L'enfant sanglotait, regardant son père qu'on pouvait qualifier de plus qu'émécher. Elle était recroquevillée dans un coin de sa chambre, pleurant sous la douleur de ses blessures.

Encore une fois.

– Arrête de chouiner, et va me chercher une bouteille de whisky, grommela Peter, en avisant son verre vide.

– On… On est dimanche, murmura la petite fille, en essayant de se relever. Tout est fermé…

– Putain ! jura l'adulte, en explosant son verre à terre, la faisant sursauter, avant de lui lancer un billet. Débrouille-toi.

Ne voulant pas rester plus longtemps face à son père, Maëva se releva, empocha le billet et sortit de sa maison dans l'objectif de trouver une épicerie encore ouverte, et pas trop regardante à cause de son âge. Enfin, quand on voyait son père, ça ne donnait pas envie de boire, ne serait-ce qu'une seule goutte d'alcool, si faible volume soit-il.

Elle baissa la tête en croisant des voisins qui la regardaient avec pitié. L'alcoolisme de son père était connu, surtout depuis que sa mère était partie, et ils savaient très bien qu'il était violent. Ils le savaient, mais ne faisaient rien. Marchant dans la rue en cherchant un magasin, elle soupira dans un sanglot. Son dos était en feu, ses côtes lui faisaient un mal de chien, et un tambour avait élu domicile dans son crâne. Mais bon, elle allait attendre que ça passe, comme d'habitude.

Une heure plus tard, elle retourna chez elle, une bouteille en verre dans un sac en plastique blanc. Après plusieurs essais infructueux, des menaces d'appeler la police, des sous-entendus graveleux, elle avait réussi à trouver une boutique qu'on pouvait qualifier de louche, mais qui se fichait de savoir pour qui était l'alcool du moment qu'il était payé.

Décrétant que son père n'était plus à 5 minutes près, elle s'assit dans un parc, laissant le soleil réchauffer sa peau blafarde, et panser sa douleur. Demain, tout ira mieux. Elle retournera à l'école, retrouvant Ruby et Céleste, apprendrait des cours passionnants…

Oui, elle avait hâte. Surtout, hâte d'être loin de son père. Du moins, jusqu'aux vacances d'hiver. Bien sûr, elle pourrait rester au château, c'est ce qu'elle avait fait l'année dernière. Mais il lui avait fait payer cet été. Si elle n'était pas là, qui pourrait aller lui chercher ses bouteilles ? Qui ferait les courses ? Sur qui passer ses nerfs quand il perdait aux paris en ligne ?

.

– Je suis rentrée, informa-t-elle.

– Pas trop tôt. Tu as ma bouteille ?

Sans répondre, elle se contenta de lui tendre la bouteille, avant de ramasser les cadavres de bières qui s'amoncelaient. Son père était indifférent à ses faits et gestes, trop concentré sur son match de football, espérant toucher le pactole. Elle se demandait comment il arrivait à payer le loyer et les factures alors qu'il pouvait passer des centaines de livres sterling dans des jeux à gratter, paris en ligne, envoi de messages dans les jeux télévisés, et autres lotos. Peut-être qu'il existait encore une part de raisonnable en lui.

Une heure plus tard, elle avait rangé et nettoyé suffisamment la maison pour ne pas que cela ressemble à une porcherie. Après avoir exaucé les souhaits de son père — va me chercher ci, fait ça, donne-moi ça — elle monta dans la salle de bain pour se nettoyer et se délasser dans l'eau chaude. Cependant, il lui restait encore une chose à faire avant.

– Dégage, ordonna son père, qui ne voyait plus l'écran.

– Papa, est-ce que demain tu peux me poser à la gare pour prendre mon train ? demanda-t-elle, dans un souffle.

Elle l'entendit faire un reniflement amusé, avant de se lever, et de s'approcher, en gueulant de dégager, ou qu'il allait l'exploser.

Effrayée, elle courra jusqu'aux escaliers, montant quatre à quatre les marches.

Elle avait essayé… Même si l'hiver dernier, il était revenu avec un abonnement de transport, et avait décrété qu'à bientôt 13 ans, elle était assez grande pour se débrouiller toute seule pour aller dans son école de fou.

S'enfermant dans la salle de bain, elle soupira avant de se faire couler un bain. En enlevant son t-shirt, elle poussa un gémissement sous la douleur causée par les mouvements, puis regarda sa peau, où des hématomes plus ou moins gros avaient fleuri.

Se détachant du miroir, elle entra dans le bain chaud, s'enfonçant sous l'eau pour ne laisser que ses cheveux noirs bouclés flotter à la surface. Elle resta le plus longtemps possible avant que ses poumons ne lui réclament de l'air. Elle remonta à la surface, répétant tout bas qu'elle n'avait pas mal. Hormis les hématomes sur son thorax, elle avait aussi des plaies, et des coupures plus ou moins profondes étaient présentes sur ses mains, causées par les tessons de verre brisé qu'elle ramassait à longueur de journée. Coupure à cause des tessons, mais pas que.

Des cernes violines soulignaient ses yeux noirs, aussi foncés que ceux de ses parents étaient clairs, montrant ses nuits d'insomnies et de cauchemars. Fermant les yeux, elle soupira.

.

Un tambourinement incessant la fit se réveiller. Elle s'était endormie dans le bain.

– Bouge-toi, tu prends trop de temps !

Paniquée, elle vida l'eau du bain, sortie de l'eau en dérapant sur le tapis de bain, enfila un peignoir et sortit de la pièce, tête baissée pour ne pas voir le regard de son père. Demain, tout ira mieux.

.

Quand Maëva se réveilla, le jour n'était pas encore levé. Elle s'habilla de son uniforme, mis à part la cape et la cravate qu'elle rangea dans son sac à dos. Elle passa dans la salle de bain, prenant le temps de coiffer ses belles boucles noires qui faisaient des envieux. Des cheveux noirs, provenant probablement d'un de ses vrais parents. Ses vrais parents… oui, elle avait été adoptée. Elle l'avait appris à la dure, lorsque son père, dans ces instants où le chagrin était trop fort, venait la frapper pour lui rappeler que tout était de sa faute. Que rien de tout ça ne serait arrivé s'ils ne l'avaient pas adopté, elle.

Soufflant, elle posa la brosse à cheveux d'une main tremblante, avant de prendre du fond de teint. Ils ne devaient rien savoir. Elle le méritait.

Comme à chaque rentrée et retour de vacances, elle était la première à arriver sur le quai 9 ¾. Plus tôt elle partait de chez elle, plus elle avait de chance de ne pas croiser son père, et de se prendre une raclée pour un prétexte absurde.

Le train rouge et doré était déjà à quai, n'attendant plus que les élèves. Au loin, discutant avec une autre personne, elle vit le machiniste la saluer, lui faisant remarquer sa ponctualité, comme toujours. Et comme toujours, elle bafouilla une excuse en mettant en avant que son père travaillait tôt, puis monta dans un wagon, pour ne pas avoir plus de questions.

Assise dans un compartiment choisi au hasard, elle grignota le pain au chocolat et le jus de fruits acheté avec l'argent piqué à son père sur la monnaie de la bouteille de whisky. Elle était sûre qu'elle allait être punie pour ça, mais ce n'était pas son coup d'essai. Utilisant son sac de cours comme coussin, elle s'allongea sur une banquette, espérant trouver le sommeil qui lui avait fait défaut trop souvent pendant ces vacances.

Après vingt-minutes à se tourner et se retourner, incapable de trouver le sommeil, elle sortit un livre de cours, et commença à travailler dessus. Elle était loin d'être idiote, mais ses notes ne reflétaient pas son niveau réel. À quoi bon travailler dur ? Pour qui ? Personne n'allait l'accueillir en lui demandant si tout s'était bien passé à l'école, si elle avait de bonnes notes, si elle avait fait tous ses devoirs. Elle s'était habituée. Elle se contenta de rester dans la moyenne pour ne pas être remarquée, contentant sa soif d'apprendre à la bibliothèque, en faisant des recherches de son côté.

– Salut, salut ! s'exclama une voix en ouvrant la porte brusquement.

Sursautant, elle fit tomber son crayon à papier et son livre, dans un air effrayé.

– Oh, désolée, je ne voulais pas te faire peur, déclara Céleste, en déposant sa malle dans un filet.

– Hum, laisse, c'est moi. J'étais dans mes pensées.

– Et à quoi pensais-tu ?

– Euh, je me demandais si l'on allait avoir beaucoup de nouveaux.

– Tu te poses vraiment des questions étranges.

Maëva haussa les épaules avec un faux sourire, avant de se baisser pour ramasser ses affaires. Sans prévenir, elle se releva subitement, sous le regard perplexe de son amie.

– Toilettes, s'excusa-t-elle, en sortant du compartiment, abandonnant livre et crayon toujours sur le sol.

Marchant d'un pas rapide, elle évita le chariot à confiserie, d'autres élèves, passa devant des compartiments avec plus d'élèves que de place, avant d'atteindre enfin les toilettes. Le train avait maintenant pris de la vitesse, et quittait peu à peu la ville.

Après avoir vérifié qu'il n'y avait personne, elle verrouilla magiquement la porte puis quitta son t-shirt à manches longues qu'elle mettait sous sa chemise. Dans le miroir, elle pouvait voir que ses plaies s'étaient rouvertes. Le sang commençait à laisser des traînées rouges sur le tissu blanc. Elle effaça une larme, pinçant les lèvres.

– Fais chier, souffla-t-elle, en inspectant son t-shirt, puis en lançant un sort pour faire disparaître les taches.

Satisfaite, elle pointa la baguette sur elle-même, conjurant des bandages sur son torse, empêchant un gémissement de douleur de sortir tandis que ses côtes criaient au supplice. Après avoir repris un souffle convenable, elle vérifia que son maquillage n'avait pas coulé, et sortit des toilettes, récoltant quelques exclamations mécontentes des élèves qui attendaient depuis un moment.

Quand Maëva retourna dans son compartiment, elle vit que son amie Ruby, ainsi que Maxime et Max avait rejoint Céleste.

– Je vous ai manquée ? lança-t-elle, pour ne pas avoir de questions.

– Pas du tout, plaisanta Céleste, faisant rire le groupe.

– Ça me touche, merci.

– Ne me remercie pas, t'inquiète, on est quitte !

La jeune fille leva les yeux au ciel, amusée, s'asseyant prudemment à côté de Matt. Elle remercia en pensée son amie qui avait rangé ses affaires dans son sac.

– Une partie de bataille explosive ? s'enquit Céleste en sortant le jeu de cartes.

– Au fait, vous abandonnez votre favori ? demanda Maëva aux garçons.

– Anderson est occupé à terroriser les premières années.

– Le contraire m'aurait étonnée, commenta Ruby.

– Vous croyiez qu'il va vous rejoindre quand il aura fini ? demanda la Serpentard, en battant les cartes.

– Oui, il m'a dit qu'en même temps il te cherche pour passer le trajet avec toi, plaisanta Matt.

Voyant le regard interloqué de leur amie, Théo s'esclaffa, en lui donnant un coup de coude dans les côtes.

– On plaisante ! il ne viendra pas ici.

– Ça va ? demanda Céleste, inquiète. Tu es devenue hyper pâle.

– Oui, croassa-t-elle, en reprenant son souffle qui s'était coupé. Oui, laisse-moi le temps de m'en remettre, j'y ai vraiment cru. J'ai vraiment cru que les vacances avaient fait du bien à Anderson Rosier et qu'il était devenu un gentil Poufsouffle.

Maëva fit un sourire en entendant le rire de ses amis. Ce n'était pas un secret que Anderson et elle se détestaient. Essayant de s'étirer discrètement pour espérer délaisser ses muscles fourbus, elle grimaça légèrement, n'ayant réussi qu'à se faire plus de mal, et le coup dans les côtes de la part de son ami n'avait rien arrangé. Merci papa… pensa-t-elle, amèrement.

– Bon, on joue ? lança Maé, en sentant le regard songeur de Céleste.