Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir

Résumé : Le corps broyé par un titan, Eren a la chance d'avoir Livaï près de lui pour ce qu'il croit être ses dernies instants. Le caporal l'accompagne vers l'inconscience avec une douceur dont le garçon a terriblement besoin. Mais Eren ne meurt pas. Comment retrouver le Livaï intransigeant, distant, quand on a connu l'espace d'un moment éphémère un tout autre homme ?

A savoir : la trame de l'attaque des Titans n'est pas suivie. Eren, Mikasa, Armin, Jean & cie ont intégré le bataillon d'exploration sans découverte, encore, du pouvoir d'Eren.

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C'est un carnage. Une débandade. Des titans qui s'en prennent à l'escouade de Mike, qui s'entrechoquent entre eux, qui s'entrechoquent avec les arbres. Livaï le voit indistinctement, plus loin dans la forêt. Il ordonne aux deux comparses qui l'accompagnent de prendre la droite, début des hostilités, afin d'aller vérifier si les tombés pourront se relever. Non sans un dernier regard inquiet de Petra jeté dans la direction de son chef, ils s'exécutent. Les sabots de leurs chevaux dévient de route tandis que Livaï poursuit tout droit, allant aussi vérifier au nerf des combats, qu'on ne laisse personne derrière. Il a vu la retraite des soldats depuis sa position, échappant au massacre sans passer en tridimensionnel, faisant économie de gaz. Et il jurerait que certains manquent à l'appel. Le caporal jette des regards par-dessus son épaule tandis que des fumigènes sont lancés, lui indiquant la position de ses alliés. Il poursuit sa route, déterminé à rejoindre le lieu de cohue. Il dépasse des corps pour lesquels il ne peut plus rien, morts déchiquetés, coupés en deux, décapités. On les récupèrera plus tard. Pour l'instant… il faut se concentrer sur les vivants. Ses soldats ont eu un combat valeureux. De nombreux titans sont tombés au combat face à eux. Deux, cinq, sept, huit, Livaï cesse les comptes à douze. Ses yeux s'écarquillent en remarquant un terrain balayé d'arbres défoncés, créant une clairière baignant dans le soleil d'après-midi, et offrant une scène que le caporal ne s'habituera jamais à voir. Un humain prêt à se faire dévorer. Livaï passe en tridimensionnel et s'envole à la vitesse de l'éclair. Il entend le bruit du craquement des os, le titan a croqué le tronc de son camarade. La demi-seconde d'après, ses lames frappent avec puissance, tuant l'ennemi sur le coup. Le corps humain tombe vers l'avant, il est entier, mais imbibé de sang. Celui du Titan tombe sur le côté, poussé par la force de l'Ackerman.

Livaï est le dernier à se laisser tomber, atterrissant souplement près du corps tremblant d'Eren Jäger. Le garçons a les yeux écarquillés de l'incrédulité de ce qu'il vient de vivre, et de terreur. C'est un regard fou qui fixe le ciel et y voit des images de toute forme. Les joies de son passé, ses peines, ses espoirs, le futur qu'il aurait voulu avoir. Ses yeux hagards se tournent vers la silhouette près de lui.

« Livaï-he...cho… » articule t-il. Et ses yeux verts changent, traversés d'une émotion que le caporal ne saisit pas.

Un lac de sang se forme autour de lui. Se plaçant à côté du gamin, Livaï s'agenouille en plein dedans. Et ce maniaque de propreté ne semble pas s'en préoccuper tandis qu'il soulève un peu Eren, posant son dos sur ses cuisses, soutenant sa tête dans sa main. C'est un miracle que celui-ci soit conscient. Son estomac est troué. Le caporal ne regarde pas plus d'une seconde les amoncellements étranges qu'il voit parmi le sang et sa peau écartelée. Cela pourrait être de la terre qui s'y est mêlée. Elle a été retournée quand le titan a saisi le gosse. Les traces au sol le montre. Mais… par un instinct traitre, le caporal sait qu'il s'agit de ses tripes à l'air. Pour le bon geste, il retire sa cape, la dépose dessus et fait pression. Il soutient ensuite de nouveau sa tête. Le garçon ne tiendra pas, il le sait. Eren n'a pas eu de chance. Il a eu deux titans contre lui seul. Au moins a t-il réussi à en avoir un. Sa carcasse gît à quelques mètres de celui que Livaï a tué.

« C'est… c'est grave, n'est-ce pas ? »

Oui, c'est grave.

« Je suis là, gamin…»

Le visage plus éteint que jamais, Livaï relève les yeux et regarde autour de lui. Plus de titan. Mais surtout… plus d'alliés. Il lance un fumigène, range l'arme et repose la main sur la cape. Le temps que quelqu'un arrive, Eren aura succombé dans ses bras. La main tremblante de celui-ci se lève. Livaï comprend le message. Il relâche la pression sur son ventre et la saisit pour la serrer avec fermeté.

Le visage blême du gosse s'éclaire d'un petit sourire. Si sa blessure n'était pas fatale, Livaï lui dirait d'arrêter parce qu'il ressemble à un idiot. Mais il n'est pas idiot… il est mourant. Cette réalisation lui enserre la gorge. Peu importe le nombre de camarades tombés, le gradé sera toujours heurté de perdre ses hommes. Et Eren… Eren, cette recrue si souriante, si volontaire, ce labrador qui l'observait toujours avec de grands yeux brillant d'admiration et de détermination, qui voulait tout faire comme lui, tout faire pour devenir plus fort... qui était parfois trop passionné… et si maladroit. Livaï l'avait incendié le jour où le plus jeune avait osé déclarer se sentir en sécurité près de lui. Parce qu'il n'avait pas le droit de compter sur son caporal pour survivre mais aussi parce que… il n'était pas en sécurité. Personne ne l'était. Pas même Livaï en personne. Même le plus puissant des hommes n'était pas à l'abri d'une erreur. Celle d'aujourd'hui, de ne pas avoir été assez prompt, coutait la vie à un enfant. Cet enfant lui sourit, un léger moment. Ses lèvres tremblent. Puis, son regard vert se met à flamboyer de tristesse et… de haine.

« J'ai t-tellement de colère » articule t-il.

Sous la tête du garçon, les doigts de Livaï s'animent, massant doucement son cuir chevelu, et la base de sa nuque.

« Je sais » murmure t-il d'un ton apaisant.

Le garçon bats des cils, tentant à tout prix de garder pieds avec la réalité, même si cela signifie souffrir le martyr. Cette douleur est innommable et pourtant… Eren serait prêt à l'endurer des années si cela signifiait rester dans les bras de Levi. De l'homme se dégage une douceur que Jäger n'aurait jamais cru voir de lui. Oui, il a la rage de mourir, de ne pas avoir pu exterminer les titans avant, d'avoir échoué lamentablement, mais est-ce que Livaï l'étreindrait, est-ce que Livaï le cajolerait ainsi, s'il avait vécu ? Peut-être était-ce sa seule chance de voir cette facette de lui. Comme il aurait aimé… la connaître plus tôt, la connaître toujours. Si Eren admire autant cet homme, c'est parce qu'il est le meilleur combattant, qu'il est magnifiquement puissant. Mais s'il ressent plus que ça encore… c'est parce qu'il a toujours perçu, derrière la nonchalance, combien de cœur il a.

« Est-ce que v-vous pouvez rester comme ça… jusqu'à la fin, Livaï-hecho ? Depuis que je vous c-onnais j'ai… j'ai toujours voulu compter pour vous. »

« Tu comptes, Eren. »

« Si vous le dites alors je… je ne dois vraiment plus en avoir pour longtemps » tente de plaisanter le garçon, la voix faible.

La blague ne déride pas Livaï. C'est tellement sinistre que le regard argent de celui-ci s'assombrit même davantage.

« T'es vraiment con… »

Il ne cesse pas pour autant ses caresses dans ses cheveux.

« Hecho… » Eren a toujours eu cette façon à lui de dire son titre, ou son prénom, comme s'ils lui sont de précieux trésors. « est-ce que… est-ce que vous auriez pu m'apprécier ? »

« Je t'apprécie déjà. »

Malgré sa naïveté, le garçon comprend à ce moment précis que Livaï dit amen à tout pour lui offrir des derniers moments doux en sa compagnie. Le caporal est d'autant plus encouragé dans sa manœuvre que le regard d'Eren, auparavant animé de colère, brille désormais d'autre chose. De la tendresse, puérile, triste et heureuse à la fois, vrillée de souffrance aussi. Il prend une inspiration tremblante, tentant de rassembler plus d'air pour continuer à parler, mais sa voix n'est désormais plus qu'un souffle.

« …Est-ce que vous auriez pu m'aimer … ? »

Une ombre douloureuse traverse le regard de Livaï. Même si c'est une chose à laquelle il n'aurait jamais pensé, maintenant qu'on lui demande de le faire, il se rend compte que, oui, une telle personne… serait facile à aimer. La différence d'âge est de taille, le garçon doit avoir seize ans, et le supérieur en aura bientôt trente. Mais ces questions d'éthique ne se posent pas quand la mort est là. Elles sont insignifiantes. Livaï se penche et dépose un long baiser sur son front. Quand il se redresse légèrement, des sillons sombres couvrent les joues sales d'Eren. Il pleure. Ses sanglots sont des hoquets de douleur silencieux.

Le caporal s'est toujours douté que l'admiration du Jäger tirait sur l'attachement, voire une forme d'amour. Cet aveu, Livaï veut bien l'entendre, et peut même y répondre. De bon cœur.

« Comment ne pas t'aimer, gamin ? »

Un poids s'ôte de la poitrine de Livaï tandis que, peu avant que les paupières d'Eren ne se ferment, il voit dans ses yeux verts le soulagement de savoir qu'il ne va pas mourir seul. Qu'il est aimé. Pour l'instant, il a seulement perdu connaissance. Le gradé voit à sa poitrine qu'il respire encore alors il reste le temps qu'il faut, calme, caressant ses cheveux pour montrer qu'il est toujours là, pour tenir parole.

« Hé là ! Qu'est-ce qui se passe ?! » les hèle une voix.

« Hansi… » murmure Livaï en relevant la tête.

Voyant un homme à terre, Hansi braille pour qu'on amène une charrette au blessé.

« Tu veux alerter tous les titans de ce monde qu'on est là ? » lâche Livaï avec un flegme digne de lui.

Hansi saute souplement de son cheval, atterrissant près d'eux.

« Redresse-le »

Livaï s'exécute, mettant doucement Eren en position assise. Hansi retire la cape qui le couvre, puis sa veste. Elle enlève ensuite son haut avec l'aide du caporal, sort une bouteille de l'intérieur de son blouson, et asperge son abdomen pour le nettoyer. Elle entoure ensuite fermement sa taille d'un bandage blanc. La fluidité de ses gestes et l'assurance dont Hansi fait preuve alors qu'elle se retrouve face à une cause perdue laisse Livaï pantois. On dirait qu'elle voit quelque chose de … rattrapable. Il baisse les yeux à son tour et au moment où elle couvre les dernières traces de blessures, Livaï jurerait que ce qu'il avait vu avant était pire que ça. Bien pire. Fatal. Est-ce qu'il s'est trompé ? Est-ce qu'il allait laisser se vider de son sang une personne que l'on pouvait sauver ?! C'est putain d'impensable ! Il sait ce qu'il a vu bordel ! Le garçon est chargé sur une charrette. Le caporal monte avec lui et émet un sifflement entre ses lèvres repliés, appelant son cheval pour qu'il suive tandis qu'ils partent.

Au trot, les escouades du bataillon se réunissent. Lorsque la troisième les rejoint, l'éclat de leurs voix fait relever les yeux du caporal, assis près d'Eren. Il comprend qu'on parle de son protégé, mais le reste n'a pas beaucoup de sens. C'est quoi cette histoire de transformation ? Livaï se rend compte que c'est du sérieux à l'intervention d'Armin, puis de Mikasa. Ils l'ont vu aussi. Le gamin les a protégé en se transformant en titan, avant de disparaître pour en chasser d'autres. C'était donc ça… ce remue-ménage. Le nombre d'ennemis a cependant joué contre Eren. Livaï se souvient alors que le gamin ne gisait pas loin d'une carcasse dont il se remémore un peu la forme, la tête.

« A quoi ressemblait le titan d'Eren ? »

La description correspond. Eren n'avait pas tué cette chose. C'était le corps qu'il contrôlait. Hansi aussi a fait le rapprochement. Son sens de l'observation étant très poussé pour les titans, elle a même remarqué des détails qui lui ont échappé.

« Livaï, je pensais que c'est toi qui l'avait tué car il y avait un trou béant dans sa nuque ! Eren devait le contrôler de là ! Et l'autre… l'autre que tu as eu, s'il a réussi à l'en extraire, c'est qu'il devait sentir sa présence ! »

Le caporal donne un hochement de tête et tourne un visage grave vers son supérieur qui galope près d'eux, l'oreille tendue, le visage grave.

« Erwin. Quand je l'ai trouvé, Eren était foutu. Je crois qu'il peut se régénérer » affirme t-il.

Hansi en perd toute contenance. Il faut savoir que cette expédition avait pour but de capturer deux titans déviants. Non seulement ils avaient réussi, mais ils avaient apparemment un troisième cas très spécial à ramener à la maison.

« Par tous les saints ! » dit-elle en joignant les mains comme une prières, les yeux brillant d'exaltation. « Quel merveilleux sujet d'expérimentation le ciel nous a donné ! »

Elle part dans une longue palabre pleine d'extravagance et de folie comme on lui connaît.

« Complètement malade… » marmonne Livaï pour lui-même. « Erwin, que faut-il faire ? »

« Informer la hiérarchie, réclamer à ce qu'on lui laisse une chance de plaider. Eren a toujours servi fidèlement notre cause. Si on en apprend plus sur son pouvoir et qu'on l'apprivoise… c'est un nouvel espoir. »

Pour le moment, seuls Erwin, Hansi et le gang d'Eren semblent pleinement convaincus par l'idée. Les autres… Livaï toise leur visage. Méfiance. Crainte. Incrédulité. Il n'y a pas que la hiérarchie qu'il va falloir convaincre, apparemment. Le caporal observe ensuite le gosse et se remémore tous ses actes stupides, ou braves. Il est de leur côté, nul doute là-dessus. Aussi, les faits jouent en sa faveur : il n'a pas seulement attaqué les titans, ceux-là se sont attaqués à lui en retour. L'un d'eux a bien failli le bouffer d'ailleurs, Livaï ne manquera pas de le mettre dans son rapport. Il fait confiance à Eren. Mais si celui-ci ne se maîtrise pas, alors il représente un danger. Un danger plus grand que les autres titans car d'une part, il sera entre les murs. Ensuite, parce qu'on pourrait baisser sa garde face à lui, surtout ses amis. Livaï, lui, ne ferait pas cette erreur.

Après quelques secondes, il prend conscience de ses vêtements, de ses mains couvertes de sang, poisseuses.

« … Dégueulasse » peste t-il entre ses dents.

Il sort un mouchoir de sa poche et les essuie soigneusement.