Note d'auteur.

HELLO

Encore un Erejean que j'avais écrit pour la Week : ceci est le jour 2, Roomates =)

GROS bisous neil it's for u 3333333333333333333333333


KEEP ON KEEPING ON


Il y a des matins calmes, parfois.

Jean se lève avec les yeux lourds et les jambes engourdies, et se traîne jusqu'à la cuisine pour préparer le café : une bonne quantité, suffisante pour remplir au moins deux tasses, et deux thermos pour la matinée. La cuisine est encore sombre, la lumière arrive depuis le salon, et Jean se réveille doucement en attendant que l'appartement retrouve ses couleurs et son activité.

Odeur de pain grillé, jus d'orange sur le bar, cheveux un peu aplatis d'un côté.

Il y a des matins comme ça, oui. Et il y a aussi des matins où le café ne coule pas assez vite, où le soleil embrase déjà la cuisine, et où les voisins ont sûrement envie de frapper leur plafond à coup de balai.

— Je me suis pas réveillé !

Jean lève les yeux au ciel et croise ses jambes.

— Putain de meeerde !

Perché sur l'un des tabourets du bar, il regarde Eren qui traverse le couloir vers le salon, puis dans l'autre sens, avant de revenir dans le salon. Ses cheveux sont trempés, sa joue gauche encore rouge avec la marque de l'oreiller, et il retourne les coussins du canapé un à un avant de grogner bruyamment.

— Je hais la vie.

— La prochaine fois t'y repenseras à deux fois avant d'éteindre ton réveil.

Eren lui retourne un regard flamboyant (bien trop pour l'heure matinale).

— Et toi aussi je te déteste.

Il fait à nouveau le tour de la pièce, ses chaussettes remontées jusqu'à la moitié de son mollet. Quand il finit par regarder dans le saladier plein de fruits, juste à côté de Jean, ce dernier soupire largement.

— Ton pantalon est dans la salle de bain, espèce d'idiot. Accroché à la porte.

L'expression d'Eren se fige pendant une seconde : bouche entreouverte, sourcils haussés, puis soudain une reconnaissance mesurée que le jeune homme n'accorde qu'à Jean. Il disparaît une seconde plus tard, en courant dans le couloir sans même se soucier de mettre tout son poids sur ses talons et de faire trembler le pauvre parquet qui couine un peu.

Jean continue de boire son café, en portant tranquillement sa tasse à ses lèvres.

Le matin est en général une mécanique bien huilée : Eren doit partir au moins un quart d'heure avant lui pour arriver à l'heure à son boulot (et contrairement à celui de Jean, son patron l'attend pratiquement sur le pas de la porte pour lui reprocher la moindre seconde de retard). Une guerre ouverte, qu'Eren ne peut évidemment pas gagner étant donné qu'il est employé mais à laquelle il participe tout de même car Eren Jaeger est comme ça : il s'est légèrement calmé avec le temps, mais n'hésite pas à se lever en pleine réunion pour dire à chaque personne dans la pièce à quel point leurs idées sont nulles.

Jean le sait, car il écoute toujours ce que son colocataire lui raconte en rentrant le soir (pendant le dîner, ou juste avant la tradition du film du soir).

Quand Eren revient dans le salon, ses vêtements sont froissés mais il semble avoir fait un effort avec ses cheveux. La trace sur sa joue commence à disparaître.

— Je vais être en retard, gémit-il en cherchant ses chaussures dans le placard à côté de la porte.

Jean le voit mettre le boxon entre les deux étagères et l'entend retourner ses propres paires pour trouver la sienne, mais il ne fait pas de commentaire. Quand Eren a enfin enfilé ses belles chaussures en toile (les seules assez propres et classes pour aller avec ses chemises) il se retourne vers Jean et court presque jusqu'à la cuisine.

— À ce soir, souffle-t-il sans trop y penser, et Jean sent ses lèvres sur sa joue.

Il boit une gorgée de café et grogne :

— A ce soir, Jaeg... Eren ! Ton repas de ce midi, abruti !

Eren fait demi-tour à mi-chemin, et semble prêt à se mettre une balle : le frigo est trop vide ouvert, et bien trop rapidement refermée.

Quelques secondes à peine et son colocataire est de retour à la porte d'entrée, qui claque dans son dos quand il s'en va. Enfin seul, Jean soupire largement et termine son café avant de se lever pour aller remettre un peu d'ordre dans le placard.


Jean essaye de ne pas fixer trop longtemps la pauvre salade que la serveuse apporte à Marco, mais c'est difficile. Parfois, il se dit que tous les corps humains ne fonctionnent pas de la même manière : si cette femme posait la salade devant lui, il aurait faim toute l'après-midi jusqu'au soir.

Donc, il ne se sent pas trop coupable en baissant les yeux sur son burger. Marco n'a pas l'air d'en avoir grand-chose à faire (au moins son meilleur ami n'est pas du genre à essayer de lui faire manger de l'herbe et de l'emmener à la salle après le boulot, ce dont Jean lui est reconnaissant). Il prend sa fourchette, et la plante dans une carotte crue pleine de vinaigrette.

Quand son regard croise celui de Jean, il semble se souvenir de quelque chose.

— Au fait, dit-il. Mon voisin est en train de déménager en ce moment, et ça m'a fait penser à toi.

Une fois sa bouchée avalée, Jean hausse un sourcil.

— Moi ? Pourquoi ? Je vais pas déménager.

Ça, au moins, il en est bien certain : cet appartement est plutôt génial, en plus d'avoir été une affaire incroyable. Quelques rénovations, un prix plus qu'intéressant, et Jean était devenu propriétaire de l'appartement de l'arrière-grand-oncle de il ne savait plus trop qui dans sa famille, dans laquelle il avait déjà passé la moitié de ses études.

Il peut aller au boulot à pied, si ça c'est pas génial.

— Pas toi, nan. Mais Eren va bientôt partir, non ?

Le contenu de son verre d'eau manque de passer par le mauvais trou quand Jean le repose sur la table en toussant.

— Quoi ?

Marco fronce les sourcils.

— Eren Jaeger, Jean.

— Merci, je connais encore le nom du mec avec qui je partage ma salle de bain. Pourquoi tu dis qu'il va partir ?

Son meilleur ami, avec qui il partage sa pause déjeuner au moins deux fois par semaine, lui renvoie un regard désabusé.

— Peut-être parce que vous allez avoir trente ans et qu'il serait temps qu'il se trouve un endroit à lui ? Je dis pas que tu vas le dégager à coups de pied, mais si tu veux que je t'aide à trouver les mots...

Marco ne dit pas ça méchamment, Jean le sait : leur groupe d'amis n'est peut-être plus aussi nombreux et soudé qu'autrefois, mais ils se voient tout de même quelques fois. Et dans les faits, il sait bien aussi que leur colocation est devenue aussi naturelle qu'elle était insupportable au début.

Un service, un Eren presque à la rue, et Jean n'avait pu s'empêcher de lui dire : « Je prends la grande chambre, tu me payes le premier du mois, et c'est toi qui achètes le PQ ».

Soudain, les yeux de Jean s'écarquillent légèrement.

— T'as parlé à Armin ? Eren veut déménager ? C'est ce qu'il lui a dit ?

La main de Marco s'arrête, laissant à mi-chemin sa feuille de salade.

— Non ?

Il observe Jean attentivement.

— Je disais ça comme ça. Parce que c'est...logique. M'enfin, ça l'est pas forcément pour vous, mais comme au début vous sembliez prêts à vous égorger, je...

Il hausse les épaules.

— Vous vous entendez mieux, maintenant. Vous pouvez encore continuer quelques mois.

Jean articule discrètement « quelques mois » et soudain c'est un peu comme glisser un glaçon dans son col de chemise. Il grimace, et essaye de penser au fait qu'Eren adore son appartement, et qu'il ne survivrait pas une semaine sans lui.

C'est affreux, car Jean ne veut même pas essayer de dire à voix haute qu'il ne s'imagine pas dans son salon sans la présence de l'autre imbécile.

Il se racle la gorge.

— Il a pas l'air prêt à partir, de toute façon.

Marco croque un nouveau morceau de carotte.

— Pour l'instant peut-être. Mais la dernière fois que j'ai vu Armin, il m'a dit...

Il mâche tranquillement, et Jean sent sa mâchoire se décrocher en l'entendant admettre qu'il a bel et bien vu Armin récemment, ce qui ne devrait pourtant pas le choquer à ce point.

La suite, que Marco annonce tranquillement, le dégoûte presque de son burger.

— Il m'a dit qu'Eren commençait à voir quelqu'un. T'auras peut-être pas à le virer toi même, finalement.


Jean n'est pas du genre à bouder, pourtant ce soir il ne sait pas trop quoi faire d'autre.

Assis sur le canapé, dans le coin de la méridienne (et il s'est posé là en fusillant du regard Eren d'essayer de prendre sa place) il reste immobile en fixant l'écran de la TV. Leur emploi du temps pour le Film du Soir lui a indiqué que c'était son tour de choisir, alors Jean s'est contenté d'ouvrir Netflix et de cliquer sur le premier venu.

Pour faire ça, il pourrait tout aussi bien aller dans sa chambre sans rien dire, mais ils n'ont pas eu ce besoin depuis des années et au fond il n'a pas envie de tout dérégler maintenant. Du coup, il se contente de bouder.

— Loin de moi l'idée de critiquer tes choix mais depuis quand t'es à fond sur les films de Noël avec des princesses ?

Jean essaye d'ignorer le timbre de voix d'Eren qui semble tâter le terrain dans sa direction. Son colocataire lui a raconté sa journée pendant le dîner (des choses à propos de la machine à café qui lui a servi un chocolat au lieu de l'expresso trop sucré qu'il demande toujours en début d'après-midi, à propos de son patron qui pour une fois l'a laissé tranquille, de cette fille qui pleurait dans les toilettes d'à côté et qui a fait tomber son test de grossesse sur Eren, et son collègue qui lui a refilé du boulot trop dur pour lui, qu'Eren a terminé sous ses yeux en quelques minutes). Jean l'a écouté parlé, mais n'a même pas pris la peine de faire un effort pour ne pas détonner de d'habitude : pas de remarques amusées ou critiques, pas de petit rire ça et là, pas d'yeux levés au ciel à chaque commentaire.

Il a fixé son assiette, jusqu'à ce qu'Eren lui demande « et toi ? T'en fais une tête tu t'es fait virer ou quoi » et que Jean hausse les épaules.

À présent, Jean a mis sans s'en rendre compte un film qui pourrait être regardable un 23 décembre mais qui se trouve être nul à chier un 06 avril. Il se cache légèrement sous le plaid qui traîne toujours sur le canapé, et décide de ne pas se tourner vers Eren. Ni de lui répondre.

— Enfin pas que je me plaigne, c'est cool les... films avec des princesses. C'est juste que d'habitude tu profites de ton jour pour mettre des films de 3h avec aucune action et des flashbacks trop bizarres.

Eren se penche en avant, comme pour essayer de croiser son regard, mais Jean grogne.

— J'avais envie.

— Mauvaise journée ?

— Ouais. Un truc comme ça.

En vérité, sa journée au boulot a été aussi tranquille qu'une après-midi au soleil. La pause déjeuner, en revanche, ne lui a pas trop fait plaisir.

— D'ailleurs, se souvient Jean en se renfrognant encore un peu. Apparemment Ymir organise une petite fête.

— Une petite fête ?

— Ouais. Une petite fête pour je sais plus quel événement mais ça a sûrement un rapport avec Christa. Petit comité, d'après ce que Marco m'a dit.

Ça l'énerve de devoir parler autant alors qu'il essaye de bouder, mais la fête a lieu le week-end même et il ne se voit pas arriver tout seul. À une époque il l'aurait fait sans hésiter, mais malheureusement les choses ne sont plus aussi faciles, car à cette fameuse époque Ymir ne l'aurait même pas remarqué étant donné qu'il y avait une foule monstre à ses fêtes.

Maintenant, c'est simplement entre eux, moins d'une dizaine, avec plus de vin que de vodka et moins de musique à fond et plus de jeux vidéos en groupe (simplement car Christa adore ça, et que finalement un vieux Wii party en équipe c'est plutôt amusant). Parfois, il y a même des petits fours et là Jean prend un coup de vieux.

— Cool, fait Eren. Ça fait longtemps, en plus.

C'est vrai, ça fait un moment : Jean voit Marco de temps en temps, Eren voit Armin et Mikasa, et Armin voit Marco, et c'est un peu comme ça que leur groupe est toujours un groupe. Une boucle qui fonctionne.

Rien que d'y penser, ça affaiblit sa volonté de bouder encore un peu. Ce n'est pas qu'il est vexé, car Eren Jaeger n'est pas son foutu meilleur ami, mais ils vivent ensemble depuis la nuit des temps. Est-ce que Jean est vraiment ridicule d'attendre au moins un mot pour le prévenir ? Il n'a aucune envie d'être le premier à demander « tu pars ? » parce que la réponse pourrait être « oui » et il ne veut pas l'entendre.

Encore moins un « oui, et d'ailleurs je vais m'installer chez Rodrigo mon super copain sexy ». Bon, Jean a plus ou moins inventé Rodrigo mais il sait que ça va ressembler à ça.

Finalement, Jean soupire. Il réfléchit à l'idée de tendre la télécommande à Eren pour lui offrir son jour du Film du Soir et ainsi offrir un drapeau blanc pour la paix (d'une guerre à sens unique dont Eren n'a pas vraiment conscience) mais tout à coup quelque chose vibre bruyamment dans le canapé.

— Oh, désolé.

Eren sort son téléphone et regarde l'écran avant de commencer à se lever.

— Je reviens.

Il part dans le couloir, pour se diriger vers sa chambre, et quand Jean entend une porte se fermer il ne peut s'empêcher d'ouvrir de grands yeux. Sa mâchoire tombe presque au sol lorsque la pensée suivante le traverse :

Il vient de m'abandonner pour le Film du Soir.

Jean maudit intérieurement Rodriguo le voleur de colocataire, et l'appel qu'Eren vient de recevoir.


Jean essaye d'ignorer la manière dont Connie pose ses mains grasses sur le cuir du canapé. Il essaye vraiment très fort, car c'est lui qui a envoyé le message « soirée pizza ce soir ? » sur leur conversation de groupe.

De l'autre côté, Sasha s'essuie presque sur un coussin et Jean inspire profondément.

— Alors, vous allez à la soirée d'Ymir ?

Sur la TV devant eux, l'un des Star Wars est en train de tourner. Les voix leur parviennent d'un peu loin, étant donné que Connie a la mauvaise habitude de mâcher la bouche ouverte.

— Je sais pas encore, répond Sasha en s'allongeant dans son coin du canapé. Y'a l'expo la semaine prochaine et je crois que j'ai encore des modif' à faire.

Jean hoche la tête, compréhensif. S'il y a bien des choses qui ont changé, outre sa relation avec Eren, c'est bien ce que sont devenus certains de ses amis. Sasha, par exemple, qui s'est découverte une passion pour la sculpture et qui s'est faite repérer par quelques personnes importantes sur les réseaux sociaux.

— J'ai un ticket rien que pour moi, se vante Connie en prenant une nouvelle part de pizza. J'ai toujours un ticket dans ma boite aux lettres quand une expo approche.

Il dit ça avec un air fier dont Jean n'a même pas envie de se moquer : Sasha et Connie sont meilleurs amis depuis des années, depuis le lycée, sûrement. Ils ont toujours plus ou moins tout fait ensemble, et même si personne ne sait trop s'il se passe quelque chose entre eux (quelque chose de différent que simplement se comprendre comme des jumeaux et rire ensemble comme des jeunes mariés) ce n'est pas vraiment important.

Peut-être qu'un jour ils vont vraiment recevoir un faire-part dans leurs boites aux lettres et là quelques personnes (dont Eren, qui a déjà fait des paris) pourront dire : je le savais !

— La chance, souffle Jean, et il le pense.

Les places pour les expositions de Sasha sont chères et rares. Et il aime beaucoup voir toutes ces figures et ces voiles et ces cheveux volants faits à partir de pierre dure. Ça l'impressionne vraiment.

Ça l'impression toujours ne vérité, de voir que Sasha a trouvé sa voie, que Connie fait des cascades dans des films connus, qu'Eren ne s'est jamais fait viré, qu'Armin passe sa journée à sortir des statistiques, que Mikasa ait fini par laisser son frère vivre sa vie.

Sasha sourit.

— La prochaine fois, je leur dirai d'en mettre deux de côté. J'abuse pas trop, alors en général ils me disent oui.

Jean se penche pour attraper une nouvelle part à son tour, et lui offre une expression satisfaite. Il articule un « merci » silencieux avant de mordre dans sa nourriture.

Le film continue de tourner, et Jean s'y intéresse de nouveau. Il l'a vu au moins quatre fois, alors ses lèvres bougent légèrement en même temps que certaines répliques. Au bout d'un moment, Connie demande innocemment :

— Au fait, il est pas là Eren ?

Jean manque de s'étouffer avec un morceau de fromage fondant dans sa bouche. Il tend le bras pour attraper la bouteille d'eau, et sauve sa vie à l'aide de quelques gorgées.

— Quoi ?

— Bah c'est vrai, d'habitude il est toujours dans les parages. Vous êtes collés dans le canap' à vous faire des mamours, c'est souvent dégoûtant.

Jean ne veut certainement pas entendre Connie lui parler de ce qui est dégoûtant, car c'est un peu fort de café. Il fronce les sourcils, et détourne le regard.

— Je sais pas, grogne-t-il. Je suis pas sa mère.

— Oh ?

Sasha se rapproche un peu, d'un petit bon sur le côté. Son visage est soudain très proche de celui de Jean et ce dernier tourne la tête dans le sens inverse.

— Vous vous êtes disputés ?

— Non...

— Y'a de l'eau dans le gaz ? s'étonne Connie en se rapprochant de l'autre côté et soudain Jean se sent pris au piège.

Il déglutit.

— Non, tout va bien.

— Oh le menteur.

— Y'a rien, insiste Jean. De toute façon on s'en fiche, il va bientôt partir.

Sasha penche la tête.

— Ah bon ?

— Je croyais qu'il allait rester pour toujours, franchement, continue Connie.

Et Jean n'a pas envie d'acquiescer en soufflant « ouais, moi aussi » parce que ça serait ridicule. Alors il croise ses bras sur sa poitrine et donne un coup d'épaule de chaque côté pour que les abrutis s'éloignent.

— Il m'a envoyé un message pour me dire qu'il rentrait pas. C'est tout.

— Et il déménage ?

— Il paraît.

En vérité, il ne paraît rien du tout étant donné qu'Eren n'a rien dit de tel, mais Jean ne s'y fie pas. Du jour au lendemain Eren Jaeger est venu s'installer chez lui. Il peut très bien faire la même chose lors de son départ.

Sasha fait la moue.

— Ça va faire bizarre.

— De quoi ? Vous viviez pas avec nous.

— Non, mais on disait toujours « ErenetJean » tu vois ? Faudra envoyer deux messages au lieu d'un pour que vous soyez au courant des trucs, maintenant. Avant on savait que vous vous racontiez tout comme deux grand-mères.

Elle bat des cils innocemment, et Jean essaye de pas se laisser avoir par cette fille qui n'est plus aussi bête et naïve qu'avant. Elle peut lui jouer son numéro, mais Jean ne va très certainement pas répondre quelque chose comme « on se disait pas tout » ou « abuse pas ». Parce qu'alors, ils se mettront à deux contre un pour lui ressortir un paquet d'anecdotes où Eren a tout raconté à Jean et où Jean a tout raconté à Eren, où ils se pointaient ensemble partout, où ils étaient toujours à deux sur les vidéos et photos, et où l'appartement de Jean n'est pas l'appartement de Jean où squatte Eren mais bien l'appart d'Eren et Jean.

C'est affreux, parce que ça fait des années.

Il se mord la lèvre, et hausse les épaules.

— Bref, dit-il. On allait pas vivre ensemble toute notre vie.

Et encore une fois, il essaye d'ignorer la voix qui lui hurle que lui le pensait, et même très fort.


Ils arrivent ensemble à la soirée d'Ymir.

Quitter l'appart avec l'odeur du parfum, du savon : une odeur précise qui ne se propage que quand Jean attend Eren à côté de la porte et que ce dernier fouille la moitié de l'appart à la recherche d'un collier très précis qu'il veut absolument mettre.

Jean s'attendrit presque. Cela fait des jours qu'il fait plus ou moins la gueule, et il voit bien qu'Eren fait ce qu'il peut pour rester lui-même et ne rien montrer. Faire comme s'il ne voyait rien. Ça marche à peu près.

Ils ont fini par partir, finalement, et sont arrivés avec trente minutes de retard sans que cela étonne personne. Christa a ouvert la porte, leur a souri, les a laissé rentré : ils ont tous appris à simplement attendre entre 20 et 30 minutes à chaque fois, car jamais ErenetJean n'arrivent à l'heure. Et personne n'écoute non plus Jean quand, comme d'habitude, il s'assoit dans le canapé pour accuser son colocataire de toujours tout faire à la dernière minute.

Traîner en short devant la TV pendant des heures, puis prendre sa douche et s'habiller en catastrophe.

La maison d'Ymir n'est pas bien grande : deux étages, un petit jardin, deux chambres et un bureau. C'est plus grand que l'appartement de Jean, et plus petit que l'espèce de loft géant de Mikasa (qui a commencé à se faire pas mal d'argent à des matchs de combats quelques années après qu'Eren se soit installé chez Jean).

Il est presque certain que Mikasa a proposé à son frère devenir habiter chez elle, et il est tout aussi presque certain qu'il a refusé. Du coup, à la place, il y a Annie (avec qui Mikasa a commencé à sortir à une période un peu trouble. Ça pourrait tout aussi bien faire 1 an ou 4 que Jean n'en saurait rien).

— J'adore les vacances, affirme Ymir en déposant sur la table basse vin et champagne. On a joué au Cluedo toute l'après-midi au soleil, et Christa a le nez tout rouge.

Cela d'Annie aussi est tout rouge, alors Jean suppose que les filles sont arrivées à midi.

— Mikasa vous a fait des cocktails, c'est ça ?

Eren croise les bras sur sa poitrine après avec enlevé sa veste. Il n'a pas trouvé son collier, finalement.

Sa sœur lève les yeux au ciel et vide sa coupe presque cul sec. C'est toujours ce qui arrive à la première.

— Elle nous en a fait tellement, sourit Ymir.

Peut-être sont-elles encore un peu pompettes, finalement. Jean pouffe discrètement. Armin et Marco se ramènent pour déposer des gâteaux et du saucisson. Le salon est tout à coup rempli, et Jean se détend un peu.

Les premières heures passent presque trop rapidement. Christa raconte sa version du dernier match en date de Mikasa, avec un peu trop d'enthousiasme (car la douce et gentille Christa hurle comme une groupie dans la salle dès que quelqu'un se prend un pain dans la tronche, et que tout le monde sait qu'elle adore ça). Annie parle un peu de son boulot aux urgences, et la dernière anecdote en date concerne cette femme qui s'est coincée les tétons dans une machine à déchiqueter le papier. Vraiment affreux. Marco n'a jamais grand-chose à dire : seulement le quotidien ennuyeux d'un type un peu fatigué de bosser avec son père. Armin commence à s'égarer dans ses statistiques trop précises, Eren le coupe, Ymir propose une partie de jeux vidéos, ça finit en jeux à boire, et aux final le dîner n'est absolument pas pris à table, comme une fois sur deux.

Jean se terre dans le canapé après avoir perdu. Eren reste par terre à agiter les bras comme si ça changeait quelque chose à la direction de sa voiture sur l'écran. Ymir hurle à chaque fois que quelque chose lui arrive dessus. Armin et Annie chuchotent discrètement en prenant les paris.

Mikasa se contente de tous les écraser un par un.

— Je te déteste, grogne Eren.

Presque toujours perdant, et presque toujours mauvais joueur.

— Je vous déteste tous. Je déteste ce jeu.

— Oui, oui. Tu dis pas la même chose, d'habitude. Tu devrais faire comme la dernière fois, vous aurez peut-être une chance cette fois.

Mikasa lance un coup d'œil à Jean, et il sait très bien de quoi elle parle. Faire équipe avec Eren et essayer de ne pas terminer dernier. Il se racle la gorge.

— Non, c'est bon...

— Allez, Jean, insiste Eren en se retournant vers lui pour lui offrir ses grands yeux clairs. Juste pour la prochaine.

— Je...

Jean déglutit. Parce que quand son colocataire lui fait cette tête-là, en général, il ne tient pas bien longtemps. Eren, sa peau bronzée, ses lèvres un peu boudeuses, et son regard bleu cérulé et vert d'eau.

— Je..., répète-t-il. Je vais aux toilettes.

Il ne loupe pas le haussement de sourcil de Marco, et l'expression peinée d'Eren.


Il y a ensuite des jeux avec un paquet de cartes, quelques verres en plus (beaucoup), l'envie d'aller marcher un peu dans le parc d'à côté, puis un retour apaisé jusqu'au canapé du salon. La promenade était agréable, dans la nuit un peu plus fraîche et l'herbe légèrement humide : enlever ses chaussures, courir sans raison, avoir l'impression d'être à nouveau à la fac, et finir par regarder le ciel avec la tête tournante.

Quand trois heures du matin arrivent, Christa baille aux corneilles et Eren est endormi dans un coin du sofa (ce qui est étrange car Eren Jaeger est, depuis des années, le dernier survivant de toutes les soirées). La TV berce la pièce d'une émission sur les tueurs en série qui passe toujours à cette heure-là.

— Qui prend la chambre d'amis ? demande Ymir en levant la main pour écarter une mèche, tombée devant les yeux de Christa.

Cette dernière lui retourne un regard plein de douceur.

— Nous, annonce Mikasa en se retournant vers Annie, qui hoche la tête.

Marco et Armin ne pensent même pas à protester, et Jean n'est pas assez bourré le faire (il lui faudrait au moins un coma éthylique pour essayer de faire dormir Mikasa Ackerman sur un matelas).

— Le bureau ? On a gonflé le matelas trois étages.

Le matelas trois étages, appelé ainsi pendant leurs années de fac car c'était, à l'époque, le plus gros matelas que leurs fesses bourrées avaient jamais vu. Qui l'a acheté ? Personne ne le sait. Il est arrivé un jour dans l'appartement d'Ymir, et personne n'avait pourtant le budget d'acheter autre chose que de la merde pas trop chère.

— Moi, disent Armin et Marco au même moment.

Ils hochent la tête : ces deux-là finissent presque toujours par dormir ensemble. Deux cadavres allongés l'un à côté de l'autre, sur le dos, et qui ne bougent pas d'un centimètre pendant la nuit. Jean trouve ça flippant. Il est bien trop habitué à Eren qui tente de lui mettre des baffes en se retournant dans son sommeil.

Quelques regards se tournent vers lui, et le prénom Eren lui fait ouvrir grand les yeux.

— Oh, souffle-t-il.

— Eh ouais. Le canapé est pour toi et l'autre increvable. Félicitations.

Ymir lui offre un rictus amusé, avant de se lever en s'étirant. Christa la suit immédiatement, et le mouvement fait grimacer Eren qui marmonne dans son coin.

— Je te laisse le déplier, tu commences à avoir l'habitude. Les couvertures sont en dessous.

— Traitresse, souffle Jean, parce qu'il sait très bien qu'elle le fait exprès.

Ils ont tous remarqué à quel point Jean n'a pas beaucoup parlé, et surtout n'a pas beaucoup parlé à Eren. Pas un mot pendant la promenade, qui aurait pourtant dû les rapprocher jusqu'à finir allongés dans l'herbe : c'est souvent comme ça. Marcher côte à côte, parler, se donner des coups d'épaule.

Éméchés dans la nuit, en se fichant pas mal de ne pas mettre un mot sur les sentiments qui se promènent.

— Jean...

Le murmure d'Eren attire l'attention de Mikasa et Armin, qui sont déjà en train de se lever.

— Le bisou... le bisou du soir...

Il râle presque, à ce stade. Une voix boudeuse, un soupir, des yeux fermés : Jean lève ses yeux pompettes au ciel et, par réflexe, comme à se lever. Il dit :

— Oui, oui, j'arrive...

Il se lève du sol, ayant un peu de mal à se stabiliser une fois debout : le dernier verre était sûrement de trop, mais ce n'est pas bien grave. Ce n'est qu'en croisant l'expression à la fois hilare et étonnée de Marco que Jean se rend compte que, déjà ils sont en société et donc pas chez eux, seuls, et qu'ensuite il est censé bouder.

— Okay..., souffle Ymir avec un grand sourire. Je crois qu'on va vous laisser.

— Ce n'est pas...

— Bonne nuit Jean, lui dit Armin en tapant son épaule.

— C'est pas du tout ce que vous pen...

— On ne pense rien, affirme Christa.

Annie passe à côté de lui, et le toise de haut en bas.

— Va lui faire son bisou, sinon il va mal dormir.

Jean ne manque pas son sourire discret et amusé, et sent ses joues brûler alors que tous les autres quittent un à un la pièce.

Quand il se retrouve seul, Eren se retourne dans son sommeil. Jean murmure :

— Jaeger, putain...

Une vingtaine de minutes plus tard, après avoir réussi à étirer le canapé pour en faire un lit à peu près correct (sans l'aide d'Eren, qui acceptait tout juste de rouler dans un sens ou dans l'autre) Jean se pose enfin entre les draps. Il a laissé la TV allumée, et profite de l'émission qui lui offre un fond agréable.

Lentement, il se tourne vers Eren, se tortille en silence, écarte ses mèches de son front et y pose ses lèvres. C'est naturel, rassurant, et il essaye de ne pas trop faire attention au soupir satisfait que son colocataire laisse échapper.

Jean fixe le plafond un moment avant de s'endormir.


Leur salon est bien trop silencieux pour un dimanche matin.

En général, le dimanche matin est le moment où Jean a juste envie de dormir, et où Eren se sent prêt à faire trois fois le pâté de maisons en courant. Tout à coup il fait le ménage, le repassage, prépare le petit dej', et fait du yoga dans ce pantalon trop moulant que Jean déteste plus que tout au monde.

Mais cette fois, Eren n'a pas l'air très chaud pour son jogging habituel.

Il est assis dans le fauteuil-jamais-utilisé, face au canapé, les bras et les jambes croisés. Il a la tête de la gueule de bois, et les yeux un peu vitreux.

Pourtant, son visage indique deux choses : Eren Jaeger est vexé, et un peu en colère.

— Alors ? demande-t-il avec impatience.

Jean se mord la lèvre.

— ….alors ?

Il essaye de ne pas penser au fait qu'ils viennent juste de rentrer, que les cheveux d'Eren sont encore humides, et que lui peut goûter le dentifrice présent dans sa bouche.

Eren plisse les yeux.

— Tu fais l'innocent.

— Oh, pitié Jaeger. Dis ce que t'as à dire qu'on en finisse. J'ai presque l'impression de me faire gronder, là.

Peut-être parce qu'il a l'impression d'être coupable, en un sens, et c'est peut-être ça le pire.

— J'ai parlé à Sasha.

— Et ?

J'ai parlé à Sasha.

Jean soutient son regard, puis ses sourcils se haussent.

— Oh.

— Ouais, « oh ». Imagine ma surprise quand elle m'a demandé si j'avais déjà trouvé un autre appart'. Si tu voulais que je dégage, il aurait peut-être mieux valu me le dire en face.

Ses yeux se voilent, et Eren baisse un peu la tête pour inspirer profondément. Quand il se redresse, il a l'air plus triste qu'autre chose.

— Je pensais... je pensais que ça se passerait pas comme ça.

Pendant une seconde, Jean oublie la raison pour laquelle Sasha est au courant.

— Je pensais pas que tu te contenterais de m'éviter en espérant que je comprenne le message. Quoi ? Deux jours de plus et je retrouvais mes affaires devant la porte, c'est ça ?

Puis ça lui revient, et les sourcils de Jean se froncent. Sa bouche s'entrouvre et il dit :

— Mais c'est toi qui veux partir.

— Quoi ?

— T'as... t'as dit à Armin... avec ton Rodrigo, là...

Eren le fixe.

— Mon Rodrigo ?

— Ou quel que soit son nom. C'est pas le plus important.

Eren le fixe toujours.

— Mon Rodrigo ? insiste-t-il.

— Ils m'ont dit que tu voyais quelqu'un ! Je pensais qu'on était... qu'on était en assez bonne entente pour que tu m'en parles si jamais tu finissais par déménager et là tout à coup tu vois quelqu'un et tu m'en parles pas et tu veux aller habiter avec lui et en plus tu m'abandonnes pour le film du soir.

Les lèvres se Jean se serrent et il sent de la chaleur monter à ses joues. Eren a l'air complètement perdu, et il déteste cette expression : en général c'est l'expression qui le prévient que la suite va être gênante car il n'a absolument pas visé juste.

Il a même tout compris de travers. Il déteste ça. Pourquoi personne ne lui dit les choses clairement ?

— Mon Rodrigo, répète Eren. Avec qui apparemment je sors, et chez qui je vais aller m'installer. Sans t'en parler.

Jean déglutit.

— Il t'a appelé... la dernière fois.

— Pendant le film du soir, comprend Eren.

— Oui. Le film du soir.

— Mon patron m'a appelé.

— Oui, ton...

Jean déglutit. Et répète d'une petite voix « patron ? ».

— Oui. Mon patron. Qui me casse les couilles toute la journée et qui décide de m'appeler le soir pour revoir un document que j'ai laissé sur son bureau dans la matinée.

Le visage d'Eren s'adoucit un peu, et Jean déteste ça tout autant que l'autre expression parce que celle-ci signifie quelque chose comme « oh, Jean, tu es un peu bête mais je t'apprécie quand même » et venant d'Eren Jaeger, c'est vraiment le pompon.

— Oh.

— Et Armin m'a sûrement entendu parler de cette fille, qui traîne à la salle de sport et qui me harcèle pour que je l'aide avec ses...avec tout ! Elle me fout presque ses fesses sous le nez et je lui ai dit au moins treize fois que j'étais gay mais apparemment c'est « hihi trop drôle ». Donc pas de Rodrigo.

— Pas de Rodrigo.

Jean veut plus ou moins s'enterrer. Il essaye de se noyer dans les plis du canapé mais ça ne fonctionne pas.

— Tu ne vas pas déménager, dit Jean.

— Je comptais pas le faire. J'y avais même pas pensé. Pas avant la semaine dernière en tout cas, quand Sasha m'a parlé de ce super appart que l'un de ses amis va bientôt rendre et qui serait parfait pour moi. Puisque tu me jetais dehors.

— J'ai jamais dit ça.

— Oh ?

Eren sourit.

— Alors je peux rester ?

— Y'a ton nom sur la boite aux lettres, Jaeger. Tu l'as gravé avec un canif. Je peux pas te jeter dehors.

Ils se fixent un instant, peut-être trop longtemps. Ils se fixent jusqu'à ce qu'Eren se lève du fauteuil-jamais-utilisé pour attraper la télécommande de la TV et se laisser tomber à côté de Jean.

Il le colle, sans en avoir grand-chose à faire.


Des bisous !