Mereth Aderthad

Disclaimer : toujours pas à moi...

Cadre spatio-temporel : an 20 du Premier Âge, rives du lac d'Ivrin (Beleriand).

Avertissement : cet O.S. date de ma "phase Maglor", il y a au moins deux ans, et je me décide enfin à le partager. Il est donc centré sur notre musicien préféré (sans offense Daeron !). Soyez prévenus (prévenues ?) : définitivement plus "hurt" que "comfort" !

Mereth Aderthad est la Fête des Retrouvailles, une célébration voulue par le Haut-Roi des Noldor, Fingolfin, pour unir tous les elfes du Beleriand dans la lutte contre Morgoth. De nombreux elfes s'y rendirent, Noldor comme Sindar, dont Maedhros et Maglor mais aussi Círdan, ou Mablung et Daeron comme envoyés de Doriath. Quelle put être l'atmosphère de cette réunion où se retrouvèrent face à face non seulement Noldor et Sindar mais aussi partisans de Fëanor et Elfes ayant dû par sa faute affronter les étendues glacées de l'Helcaraxë ? Certes, de nouvelles alliances furent forgées et peut-être de nouvelles amitiés y virent-elles le jour... mais sûrement la réunion ne fut pas dénuée de tensions diverses.

Une bonne connaissance du Silmarillion et des débuts du Premier Âge est sans doute utile pour saisir tout le sens du récit.

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La fête ce soir-là avait commencé à l'intérieur mais progressivement, tous étaient retournés sous les étoiles qui brillaient presque comme autrefois dans le ciel sans lune.

Une grande tranchée rectangulaire avait été creusée, où des feux avaient été allumés. Des sièges avaient été placés sur un léger plancher temporaire en bois pour les hôtes les plus importants. Fingolfin présidait, Maedhros à sa droite. Les musiciens s'étaient installés sur une estrade légèrement surélevée à l'une des extrémités de la place.

Maglor avait choisi un siège à l'écart, que la lumière des feux atteignait à peine. Il sirotait un verre de vin, le visage dénué de toute expression, à l'image de son esprit.

Il avait discuté un peu plus tôt avec Daeron de Doriath, une discussion soigneusement dépassionnée, portant exclusivement sur les techniques et formes musicales.

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Deux silhouettes sombres vinrent bloquer la vue des flammes. Il leva lentement les yeux jusqu'à rencontrer ceux de Finrod et Turgon. Le blond se laissa gracieusement tomber dans le siège voisin :

« Que fais-tu ici, à broyer du noir dans un coin, cousin ? »

Il haussa les épaules, ne se sentant pas d'humeur à donner des explications.

« Pourquoi ne pas jouer quelque chose ? Cela fait un moment que nous n'avons pas eu le plaisir de t'entendre... »

Maglor n'avait pas même noté que les musiciens avaient quitté l'estrade.

Il jeta un regard à Maedhros, ses yeux silencieusement demandant une autorisation. L'elfe roux le regardait ; il leva un sourcil perplexe mais hocha la tête. Maglor lui lança un petit sourire de façade, qui même à lui sembla un simulacre, et se retourna vers Finrod, curieux et un peu incrédule :

« Tu veux vraiment que je joue ? »

Son cousin le regarda avec un agacement affectueux :

« Kano, tu sais à quel point j'aime t'entendre jouer, non ? Et tu ne t'es pas approché une seule fois des instruments depuis le début des retrouvailles, ni n'as apporté ta harpe..., ajouta-t-il avec un regard éloquent. »

Le barde, laissant délibérément de côté la deuxième partie de la phrase, laissa un sourire amusé détendre ses lèvres :

« Donc, ce que tu veux vraiment c'est pouvoir me soumettre à ta critique sévère et réduire en lambeaux à la fois mes mots et mes mélodies ? »

Finrod rit. Il n'avait pas perdu sa nature enjouée malgré tout ce qu'il avait enduré jusqu'à ce jour. Maglor l'enviait un peu pour cela. Il chassa les sentiments négatifs et s'efforça de se mettre au diapason.

Un instant, il fut tenté de laisser le choix du morceau à Finrod mais la seule perspective de devoir jouer une pièce datant de Valinor suffit à lui retourner l'estomac.

Il se leva et se tourna vers l'estrade, inclinant la tête. La grande harpe s'y dressait solitaire, comme l'attendant. Maintenant qu'il pensait à jouer, il lui sembla que l'instrument l'attirait à lui.

Finrod lui parlait, probablement pour exprimer sa joie ou son impatience, mais Maglor ne l'écoutait pas. Alors qu'il traversait l'esplanade flanqué de ses cousins, à peine conscient des regards qui les suivaient, il se demandait, vaguement inquiet, ce qu'il allait faire.

.oOo.

Finrod et Turgon s'arrêtèrent au bas des marches, prenant place dans les sièges hâtivement libérés à leur arrivée. Maglor s'assit et inclina la harpe sur son épaule, son visage soigneusement neutre. Le poids était familier et ses doigts glissèrent presqu'instinctivement sur les cordes. Le barde était à moitié conscient que tous les yeux dans l'assemblée étaient fixés sur lui, frémissants d'anticipation joyeuse.

Maglor ne les regardait pas ; ses yeux étaient fixés dans le vide alors qu'une seule question tourbillonnait dans sa tête : que puis-je jouer ? Fermant les yeux, il laissa ses doigts effilés errer quelque temps, tissant une mélodie sans but, différente de tout ce qu'il avait jamais composé.

Un long moment passa ainsi, les notes montant et descendant en une harmonie étrange et lancinante, qui n'était ni gaie ni triste, ni triomphante ni défaite, ni exaltante ni endeuillée...

Enfin, Maglor chanta, sans cesser de jouer. Il chanta les étoiles brillantes et la lune et le soleil, les terres vertes et les forêts immenses, les lacs scintillants et les rivières sauvages, les vents puissants et les brises caressantes, et la vie bouillonnante à l'abri des regards, fugace et féroce et fière et éclatante dans ses moindres instants. Et il chanta les amitiés anciennes et nouvelles, la lumière accueillante dans une nuit solitaire, le pain partagé autour d'un feu et le vin bu à la même gourde...

C'était un chant envoûtant mais étrange, parfait dans la forme et les mots mais qui sonnait creux, comme si l'artiste n'y avait pas mis son âme mais simplement forgé ensemble tous les espoirs de ceux qui l'écoutaient, comme s'il peignait un tableau auquel il n'appartenait pas.

Puis, sa voix retomba et seule la harpe continua à dérouler le conte, encore un moment, et puis elle se tut elle aussi.

Un silence pesant suivit, chacun des auditeurs trop hypnotisés pour songer à féliciter le musicien.

Maglor s'esquiva sans bruit dans la nuit. Il se sentait comme une coquille vide et dure, certes toujours droite et fière, mais sans résonnance : il n'y avait plus de cordes à la harpe de son cœur.

La nuit était sombre, le jour long à poindre. L'espoir semblait avoir fui là où il ne pouvait le suivre.