Au loin, l'écho d'une mélopée sacrée se faisait entendre. Dans un des clochers du Temple du Temps, un guerrier épuisé était assis et écoutait sans mot dire les plaintes musicales des hommes de Foi. Il savait à qui s'adressait ses notes et ne pût réprimer un frisson de dégoût. Pourquoi l'aurait-il pleuré alors que cette personne lui avait tout volé ? Son enfance, son amour, sa vie ! Pour ne lui offrir en échange que des fragments brisés d'un avenir qu'il avait dû construire à sa demande royale. Trop jeune pour comprendre, il s'était engagé dans les combats et les voyages temporels. Il avait fait un affront à Chronos lui-même sur la seule base d'un rêve. Une prémonition lui avait-elle dit. En sot confiant qu'il était, il n'avait pas réfléchi une seconde à la véracité de ses dires. Lui, un élu des Dieux, qui devait sauver Hyrule ? Qu'il était doux à l'égo de croire en ces mots. Lui qui était seul au monde avait maintenant une tâche grandiose à accomplir. Quel pied de nez à tous ceux qui s'étaient moqués du pauvre orphelin sans fée qu'il était.

Levant les yeux vers le ciel, il chassa d'un léger coup de tête les mèches blondes qui obstruaient sa vue. Le chant mortuaire s'arrêta enfin. Il regarda en direction du château ce qui raviva le souvenir du premier jour de sa quête. Par contre, le véritable commencement n'avait point été la rencontre avec son amie Navi, comme les bardes le chantaient dans les tavernes. La première étape de cet enfer avait été le rendez-vous secret entre la Sage Impa et le protecteur des Kokiris. Sachant qui elle était aux yeux du vénérable Arbre Mojo, il n'avait pas douté de ses paroles. Elle l'avait mis en garde contre un « vil cavalier du désert » qui conspirait contre le roi de Hyrule. Selon ses dires, il avait volé le pouvoir de Din - déesse de la Force - et la contraignait à user de ses pouvoirs afin de dérober la divine relique cachée dans le Saint Royaume. Il lui fallait également les trois Clefs sacrées dans le but d'ouvrir la porte scellée du Temple du Temps. En tant que Gardien, il se devait de protéger la pierre céleste, peu importait le prix à payer pour se faire. Il savait sa mission importante, c'était bien pour cette raison qu'il avait demandé aux fées de semer des graines de Mojo Baba, en guise de première ligne de défense. Il s'était silencieusement maudit de n'avoir que des guerriers si faibles pour barrer la route de cet homme maléfique, mais il n'avait jamais pensé qu'un jour son peuple, composé d'enfants, aurait pû être la cible d'un ennemi si puissant que même la famille royale se devait d'agir dans le plus grand secret. Puis un jour, il était apparu. Lui qui devint le Seigneur du sang. Le traître de la couronne.

Ganondorf.

Les plantes belliqueuses ne furent pas d'une grande utilité, car d'une simple flamme il s'était frayé un chemin jusqu'à lui. Cependant, il était pure folie de croire que son immobilité naturel le rendait impuissant. Le gardien sylvestre fit sortir de terre ses imposantes racines afin de frapper le corps de son adversaire. L'hoir du désert, surpris par son attaque, eut tout juste le temps de se propulser dans les airs.

« Écoute-moi ! Je ne suis pas ici pour les raisons que l'on t'a dites ! »

Le vénérable Arbre Mojo n'écouta aucun de ces mots. Que des mensonges, il ne le savait que trop bien ! Il continua son enchaînement de coups toujours plus puissants que le précédent. Hors d'haleine, le roi des Gérudo posa un pied un sol. Il ne pourrait continuer ainsi à esquiver... Il devait se faire entendre, d'une façon ou d'une autre. Si seulement il avait pu y arriver...

« Je ne te veux aucun mal ! Tu as été trompé ! Je t'en prie, accorde-moi seulement quelques instants.
— Crois-tu que je puisse me laisser berner par tes paroles ? Que je puisse douter de la Princesse de la Destinée !?
— Elle ment ! » fut tout ce qu'il avait pu hurler avant de voir une kyrielle de petites sphères vertes être propulsées contre son corps.

Il avait l'habitude des combats, mais sa défense contre la magie était relativement faible, c'était là le talon d'Achille de la Force. Le souffle coupé, les genoux et mains au sol, il sentait sa chair brûler. S'il avait pu, il aurait hurlé sa géhenne. Il aurait supplié le gardien sylvestre de le croire. S'il en avait eu le temps, il aurait trouvé un autre moyen que ce qu'il avait dû s'abaisser à faire.

« Pardonne-moi, » avait-il pensé.

Le visage marqué par la souffrance, la mâchoire crispée, il leva ses yeux corallins vers le ciel. Encore une fois, il devait user de ce pouvoir. La respiration haletante, il trouva la force de hurler un nom : celui de l'être qui l'avait maudit et condamné à n'avoir que haine et rejet partout où il allait.

« Din ! »

Une lumière dorée aux reflets écarlates inonda le ciel et tomba en fins faisceaux des nuages. À l'entente de ce nom sacré, la main de la colère se referma sur le cœur du vénérable Arbre Mojo.

« Comment oses-tu profaner Son nom ! »

Sans prendre la peine de lui répondre, il fit apparaître la section haute de la Triforce. Le triangle se posa sur le front du protecteur de la pierre sacrée. Ses branches se raidirent, son écorce sécha... Il sentit le labyrinthe caché en son être se peupler de créatures. Il voulut lui proférer mille menaces, mais sa mandibule était trop difficile à bouger. Il se sentait paralyser, démuni face au pouvoir divin qui venait de le maudire. Il n'avait pas besoin d'explication de la part de ce chien du sable, il le savait, une aura puissante se cachait au plus profond de son être. Il pouvait ressentir la vibration de ses pas jusque dans ses feuilles.

« Elle ne doit pas réussir. Quitte à devoir tous vous éliminer, elle ne pourra pas gagner ! » grogna le possesseur de Din.

Ses paroles avaient été la seule vérité qui se devait d'être connue, mais elles avaient été interprété comme une menace et donc, confirmaient les dires de la princesse de Hyrule. Malheureusement, Ganondorf n'avait plus la force de lui révéler ce qu'il se tramait réellement au palais. La lumière rouge s'atténua et, avant de disparaître, elle fit léviter le corps ensanglanté de l'homme et le téléporta à sa tribu afin d'être soigné. Ce ne fut qu'après avoir reçu cette malédiction que le premier jour de la nouvelle vie de Link avait commencée. Il avait tout sacrifié pour une femme dont personne n'avait osé remettre la parole en doute : pas même lui. Pourquoi l'aurait-il fait ? Toute cette histoire sonnait tellement juste ! Il y avait un méchant à abattre, une princesse à protéger, un monde à sauver...

Mais qu'en était-il de la vérité ? Que se passait-il véritablement à cette époque ? L'histoire qui aurait dû être connue de tous n'était point réjouissante. Il n'y avait ni gloire ni lumière. Il ne s'agissait que de trahisons, de mensonges, de duperies, de manipulations ! Et à tout cela, il fallait un bouc-émissaire... et qui de mieux que le conseiller militaire du roi ? Il était la cible parfaite de part sa position ! Il n'était pas bien difficile de laisser croire qu'il chercherait des failles à l'armée de Sa Majestée. Des rumeurs allaient et venaient régulièrement sur cet homme froid et sans pitié au combat. Les Gérudo étaient connus pour leur habileté au maniement d'armes en tout genre. Un peuple fier, marchant la tête haute, qui provoquait l'envie des soldats Hyliens dès qu'ils entendaient la moindre éloge sur ce peuple qui n'était composé que de voleuses ! Des femmes, selon eux, n'avaient rien à leur apprendre. Elles devaient être soumises telles les juments dont ils faisaient l'élevage.

Link devait bien admettre qu'il avait été de ceux qui avaient partagé cette idée misogyne. Comme il avait pu maudire ces amazones lorsqu'il avait été emprisonné alors qu'il avait tenté d'infiltrer leur camp. Fallait-il qu'il soit finement manipulé pour croire, ne serait-ce qu'un instant, qu'il avait une chance de tromper la vigilance de ces femmes ? Il s'en voulait de s'être moqué d'elles alors qu'il les entendaient, depuis sa cellule, louanger leur roi. Il s'était fait violence lorsque la maîtresse de la forteresse lui avait remis un laisser-passer et avait osé le comparer à leur souverain.

Et pourtant, il n'y avait pas plus beau compliment. Aujourd'hui, il l'avait enfin compris. Mais il était bien trop tard. Que pouvait-il faire maintenant ? Il ne pouvait débouler dans le Temple du Temps et hurler au monde la vérité sur Zelda. Il aurait été emprisonné aux côtés de Ganondorf dans l'instant. S'il n'était pas là, les Gérudo perdrait un allié de taille contre Hyrule. Il ne se faisait guerre d'illusion quand à l'avenir de ce peuple maudit. Tout le monde demandait réparation pour les sept d'années digne de l'enfer qu'ils avaient vécu. Le principal responsable avait été puni sans que le peuple ne puisse le lapider, comme ils avaient demandé à leur reine. Un châtiment qu'elle n'aurait jamais permis, même s'il avait été plus léger, puisqu'elle donnerait une opportunité rêvée à cet homme qu'elle craignait tant de hurler la vérité ou de s'enfuir. Elle n'aurait jamais pris ce risque. Dès que Link l'avait vaincu dans la tour, elle s'était empressé de l'envoyer dans le Sacred Realm. Une décision logique, encore une fois, si l'on s'en fiait à son histoire.

Mais tout cela n'était qu'illusion. Son sang bouillonnait dans ses veines tant il se sentait impuissant. Il était coincé, tout comme l'avait été Ganondorf. Si seulement il avait pu comprendre plus tôt !

La vérité était si laide et égoïste... Le point de départ de cette histoire avait été une soi-disant prophétie. Comme elle l'avait dit, une guerre approchait : mais elle souhaitait cette guerre. Elle voulait avoir entre ses mains les pierres philosphales des Sages. Des reliques puissantes qui permettrait à cette reine de gouverner les peuples de Hyrule ainsi que les déesses.

Ganondorf avait bien tenté de se faire entendre auprès du roi, qu'il était insensé de donner crédit aux paroles d'une enfant, même si elle était de sang royal. Mais il n'en avait pas fallu plus pour que le roi tende l'oreille à la nourrice Sheikah puis à sa protégée.

« Si tu es bien celui qu'elle prétend, alors tu as toutes les raisons de vouloir la soustraire à ma vue. Par contre, si elle a tort, tu n'as rien à craindre de l'exil, n'est-ce pas ? »

Une logique tout aussi stupide qu'archaïque. Il n'avait plus eu d'autres choix que de courber l'échine et trouver une solution aux mensonges de la dauphine. Il s'était donc présenter aux sages d'Hyrule, dans l'espoir de leur faire entendre raison. Il avait proposé son aide en échange des pierres pour ainsi pouvoir en mettre, ne serait-ce qu'une seule, en sécurité. Din, elle-même, s'était portée volontaire pour aider le roi du désert. Depuis les Cieux, elle avait vu ce qui se tramait et n'avait pu rester immobile, contrairement à ses soeurs. Nayru, souveraine de l'ordre, s'était violemment opposé à son départ, disant que c'était le choix des créatures de Farore et qu'elles ne devait pas interférer dans le cours du temps.

Tout comme celui qu'elle choisit comme hôte, elle n'avait que peu d'intérêt aux arguments vides. Elle avait brisé la Triforce à ce moment. Les deux autres soeurs n'eurent d'autres choix que de trouver des hôtes elles-aussi afin de protéger leur création respective. Cette décision avait été bien facile à faire. L'une devait posséder une figure d'autorité et l'autre une être résistant capable de défendre toutes les créatures vivantes. Comme la première était encore une enfant, ce n'avait été que par pur hasard que Link avait été choisi. Lui, l'Hylien qui se croyait être un Kokiri. Lui qui devait protéger le monde des fées et qui pouvait le quitter et y revenir sans se perdre ni se transformer en monstre hideux et sans visage.

Elles avaient donc manipuler les songes de la princesse pour qu'elle trouve l'éclat verdoyant de la forêt et que ce dernier entrevoit la dauphine en danger afin qu'il lui accorde sa confiance, aveuglément. Link ne saurait dire si cette querelle sororale avait été planifié par Zelda, mais cette hypothèse ne sonnait pas faux à ses oreilles.

De nouveau, il entendit les cloches résonner, pour une dernière fois. Baissant les yeux, il vit le cercueil de cette vipère être porté jusqu'aux portes du bourg. Les gardes le portaient fièrement jusqu'à Kakariko où elle reposerait près de ses ancêtres.

Il eut l'envie soudaine de descendre de ce toit, voler le corps et le jeter au plus profond du volcan de la montagne du désespoir, mais il n'en fit rien. Elle avait échoué après tout, le peuple était enfin en paix.

Dictatrice, voilà ce qu'elle était.

Elle voulait contrôler tous les peuples.

Elle voulait contrôler les Sages sacrés.

Elle voulait contrôler le temps.

Et elle avait réussi. D'une main de maître.

Quoi de mieux pour asseoir son pouvoir que de créer un important conflit et s'appuyer sur des vieilles légendes pour créer un lien de confiance qui lui donnerait suffisamment de pouvoir afin de sauver le monde ! De cette victoire, elle obtiendrait le pouvoir absolu de tout diriger sans qu'aucune forme vivante ne puisse la contredire.

Les seuls êtres vivants qui le pouvaient était Ganondorf et Link. L'un fût emprisonné et l'autre fut renvoyé à son état d'enfant. Seulement, un petit détail avait échappé à la princesse. Le Héros du Temps avait reçu un 'cadeau' en guise de pardon de la part de Farore. Il n'avait rien oublié ! Tout était encore intact dans sa mémoire : tous les combats, les mots, les décisions... Tout était là, inscrit en lettres de feu dans son esprit.

Naturellement, Zelda s'était empressé de dire à ses sujets épuisés que le Héros était retourné à sa vie et souhaitait demeuré dans l'anonymat. Qui aurait contredis cette femme ? Les Sages ? Ils ne le pouvaient plus. Ils étaient prisonnier de la chambre sacrée et n'était que de vulgaires esprits à présent. Tous étaient mort pendant la guerre. Ils ne pouvaient interagir que via les possesseurs de la Triforce, après tout.

Des années durant avait-il tenté de se faire entendre, de trouver une solution pour libérer les Sages et Ganondorf de l'emprise de cette femme, mais elle avait su se protéger... Elle était maintenant décédée et lui était à un âge avancé.

Tout ce qu'il avait réussi à faire avait été d'écrire la véritable histoire de la guerre de sept ans et de le cacher au coeur du petit arbre Mojo. Le prochain héros le trouvera sans doute et saura qu'il ne doit absolument pas révéler où se trouve les pierres. Il devra les protéger, elles, ainsi que les peuples d'Hyrule, de la famille royale.

Soupirant, il baissa de nouveaux les yeux afin de s'assurer que la place du marché était libre. Lorsqu'il en fût certain, il descendit et appela sa fidèle Epona puis se dirigea lentement vers le désert.

Il se retourna une dernière fois vers le bourg et ne fut pas surpris de ce qu'il vit près de la grande porte. Là, se tenant la tête haute, se trouvait Zelda qui souriait fièrement. Elle venait lui faire savoir que peu lui importait ce qu'il tentait, parce qu'elle n'abandonnerait jamais Hyrule. Seule la mort pourra le libérer de sa présence. Comme pour le rendre plus misérable encore, un orage éclata et il ne fallut pas longtemps avant qu'il ne soit trempé jusqu'aux os.

Il détourna son regard pour le diriger vers la terre d'exil où le soleil brillait encore timidement.

Ce fût à ce moment qu'il s'autorisa à accepter ce songe qu'il s'était refusé d'écouter.

Plus jamais il ne viendrait à la défense de ce monde.

Qu'Hyrule se noit sous cette pluie infernale ! souhaita-t-il.

Note de l'auteur :

Si jamais vous ne comprenez pas la fin de ce OS, c'est que vous n'avez probablement pas joué à Zelda Wind Waker. Je vous invite à le faire ! Mais si vous ne le souhaitez pas, disons simplement que Hyrule a été engloutie sous les eaux et seules quelques vestiges sont demeuré à la surface. Tous attendaient la venue du Héros du Temps, mais il n'est jamais venu.

J'aime à penser que Nayru et Farore lui ont accordé ce souhait. Après, est-ce le cas : difficile à dire ! A chaque pour son contre, comme on dit.