou du moins les plus lourds. Un toquement à la porte lui fit perdre le court de son action.

- Oui ?

- Puis-je entrer ? Questionna la voix fatiguée de l'ancien

- … Oui.

Pénétrant dans la noirceur de chambre, le plus âgé des deux s'avança vers le voleur, un paquet en main. Paquet qui bougeait faiblement. Se redressant aussitôt, le cœur battant, Mani attrapa le bagage, et remercia en silence son hôte qui ferma la porte. Se couchant en prenant soin de ce qu'il avait dans ses bras, l'elfe le serra contre son visage couvert de bandages. Posant ses lèvres sur son front, il se permit un petit sourire triste en entendant la fine protestation de l'enfant, son bouc chatouillant sa peau. Sourire qui partit pour laisser place à une expression de douleur. Non. Il ne devait pas y penser. Il était là. Dans l'enfant. Dans ce petit corps, il y avait une partie de lui.

Le lendemain matin, le roux ouvrit la porte de la chambre en faisant le moins de bruit possible. Sans grand étonnement, il l'a trouva dénuée de la présence de Mani, l'enfant emmitouflé avec sécurité dans une large cape bordeaux.


Les rues de la ville étaient bruyantes. Vendeurs, acheteurs, chanteurs, passants, danseurs, soldats, mages. Tous circulaient dans un épais brouhaha. Castelblanc grouillait, telle une fourmilière. Dans une rue, une enseigne usée par le temps attirait le regard des plus jeunes. « La guilde des aventuriers ». A l'intérieur, le calme régnait. Pour une fois, ne put s'empêcher de noter le propriétaire de l'établissement en posant sa pinte sur la table. La pièce était grande. Aussi grande que le salon de la demeure des Silverberg. Au-dessus de la cheminée reposait un large bouclier, qui faisait refléter les rayons du soleil. Si l'on observait attentivement, on pouvait devinait une large bosse en son centre. La légende attestait que cette forme était dû à son sauvetage exemplaire envers une petite fille. D'autres parlaient d'un horrible crime. Certains au contraire, parlaient d'un échec critique. Quoi qu'il en soit, dès qu'on abordait la question avec Théo, ce dernier rugissait de sa plus belle voix, un délicat et magnifique « ELLE EST PAS MORTE ! ».

Mais depuis l'ouverture de sa guilde, plus de seize ans avaient passé. Théo avait gagné quelques cheveux d'argent dans sa chevelure jais. Son corps avait également subi les effets du temps. Son visage avait gagné des cernes, et son épée se faisait plus lourde dans sa main.

- Tu vieillis, ne cherche pas plus loin.

- Ta gueule l'hérésie.

Riant en buvant sa boisson gracieusement offerte, Bob regarda ses deux compagnons. Lui-même avait subi les outrages du temps. Ses cheveux avaient gagné quelques mèches grises et sa barbe lui arrivait à la poitrine. Il dirigeait à présent la Tour des Mages, mais prenait toujours le temps de venir voir ses camarades autour d'un verre. Le dernier de la tablée se tut, son unique œil s'alternant entre le paladin de la lumière et le demi-démon. Grunlek n'avait guère changé, si ce n'est qu'il avait commencé à se dégarnir. Sa Majesté le Roi des Runes ne se lassait pas de ces scènes, elles ne faisaient que lui remémorer le temps de l'aventure. Un temps qui lui semblait tellement loin. Ils étaient un groupe de cinq compagnons. Maintenant, ils n'étaient plus que trois. Trois vieux amis qui étaient connus pour leurs actes passés. Ils étaient les héros. Mais, à ce jeu, il y avait de grands sacrifices.

Perdu dans ses souvenirs, Grunlek n'aperçut pas la porte de la Guilde s'ouvrir. Pas plus que les deux hommes qui se lançaient des insultes à tours de bras.

- Excusez-moi ? Questionna une voix teintée de douceur.

Tournant son attention vers l'arrivant, le pyro-mage eut comme une impression de déjà-vu en voyant son visage caché sous une épaisse cape.

- Un, deux, trois... Un, deux, trois. Murmura pour lui-même l'inconnu en comptant les trois anciens.

- Euh … Commença le mage,en ignorant les grognements de Théo qui tentait de s'imposer,Nous pouvons vous aider ?

- Ma guilde, mes lois, mes règles, mes questions !Grogna le cadet Silverberg en dressant sur ses jambes, ses yeux bleus ne quittant pas d'une seconde le nouvel arrivant. Qu'est-ce que vous voulez ?

- Tiens, tu ne demandes plus comment on veut mourir ?Nota dans un petit sourire Grunlek.

Pouffant derrière sa capuche, l'inconnu recommença à compter une nouvelle fois avant de hocher la tête, son regard s'amusant des réactions de Théo envers son ami nain.

- Pour être franc, c'est vous que je cherchais. Répondit doucement le masqué.

- Et pourquoi ? Questionna le roi des nains.

- Je viens de la part de quelqu'un que vous avez bien connu.

Retirant sa capuche, il offrit un sourire chaleureux aux aventuriers qui dévisageaient ses oreilles pointues, les deux tresses encadrant son visage fin, et particulier la couleur bleutée de sa peau.

-Je ne me suis pas encore présenté. Je me prénomme Morvan(1) Kory. Dit-il en faisant un signe de tête aux anciens qui ne prononçaient pas un bruit.

Riant doucement devant les airs perdus du groupe, Morvan fut néanmoins surpris en sentant un bras métallique lui encerclait la taille. Baissant ses yeux bleus, il croisa la pupille humide du nain qui le dévisageait sans vraiment y croire. Pareil pour les deux autres compères qui avaient cessé de s'insulter mutuellement et qui l'observaient, comme une bête curieuse. Enfin, c'était son ressenti. Et loin de là, étaient l'attention du paladin de la lumière et du fils d'Enoch. Ils s'étaient redressés dans une parfaite synchronisation quand Grunlek avait fait s'asseoir le jeune homme sur une place libre. Se mordant la lèvre en signe de nervosité, le petit brun regarda timidement autour de lui.

- Théo, tu devrais lui offrir un verre. Souffla Grunlek d'une voix tremblante.

Réagissant au quart de tour, le propriétaire du célèbre bouclier marcha maladroitement jusqu'à la carafe d'eau. Il servit un verre comme il put, ses mains tremblantes plus qu'il ne le souhaitait. C'était ... c'était tout bonnement impossible. Ramenant ledit verre, il dut se rasseoir en croisant les yeux de Morvan. Ils avaient les mêmes. La même couleur bleutée, où se mêlaient toutes sortes de nuances. Et cette peau. Cette peau azuréenne qu'il ne pensait plus jamais revoir... Comment cela pouvait être possible. Et comme lisant dans ses pensées, le jeune elfe joua nerveusement avec ses mains avant de prendre la parole.

- Vous devez avoir beaucoup de questions je présume ... Et je suis tout à fait enclin à y répondre.

- Comment est-ce possible ? Souffla Grunlek sans cesser de l'observer de peur de le voir disparaître.

- ... Mon père ne sait même pas lui-même. Tout ce qu'il sait, ou ce qu'il a bien voulu me dire, c'est qu'il l'aimait réellement. Sans quoi, je ne serais pas là. Fit-il dans un petit rire.

- Mais comment ?

- Il pourrait avoir des centaines de réponses, qui mèneraient à encore plus de questions Théo. Grogna Bob en baissant les yeux.

L'observant, l'elfe à la peau bleutée se remémora les histoires que Mani lui racontait enfant. Enfin les rares histoires des aventures de sa jeunesse qu'il osait raconter à son fils avant de se muer dans un long silence, les yeux perdus dans le vide. Ouvrant plusieurs la bouche, comme hésitant à poser des questions, Morvan fut pris de cours en sentant une petite chose se glissait entre ses doigts.

- Icy !

Baissant les yeux en souriant, il salua avec malice le petit être qui lui souriait. C'était donc elle, la fameuse Icy. Étrangement, il l'avait pensé plus grande. Mais importe, il la voyait enfin. La création de son père. Celle qui se sacrifiait tout le temps d'après les rares brides des histoires qui lui était compté. Jouant avec elle, il oublia un court instant les trois aventuriers autour de lui. Aventuriers qui avaient reculé pour lui laisser un peu d'air libre.

- Bob ? Demanda le roi des nains.

- Icy l'aime bien on dirait. Il doit lui rappeler Shin. Murmura-t-il dans un petit sourire.

-On dirait Shin. Souligna Théo.

- Mais il ne l'est pas.

- Non. Ce n'est pas Shin.

Sachant qu'on parlait de lui, Morvan cessa son jeu avec la créature aquatique. Prenant une grande respiration, il braqua ses yeux sur le mur lui faisant face avant de prendre la parole.

- Non je ne suis pas lui. Et je ne serais jamais lui. Mais … Je ne regrette qu'une chose. C'est de ne pas l'avoir connu. Mon père refuse de parler de lui ou même penser à lui le rend étrange.

- Encore plus que Mani ne l'est déjà ? Précisa Théo en arquant un sourcil.

- Plus. Répondit dans un petit rire le jeune avant de reprendre son discours. Il refuse de me parler de Shinddha. Mais … Il est aussi mon père. Et même si je sais que je ne rencontrerais jamais, j'aimerais savoir qui il était. Quel homme il était. Quel ami il était. Qui était réellement Shinddha Kory... Termina-t-il en regardant ses mains se serraient l'une contre l'autre, les yeux plissés.

-C'est Mani qui t'a donné l'adresse de ma guilde ?

Hochant la tête, il regarda Théo se laissait tomber sur la chaise en face de lui. L'inquisiteur de la lumière passa sa large main dans ses cheveux, les yeux perdus dans le plafond fissuré de la grande salle. Se pinçant les lèvres, il laissa même le mage prendre place à sa gauche et Grunlek à sa droite. Le propriétaire du bras métallique se pencha vers Morvan, tentant de faire tomber la lourde ambiance qui régnait depuis peu.

- Comment va-t-il ?

- Comme allait votre Mani, je suppose.

- Est-ce qu'il a retrouvé … ? Hésita Bob

- Il l'a tué deux ans après votre séparation. Suite à quoi, il est revenu me chercher. Comme il l'avait promis. Trancha froidement le brun, n'aimant guère parler de cela.

S'échangeant un rapide regard entre eux, les trois aventuriers s'accordèrent avant qu'une dernière question ne frôle l'esprit du pyro-mage.

- Est-ce que Mani va venir ?

- Non.

Ne voulant pas insister plus, le demi-démon laissa la parole au fils de ses deux amis, bien trop vite disparus.

- Par où veux-tu commencer ?

- Par le début ?

- Parfait … Murmura Grunlek... Alors, tout commença quand Théo a trouvé une jeune elfe dans la forêt...

Les heures passèrent, et rapidement la nuit tomba sur la ville. Et les histoires ne cessaient de faire rire Morvan. Les souvenirs remontaient dans l'esprit des trois amis, qui riaient entre eux, partageant leurs joies envers le plus jeune.

Ils en avaient conscience. Shin ne reviendrait pas. Il ne pouvait pas revenir. Mais il avait laissé derrière lui, un part de son être en Morvan. Le fils de Shinddha Kory et Mani le Double.

Il était en lui.

Shin vivait à travers lui.

A travers ce jeune garçon qui les écoutait, fasciné par leurs paroles, les yeux brillant et riant devant les anecdotes, durant l'espace d'un fugace instant, ils crurent entrevoir une forme dans son ombre. Un homme masqué à la peau bleue qui les saluait avant de disparaître dans le rire de son fils.

-Mais j'ai une question n'empêche.

- Laquelle ?

- La petite fille, elle est-

- NON ELLE L'EST PAS ! S'écria le membre de l'Eglise de la lumière en tapant du poing sur la table.


Assit sur le toit de la guilde, Mani le Double senti ses lèvres s'étirer dans un petit sourire en entendant le fracas en dessous de lui. Morvan avait dû poser la question sensible. Son fils arrivait à mettre les pieds dans le plat. Tout comme lui. Ou comme Shin. Son sourire se fana légèrement sans pour autant disparaître. Redressant la tête vers le ciel, il serra dans sa main, une fleur séchée qu'il conservait dans sa poche. La fleur que Shin avait lancée hors du puit. La fleur qu'il avait avait volé à Bob sans que ce dernier ne s'en aperçoive. La rangeant, il se redressa sur ses jambes et tendit l'oreille, percevant les éclats de rire de son fils à travers les murs.

Secouant ses tresses, il ria à son tour, en se rappelant la première question qui lui avait posé Morvan au sujet de Shin.

La seule réponse qu'il avait jugée juste de dire à un enfant de cinq ans, avait été « Il vit en toi».

Et c'était la vérité. Même s'il n'était plus dans ce monde, Shin avait laissé une partie de lui en disparaissant. Il continuerait à vivre à travers son fils. Et il continuerait à exister tant qu'on continuerait à raconter ses aventures, à qui voudrait bien les entendre.


(1) Morvan signifie la mer en breton