Les Anglais ont débarqué


C'était un matin ordinaire.

Rose était attablée à table, occupée à dévorer ses tartines et siroter son thé, lorsque cela arriva.

Un instant tout allait bien, et la seconde suivante, elle sentait quelque chose couler entre ses cuisses.

La blonde retint un grognement.

Merde.

Sérieusement, maintenant ?

En plein petit-déjeuner ?

Avec ses deux amis à coté ?

Le corps des femmes craignait.

Ce n'était pas parce qu'elle voyageait dans le temps et l'espace que ses règles en disparaissaient.

Son cycle semblait s'être espacé depuis son arrivée sur le Tardis, pour une raison mystérieuse que la blonde n'était pas disposée à explorer. Peut-être était-ce le vortex du temps ? Est-ce qu'il pouvait influencer ses hormones ? Seul le Docteur aurait pu lui répondre, mais Rose n'était pas friande à l'idée de lui poser la question.

Ça ne va pas, non ?

Les règles étaient assez casse-pied comme cela, pas besoin de s'humilier davantage en gênant son ami avec des questions.. déplacées.

Non non non.

Rose s'était toujours débrouillée seule, et elle continuerait ainsi.

Qu'est-ce qu'elle était sensée dire, de toute manière ?

« Hé, heu, dites, Docteur, je me demandais, mes règles sont chamboulées depuis que je voyage avec vous, vous croyez que c'est grave ? Un petit scan rapide ? Juste comme ça, hein, pas la peine de se rendre sur une planète spéciale, c'est juste que c'est stressant ».

Ouais, non.

Absolument pas.

Rose manqua jurer tout haut en sentant l'humidité augmenter entre ses jambes.

Il fallait qu'elle sorte de cette pièce, et vite, avant que la situation ne devienne réellement gênante, et qu'elle se meurt d'embarras.

Mais sortir signifiait bouger, et se lever, et risquer de sentir le sang glisser un peu plus sur sa peau et son jean...

Aaaaarg, et l'odeur.

Quelle horreur.

Pourquoi était-elle née femme ?

Les hommes n'avaient pas ce problème.

Et apparemment, certaines femmes ou membres féminins d'autres planètes non plus.

Pourquoi était-elle née sur Terre ?

Au moins, elle avait tout ce qu'il lui fallait dans sa chambre.

Toujours voyager équipée.

Il n'existait rien de pire que de se retrouver sans serviette.

Rose n'était pas fan des tampons.

S'enfoncer un grand truc en elle, et le sortir en tirant sur une ficelle ?

Berk.

Se lever, s'excuser, et sortir, discrètement. Elle pouvait le faire. Vite, et bien.

-Rosie ? Ça ne va pas ?

Jack la fixait, inquiet.

La blonde força un sourire sur son visage, finit son thé, et se leva, lentement.

-Juste un peu fatiguée.. Je vais passer mon tour pour ce matin, je crois.

-Fatiguée ? Vous êtes malade ? s'inquiéta à son tour le Docteur, avant de sortir son tournevis sonique, mais sa compagne le repoussa de la main, l'empêchant de la scanner.

-Oy, pas de ça ! Je n'ai pas assez dormi, c'est tout. Une sieste réglera le problème. Je vous vois cet après-midi, à plus tard !

Et avec cela elle s'enfuyait, la porte claquant derrière elle en même temps qu'elle remontait le couloir en courant, un liquide odorant et collant envahissant le haut de ses cuisses.

Aaaaaaaaarg.

Le Docteur et Jack échangèrent un regard incrédule, avant de se lever en même temps, se lançant à sa poursuite dans le couloir. La porte de sa chambre était fermée à clé lorsqu'ils arrivèrent devant le battant de bois, et peu importe combien ils essayèrent, elle le demeura.

-Fantastique, pesta le Seigneur du temps. Depuis quand me refuses-tu accès ? grogna-t-il à l'intention du vaisseau, qui lui renvoya un souffle froid. Quoi ? Quoi ? Non, ouvre, enfin, si Rose est malade, je dois le savoir, il..

-Docteur, le coupa gentiment Jack. Il doit y avoir une raison. Le Tardis ne laisserait pas Rose seule si elle était en danger. Est-ce que Rosie est en danger ? interrogea-t-il en fixant le plafond.

Un son apaisant lui répondit, le faisant sourire en même temps que le Docteur se détendait à ses côtés.

Rose n'était pas en danger.

Tout allait bien.

Enfin, non, tout n'allait pas bien. Quelque chose avait gêné sa compagne au point qu'elle se soit enfuie, et il devait trouver quoi.

Hors de question que Rose souffre seule.

-C'est de l'eau que j'entends ? murmura Jack, avant de se pencher en avant, et coller son oreille à la porte.

-De l'eau ? répéta le Docteur en l'imitant à son tour, plaquant son immense oreille contre le battant de bois.

Oui, définitivement de l'eau.

De l'eau qui coulait, frénétique, sauvage, bouillante.

Rose se lavait ?

Le Docteur rougit légèrement à cette pensée, avant de repousser les images de sa compagne sous le jet d'eau brulant pour mieux se concentrer.

Au milieu du son de l'eau qui coule, il pouvait aussi entendre des grognements.

Est-ce que Rose s'était blessée ?

Mais le Tardis affirmait qu'elle n'était pas en danger …

Un sursaut lui échappa lorsque la porte s'ouvrit brusquement, leur laissant soudainement libre accès à la chambre.

Les deux hommes se redressèrent, avant de se figer, échangeant un regard hésitant.

Quelle qu'en soit la raison, Rose ne souhaitait pas les voir entrer. Sans aucun doute, fallait-il se montrer discret.

D'un commun accord silencieux, le duo se pencha lentement en avant, jetant un regard dans la pièce.

Le jean de la blonde gisait abandonné sur le sol, et à côté ...

Ah.

Bien sûr.

Soudainement, tout faisait sens.

Le duo recula lentement, refermant la porte avant d'échanger un nouveau regard.

-Doc. Cours rapide sur les us et coutumes des Terriennes du XXIème siècle. Je ne pense pas me tromper en affirmant qu'elles ne sont pas.. friandes du sujet ?

-Un euphémisme, capitaine, murmura le Docteur en l'entrainant à sa suite dans le couloir. Le sujet est tabou dans toutes les cultures de l'univers, quelles qu'elles soient, mais à l'époque de Rose..

Il grimaça.

Jack soupira.

-Que peut-on faire pour l'aider, sans la froisser ? Les prochains jours risquent d'être.. compliqués.

-Comment aider une jeune femme du XXIème siècle terrien pendant la pire période de son mois ? Voyons voir.. Un nouveau soupir. Restons sur les bases. Bouillotte, thé, chocolat, énonça-t-il à un Jack surpris.

-Pas d'anti-douleur ?

-Les anti-douleurs, évidemment, oh, je suis stupide, merci, garçon, toujours l'esprit là où il faut !

Jack lui lança un clin d'œil.

-A votre service, mon capitaine. Mais peut-être, lorsque Rosie ne risquera pas de nous tuer au moindre son.

Le Docteur roula des yeux, avant de sourire légèrement, le souvenir de ses anciennes compagnes de voyage se réveillant.

-Doc ?

-Jack ?

-Est-ce que vous croyez que.. Enfin, peut-être préfèrerait-elle rentrer chez elle ? Ce n'est pas.. Je veux dire, je n'ai pas honte d'elle, ce n'est pas la question, mais peut-être qu'elle s'y sentirait mieux ? Dans un environnement familier, discret ? Avec sa mère ? expliqua ennuyé son compagnon.

Le Docteur le fixa, pensif.

L'idée ne manquait pas de bon sens : Rose se sentirait peut-être en effet plus à l'aise avec une autre femme, et en particulier Jackie. Ce n'est pas comme si Jack et lui la jugeraient, mais le sujet demeurait compliqué à aborder à son époque, et encore plus avec les hommes.

-Il faudra le lui demander. Tout ce qui peut lui permettre de se sentir plus en confort doit être mis en place, confirma-t-il simplement.

-Elle n'aura pas l'impression qu'on l'éjecte ? Il ne faut pas qu'elle pense qu'on ait honte d'elle, soupira le capitaine, alors qu'ils rentraient dans la salle de console, leur petit-déjeuner oublié.

-C'est un risque.. Il faudra prendre le temps de le lui expliquer.

-Hum. Je le ferai. Ne le prenez pas mal, Doc, mais je ne crois pas qu'elle se sente à l'aise sur le sujet avec vous.

Le Seigneur du temps le fixa, outragé.

-Rose peut me parler de tout ce qu'elle veut !

-Mais pas de cela, répliqua Jack, avant de secouer la main. Doc, écoutez, vous êtes un chic type, mais vous êtes.. Son mentor, l'homme qu'elle aime désespérément et qui n'y voit rien, un ours, un handicapé des sentiments gentil mais maladroit comme ses pieds ... Un peu rustre, finit-il finalement par énoncer, s'attirant un regard vexé.

-Remettez-vous mes capacités de communication en question, capitaine ?

Le dit-capitaine le dévisagea, blasé.

-Je dis simplement que ce sera plus simple si c'est moi qui m'en charge. Vous pourrez gérer toute la partie scientifique, ajouta l'ancien agent en lui décochant son sourire 4000 watts. Vous adorez cela. Et vous êtes doué pour cela.

Un nouveau reniflement lui répondit.

-La flatterie ne vous mènera nulle part, capitaine.

-Qui ne tente rien n'a rien, répliqua guilleret l'intéressé, avant de claquer des mains. Au travail ! Je m'occupe de la nourriture, vous lui trouvez des anti-douleurs adaptés ?

Et il semblait si enthousiaste à cette idée que le Docteur ne put contenir son propre sourire.

Rose allait bientôt découvrir sa chance.

Le Seigneur du temps ne pouvait pas changer sa biologie, mais il serait damné s'il ne faisait pas tout ce qui était en son pouvoir pour diminuer l'inconfort de la semaine à venir.

Il était un Docteur, que diable.

Il soignait les gens.

Il n'allait pas laisser tomber sa propre compagne.

Des menstruations, pffrt. Il avait combattu des Daleks, vu la fin du monde, affronté des Cybermen et le monstre du Loch Ness.

Des menstruations.

Rien de bien grave.

Rien de honteux.

Juste la nature.

Certainement pas une de ses parties les plus agréables, mais rien de choquant.

Et il l'énoncerait tel quel à Rose.

Que sa compagne l'entende.

Personne ne la jugerait, ou l'humilierait.

Si elle avait besoin de calme, on lui en laisserait. Si elle voulait rester à bord du vaisseau, ou bien rentrer chez sa mère quelques jours, ce serait son choix. S'il fallait qu'ils fouillent tous les marchés de l'univers pour lui trouver toutes les variétés existantes de thé et chocolat, il était son homme, et Jack son chevalier servant.

Les deux hommes la soutiendraient, avec gentillesse et discrétion, du mieux qu'ils le pourraient.

Et si ce n'était pas assez, le Docteur était prêt au plus grand des sacrifices.

Jackie, sans aucun doute, saurait quoi faire.

Il ne l'admettrait pas tout haut, non. Il avait une réputation à conserver.

Jack ferait le hibou.

Il fallait bien que le garnement serve à quelque chose !

-Doc ? Vous venez, oui ? Rose n'attend pas !

Le Seigneur du temps sursauta, tiré de ses pensées par le dit garnement qui le fixait, amusé.

-Tête en l'air, Doc ? C'est ma beauté qui vous subjugue à ce point ? Je suis flatté, mais Rosie a besoin de nous, commenta-t-il en lui lançant un clin d'œil.

-Dans vos rêves, capitaine, roula-t-il des yeux, s'attirant une expression grivoise.

-Non, dans mes rêves, vous..

Il eut à peine le temps de se baisser pour éviter un marteau, avant de s'enfuir en riant, poursuivi par un Seigneur du temps au large sourire.

Insupportable.

Qu'avait-il fait pour terminer coincé avec un tel duo de singes ?

Oh, à qui croyait-il mentir ? Il n'en changerait pour rien au monde.

Même si cela signifiait affronter le plus désagréable élément de la vie quotidienne des Terriennes.

Le Docteur n'était pas casanier, non.

Mais il pouvait bien s'accommoder de certaines réalités.

En particulier si cela lui attirait le sourire d'une magnifique jeune femme blonde.