Il y a une araignée sur le mur.
Il y a une araignée sur le mur, et Sirius Black n'arrive pas la quitter des yeux. Ses longues pattes fines remontent le long du marbre sans faire aucun cas de la gravité. Lentement, pas à pas, elle progresse, avance vers le plafond. Elle ne se soucie absolument pas de l'agitation qui a lieu plusieurs mètre en-dessous, de la musique, des rires forcés. Elle se contente d'avancer, petite tâche noire sur la pierre blanche. Innocente du sort qu'on lui réservera si on vient à découvrir son existence.
Un léger sourire étire les lèvres de Sirius. Mesdames et messieurs, la déchéance des Vingt-huit Sacrés. La crasse sous les dorures. Il est si bon de voir les craquelures de ce tableau parfait, les crevasses dans la peinture, les failles de ces révérences ridicules. Tout est si lisse, si fade, si propre. Des bulles de champagnes qui pétillent dans une harmonie artificielle aux rires soigneusement contrôlés, tout n'est que factice, réfléchi pour incarner la plus belle et la plus fausse des perfections. Même les quelques couples qui dansent au centre de la gigantesque salle de bal du Manoir Nott semblent avoir été choisis avec soin pour représenter la magnificence des Sang-Pur. Tout est beau, de blanc, d'or et d'argent, chaque invité semble rayonner. Et puis, il y a l'araignée. Personne ne la voit, mais elle est là, elle glisse silencieusement sur le mur, hors de portée des regards puritains. Il pourrait y passer la soirée, observer encore et encore la preuve délicieuse de cette mascarade, cette minuscule araignée qui grimpe aux astragales. Il ne lui en faut pas plus.
Un petit cri de son frère le ramène à la réalité. Abandonnant l'arachnide des yeux, il se concentre sur le foulard de soie qui s'enroule autour du cou de Regulus. S'applique à parfaire le nœud, à le rentrer impeccablement dans le col de sa chemise. Il lisse avec soin le col dur en velours noir de sa robe, rajuste un faux pli. S'il avait mis autant de soin à perfectionner sa propre tenue que celle de son petit frère, la moitié des filles à marier de la salle seraient déjà à ses pieds. Il en est parfaitement conscient. Et il s'en contrefiche.
Regulus se laisse faire tranquillement. Il observe Sirius avec un petit sourire alors que celui-ci apporte la touche finale à son réarrangement d'un air particulièrement fier de lui.
— Tu sais, même si elle ne te le montre pas, Mère est très fière de toi, pour tes B.U.S.E..
— Ce n'est absolument pas vrai, contredit Sirius d'un ton égal sans même lever les yeux de sa cravate.
— Non, pas vraiment, avoue Regulus. Mais Père l'est. Il ne le dira pas, c'est tout.
Sirius a un rapide haussement de sourcils et une grimace incrédule étire ses lèvres. Mais bien sûr. Le jour où Walburga et Orion seront fiers de lui – ou pire, qu'ils oseront le lui dire – Sirius sera déjà en pleine recherche de l'antidote au philtre de Confusion. Ou pas, d'ailleurs. Il pourrait très bien les laisser errer jusqu'à ce qu'ils confondent une manticore avec un chat. Cette perspective le réjouit d'ailleurs particulièrement, et il songe un instant à glisser ledit philtre dans leur thé du matin. Il croise les yeux de son frère, ce regard à la fois désolé et réprobateur qu'il décèle dès qu'il le voit. Ils sont injustes, peut-il lire dans ces yeux gris, mais si tu étais moins borné, tout se passerait mieux. Et Sirius n'a aucune intention d'être moins borné. Moins fier. Moins insolent. Moins ancré à ses convictions. Il laisse ça à la vingtaine de familles présentes ce soir. Aux Malefoy, probablement déjà morts à l'intérieur. Aux Lestrange qui semblent irradier de haine. A Avery et son idiot de fils, qui semblent avoir pris l'injonction beaucoup trop au sérieux et sont considérablement plus beaux que malin. A la femme, tout de noir vêtue qui s'approche d'eux avec un regard à glacer le sang, suivit par son mari, beaucoup plus discrets mais non moins détestable. Elle pose une main aux longues griffes rouges sur l'épaule de Regulus et le dégage d'un geste sec de l'emprise de son frère.
— Sirius ! Laisse-le tranquille, siffle Walburga.
— Oui, Mère.
— Et arrête de grimacer, comme ça. C'est horripilant.
— C'est mon plus beau sourire, Mère. Le fruit de votre grande œuvre génétique.
Walburga lui lance un regard si noir que Sirius resterait probablement tétanisé sur place si ce n'était pas son quotidien depuis... Depuis quand, exactement ? Il ne sait même plus. Il pourrait presque dire que ce genre d'agissement le laisse de glace. C'est en tout cas ce que son sourire radieux laisse entendre. Tout est dans le presque, cependant. Il y a toujours cette petite pointe qui vient transpercer sa poitrine, ouvre la voie à la main glacée qui se referme sur son cœur. Elle le terrifie. Le tétanise. Le remplie de rancœur. La haine qu'il peut lire dans ses yeux n'est rien par rapport à l'antipathie qu'il voudrait parfois provoquer chez elle. Par Merlin, qu'elle finisse par exploser, enfin. Qu'elle lui crache dessus, le rosse, lui arrache le visage avec les ongles. Qu'elle laisse réellement sortir toute cette haine qu'elle peine à contenir, qu'elle avoue ô combien elle l'exècre. Qu'ils puissent enfin arrêter cette mascarade, ce jeu du chat et de la souris épuisant. Éreintant. Il voudrait parfois la frapper, la secouer comme une radio défectueuse jusqu'à ce qu'elle expectore tous ces mots qu'elle ne lui a jamais dit mais qu'il peut lire dans le moindre coup d'œil. La déception. La colère. L'hostilité. Détestons-nous, Mère, haïssons-nous puisque nous ne sommes capable de rien de toute façon, consumons-nous dans notre aversion et notre répugnance, détruisons-nous dans de grands éclats jusqu'à ce qu'il ne reste rien.
Mais encore une fois, tout est dans le parfois. De temps en temps, il entre dans le salon et il la voit, assise dans son haut fauteuil en velours vert impérial, en train de lire un livre ou de broder. Son visage est reposé, calme. Il y a même, occasionnellement, un petit sourire qui étire ses lèvres d'ordinaire si pincées. Elle est si belle, cette même beauté insolente qui lui a échu. Elle a l'air si douce. Et dans ces moments-là, il pourrait se jeter à ses pieds, poser sa tête sur ses genoux comme lorsqu'il était petit garçon, s'emplir de son parfum entêtant aux arômes de santal, et pleurer dans sa robe, pleurer jusqu'à ce qu'il n'ait plus une larme, pleurer toutes ces fois où il s'est mordu les joues pour garder la face. Il pourrait la prendre dans ses bras, et lui dire tous ces mots d'amour qui restent coincés dans sa gorge depuis des années embrasser ce visage qui ne lui sourit plus. Et demander pardon, pardon pour toutes ces choses qu'il n'a pas commise mais qu'elle semble lui reprocher, pardon Mère, pardonnez-moi, je vous en supplie, pardonnez-moi, aimez-moi, pardonnez-moi. Et elle lève ses yeux vers lui, ses yeux si gris dont il a hérité, ses yeux qui se couvrent d'un voile de dégoût et de détestation. Sa bouche de soulève sous l'écœurement. Et les mots se ravalent, s'enterrent un peu plus profondément dans sa poitrine, s'oublient. Et la main glacée finit de les broyer.
Regulus lui prend le bras et le pousse légèrement vers la grande salle de bal. Sirius maintient le regard de sa mère une seconde de trop, une simple seconde qui, il le sait, la fait bouillir de rage. Et elle ne lui dira rien. Ne peut rien lui dire. Parce qu'elle est comme les autres. Obsédée par l'apparence, la perfection, la pureté. Il est une tâche à son tableau, mais elle ne peut se permettre de la gratter en public au risque de l'agrandir. Elle irradie de colère mais Orion l'attire dans la direction opposé. Ils sont obligés de lâcher prise, maintenant, séparés par de hautes colonnades de marbres. Sirius échappe un petit ricanement. S'il n'a pas gagné, il n'a pas perdu non plus. Regulus fait mine d'ignorer le comportement de son aîné. Il n'est pas dupe, il sait parfaitement le petit jeu auquel Sirius se prête. Il a simplement cessé d'y participer depuis longtemps. Les colères de sa mère et les bravades de son frère ne le regardent pas. Il a d'autres chats à fouetter. Ils peuvent bien s'entredéchirer. Mais pas ce soir. Ce soir, il n'a pas la patience. Ce soir, il a d'autres aspirations. Il passe son bras autour des épaules de Sirius et présente la pièce d'un large geste de la main.
— Ne commence pas, dit-il. Regarde devant toi. Le monde entier est à nos pieds, mon cher frère.
— Ce n'est pas le monde que je veux avoir.
— Par Herpo, Sirius, pas ce soir. S'il te plaît. Tu ne peux pas profiter, tout simplement ? Regarde Eliope Fawley. Elle est splendide, ce soir. Et j'ai entendu qu'elle était encore célibataire.
Il glisse un regard entendu en direction de Sirius, qui ne peut que lever les yeux au ciel. Évidemment. Se marier le plus vite possible, engendrer une descendance consanguine pour le bien de la pureté du sang. La vie dont il a toujours rêvée. Pour une fois, être l'augurey de la famille a ses avantages. Walburga préfère se concentrer sur l'avenir radieux de Regulus, plutôt que s'acharner à trouver une fiancée à son premier né. L'un des trop rares sujets sur lesquels elle le laisse tranquille. Mais Regulus semble penser, face au désintérêt de ses parents, que la tâche lui incombe désormais, et il s'acharne, durant les quelques rares moments où Sirius et lui sont réunis, à lui trouver la femme parfaite. Femme qui, aux yeux de Sirius, n'existe de toute façon absolument pas.
— Personnellement, je préfère Rodolphus, fait remarquer Sirius d'un air innocent. Il a un petit côté sauvage qui me plaît bien.
Regulus lui jette un regard circonspect, sans trop savoir si son frère se moque de lui. La pétillance de ses yeux et son petit sourire ne lui donne cependant aucun indice tant il est habitué à cet air désinvolte.
— Rodolphus Lestrange ? Je croyais qu'il te faisait peur.
— Oh, il est absolument terrifiant ! approuve Sirius avec un vigoureux hochement de tête. Regarde-le, on le croirait prêt à abattre un troll à mains nues.
Coincé entre Avery Sr. et son jeune frère Rabastan, Rodolphus ne donne en effet aucunement envie de l'approcher. Les bras croisés sur sa large poitrine, il observe la salle d'un regard non moins noir que sa robe sombre. Ses cheveux corbeau tombent devant ses yeux en lourdes boucles brunes et ses traits taillés à la serpe sont si aiguisés qu'on pourrait si couper en passant trop prêt. Sirius le connaît depuis prêt de treize ans et, d'aussi loin qu'il s'en souvienne, il ne l'a absolument jamais vu sourire.
— J'ai entendu Tante Drusilla dire à Mère qu'il était plus ou moins promis à Bellatrix, dit Regulus après quelques secondes d'observation dudit promis.
— Tu sais tout le mal que je souhaite à cette chère Bella, tu me connais, mais j'espère tout de même pour elle que c'est moins que plus, soupire Sirius. Elle est déjà complètement frappée, ça ne va pas aller en s'arrangeant si elle se retrouve coincée à vie avec un énergumène comme Lestrange.
— Il n'est pas si horrible que ça, fait remarquer Regulus en étouffant un rire. Tu le saurais si tu passais un peu de temps avec lui.
— Il faudra me passer sur le corps, pour ça, grince Sirius.
Regulus lève les yeux au ciel dans une mimique exagérément exaspérée. Ils ne sont pas d'accord. Ils le savent. Ils ne se le sont jamais caché. A quoi bon, de toute façon.
Sirius hausse un sourcil lorsque Walburga s'approche d'eux, tout sourire. Il attrape une coupe de champagne posée sur un plateau tenu par un serviteur, et siffla le contenu comme s'il s'était agit de jus de citrouille. L'air ravi de sa mère ne peut signifier qu'une chose : le reste de la conversation ne sera clairement pas pour lui plaire. Et la présence du vieux Nott à ses côtés n'infirme en rien ses soupçons. Il cherche désespérément du regard un nouveau verre à engloutir, mais les domestiques semblent tous préférer subitement l'opposé de la pièce. Il hésite un instant à abandonner Regulus à son triste sort, mais son instinct d'aîné ne peut s'y résoudre. Si cette harpie de Walburga compte dévorer la moindre once d'humanité qu'il reste encore chez son frère, autant qu'il soit là pour recueillir son dernier souffle.
Comme il s'y attendait, sa mère ne lui prête aucune attention. Elle se contente d'enrouler son bras autour de celui de Regulus avec un air bienveillant que Sirius ne lui a jamais connu à son égard. Vas, songe-t-il amèrement. Exhibe ton parfait petit chien savant à la populace. Montre comment tu l'as bien dressé, comment tu parviens avec brio à écraser toute la bonté qui parvient encore à survivre dans ton monde misérable.
— Regulus, dit Walburga d'un ton doux, Phobos voudrait te parler de certains... sujets. Il propose que nous nous retrouvions tous ensemble – elle lance un regard noir à Sirius qui lui fait rapidement comprendre qu'il n'est pas inclus dans cet ensemble – dans le petit salon pour en discuter.
Regulus se tourne vers son frère alors que Walburga l'entraîne déjà à sa suite. Dans ses yeux, Sirius peut y voir le conflit qui le traverse. Il n'a pas envie de le laisser seul au milieu des loups mais, pour lui, un entretien avec Zagreus Nott est la plus belle des opportunités d'avenir. Sirius n'en comprend pas trop l'intérêt. Nott est réputé pour sa grande maîtrise de la magie noire, son allégeance au Seigneur des Ténèbre, et sa recherche infructueuse d'une femme qui pourra lui donner un héritier. Si le dernier point écarte à priori Regulus, les deux autres options laisse une impression désagréable sur la langue de Sirius, un arrière-goût âpre. Il voudrait attraper le bras de Regulus, l'attirer contre lui et partir en courant, loin de ce manoir malsain rempli de faux-semblants, loin de cette obsession de la pureté, loin de la poigne de sa mère.
Loin de cette petite araignée qui court probablement toujours le long du mur.
Sirius se réveille avec le soleil et la gueule de bois. Il a la bouche sèche, les yeux qui collent, mal au crâne et bu beaucoup trop de champagne et de xérès la veille. La lumière blanche et froide du petit matin d'hiver le tire du sommeil, le froid qui entre par sa fenêtre entrouverte lui arrache un grognement. Il enfouie son visage sous ses épaisses couvertures, encore cinq minutes, juste cinq minutes qui, de préférence, se transformeront en trois ou quatre heures, et après, promis, il se lèvera. Un hululement furieux le force cependant à rouvrir un œil. Un deuxième lui fait ouvrir les deux. Enfin, un troisième hululement le redresse d'un bon, comme un clown qui sort de sa boîte. Hier, il était au bal du vieux Nott. Hier, ils étaient donc le vingt-quatre décembre. Ce qui signifie qu'aujourd'hui c'est...
— Noël !
Les trois hiboux perchés sur son bureau le regardent avec de grands yeux outrés. Sirius bondit de son lit, se prend les pieds dans sa robe de soirée qu'il a laissé tomber sur le sol avant d'aller se coucher, trébuche sur son livre de métamorphose, manque de marcher sur une fiole d'encre et parvient à son bureau, miraculeusement sain et sauf, pour accrocher deux paquets à la patte de deux des oiseaux présents. Ceux-ci lui lance un dernier regard courroucés, scandalisés d'avoir dû attendre si longtemps, et s'envolent par la fenêtre que Sirius s'empresse de refermer derrière eux. Niché sur son perchoir habituel, Hedon pousse un petit cri aigu en attendant que son maître lui envoie du Miamhibou. Alors que le hibou maître-bois s'acharne sur sa friandise, Sirius découvre avec une joie enfantine les cadeaux posés sur le coffre au pied de son lit. Il les jette sur son lit avec empressement et retourne se glisser sous les couvertures chaudes avec délice. Il aurait bien appelé Kreattur pour qu'il lui apporte un thé, mais il n'a pas envie que quelqu'un sache qu'il est déjà réveillé. Pour une fois, l'image de fainéant que sa mère lui colle sur le dos l'arrange bien. En regardant les trois paquets posés devant lui, il a l'impression de retrouver, ne serait-ce qu'un peu, la présence de ses amis qui lui manquent déjà tellement. Et il ne veut pas que Walburga vienne tout gâcher.
Il commence par le premier présent, qui est également le mieux emballé, dans un papier cadeau rouge vif surmonté d'un épais nœud doré. Il devine l'expéditeur à l'écriture en pattes de mouches qui rend son nom presque illisible. Peter. Sirius essaye un instant de faire durer le plaisir en dépliant avec soin l'emballage, avant de perdre patience et de finir par tout arracher d'un geste grandiose. Il pousse un grognement de satisfaction en découvrant une édition flambant neuve de Sorts et enchantements anciens et oubliés, un exemplaire des Forces du Mal surpassées ainsi qu'une énorme boîte de baguettes magiques à la réglisse et de chocolats. Il sacrifie la première baguette sur-le-champ qu'il mâchonne distraitement en feuilletant le premier livre. Il se perd un instant dans les pages qui sentent merveilleusement bon, laisse ses yeux courir le long de l'index qui lui donne immédiatement deux ou trois idées de nouvelles farces à tester dès qu'il rentrera à Poudlard.
Il n'a pas besoin d'une longue réflexion pour deviner que le tas de papier kraft mal scotché n'est autre que le paquet de James. Il ne prend même pas la peine de faire un effort et déchire le piètre emballage férocement. Il éclate d'un grand rire rauque lorsqu'une lanière de cuir noir tombe sur ses genoux, sertie d'une petite plaque d'argent gravée du mot Patmol d'une belle écriture cursive. Hilare, il accroche le collier à son cou et se tortille sur son lit jusqu'à apercevoir son visage ravi dans l'immense miroir de sa penderie. Par-fait. Il pose soigneusement à côté de lui l'écharpe rouge et jaune tricotée par Euphemia Potter et qu'il portera probablement tout l'hiver et s'empare de l'ouvrage Le Noble sport des sorciers de Quintius Umfraville. S'il ne joue pas dans l'équipe de Quidditch de Poudlard, à la différence de James et son frère, Sirius a toujours été un grand fan du jeu. Il fait mine de le parcourir mais la porte s'ouvre à la volée avant qu'il n'ait eu le temps de poser ses yeux sur la première page. Regulus surgit dans sa chambre, encore en pyjama, ses cheveux emmêlés de sommeil.
— Joyeux Noël ! rugit-il.
Il s'arrête en avisant Sirius, une baguette en réglisse dans la bouche, un collier de chien autour du cou et deux papiers cadeaux ravagés à ses pieds.
— Oh, tu es déjà levé... dit-il, déçu.
— Parce que tu comptais me réveiller comme ça ? s'indigne Sirius en arrachant sa baguette en réglisse d'entre ses deux.
Regulus se contente de répondre avec un petit rire et s'affale sur le matelas de son frère. Ce dernier s'empare précipitamment du dernier cadeau, celui de Remus, avant qu'il ne se retrouve complètement écrasé sous le poids de son cadet. Regulus roule sur le côté, pour sa tête dans le creux de sa main et regarde Sirius d'un air désabusé.
— Mais ça fait une éternité que je n'ai pas pu te réveiller le matin de Noël ! gémit-il. D'ailleurs, comment ça se fait ? ajoute-t-il en lui piquant une confiserie à son frère. Tu étais où, l'année dernière ?
— Chez James, répond Sirius en se replongeant dans la découverte du Noble sport des sorciers.
— Et celle d'avant ?
— Puni.
— Et celle encore d'avant ?
— A Poudlard.
— Et celle encore, encore d'avant ?
— Tu m'as réveillé à quatre heures du matin.
— Ah, tout de même ! Je meurs d'envie de prendre un thé. Tu veux un thé ? Kreattur ! appelle-t-il sans même attendre la réponse de Sirius.
Avec un crac sonore, un petit être fripé aux oreilles en forme d'aile de chauve-souris et au nez charnu, un pagne grisâtre noué autour de la taille, apparaît devant eux. Sirius ne peut retenir un petit mouvement de recul en voyant l'elfe de maison dans la chambre. Il le déteste, le méprise. Cette créature miteuse et chétive le répugne au plus haut point, lui et son adoration de sa mère. Il a déjà songé à lui offrir un vêtement, afin que l'elfe soit libéré de tout engagement dans la maison, mais quelque chose lui dit que rien n'empêcherait Kreattur de rester dans les parages. Il n'y gagnerait donc qu'une correction monumentale et la haine de Regulus qui, pour une raison que Sirius ignore, adore son petit serviteur. Il se contente donc de grimacer lorsque l'elfe s'incline devant eux.
— Kreattur, apporte nous deux tasses de thé. Avec plein de sucre, pour Sirius.
— Avec plaisir, Maître, coasse-t-il. Tout de suite, Maître.
Il disparait dans un nouveau craquement et Sirius tire puérilement la langue à l'emplacement où il se trouvait quelques secondes plus tôt. Regulus lève les yeux au plafond et s'empare d'un des épais ouvrages posés à côté de son frère.
— Les Forces du mal surpassées, lit-il sur la couverture. Je vois que tu continues à te bercer d'illusion. Ce n'est pas le mal, tu sais, c'est simplement...
— Regulus, l'interrompt Sirius en se saisissant du dernier cadeau, c'est Noël. Tu es sûr que tu veux qu'on parle de ça ?
— Non, tu as raison.
— Au fait, qu'est-ce qu'il te voulait, le vieux Nott, hier soir ?
— On vient de se mettre d'accord pour ne pas parler de ça, réplique Regulus en dessinant des guillemets dans l'air sur le dernier mot.
Sirius laisse échapper un grondement guttural. Parfois, il pourrait gifler son cadet s'il était persuadé que cela lui remettrait les idées en place. Mais c'est Noël, se répète-t-il silencieusement. Il sera toujours temps de se disputer à ce sujet demain, se hurler dessus, en venir aux mains, se faire séparer par Walburga et se hurler dessus encore un peu plus. Comme à chaque putain de fois.
Le paquet de Remus est emballé avec de vieux exemplaires de la Gazette du Sorcier légèrement froissés. Il défait l'empaquetage avec le même soin que les deux premiers, c'est à dire aucun, et incline la tête sur le côté lorsqu'il découvre une longue boîte de cuir bleu nuit de la taille de son avant-bras. Regulus se rapproche un peu, curieux. Sirius ouvre l'étui avec mille précautions. Un long sifflement s'échapper d'entre ses dents, approuvé par son frère.
— Oh, Remus... murmure-t-il.
Il sait le peu d'argent que son ami a à sa disposition. Chaque noise dépensée est un sacrifice soigneusement réfléchi. Et la longue plume noire aux reflets pourpres et argentés qui trône dans son écrin, accompagnée d'une petite bouteille d'encre de qualité, n'est probablement pas un premier prix. Il n'ose même pas la sortir de sa boîte, tant il a peur de l'abîmer. Elle est absolument splendide. Un claquement l'arrache à sa contemplation.
— La Maîtresse demande aux jeunes Maîtres de descendre dans le salon s'ils veulent prendre leur thé, s'incline Kreattur. Elle les y attend avec le Maître.
Comme pour confirmer ses dires, la voix légèrement nasillarde d'Orion retentit dans la maison :
— Les garçons ! C'est Noël ! Ne me faites pas croire que vous dormez encore. Votre mère et moi vous attendons.
Les yeux de Regulus s'anime d'une lueur enfantine que Sirius ne lui a pas vue depuis des années. Il donne un petit coup de pied à son frère.
— On fait la course ?
— Pas besoin. Je sais que je gagnerais.
— C'est exactement ce qu'un perdant dirait ! rit Regulus en sautant sur ses pieds avant de disparaître dans le couloir.
Sirius bondit à sa suite refusant catégoriquement de se laisser distancer par son petit frère. Ils arrivent sur le premier palier avec un fracas assourdissant, se bousculant pour déterminer qui aura le privilège de rentrer en premier dans le salon. Regulus, plus petit et mince, se faufile sous le bras de Sirius et se jette dans la pièce avant que celui-ci ne puisse l'attraper par le col de son pyjama pour le tirer en arrière comme il en avait l'intention.
Walburga et Orion sont, comme à leur habitude, installés dans leurs deux fauteuils carrosses au coin du feu. Entre eux, une petite table basse ouvragée aux armoiries des Black porte un plateau contenant une théière en porcelaine et quatre tasses fumantes. Jour de fête, le matin de Noël est le seul où les enfants sont autorisés à boire leur thé avec leurs parents dans le salon. Ils se contentent habituellement de leurs chambres ou de la cuisine. Contre le mur du fond, où trône habituellement le secrétaire de leur mère, on a installé un immense sapin couvert de délicates petites décorations en verre et de chandelles luisantes et parsemé de fils d'argent. A son pied, un petit tas de cadeaux attend sagement d'être saccagé par leurs propriétaires.
— Par Morgane, s'exaspère Walburga en vain, vous n'êtes pas obligés de vous conduire comme des bœufs. Sirius, lâche ton frère ! Regulus, tiens-toi droit.
— Allons, ma chère, laissez-les donc s'amuser un peu. C'est Noël.
— Noël ne justifie pas de se comporter comme un rustre et... Sirius, qu'est-ce que c'est que cette horreur ? s'indigne-t-elle en pointant le collier du doigt.
— Un cadeau de James, Mère, répond Sirius en haussant les épaules. Charmant, ne trouvez-vous pas ?
— Charm... Orion, votre fils se prend pour un chien, désormais. Dites quelque chose, je vous en prie.
— Grand bien lui fasse. Si nous le dressons suffisamment, peut-être sera-t-il même capable de garder la maison, répond-il par dessus le gloussement de Sirius. Regulus, arrête de loucher sur ces cadeaux. Un coup de vent et tu resteras bloqué comme ça pour toujours.
— Ce serait dommage, dit doucement Walburga comme si la menace était réelle en passant une main dans cheveux bouclés de son fils.
— Je peux les ouvrir ?
Regulus fixe l'entassement de cadeaux avec des étoiles plein les yeux, pratiquement la bave aux lèvres. A la fois désespéré et attendri par le comportement enfantin de son cadet, Orion obtempère avec un geste de la main qui déclenche une ruée vers le sapin des deux adolescents, comme si leur vie dépendait de ce qu'ils allaient bien pouvoir recevoir. Regulus pousse des rugissements de joie en découvrant le nécessaire à balais dernier cri que Sirius lui a déniché, Orion dépose un léger baiser sur la joue de sa femme en ouvrant l'étui de ses nouveaux boutons de manchettes, le visage fermé de Walburga s'éclaire d'un bref sourire en voyant la broche offerte par ses fils et Sirius grimace en trouvant Noble par nature : une généalogie des sorciers sous ses chaussons. Par ce cadeau, il a l'impression que sa mère s'amuse à le piquer à répétition avec une aiguille dans le creux de la nuque. Il n'essaye même pas de grimacer un sourire. C'est un affront, une bravade, il en est parfaitement conscient. Il essaye de se concentrer sur l'énorme boîte de friandises, beaucoup plus satisfaisante, que lui offre Regulus, mais il sent le regard perçant de sa mère lui chauffer les omoplates.
— Oh, elle est magnifique ! s'écrie soudain Regulus.
Sirius tord le cou pour regarder par-dessus son épaule. Dans un écrin de velours vert, une chevalière frappée des armoiries des Black et de leur devise, Toujours Pur, brille à la lueur des bougies accrochées au sapin. Regulus la glisse à son doigt et tend la main devant lui avec ravissement. Une étrange boule gonfle alors dans la gorge de Sirius. C'est idiot. Il n'en veut même pas de cette fichue bague. Mais c'est à toi qu'elle devrait revenir, siffle une petite voix désagréable dans sa tête. C'est toi, l'aîné. Il se fiche bien, pourtant, de porter les couleurs de cette famille qu'il méprise. Mais il ne lui ont même pas proposé. Ils auraient pu au moins lui proposer, avant de l'offrir à Regulus. Juste pour le plaisir de refuser. Parce que cette chevalière devrait être à lui. Pas à Regulus. Lui. Heureusement qu'il n'en veut pas, d'ailleurs. Leur mesquinerie ne le touche même pas. Il sourit vaguement à son frère lorsqu'il lui brandit sous le nez et se concentre de sa Dragée Surprise de Berthie Crochue. Goût œuf pourri. Et merde.
James Potter, pour quiconque le connaît, n'est pas un garçon qui fait les choses à moitié. Lorsqu'il a de bonnes notes, il est le premier de la classe. Lorsqu'il fait une ânerie, elles sont de celles dont on se souvient longtemps. Quand il est puni, ce n'est que rarement moins d'une semaine. Quand il déteste, il hait de tout son être. Quand il aime, il se sacrifie sans compter. Et lorsque ses parents le laissent boire du porto et du lait de poule, il a tôt fait de tituber légèrement. Aussi, lorsqu'il se dirige vers la porte d'entrée, son chapeau pointu de travers sur son crâne et ses lunettes perchées au bout de son nez, il ne peut retenir un juron alors que le porte-parapluie se met sournoisement sur sa route. Il ouvre d'un geste grandiose, s'apprêtant à hurler ses meilleurs vœux au nouveau venu. Il suspend son geste en apercevant Sirius, claquant des dents dans son gilet, une énorme valise au pied et de la neige plein les cheveux.
— Salut, grelotte-t-il. Je pourrais euh... rester chez toi quelques temps ?
James le considère une demi-seconde, ouvre la bouche pour poser la question qui lui brûle les lèvres, se ravise, et beugle à travers la maison :
— M'man ! Est-ce que Sirius peut passer la fin des vacances ici ?
— Bon sang, James, répond la voix d'Euphemia Potter en se rapprochant, je sais que vous êtes fous amoureux, mais c'est Noël, enfin ! Peut-être que Sirius aimerait, lui aussi, passer un peu de temps en fam... Oh. Bonsoir, Sirius.
Euphemia s'arrête en plein milieu du couloir, les mains dans son tablier. Au loin, Celestina Moldubec s'égosille dans la radio, régulièrement accompagnée par la voix éraillée de Fleamont Potter. Une délicieuse odeur de poulet grillé et de petits gâteaux caresse les narines de Sirius et le gargouillement furieux de son ventre lui rappelle qu'il n'a rien avalé de la journée, à l'exception de son thé. La mère de James termine de s'essuyer les mains et s'approche de son fils. Elle semble perplexe de voir l'adolescent sur le pas de la porte, mais le petit sourire résigné qu'elle affiche laisse deviner qu'elle n'est pas tant étonnée.
— Qu'est-ce que tu fais là ? demande-t-elle. Je croyais que tu passais les vacances chez tes parents.
— Et bien, c'était le plan mais j'ai... euh... Elle m'a foutu dehors.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? questionne James d'un air curieux.
— Je lui ai... hum... J'ai voulu lui lancer un Riddikulus. Je n'avais pas ma baguette, ajoute-t-il précipitamment devant l'expression effarée d'Euphemia et l'éclat de rire de James. Mais elle a débarqué dans ma chambre en hurlant et elle m'a fait tellement peur que j'ai cru que... que c'était un épouvantard.
— Oh, Sirius, murmure Euphemia. Bien sûr que tu peux – James, arrête de rire immédiatement – bien sûr que tu peux rester ici. Entre, ne reste pas dans le froid.
Sirius lui offre son plus beau sourire, chargé de toute la reconnaissance dont il peut faire preuve. Il tire sa lourde valise derrière lui avec un grognement d'effort, secoue la neige de ses cheveux. Euphemia secoue sa baguette et, aussitôt, les bagages s'envolent à l'étage, probablement dans la chambre de James, comme s'ils connaissaient le chemin. Il faut dire que ce n'est pas la première fois qu'il débarque. Le Magicobus a déjà fait de trop nombreuses fois le trajet entre le 12, Square Grimmaurd et Godric's Hollow. Dès que les choses deviennent trop compliquées avec Walburga, trop violentes, il a pris l'habitude de fuir chez les Potter, ce qui arrive à peu près à chaque vacances, depuis quelques temps.
James enroule son bras autour du cou de son meilleur ami, trop heureux de l'occasion. Un Noël sans Sirius n'est pas un vrai Noël. Il l'entraîne dans le salon où Fleamont met la table en se tortillant au rythme de la musique diffusée depuis le petit poste posé sur le manteau de la cheminée. Contrairement à sa femme, il n'a absolument pas l'air surpris de trouver Sirius sous le bras de son fils, et l'accueille même comme s'il était un invité prévu de longue date. Il l'assoit de force à la grande table familiale qui croule déjà sous les petits pois, pommes de terres rôties, carottes et sauces onctueuses qui lui mettent l'eau à la bouche.
Sirius rougit lorsque Euphemia lui présente une assiette débordante de dinde farcie, bafouille quand Fleamont remplit son verre de Porto, oublie de se sentir mal au moment où James lui ressert de la bûche. Le ventre plein, légèrement étourdi par le bonheur et l'alcool, il rit de bon cœur alors que James fait éclater un Pétard Surprise qui le laisse avec un dentier qui s'acharne à lui mordre le doigts. Plus tard, allongé sur le petit lit de camp que lui a déplié Euphemia, bercé par les légers ronflements de son meilleur ami, il songe avec une pointe d'amertume mais surtout beaucoup de bonheur que c'est exactement le Noël auquel il devrait normalement avoir droit.
Avec sa vraie famille.
