Partie III : Ad vitam æternam...

Chapitre 41 :

Le club est plein ce soir...

Depuis son ouverture, en fin de semaine dernière, il ne désemplit pas.

La foule que j'aperçois à travers la vitre de mon bureau qui domine la grande salle m'avertit de la consommation des clients.

Je me lasse à une vitesse étrange de cette observation. Les rares danseurs sur la piste s'imaginent « coller » à l'ambiance de ce qui est censé être un « véritable » club, se donnent l'illusion d'avoir joué leur rôle dans cet endroit aux allures plus pernicieuses qu'il n'y paraît et bravent fièrement les quelques instants qui les séparent encore de leur prise de l'Extento, avant de rejoindre ceux déjà affalés sur les canapés ou à même le sol, étant tombés du mobilier dans leur délire.

Personne ne va les ramasser et les remettre sur les sofas.

A quoi bon.

Se retrouver affalés sur un plancher sale, auréolé de flaques d'alcool de sueur et de vomi n'ajoute qu'une « dose » d'aventure à leur réveil.

Cela ne paraît que plus vrai à leur yeux.

La décadence n'en est aussi que plus brutale.

Vous avez été le roi dans votre monde... et voyez à quel point vous n'êtes plus rien dans la réalité.

Revenez vous consoler le plus rapidement possible dans cet endroit merveilleux.

Revenez... l'Extento vous attend...

Il est à vous... et vous êtes à moi.

Je suis l'Obscure, la gardienne de vos désirs, celle qui rend votre inconscient possible...

Je suis la destructrice de votre humanité.

J'agite le poignet, le verre s'opacifie et je me détourne d'un spectacle que je connais maintenant par cœur.

Je marche jusqu'à mon bureau et fixe quelques instants la seringue qui m'y attend.

Mes yeux pourpre se détournent de l'objet convoité et l'image d'une Emma souriante apparaît devant eux.

Je n'ai pas le choix.

C'est le seul moyen de la voir sans la tuer.

La fatalité... ne vous avais-je pas dit qu'elle faisait partie de ma vie ?

Je pousse mon peuple à devenir des drogués sans la moindre morale et me voilà moi aussi à devoir user d'une illusion pour continuer à vivre dans cette ville que j'ai crée il y a vingt-huis ans.

Le liquide noir m'appelle doucement et je saisie la seringue, enserre mon bras d'un garrot magique, dépose l'aiguille sur ma peau, là où la veine palpite lentement et pique la barrière de chair atteignant mon sang en un geste d'une douceur infinie.

La douleur ne dure qu'une fraction de seconde pendant que je pousse lentement le piston, et la pénétration du métal à travers lequel se déverse le poison qui remonte le long de ma veine est teintée d'une sensualité qui me révulse et m'attire terriblement.

C'est une chose si peu mentionnée par les anciens junkies... L'incroyable érotisme qu'une simple aiguille dégage...

Vous trouvez cela ridicule ?

Ne faire qu'un avec cet objet qui va vous apporter une félicité merveilleuse est tout bonnement étonnant.

Cet acte n'est que le commencement du véritable rituel.

Se blesser dans la chair pour accéder à la félicitée...

Ne trouvez vous pas cela d'une volupté extraordinaire ?

Prendre une pilule à côté est d'une fadeur dégradante.

Pourquoi croyez-vous que l'Extento soit justement un comprimé ?

C'est plus facile à fabriquer ? Dites-vous.

Oui.

Plus facile à prendre ?

Oui.

Moins dangereux pour la peau ?

Quelle remarque perspicace... vous m'impressionnez...

Pourtant c'est vrai, vous avez parfaitement raison.

Mais arrêtons là le débat sur la meilleur façon de consommer une drogue. Même si celui-ci peut être intéressant, nous dévions de l'histoire...

Celle de la Méchante Reine devenue Obscure et... en quelque sorte junkie.

Junkie... je n'aime pas ce mot, bien qu'il paraisse plus élégant que droguée.

Consommatrice de stupéfiant serait presque plus adapté...

Si je dis en quelque sorte ce n'est pas anodin.

Je ne suis pas une junkie, je ne consomme pas de la drogue à proprement parlé mais plutôt un poison, l'ombrêve sous sa forme liquide.

Ne vous inquiétez pas, sa partie dangereuse a été neutralisée par Gretel

Pourquoi l'ombrêve ?...

Parce que ce poison fait taire l'autre. Vous vous souvenez de lui ? De cette chose qui prend possession de moi et veut tuer la femme que j'aime ?

Cette chose aime l'ombrêve... et se tait quand j'en consomme.

Pourquoi ? Je ne sais pas, c'est un mystère sur lequel Gretel, Drizella et moi continuons de plancher.

Emma Swan essaie aussi de nous aider à sa façon.

Voilà, l'effet commence...

Ne soyez pas étonné par ce qu'il va se passer ce soir.

Cela dit, je vous dois une petite explication sur les conséquences que l'ombrêve a sur moi.

Cette substance neutralise tous mes sentiments, toutes mes émotions, tous mes désirs...

Ce qui signifie que lorsqu'elle court dans mes veines je ne ressens plus la moindre haine pour quiconque et donc pour Emma... malheureusement cela inhibe également mon amour pour elle ou pour Henry.

Quand l'ombrêve circule en moi... plus rien ne m'atteint, plus rien ne m'émeut, je pourrais voir ceux auquel je tiens en temps normal mourir sous mes yeux sans frémir un tant soit peu.

Quand mon regard vire au noir complet – signe que tout mon organisme a absorbé la dose – je ne suis plus rien.

Vous trouvez cela triste ? Terrible ?

Voilà, pour vous, encore une excuse minable qui me sépare d'Emma, un moyen de faire durer le suspense, d'augmenter l'histoire qui aurait déjà due se terminer avant et qui ne fait que traîner en longueur ?

Si vous saviez – à cet instant – à quel point votre mécontentement sur le peu d'avancée que connaît ma relation avec Emma m'indiffère.

Je vous l'ai dit plus rien ne m'atteint, alors faites-vous plaisir...

Pourquoi ai-je pris de l'ombrêve ce soir ?

Je vois que la mutinerie n'est pas unanime...

Pour ceux que cela intéresse, je vais continuer à vous raconter ma vie si peu palpitante, dénuée de suspens pour reprendre des mots que certains m'ont jetés à la face, une vie où l'amour, resté à la porte du garage, en lasse et en ennuie d'autres...

J'ai pris le poison parce que le shérif Swan va nous rendre une petite visite.

C'est la loi. Le club est bondé et elle se doit de vérifier qu'il n'est pas dangereux pour la population.

Oui, elle est au courant pour mes yeux noirs et l'apathie dans laquelle me plonge la substance qui la sauve de ma rage.

Elle déteste ce poison autant que les romantiques lisant cette histoire et cherche désespérément un moyen de me priver des pouvoirs de l'Obscure.

Nous avons d'un commun accord décidé de ne plus nous voir tant que ce problème ne serait pas réglé.

Comprenez-la.

Elle m'aime d'un amour extraordinaire et ne se dresse plus devant elle qu'une femme indifférente. Une femme dont les souvenirs sont intacts mais dont la joie, l'envie, le désir qui s'y rattachent ont eux... disparus.

Croyez-vous qu'elle soit la seule à souffrir dans tout cela ?

Oui, là maintenant je n'en ai cure, mais quand l'ombrêve aura quitté mon organisme je ressentirai tout. Tout ce qui aura été bloqué et en même temps.

Et je vous assure que cela est assez difficile.

Les coups à ma porte annonce l'arrivée de celle que vous me préférez.

Entrez !

Drizella ouvre la porte et laisse passer le shérif Swan avant de s'éclipser après un coup d'œil dans ma direction.

Elle s'inquiète pour moi... contrairement à vous.

— Regina...

Son air de chien battu glisse sur mon indifférence récente.

Emma ne peut pas s'en empêcher, elle sait, elle a vu mes yeux entièrement noirs et espère toujours un miracle.

Si j'étais la Regina qu'elle désire, je lui dirais sans doute que sa ressemble avec ses parents n'a jamais été aussi évidente.

Et que l'espoir est la quintessence des insouciants.

— Shérif Swan, je réponds d'une voix neutre.

La grimace qu'elle masque trop tard ne m'a pas échappée. Elle hantera mes prochains jours et me rongera de culpabilité. Une culpabilité que même la joie d'avoir réussi à la garder en vie du pouvoir de l'autre n'arrivera pas totalement à faire disparaître.

Elle se racle la gorge et s'avance vers la vitre teintée.

— Drizella m'a conduite directement à votre bureau, je n'ai pas encore eu la chance de voir votre club.

— Vous en avez vu une pièce une fois...

Le rappel de cette fameuse visite, celle qui a précédé notre nuit ensemble ne se veut nullement cruel. Elle remémore un fait. Il s'agit d'une réponse au premier degré d'une observation qui était, je suppose... polie et bienveillante.

La seule preuve que ce que je viens de dire lui a fait mal est l'accélération de sa respiration alors que ses yeux fixent toujours le verre opaque.

Mon cerveau enregistre cette nouvelle blessure engendrée par ma froideur impassible. Il la range bien à l'abri afin de l'ajouter à ce mépris de moi-même qui englobera ma culpabilité prochaine.

— Je crois que vous voyez la salle toute entière d'ici... pourriez-vous me la montrer ?

J'agite le poignet et dévoile des personnes heureuses, dansant sur la piste, consommant de l'alcool. En somme, passant une soirée merveilleuse dans un club à la banalité sous-estimée.

Emma pose la main sur la paroi en verre et sourit en suivant des yeux les clients.

L'image en contre-bas se brouille et la réalité s'affiche dans toute son horreur.

— Cela me fait penser à un club d'opiomanes, dit-elle d'une voix calme.

— Je suppose que je dois vous féliciter, vos pouvoirs s'améliorent, réussir à déjouer un sort tel que le « masque du réel » n'est pas donné à tout le monde. Ma sœur vous entraîne bien.

Elle sourit pauvrement.

— Votre sœur n'y est pour rien... je sens quand votre magie est en action Regina, je savais que vous étiez en train de l'utiliser.

— Peut-être... mais de là à la bloquer...

Elle tourne la tête et nos regards se croisent :

— Quoi ? Je vous impressionne ?

— Pas pour le moment, mais dans quelques heures... ce sera le cas.

Emma ne répond pas et rapporte son attention sur les « camés » un peu plus bas :

— C'est le résultat de l'Extento ?

— L'Extento ?

— La drogue que vous avez fabriqué...

— La drogue que j'ai fabriqué... shérif, je ne vois pas de quoi vous parlez...

Elle sourit malgré elle.

— Ce qui vous rend comme ça, précise-t-elle, l'ombrêve, vous enlève toute votre morgue et le talent de menteuse que vous aviez. Vous n'êtes plus qu'une actrice qui joue terriblement faux.

— Vraiment ?

— Même votre « vraiment » n'a pas la moindre âme... c'est tellement déstabilisant, murmure-t-elle pour elle-même.

Elle paraît revenir à l'endroit où nous trouvons et au spectacle en contrebas.

— Vous n'avez rien à craindre de moi...

— Vous êtes le shérif de la ville.

— Et accessoirement la femme qui vous aime.

— Oui, mais est-ce suffisant ? Passeriez-vous outre le sang du héros, du redresseur de tords qui coule dans vos veines... pour moi ? Fermeriez-vous les yeux sur ce que vous voyez en ce moment ? Tous ces hommes et femmes sous l'emprise d'un artifice éphémère au retentissement dominateur ?

Je la vois durement abaisser les paupières car encore une fois, ma remarque énoncée sur un ton dénué de la moindre émotion, l'atteint douloureusement.

— Non, je ne le pourrais pas... c'est la raison de ma démission. Je ne suis plus le shérif de Storybrooke. Je n'en suis plus qu'un habitant lambda...

Cet aveu ne me fait ni chaud ni froid.

— Si vous n'êtes plus le shérif, qui a pris votre place ?

— Alice... pour le moment, mais je suppose que mon père me remplacera dès demain... à l'annonce des résultats...

— L'annonce des résultats ?

— Les élections qui ont pour but d'élire le nouveau maire, vous vous souvenez ?

— Oui.

Emma se tourne vers moi et la question que je m'apprêtais à lui poser meurt sur mes lèvres, la réponse est devant moi.

Sa présence dans mon club n'est due qu'au fait qu'elle avait besoin de me voir. Le désir qu'elle ressent pour moi parvient presque à transpercer cette carapace qui m'entoure.

Presque... ce n'est pas assez.

— Henry doit vous attendre, dis-je lentement.

Je sais que c'est le seul moyen pour lui rappeler que derrière ce masque d'insensibilité, de glace, se cache la femme qui l'aime aussi terriblement, la femme qui partage un fils avec elle.

Elle hoche la tête, comprend ma manœuvre et baisse le regard.

— Je cherche... mais pour le moment je ne trouve pas comment faire, précise-t-elle avec tristesse.

— Je sais.

— Je suis tellement désolée de ne pas y arriver, de t'obliger à faire... ça. Je voudrais partir, te libérer, mais je n'y arrive pas. Je n'ai rien du héros que tu crois que je suis.

Je l'observe en silence et reste d'une immobilité décourageante. Je me doute qu'elle espère un pas de ma part dans sa direction, qu'elle le désire ardemment. Mais ce geste n'aura pas lieu et nous le savons toutes les deux.

Elle esquisse un nouveau sourire triste et se détourne. Sur le pas de la porte elle me regarde une dernière fois.

— Je te promets d'y arriver, de faire en sorte que nous nous retrouvions.

— Ne serait-ce pas à moi de vous faire cette promesse, Emma ?

— Si, mais actuellement, tu en es incapable...

Elle ferme la porte et je regarde à nouveau la foule qui se repaît d'un songe à la durée qu'ils jugent toujours trop court.

.


.

Les dents et les poings serrés, la sueur courant dans mon dos, tremblante comme une feuille, je lutte désespérément contre mon retour sur terre.

Me revoilà bientôt dans la ville de Storybrooke sous mon vrai visage enfermée dans cette « panic room » construite pour ma « chute » lors de l'atténuation des effets de l'ombrêve.

Les murs renforcés de sortilèges étouffent mes cris et protège le reste de la ville de ma magie dont la puissance m'échappe quelques fois. Sans eux, je ne suis pas certaine que Storybrooke aurait survécu bien longtemps.

Je vous épargne les descriptions de ce que je viens de vivre ou de revivre... aussi parce que je n'en ai pas la force.

Je me traîne jusqu'au mur contre lequel je m'assois pathétiquement.

J'agite le poignet et ouvre la porte. Cela n'est pas possible tant que l'ombrêve n'a pas complètement quitté mon corps... une idée de Drizella qui ne fait que prouver son intelligence.

La voilà justement accompagnée de Gretel sur le pas de la porte. Toutes deux me regardent avec compassion et je détourne les yeux.

Je ne le supporte pas.

Tout ceci est de ma faute, si je n'avais pas tué Rumplestilskin...

— Nous aimerions te parler... es-tu en état ou veux-tu que nous te transportions chez toi ?

— Où est Henry ?

— C'est sa soirée avec Emma...

— Alors emmenez-moi à ma bibliothèque, je croasse difficilement.

Le feux de cheminée ranime les couleurs sur mes joues et l'alcool qu'elle m'ont servi réchauffe mon corps.

— C'est Drizella qui a fait le rapprochement, commence Gretel. C'est bizarre que je n'y ai pas pensé moi-même.

— Tu es moins intelligente que tu le crois...

— Drizella, je l'avertie dans un murmure, laisse-la parler.

La jeune femme lève les yeux au ciel mais obéi. Gretel me remercie en souriant et reprend :

— L'ombrêve, pourquoi l'autre l'aime tellement ?

— Je ne sais pas...

— Ce poison est bien une création de Peter Pan, n'est-ce pas ?

— Oui, dis-je, il vient du pays imaginaire et est utilisé par les enfants perdus...

— Et tu as « rencontré » l'ombre de leur chef, l'ombre de Peter Pan, m'interrompt Drizella. Obtenant pour cette audace un regard furibond de Gretel à qui elle répond d'un haussement d'épaules.

— Nous pensons, reprend Gretel que tu n'as pas fait que la rencontrer, qu'il est possible que contrairement à ce que nous avons tous cru, elle ne se soit pas échappée...

Je déglutis en commençant à comprendre.

— Bien sûr, il va falloir vérifier cette hypothèse mais si... l'autre en toi n'était pas dû aux pouvoirs des Ténébreux, mais était en faite...

— L'ombre de Peter Pan, je conclue dans un souffle.