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Idées-cadeaux

« Palsambleu, je ne sais que choisir ! » déclara le Joker en se tordant les mains.

L'anniversaire de sa chère et tendre Harley Quinn approchant, il s'était lancé à la recherche d'un cadeau. Cambriolage-surprise, meurtre dédicacé : déjà fait. Tatouer le nom de sa belle sur le torse de ses victimes, c'était du réchauffé. Des battes de baseball, armes à feu diverses, couteaux à cran d'arrêt, elle en avait à foison, ainsi qu'une petite tronçonneuse rose qu'elle aimait beaucoup. La cape du Batman lui aurait plu à coup sûr, malheureusement le bougre ne donnait plus signe de vie ces derniers temps, à croire qu'il était mort, ou parti en vacances. À court d'idée, le Joker s'était donc résolu à lui offrir un présent des plus classiques. Avec quelques gros bras qu'il n'avait pas encore tués, il avait pris d'assaut la bijouterie la plus renommée de la ville, plastiquant les portes et les fenêtres et enfilant à tous les otages un gilet bardé d'explosifs. Ça, il n'avait pas lésiné sur la dépense, mais que voulez-vous : le bonheur de sa bien-aimée n'avait pas de prix. Maintenant, tandis que ses hommes tenaient les otages en joue, il se promenait entre les vitrines en compagnie du bijoutier tout tremblant dans son gilet de dynamite.

« Hé bien, mon brave, s'impatienta le Joker. Faites votre travail : conseillez-moi ! »

Le bijoutier déglutit.

« Les… les diamants sont une valeur sûre, balbutia-t-il avec hésitation.

– Certes, mais tellement conventionnels, répliqua le Joker. Une fois, j'ai offert à Harley la main droite de son écrivain préféré : la chère enfant était si heureuse, il fallait voir ses yeux briller ! Une autre fois, je lui ai brisé quelques os, et il me semble aussi avoir piégé son maillet avec de l'explosif, mais c'était pour la blague. D'ailleurs elle ne l'a pas mal pris. »

Le sourire aimable qui étira ses lèvres maquillées de rouge donna des sueurs froides au pauvre bijoutier.

« Heu… Si vous préférez quelque chose de plus original, chevrota-t-il, très conscient que sa vie ne tenait qu'à un fil, peut-être que ce bracelet de topaze…

– Vous n'auriez pas plutôt de la kryptonite, par hasard ? l'interrompit le Joker en regardant autour de lui d'un air blasé. Voilà qui serait à la fois original et potentiellement utile.

– Malheureusement, non, couina le bijoutier, la gorge étrécie d'angoisse. Mais nous avons de très belles émeraudes…

– Moui, se tâta le Joker en examinant les pierres qui scintillaient dans une vitrine. Bof… Non. Non, non, non. Non et non. No-on ! »

Le bijoutier trembla de plus belle en constatant que le Joker commençait à s'énerver.

« Et pourquoi pas un bain de sang ? suggéra tout à coup l'un des gros bras, pris d'une idée subite.

– Un bain de sang ? répéta le Joker. Tout cela se terminera en bain de sang, c'est un fait, mais nous n'en sommes pas encore au jour J et nous ne pourrons pas conserver la scène de crime intacte jusque-là.

– Non, je voulais dire comme Cléopâtre, corrigea le gros bras tandis que le bijoutier pris de vertige s'appuyait à un présentoir. La reine qui prenait des bains au lait d'ânesse.

– Tu suggères que j'offre à ma douce et délectable Harley une baignoire remplie de sang humain en voie de coagulation afin qu'elle s'y immerge de pied en cap ? » s'exclama le Joker, une mimique scandalisée sur son visage blanc.

Le gros bras confirma d'un hochement de tête.

« Ma foi, c'est une idée, reconnut le Joker. C'est même une idée inédite. Voilà que tu m'étonnes, Anton, et en bien.

– Moi c'est Douglas, patron.

– Mais non, mais non. »

Le Joker se tourna vers les otages, évaluant mentalement la quantité de sang nécessaire pour remplir une baignoire de taille standard.

« Il faudra les garder en vie et les égorger au dernier moment, réfléchit-il tout haut, comme ça le bain sera bien chaud et sans grumeaux. Par-fait ! fit-il en frappant dans ses mains gantées. Anton, nous allons avoir besoin d'un camion à bestiaux !

– Oui, patron », approuva docilement Douglas en tirant son téléphone de sa poche pour appeler le quartier général et passer commande de l'article.

À l'annonce de leur mort prochaine, les otages se mirent à geindre et implorer pitié, ce qui laissa les braqueurs complètement indifférents.

« S'il vous plaît ! larmoya le bijoutier. Prenez tous les bijoux, prenez tout ! Je peux même vous ouvrir le coffre, mais ne nous tuez pas ! S'il vous plaît !

– Et de jolis photophores pour créer une ambiance tamisée, proposa un deuxième gros bras inspiré par la trouvaille de Douglas-Anton. Ça irait bien avec le bain, non ?

– Des photophores ! s'exclama le Joker en se frappant les cuisses. Bon sang, mais c'est bien sûr ! Tudieu, mes amis, quels brillants cerveaux vous faites ! Il faudra songer à les mettre en bocal si jamais on vous élimine. »

Les otages eurent beau pleurer et supplier, rien n'y fit : bijoutier en tête, ils furent promptement chargés dans un camion volé aux abattoirs municipaux de Gotham City et emmenés jusqu'à un hangar où ils attendirent le jour et l'heure de la préparation du cadeau.

Le moment venu, le Joker enferma Harley Quinn à la cave pendant le temps nécessaire à la mise en place, qui fut assez longue. Après une heure passée à se casser la voix et à marteler la porte à coups de pieds et de poings, elle n'était pas contente quand il la laissa enfin sortir : tête baissée, bras croisés, elle paraissait prête à bouder pendant au moins une semaine. Sans tenir compte de sa mauvaise humeur, le Joker l'entraîna jusqu'à l'étage et la planta devant la porte de la salle de bains.

« Surprise ! » lui beugla-t-il dans l'oreille en lui mettant sous le nez la clé de la pièce fermée.

Surprise, Harley Quinn l'était en effet, et un peu méfiante aussi. Saisissant la clé entre ses doigts endoloris, elle déverrouilla la porte sous les yeux du Joker qui frétillait d'impatience.

La salle de bains avait été lavée de frais. Une odeur ferreuse l'imprégnait, émanant de la baignoire remplie à ras bord d'un liquide rouge très identifiable. Sur le lavabo, l'appui de la fenêtre, le couvercle des toilettes et le rebord de la baignoire, avait été disposée une série de crânes humains bien propres et polis à l'intérieur desquels on avait glissé des bougies dont la lumière se diffusait par les trous des orbites et du nez, conférant à la pièce une atmosphère chaleureuse et quelque peu sensuelle.

« Joyeux anniversaire, ma colombe ! s'écria le Joker en tendant à Harley une brosse à dos au manche entouré d'un ruban de soie rouge passion.

– Oh, mon biquet ! s'attendrit-elle, tout émue. Quelle délicate attention ! »