Horseshoe Overlook - Mars 1899

Nous sommes enfin au Printemps et arrivés au nouveau camp. Les oiseaux chantent, le soleil réchauffe mon visage, jamais je n'avais vécu un hiver aussi glacial. En même temps, jamais je n'avais vécu cela. Les dernières semaines ont été très dures, je dois dire que je commence à connaître peu à peu les personnages du gang. Qui aurait cru un jour que la minable française, Alison Garnier, ferait partie d'un gang de hors-la-loi. Je dois avouer que j'ai eu peur les premiers jours, que je ne mangeais pas, mais voir des femmes autour de moi dans le camp soulageait ma conscience.

J'étais arrivée en Amérique dans le but de trouver du travail, du vrai travail, car à Paris, on ne me proposait que des postes de serveuse et même de prostituée dans les bordels. Je savais lire et écrire, je méritais mieux et je voulais m'échapper de cette ville d'injustice où la femme intelligente était mal vue. On m'avait parlé d'Amérique, de rêve américain, que tout était possible en Amérique, même pour une femme. A peine arrivée au port de Blackwater dans l'état de West Elisabeth, mon teint déjà bien blanc était devenu plus livide et mes yeux marrons étaient fatigués de la traversée et mes cheveux bruns étaient en mauvais état. Certes, des hommes et des femmes, des pauvres et des riches, cela se voyait nettement à leurs habits, et moi, petite française étrangère à leurs yeux, on aurait cru que c'était marqué "française" sur mon front. Les gens m'avaient regardé bizarrement, comme si je sortais de nulle part, ce qui était toutefois vrai. Un peu timide de nature, j'avais un peu d'argent américain sur moi et j'étais allée aussitôt à l'hôtel pour m'y reposer et déposer mes affaires. De simples affaires, mon carnet, dans lequel j'écris toutes mes notes, où je fais quelques croquis de ce que je vois, des crayons, quelques vêtements et le nécessaire de toilette. Et un peu d'argent évidemment. Quelques jours ont passé et je ne trouvais toujours pas de travail. C'était une ville remplie de toutes sortes de gens, mais plus particulièrement de cowboys, moi qui ne montait pas à cheval, je me sentais vraiment comme une étrangère.

Et un jour, alors que le soleil surplombait la ville et me rendait mal à l'aise, une embuscade terrible se passa sous mes fenêtres. Je ne sais toujours pas pourquoi je suis descendue, quand j'ai vu des gens ensanglantés à terre et des chevaux avec leurs cavaliers en furie galoper dans tous les sens, je ne sais pas pourquoi j'ai voulu aider une jeune femme terrorisée et mourante au sol, me tendant sa main rouge et tremblante, mon regard s'est porté sur un homme, un hors-la-loi sans doute vu sa démarche et son air, me regarder avec le revolver en l'air, fumant encore le coup qu'il venait de porter à la pauvre dame. Mon regard l'avait croisé et son cheval blanc se cabra à la suite d'une explosion et d'autres hommes débarquèrent de nulle part, foulard sur le nez, tirant n'importe comment sur n'importe qui. J'avais sans doute tort à ce moment-là car des hommes habillés comme des gentlemen leur tiraient aussi dessus, l'un des hors-la-loi s'écroula et tomba de son cheval, et tandis que ma main lâchait avec peur celle de la femme mourante, l'un d'eux, le teint aussi livide que la mort, pointa son revolver sur moi. Des larmes coulaient toutes seules et je réussis à seulement crier un mot : HELP !

Mon cri avait été si horrible et si aiguë qu'un homme dont le visage était caché par son foulard s'avança vers moi sur son cheval bai foncé et blanc au grand galop. Le bruit sourd des sabots au sol me rendait peureuse et le gentleman, sans doute le représentant de la loi, fut bousculé par le cheval et je n'eus pas le temps de reprendre mon souffle que je me retrouvais derrière le cavalier, sur son cheval. Je criais, je hurlais et l'homme me criait de m'accrocher et qu'il allait me sortir de cette merde. Sauf qu'au final, faible comme je suis et déboussolée par ce qui venait de se passer, je finissais par m'évanouir et à me retrouver à l'arrière dans un chariot rempli de cargaison avec des chevaux et leurs cavaliers à l'arrière, et il faisait froid. Quelques jours avaient dû passer sans que je m'en rende compte dans mon sommeil, la faim et le froid m'avaient réveillée. L'un d'eux, d'où je distinguais vainement son visage, me demandait si j'allais bien. Je ne savais que répondre, la peur m'avait gagnée et le froid m'empêchait de dire un mot. Je regardais juste derrière moi et une jeune femme se présenta et m'enveloppa d'une chaude couverture. Puis, je me suis endormie.

Dès lors, j'ai appris à connaître ces gens. Je n'osais pas dire grand chose, j'avais juste pu dire que je m'appelais Alison Garnier, que je venais d'arriver de France, que j'avais 29 ans et que je cherchais du travail. Je leur avais demandé s'ils m'avaient enlevée. Celui qui me répondit semblait être le chef du gang, Dutch Van Der Linde, un grand homme bien habillé et avec une belle moustache finement rasée. Il me disait que je serai morte sous les coups de feu et les dynamites si Arthur Morgan ne m'avait pas tirée de là. Alors, comme j'étais incapable de survivre seule dans l'hiver et dans un nouveau pays, je décidai de rester avec eux. Les femmes m'avaient bien accueillie. Je voulais remercier Arthur Morgan de m'avoir sauvée mais je ne le voyais presque jamais, il était toujours en train de travailler pour les autres. Je reprenais des forces doucement et un jour, Ducth nous a fait déménager de camp, avec une autre femme désespérée comme moi mais sans doute plus meurtrie, du nom de Sadie Adler. Je les avais vus enterrer leurs morts.

Au nouveau camp, pendant que j'écrivais, j'observais tout le monde. Puis, Miss Grimshaw arriva et me demanda de faire le linge. J'obéis en me pressant, ne voulant pas recevoir de remarques désobligeantes. Pendant que j'étendais le linge avec Mary-Beth, celle-ci me souriait.

- "Tu sais, ici, ce n'est pas un camp de prisonniers. Si un jour, tu voulais partir, n'hésite pas à en parler à Dutch, il sera compréhensif."
- "J-Je ne veux pas partir pour l'instant, Mary-Beth, c-comment ferais-je seule, je ne sais même pas monter à cheval et je ne connais pas le pays..." répondis-je d'un ton hébété.

- "Je me doutais bien. Mais je voulais juste te rassurer, ici, avec Dutch et les autres, tu ne crains rien."

- "Merci..." soufflais-je avec compassion.

Mary-Beth était une des femmes avec qui je m'entendais le mieux. Nous partagions nos histoires, elle savait lire et écrire et nous avions quelques points communs. Elle aussi rêvait de devenir une femme de lettres, je n'avais pas forcément cette vocation mais au moins, cela nous faisait déjà des points communs et j'appréciais qu'elle me rassure toujours sur les membres du gang. Certains avaient de vraies têtes de brigands!

Je finissais le linge en reprenant mon souffle, quand l'un des membres me jeta à la figure un vieux pantalon tout sale, puant et plein de boue. Faisant la grimace et les yeux aussitôt remplis de larmes, j'étais effrayée par le bandit arrivant vers moi, et le dénommé Micah Bell se ficha de moi.

- "Au travail, la française, t'as pas fini. Lave mon futale tout plein de merdes et sois rapide, j'en ai besoin pour demain".

Il cracha près de moi et Mary-Beth lui cria dessus.

- "Tu n'es qu'un enfoiré, Micah Bell, dégage de là et fous-lui la paix".

- "Tu me parles pas comme ça la mégère". Rétorqua-t-il avec dégoût.

Je prenais le pantalon toute tremblante quand Micah s'approcha encore de moi dangereusement.

- "On a perdu sa langue ? Je ne t'entends pas trop parler depuis ton arrivée, j'espère pour toi que tu ne prépares pas un mauvais coup... Tu sais ce qu'on fait aux traîtres ?"

Il fit un signe de son doigt jusqu'à sa gorge, signant un écorchement et ria de plaisir car je pleurais à chaudes larmes. Mary-Beth me prenait par les épaules pour me détourner mais Micah nous suivait. Il s'approcha de mon oreille en prenant mon cou avec son bras. Il me chuchota.

- "T'es pas aussi épuisée comme ces autres putes. Et si on baisait, on pourrait repartir à zéro, toi et moi ?"

C'en était trop. Je criai soudain, retenant l'attention de tout le camp et sorti de nulle part, Arthur Morgan surgit et attrapa Micah par le col sa chemise et l'envoya valser contre l'arbre. Il s'approcha encore de lui et le menaça avec son revolver, ce qui fit rire Micah. Enervé, Arthur le frappa avec son arme, et Micah fut sonné et tomba par terre, regardant Arthur avec haine.

- "Ne parle plus aux dames, Micah Bell. Elles méritent mieux qu'un vieux bâtard dans ton genre. Ne les emmerde plus ou je te tue."

Micah s'en alla alors en bougonnant dans sa barbe des insultes envers Arthur et surtout envers moi. J'étais tombée par terre de peur, tremblante et Mary-Beth et Abigail Marston me réconfortaient.

- "Merci, Arthur. Au moins, on peut compter sur toi." Dit Mary-Beth en soufflant et me relevant.

Arthur arriva doucement vers moi et c'était la première fois que je le voyais d'aussi près. Mon teint blanc était devenu rouge de rage, de honte et j'essayais de cacher mon visage hideux. Arthur me toucha la joue, malgré ma puanteur, et je ne pouvais que plonger mon regard ruisselant de larmes dans le sien. Il avait de très beaux yeux bleus, un visage assez amical et expressif, une barbe jeune et un nez presque cassé, sûrement dû aux nombreuses bagarres. Je respirais fort et je prenais sa main qui me touchait le visage en guise de remerciement. Je le remerciai dans un souffle et je vis son sourire compatissant quand Mary-Beth et Abigail me traînèrent sous la tente pour s'occuper de moi. Au loin, je voyais repartir cet homme qui me sauvait déjà deux fois la vie. Je me dis alors qu'il serait temps de le remercier. Il n'avait pas l'air d'un mauvais bougre.