Cet os est écrit pour un jeu du FoF, il fallait le rédiger sur le thème "rejet" en une heure. Pour plus de précisions vous pouvez m'envoyer un mp.

L'histoire se passe peu après la fin de la série, donc spoilers !


Ce qui est le plus oppressant, c'est le silence.

Les frères sont habitués au bourdonnement incessant des pensées qu'ils se partagent les uns les autres, à un seul esprit connecté au leur, à la ligne directrice que leur conscience doit suivre, comme un fil blanc dans la nuit.

À présent le Grand Maître est mort, et il n'y a plus que ténèbres. Lorsque les clones tournent leur esprit vers eux-mêmes, leurs pensées sont plongées dans une solitude atroce. Ils ne peuvent même plus se connecter à leurs frères pour y chercher un peu de réconfort. Leur conscience résonne dans le silence.

Ils sont cinq, cinq frères hagards qui se sont enfuis après la défaite du Grand Maître, sans savoir où aller ni quoi faire. Ils sont cinq frères effrayés, rejets d'un système révolu et jetés dans un monde inconnu.

Voilà des jours qu'ils ont marché, erré sans but. Leurs pieds sont en sang et leur estomac gargouillent bruyamment, mais ils acceptent leur douleur sans aucune plainte. Ils ont pris refuge dans une grotte pour reprendre leur souffle.

Grave erreur, comme le prouve l'arrivée d'un ours, furieux de voir son territoire transgressé. La bête se dresse sur ses pattes arrières et gronde comme le tonnerre, rugissement qui glace les clones de terreur. L'un des plus vieux frères fait barrage de son corps pour protéger ses semblables, en vain, car l'ours le balaye comme s'il n'était qu'une vulgaire brindille. Les clones sont acculés face au mastodonte.

Le plus jeune frère se demande si c'est comme ça qu'ils vont mourir, tués par un stupide animal. Mais personne n'entend ses pensées.

Puis un sifflement déchire l'air et une lance se plante dans le crâne de l'ours. La bête pousse un râle étranglé avant de s'effondrer en faisant trembler la terre. Derrière lui se tient une autochtone, un petit bout de femme ridée aux cheveux argentés, vêtue de peaux et armée jusqu'aux dents.

Les clones restent immobiles, ils retiennent leur souffle tandis que l'ours expire. La chasseresse leur lance un regard dur comme l'acier et elle fait claquer sa langue, un son désapprobateur. Envers qui, les clones l'ignorent.

- Des soldats de la Horde, hmm ?

C'est tout ce qu'elle dit avant de déloger sa lance de la chair de l'animal d'un mouvement souple du poignet. Elle fait léviter l'arme puis la plante dans la terre, dégaine un couteau de sa ceinture et tranche la gorge de la bête pour mettre fin à ses souffrances.

Les clones ont déjà tué. Le Grand Maître leur a montré comment ôter brutalement la vie. Mais pas comme ça, pas comme la chasseresse. Il n'y a que du respect dans ses yeux pour l'ours qu'elle a vaincu. Elle s'agenouille devant la dépouille, elle sort ses outils et ignore les clones tandis qu'elle commence à dépecer l'animal.

Les clones ne partagent plus le même esprit, mais ils savent, instinctivement, que s'ils attaquent maintenant, ils ne sortiront pas vivants de ce combat. La chasseresse a tué à mains nues la bête qui a failli les massacrer. Les clones sont peut-être confus et perdus dans ce monde nouveau, mais ils ne sont pas idiots, ni suicidaires.

Le plus vieux presse sa main sur son épaule, là où les griffes se sont enfoncées, pour arrêter l'hémorragie. L'instant d'après il se reçoit des bandages dans la figure. Ils viennent de la chasseresse, qui n'a pas levé les yeux de son ouvrage.

- Nettoie la plaie, ordonne-t-elle froidement, mais sans méchanceté. Elle sait qu'une infection peut être fatale.

Le plus vieux frère lui lance un regard perplexe. Les clones ne connaissent pas les blessures ; les légères sont traités dans les cuves. Si elles sont trop graves, alors le frère est tué.

La chasseresse pousse un soupir, essuie ses mains et se lève. Le plus vieux frère la laisse approcher, trop épuisé pour oser montrer les crocs. Il manque de protester quand elle déchire son uniforme pour exposer sa plaie, mais le regard sévère qu'elle lui lance fait taire les mots dans sa gorge. Elle attend tout juste le torse du frère, pourtant elle le fait asseoir au sol aussi facilement que s'il était un jeune enfant.

- C'est superficiel, déclare-t-elle après une brève examination. Tu vivras.

Vivre ? Vivre où ? Les frères n'ont plus rien. Ils ont tout perdu avec la mort de leur Grand Maître. Ils ignorent où aller.

La chasseresse n'entend rien de leur tumulte intérieur. Elle sort une bouteille d'alcool de sa besace ; c'est du feu liquide qu'elle verse sur les griffures, mais le plus vieux frère connaît la douleur et il l'accepte stoïquement sans sursauter ni même gémir.

Les plaies sont refermées et bandées, la douleur se réduit à un picotement que le plus vieux frère parvient à ignorer. En revanche, il ne peut cacher le gargouillis qui secoue son ventre ; le bruit est si fort qu'il en rougit de gêne.

La chasseresse hausse un sourcil, sans étonnement ni pitié. Ceux qui ne connaissent rien à la forêt finissent toujours l'estomac vide, c'est un fait.

Elle a entendu le message de la princesse Entrapta, comme tant d'autres. Les clones doivent être ramenés au château, pour qu'on puisse s'occuper d'eux, les aider à prendre en main leur nouvelle liberté, et également les protéger d'une population en grande partie hostile. Mais le château est à des journées de marche et ces âmes perdues tiennent à peine debout. La chasseresse n'apprécie pas les intrus dans sa forêt, mais elle ne va pas les forcer à partir alors qu'ils sont aussi faibles.

- Il me reste du pain et des gâteaux, déclare-t-elle en se relevant. Si vous en voulez, aidez-moi à transporter la carcasse jusque chez moi.

Les clones se regardent, surpris par la proposition, et ils ignorent quoi répondre. Mais la décision est vite prise, du fait de leur ventre qui gronde bruyamment. Ils sont peut-être sans repères, mais ils savent que survivre est nécessaire. Alors ils acquiescent, parce que qu'est-ce qu'ils peuvent faire d'autre ?

Mais la chasseresse, aussi sévère soit-elle, ne les rejette pas. Bientôt les clones peuvent se repaître tout leur soûl et calmer la faim qui leur tenaille le ventre. Rassasiés, ils se blottissent devant la cheminée, pour s'endormir comme des souches.

Plongés dans un sommeil sans rêve, ils ne remarquent la chasseresse qui dépose délicatement une grande couverture soyeuse sur leurs épaules.