Chapitre 1
-Pièce d'identité je vous prie.
-Pardon ?
Je cesse de scruter nerveusement la foule autour de moi et reporte mon attention sur la sorcière derrière son guichet. Elle a un chignon serré avec de petites lunettes en demi-lune et un air de vieille chouette mal plumée à qui il ne faut pas imaginer la faire à l'envers. Sa main est tendue vers moi telle une serre et s'agite maintenant pour m'enjoindre à me dépêcher.
-Oui oui, je marmonne grincheusement, avant de lui fourrer mon passeport dans les mains. Le billet pour le Poudlard Express a été réservé par le directeur lui-même.
La vieille femme ne fait même pas mine de m'avoir entendu et tourne scrupuleusement toutes les pages du petit livret. Derrière moi, je sens le vieux émettre un soupir agacé tout en se tortillant pour essayer de voir par-dessus mon épaule ce qui met autant de temps. T'es à la retraite, papy, soit pas si pressé !
Enfin, la guichetière me rend mon document et me remet deux épais billets avec une grimace qu'elle pense faire passer pour un sourire.
-Bonne journée Mademoiselle Tio, grince-t-elle finalement, avant de se tourner vers l'homme de derrière qui m'a quasiment poussé hors de son chemin, une fois la transaction terminée.
.
Avec lassitude, je sors de la longue file d'attente composée de sorciers et sorcières dont les tenues bigarrées contrastent avec celles des moldus de l'autre côté de la vitre magique. Certains partent pour des destinations exotiques - ou en reviennent - et arborent des chapeaux originaux. J'entends d'ailleurs des bruits d'animaux étranges s'échappant de certaines valises.
Pour ma part, je dois traverser la partie non magique de la gare et je me suis habillée à la mode pour ne pas que l'on se retourne vers moi comme l'été dernier. Du moins, je le croyais.
Lorsque je sors sur les quais, je me fais la réflexion que ces fichus non mages n'ont vraiment que ça à faire que de changer de style, comme si ça m'amusait de me tenir au courant de leur actualité.
Autour de moi, des jeunes femmes portent des jeans troués et des blousons de cuirs, tous plus colorés les uns que les autres, que viennent compléter une bonne grosse paire de basket irisées qui piquent les yeux. Avec mon jean noir et mon long trench de coton - noir également - je fais plutôt figure de croque-mort à côté de toutes ces divas riantes. La seule chose que j'ai en commun sont mes grosses baskets sombres qui me mènent jusqu'à un agent.
-Bonjour, monsieur, fais-je de ma voix la plus agréable. Je cherche le quai numéro neuf je vous prie.
Comme toujours, mes dents blanches et mon minois rieur font l'effet escompté et il m'indique avec plaisir une direction qu'il agrémente de tout un tas d'explications. Au cas où je me perde j'imagine, ce qui ne serait pas un fait exceptionnel venant de ma part.
Ce n'est pas comme si je n'avais jamais pris le Poudlard express, loin de là. J'ai fait mes sept années là-bas, comme tous les sorciers de ce fichu pays. Mais, après cela, je suis partis faire mes recherches à l'étranger et jamais je n'aurais imaginé que le vieux Dumbledore ferait un jour appel à mes services pour enseigner dans son école. Et surtout pas avant mes 25 ans.
.
Arrivée sur le quai numéro neuf, je jette un œil au large pilier de pierre repoussant magiquement les moldus depuis des générations ; les forçant à regarder ailleurs pendant que des petits jeunes font traverser leurs chariots au travers. J'attends que les deux familles devant moi soient passées et m'engouffre ensuite discrètement à leur suite.
Comme de coutume, de l'autre côté m'attend une agitation fébrile faite d'au revoir émus et d'embrassades de dernière minute. Des gamins courent dans tous les sens et le Poudlard Express patiente en répandant sur la foule une lourde fumée blanche qui me pique le nez. Maintenant que j'y pense, j'ignore s'il y a un wagon réservé aux professeurs. Lorsque j'étais étudiante je ne me suis jamais demandé comment ceux-ci se rendaient à Poudlard mais, maintenant, je me dis que ça aurait pu être utile de le savoir.
D'un pas sûr, je rentre dans un des wagons et une vague de nostalgie m'assaille lorsque je m'aperçois qu'absolument rien n'a changé. Je repousse ce sentiment aussi fort que je peux et garde un visage impassible. Manquerait plus que je lâche une larme devant les gosses, tiens !
Sans m'encombrer de manières, je traverse le couloir en contournant les mioches qui braillent et je me prends à me demander si j'avais l'air aussi imbécile qu'eux à mon âge. J'ouvre finalement un des compartiments et vois tout une tripotée d'yeux se tourner vers moi avec étonnement.
Je soupire et referme la porte.
Sans que je m'en aperçoive, le train s'ébranle et je manque de tomber lorsqu'il accélère pour prendre sa vitesse de croisière. À mesure que j'avance dans la coursive, des bavardages plus ou moins forts retentissent à travers les cloisons des compartiments et je poursuis mon voyage sur plusieurs wagons sans me départir de ma mauvaise humeur. Je n'ai aucune envie de me taper je-ne-sais-combien d'heures à côtés de morveux braillard, autant rester dans le couloir dans ces conditions.
Je vais pour ouvrir la porte qui me sépare de l'avant dernier wagon, lorsqu'un grand gamin roux l'ouvre vivement avec un sourire hilare. Si je n'étais pas d'aussi mauvaise foi, je dirais que le fait qu'un cinquième année me dépasse ne me dérange pas. Mais je le suis, alors pourquoi essayer de faire semblant ?
-Vous bloquez le passage, dis-je d'une voix agacée et sans m'arrêter, forçant l'élève à se coller contre la cloison pour me laisser passer.
Mais voilà que je ne vois pas un autre rouquin débarquer de nouveau devant moi. Si je ne me savais pas aussi saine d'esprit, je penserais avoir la berlue, c'est le portrait craché du premier.
-Génial, deux pour le prix d'un, je marmonne en poussant le jumeaux comme je l'ai fait pour son frère.
Je ne me retourne pas, mais je les entends échanger entre eux avec un petit rire moqueur sans que je ne saisisse le sens de leurs phrases. De toute façon je m'en fiche, j'ai faim, j'ai soif et je veux m'asseoir une bonne fois pour toute pour reposer mon épaule endolorie par le poids de mon sac. Comme une idiote, j'ai oublié de l'enchanter pour qu'il pèse moins lourd et, pour ça, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.
.
Enfin, j'arrive au wagon bar où une bonne partie des sièges en carré sont occupés par des gamins en manque de sucre qui dévorent leurs chocogrenouille comme si la famine menaçait. Je repère un coin inoccupé et me rue dessus en lançant mon sac sur le siège d'à côté, signalant par-là que je ne veux que personne ne me dérange. Non loin, des élèves me jettent des regards en coin, mais je ne leur accorde aucune attention et sors mon sandwich thon-tomate pour l'entamer avec envie.
Au bout de ce qui paraît être une éternité, le train commence à ralentir sous la pluie battante qui cingle le paysage depuis plusieurs heures déjà. Je referme mon lourd ouvrage sur les rites des anciennes civilisations et scrute la nuit en me demandant pourquoi nous arrivons si tôt. Il est loin d'être l'heure et je doute que nous nous arrêtions à une autre gare pour prendre quiconque. Ça se serait su si le Poudlard Express faisait la tournée des troquets.
Sans prévenir, le convoi freine des quatre fers et les quelques élèves encore debout tombent au sol avec douleur. De nombreux bagages mal accrochés se jettent alors sur leurs malheureux propriétaires et l'ensemble des lumières s'éteint brutalement. À travers la pénombre pluvieuse, je vois certains élèves se relever et commencer à s'agiter. Certains marchent jusqu'aux fenêtres et collent leurs nez boutonneux au verre pour tenter d'apercevoir quelque chose, mais la pluie tombe bien trop fort.
-On est en plein milieu de rien, geint un blondinet qui a déjà revêtu sa robe de Gryffondor.
-Peut-être que nous avons heurté quelque chose, soumet un grand brun, sans toutefois paraître convaincu.
Pas rassurée pour un sous, je me lève et me dirige vers l'attroupement en me raclant la gorge pour obtenir un velouté parfait à ma voix.
-ALLEZ VOUS RASSEOIR ! Ne vous approchez pas des vitres et taisez-vous, bon sang !
Bon, je sais, cet éclat n'était pas nécessaire, mais c'est la première fois que je suis professeur alors il faut bien profiter un peu. Certains tentent d'apercevoir la personne qui a parlé et je vois une bonne partie d'entre eux m'obéir sans protester. Je fais bouger les derniers récalcitrants - en les attrapant par le col s'il le faut - et souffle enfin lorsque tout le monde se retrouve assis. J'ignore ce qu'il y a au dehors, mais si je dois protéger un troupeau de gamin contre l'inconnu, autant que ça se fasse dans le calme.
Je sors ensuite ma baguette de ma poche et fais apparaître plusieurs sphères de lumières qui vont se loger entre les poutres du plafond. Une quarantaine d'yeux curieux sont maintenant tous fixés sur moi et je leur fait un magnifique sourire rassurant.
-Ne vous inquiétez pas, chers élèves, je vais…
C'est là qu'en profitent deux gugusses pour pénétrer dans le wagon à toute allure, manquant de me renverser.
-Hey, vous là, on ne court pas ! crie-je en avançant le bout lumineux de ma baguette et en apercevant deux tignasses rousses.
-Où est Ginny ? demande l'un d'eux d'une voix pressée.
-Quelqu'un a vu notre sœur ? s'exclame le second en plissant les yeux devant la lumière blanche.
J'ai à peine le temps de leur dire de s'asseoir, qu'un froid glacial se met à envahir l'habitacle. Une épaisse buée s'amasse immédiatement devant nos bouches et je vois avec stupeur de grandes fleurs de gel s'étendre le long des vitres. Le crissement de la glace rampante résonne funestement à mes oreilles et je lâche un hoquet de stupeur.
-Non…
Je tourne la tête vers la porte du wagon et une longue respiration rauque se fait alors peu à peu entendre. Mes forces déclinent en même temps qu'une peur croissante me dévore de l'intérieur et qu'une tristesse infinie m'envahit, chassant toute joie de mon être transit.
Soudain, la porte s'ouvre et un détraqueur en passe doucement le pas pour venir flotter à quelques mètres de nous. Son odeur pestilentielle m'agresse immédiatement les sens et son infecte présence nous enveloppe de son aura de mort. Un souvenir fugace s'impose à moi et je me souviens alors des mots employés par Albus Dumbledore pour faire face aux récents événements : "Une protection offerte par le ministère de la magie afin d'empêcher Sirius Black de pénétrer dans l'établissement".
Avec des détraqueurs ? Ces gens sont fous.
Mais je suis une magicienne après tout, et pas une de ces grattes-papiers fourrée au ministère comme j'ai pu en croiser au cours de ma courte carrière. D'un mouvement brusque, j'attrappe la manche du premier frère et le tire derrière moi sans aucune forme de procès. Lorsque je pose mes doigts sur l'épaule du second, je vois le détraqueur s'approcher de ce dernier sans un bruit. Il penche sa face aveugle vers le jeune homme et une angoissante colère monte en moi. Que je hais ces êtres abjects et leurs manières douteuses, si ça ne tenait qu'à moi…
Sans hésitation, je me jette en travers de sa route et pousse le rouquin le plus loin que je puisse en ignorant son vague cri de douleur.
-T'approche encore et je te vaporise, compris ? dis-je à la chose d'une voix moins assurée que je n'aurais voulu. Personne ne cache Sirius black dans ce wagon !
Bon, je l'avoue, je ne suis jamais en grande forme devant ce genre de créature alors, pour la répartie cinglante, on repassera. Mais cela à l'air de faire son effet car le détraqueur semble hésiter à avancer. Sans doute ma baguette le tient-elle plus en respect que mon visage blafard et mes yeux apeurés. Je vous avais dit que ces trucs ne me plaisaient pas.
Sans prévenir, une vague lumière blanche illumine les wagons très au loin et un pâle sourire illumine mon visage défait.
-Bon, et bien que les festivités commencent alors… Spero Patronum !
À l'instant où je prononce ces mots, une superbe panthère nébuleuse aux contours vaporeux sort de ma baguette en illuminant notre wagon. Celle-ci charge le détraqueur et l'envoie plusieurs fois valdinguer dans le couloir jusqu'à ce qu'il se décide à s'enfuir dans la nuit. Je vois un second le suivre immédiatement et la porte du train se refermer brutalement sur eux avec un bruit sonore.
Les lampes se rallument toutes d'un seul coup et le train se remet immédiatement en branle pour nous arracher à cette campagne boueuse. Autour de moi, le wagon s'est fait silencieux et des regards se tournent dans ma direction.
-Merci pour votre calme, je leur dis-je. Vous pouvez reprendre vos activités, nous arrivons dans moins de deux heures.
Voilà, ça y est, j'ai rempli mon rôle. Maintenant je vais pouvoir aller me reposer sur mon siège en faisant semblant de dormir pour ne pas que l'on vienne m'interroger.
.
Une fois de retour sur mon siège, les deux heures passent relativement rapidement ; du moins si je mets de côté les discussions animées qui agitent le wagon durant tout le trajet. À un moment, j'en profite pour m'enfermer dans l'élégante salle de bain du train et me changer. Non pas que je ne sois pas à l'aise en pull et pantalon, mais mon poste demande un peu plus de… Distinction si vous voyez ce que je veux dire.
D'un coup de baguette, je fais sortir une longue robe de brocart émeraude au col haut et aux manches longues. Celle-ci me tombe jusqu'aux pieds et un léger effet de tissus fait bouffer le haut des épaules, me donnant l'air d'une grande dame.
Une grande dame ? Je pouffe intérieurement. Non mais quoi encore, t'es encore une gamine, même si tu t'atiffe comme la vieille Mc Gonagall ! je lance à mon reflet qui me toise de l'autre côté du lavabo.
Avec application, je me rafraîchis les joues et tente de redonner un peu de couleur à mon visage hâlé encore livide.
-Pourtant j'avais bien bronzé cet été, je marmonne tout haut en relevant mon épaisse chevelure noire pour en faire un chignon.
Je l'aurais bien laissée défaite mais, déjà que j'ai peur que le corps professoral ne me confonde avec une élève, alors autant forcer le trait.
.
Lorsque le train s'arrête définitivement, je suis la première devant la porte et je sors le plus rapidement possible pour me diriger directement vers le garde-chasse de Poudlard que j'aperçois sans mal. Lui aussi devait être bien grand quand il avait seize ans.
Je croise bien évidemment le regard étonné des premiers élèves qui sortent à leurs tours. À mon avis ils sont jaloux du parapluie immatériel que je fais apparaître au bout de ma baguette et se demandent pourquoi ce n'est pas le premier sort que l'on apprend dès son entrée à Poudlard.
-Bonjour Hagrid, je m'exclame une fois arrivée devant le grand homme. Je suis Alya Tio, nouvelle professeur à Poudlard.
Le demi-géant à les traits qui s'illuminent à mes paroles et s'empresse de m'accueillir avec chaleur. Je ne lui demande pas s'il se souvient de moi, car je ne me souviens pas lui avoir jamais vraiment parlé durant ma scolarité. En fin de compte, il m'indique un des larges piliers de pierre un peu plus loin et me précise que l'entrée des professeurs se fait par là. Avec un sourire je le remercie et traverse le passage dissimulé sans un regard en arrière.
Alors comme ça, il y a de tout temps eu un passage direct jusqu'à Poudlard et aucun élève curieux ne l'a jamais découvert ? Je me garde bien de faire demi-tour pour le leur dire et pénètre dans le hall d'entrée en traversant un grand tableau représentant une scène de chasse. D'un geste du poignet, j'efface ensuite mon parapluie et range ma baguette sous ma longue cape de voyage.
Ici encore rien n'a changé. L'odeur si particulière du lieu envahit mes narines et je peux reconnaître celles du parchemin neuf, de l'encre ainsi que les effluves poussiéreuses de la pierre séculaire qui m'entoure. Très loin, j'entends le grincement des centaines de diligences se dirigeant pesamment vers le domaine avec, à leurs bords, plusieurs centaines d'élèves affamés.
-Bienvenue à Poudlard, Mademoiselle Tio je suppose ?
Je tourne vivement la tête vers le large escalier illuminé et j'envoie un sourire au professeur Rogue descendant les longues marches. Si je me souviens bien, j'étais un cancre en potion et, lorsque j'ai été en cinquième année il m'avait collé pour avoir fait exploser mon chaudron par inadvertance. Son air d'âme en peine ne s'est pas amélioré depuis la dernière fois que je l'ai croisée et ses lèvres semblent ignorer ce que le mot "sourire" signifie.
-Professeur Rogue, c'est un plaisir de vous revoir dans d'autres… Circonstances.
Je le vois froncer imperceptiblement les sourcils pour tenter de se remémorer qui je suis. Je n'ai malheureusement pas dû laisser un souvenir assez impérissable à sa noble personne pour qu'il me remette.
-J'étais élève ici il y a six ans, professeur, dis-je pour l'aider. Serdaigle.
Il pince les lèvres et hausse un sourcil.
-Oui je me souviens, dit-il finalement d'une voix morne. Brillante dans toutes les disciplines, sauf la mienne.
J'acquiesce avec un autre sourire et omets volontairement de lui préciser avoir été un cancre dans bien d'autres matières, mais que mes notes en sortilèges, métamorphose et histoire compensaient largement ces petits défauts.
-Suivez-moi, s'exclame-t-il après m'avoir lorgné de haut en bas. Et déposez donc votre veste ainsi que votre sac à Monsieur Rusard, il va se faire une joie de les monter dans vos quartiers.
À cet instant, je remarque le vieil homme courbé attendant dans un coin du hall et dont la grimace semble se vouloir amicale. En répondant à son sourire - si on peut l'appeler ainsi - je lui remets mes effets et suis Rogue jusqu'à la grande salle encore vide de tout élève.
.
Une fois au centre de la gigantesque pièce, je lève le nez vers les hauteurs comme à chaque fois et admire les bougies ainsi que le ciel mouvementé qui cachent le plafond. Je réalise, à cet instant, à quel point Poudlard m'a manqué. Il n'y a aucun lieu aussi chargé de souvenir que cette école et je prends plaisir à me savoir de retour, même si la compagnie risque d'être plus… Monotone.
Une fois montée sur l'estrade supportant la longue table des professeurs, le directeur se tourne vers moi et m'accueille chaleureusement d'une franche poignée de main. À sa droite, les professeurs qui discutent avec lui se tournent également dans ma direction et viennent me saluer comme si j'étais des leurs.
Le professeur Flitwick semble enchanté de me revoir et je dois me baisser pour accueillir sa vigoureuse et longue poignée de main. Évidemment, le professeur Mc Gonagall me reluque de haut en bas et - après ce qui semble une éternité - hoche favorablement de la tête. À ce moment-là, je me dis que j'ai passé le test et que je vais pouvoir me détendre. Par contre, pas question que je garde ce chignon qui gratte toute l'année pour lui faire plaisir !
-Avez-vous fait un agréable voyage Mademoiselle Tio ? me demande alors Dumbledore avec un petit air guilleret. Êtes-vous contente de revenir à Poudlard ?
-Ça aurait été encore plus agréable si vos détraqueurs n'avaient pas effrayé la moitié des élèves, je lui lance, sans me départir de mon sourire avenant.
Manquerait plus que je laisse passer cet incident, tiens. Pourtant il continue de sourire et hoche la tête de manière entendue.
-En effet, je suis désolé pour cet incident Mademoiselle Tio. Cela n'était absolument pas de mon fait et j'espère que vous acceptez mes plus plates excuses.
Je hoche la tête pour lui signifier que la chose est faite et il se tourne vers l'ensemble du corps professoral, semblant chercher quelqu'un en particulier.
-Sommes-nous au complet ? demande-t-il. Non je ne vois pas… Ah ! Monsieur Lupin, vous arrivez enfin !
Je sursaute en entendant ce nom et me tourne d'une traite vers l'entrée de la grande salle. Dans l'encadrement se profile la silhouette d'un homme brun, la trentaine passée, mais dont les traits tendus et le regard cerné le font paraître sensiblement plus âgé. Il porte une cape de sorcier rapiécée à divers endroits ainsi qu'un pantalon marron dépassant des pans de son long vêtement.
Une fois monté sur l'estrade, il serre à son tour la main du Directeur ainsi que celle des autres professeurs plus ou moins enjoués. Lorsqu'il se tourne vers moi, je ne peux empêcher un sourire ravi d'éclairer mon visage, sourire auquel il fait écho. Sans nous embarrasser de manières, nous nous tombons dans les bras.
-Je ne savais pas que tu enseignais ici, s'exclame-t-il en me serrant dans ses bras.
Je ris et lui rend son étreinte avec force.
-Moi non plus, mon ami. Ça fait combien ? Deux ans ?
Il me relâche et me donne une tape amicale sur l'épaule.
-Oui je dirais ça. Qu'est ce qui t'as fait quitter la Hongrie, finalement ?
-Ma force de persuasion, intervient doucement le Directeur en se rapprochant de nous.
Mais il n'a pas le temps de continuer et nous fait rapidement signe de nous installer en voyant les premiers élèves arriver. D'un même mouvement, nous suivons le vieil homme jusqu'à la table de banquet et Remus et moi nous installons à son bout. Je me retrouve entre mon ami et le professeur Rogue qui semble disposé à ne pas trop faire la tronche. Pas trop mais un peu tout de même. Après tout, peut-être lui a-t-on lancé un maléfice de Sale Trogne quand il était petit, ça expliquerait pas mal de choses.
.
Mais je n'ai pas le temps de m'interroger plus, car la grande salle commence à résonner des voix des centaines d'étudiants qui s'installent avec joie à leurs tables respectives. En me penchant un peu, je peux même voir les première année patienter dans le hall par les portes ouvertes.
-Tu es arrivée par le train ? me demande alors Remus en me coupant dans mes réflexions.
-Oui, toi aussi ? Je ne t'y ai pas vu.
Il hoche la tête de gauche à droite et jette un œil vers les élèves.
-J'ai dormi pendant tout le trajet, m'informe-t-il. J'y ai fait une étonnante rencontre d'ailleurs.
-Des détraqueurs, toi aussi ? Agréable en effet, je leur ai fait comprendre qui commandait, tu peux me croire.
-C'était donc toi. J'ai vu une lumière, mais je me suis simplement dit qu'un septième année avait bien suivi ses cours de défense contre les forces du mal.
-Rêve pas, est ce qu'on le faisait, nous ?
-Toi, je n'en sais rien, mais moi oui ! Du moins j'essayais.
Je souris lorsque les souvenirs affluent et tourne mon regard vers le choixpeau magique qui vient d'être posé sur un tabouret. Même si nous avons tous deux fait notre scolarité à Poudlard, nous n'y avons pas étudié ensemble, je n'étais tout simplement pas encore en âge d'y entrer lorsqu'il y a fait ses années. Non, notre amitié s'est construite lorsqu'il a travaillé avec moi pendant une année entière dans un des pays de l'Est de l'Europe. Je pensais réellement ne jamais le revoir, mais le hasard fait décidément bien les choses. Et Dumbledore aussi.
Pendant plusieurs minutes, je regarde la cérémonie de répartition sans vraiment écouter, puis fais glisser mon regard le long des tables alignées sur le carrelage. Je remarque que beaucoup de regards sont tournés vers Remus et moi et ne peux empêcher un sourire sardonique d'étirer mes lèvres. Et ouais les p'tits gars, cette année c'est moi qui donne des points… Ou les retire !
Lorsque mon regard tombe sur la table de Gryffondor je remarque les deux têtes rousses dépassant celles des autres et fait un très léger signe de tête aux deux jumeaux qui me fixent avec un demi-sourire.
-Je crois que tu fais tourner toutes les têtes, Alya, me chuchote Remus du fond de son siège.
-Ils te regardent aussi je te signale, ils ne savent juste pas à quelle sauce ils vont être mangés.
-Hum… À mon avis je leur fais bien moins grande impression que toi. Jolie robe au fait.
Je tourne un regard las vers lui et il se tait en réprimant un sourire.
-Tu te crois drôle avec tes insinuations ?
-Je parie dix gallions que tu auras droit à ta première lettre d'amour avant une semaine.
D'un geste vif je le tape à l'épaule et il sourit de plus belle en s'enfonçant dans son siège à accoudoir. J'ai toujours adoré Remus. C'est un esprit brillant qui ne résigne jamais à la tâche ; sans compter que, derrière sa sage bonhomie, il possède une bonne dose d'autodérision que peu d'autres ont.
Tout à nos chamailleries, je ne remarque pas que le Directeur s'est levé de son siège et qu'il a entamé un discours de bienvenue. Le même que chaque année bien évidemment, les détraqueurs en plus. Sauf qu'à ce moment-là, il se tourne vers nous et tend la main vers Remus.
-...Tout d'abord le professeur Lupin qui a bien voulu se charger des cours de défense contre les forces du mal.
Je reprends conscience à ce moment-là et vois mon ami se lever et saluer la salle d'une petite courbette. Quelques applaudissements plutôt tièdes s'élèvent, sauf du côté de certains élèves de Gryffondor qui frappent vigoureusement dans leurs mains.
Puis vient mon tour. Je n'ai jamais été à l'aise en public, heureusement que je suis une actrice hors pairs.
-Je vous présente également le professeur Tio qui enseignera une nouvelle discipline, optionnelle, et qui fera du soutien dans le cadre du renforcement psychique magique.
Avec une grâce forcée, je me lève de mon siège et leur adresse à tous une élégante révérence à laquelle répondent des applaudissements. Bien évidemment, aucun d'eux n'a ne serait-ce qu'une vague idée d'en quoi la matière consiste, mais je me doute que mon grand sourire est pour quelque chose à cet accueil chaleureux.
-Tu tiens le pari ? me lance Remus, une fois que je suis rassise et que le directeur s'est tourné vers Hagrid pour présenter son nouveau poste.
Je jette un regard au professeur de défense et tends la main sous la table.
-Tope là.
.
Le repas est aussi délicieux que dans mes souvenirs et je me surprends à reprendre trois fois du gratin de pomme de terre tellement celui-ci est divin. Avec Remus, nous discutons de divers sujets d'étude et, alors que je m'y attends le moins, il prend un air sérieux.
-Tu espères vraiment réussir à enseigner la maîtrise du flux magique à tous tes élèves ? me demande-t-il sans ambages.
-Tu doutes de mes capacités, Remus ?
-Non pas du tout, c'est juste que je ne comprends pas que Dumbledore fasse un cours de ton sujet d'étude. Tu m'as dit toi-même que tu mettrais des années à finir ta thèse.
-Hum… En vérité j'ai beaucoup avancé depuis que nous nous sommes vus. J'ai découvert et mis en application beaucoup de choses, et le Ministère…
Il lève les yeux au ciel lorsque je prononce ce mot.
-Le ministère, dis-je en faisant semblant de ne pas avoir vu sa réaction. M'a remis une distinction avant de me ramener au pays.
-Certes, j'imagine qu'ils étaient bien content que tu leur apportes des résultats, mais tout de même ! Tu devrais parcourir le monde à la recherche du savoir plutôt que d'enseigner à des élèves peu attentifs. C'est une matière optionnelle en plus, tu…
-Justement c'est parfait ! Ça me donnera assez de temps libre pour continuer mes recherches et, de toute façon, c'était dans les termes de mon contrat. J'ai été payée pendant mes recherches et, en échange, je dois accepter un poste s'ils l'exigent, j'y étais préparée.
-Beau discours, tu essayes de convaincre qui ? Toi-même ?
D'un geste rapide je lui tape à nouveau sur l'épaule.
-Ils ont d'abord voulu me mettre dans un bureau au département des mystères, mais Dumbledore m'a fait une meilleure offre. J'ai pinaillé pour avoir un bon salaire, mais en réalité je n'avais pas d'autre choix. Tout, mais pas le département des mystères !
.
Lorsque les derniers vestiges du repas disparaissent, le directeur nous annonce qu'il est temps pour tout à chacun de rejoindre son dortoir.
-Je n'ai aucune idée d'où je crèche, je souffle à mon ami en suivant le mouvement et en me levant.
Il ne répond pas et attrape un morceau de papier plié au fond de sa poche.
-Cinquième étage, aile Nord. On ne sera pas loin.
-J'espère bien, je m'exclame, ravie. Si Peeves viens m'enquiquiner, je compte sur toi pour m'aider à lui faire comprendre sa souffrance !
Avec un grand sourire, Remus me fait signe de le suivre et nous montons les étages en esquivant les troupeaux d'élèves qui rejoignent leurs salles communes. Une fois devant le large battant de bois d'une porte en ogive, nous nous souhaitons la bonne nuit et je pénètre dans mes quartiers avec curiosité.
A cet instant j'ai comme l'impression de me retrouver de l'autre côté du miroir et de pouvoir accéder à un savoir qu'aucun élève ne peut espérer atteindre. Cela me donne un sentiment d'importance, mais également celui d'être le plus grand des imposteurs : une petite fille irresponsable cachée dans le corps d'un adulte.
En ouvrant la porte, je découvre une grande pièce couverte d'un épais tapis bleu sombre et comprenant un grand lit à baldaquin trônant à ma gauche. Dans le coin opposé, deux épais fauteuils de velours se serrent autour d'un âtre dans lequel brûle un feu qui réchauffe agréablement l'atmosphère. Mes valises ont été déposées au centre de la pièce et une lettre cachetée m'attend sur le bureau de bois clair, celui-ci reposant sous la fenêtre actuellement cachée par de grands rideaux tirés.
Je pense que je vais me sentir bien ici.
