Ce jour-là, Oscar manqua d'écraser une personne avec le tracteur. Pour sa défense il faisait sombre, un orage venait d'éclater et il se dépêchait de rentrer avant d'être embourbé. Et puis, personne n'était supposé faire la sieste dans le champ de sa tante, encore moins sous des trombes d'eau torrentielles. (Quoique parfois les gens de la campagne avaient une façon de pimenter votre quotidien qui les faisait finir à poil et bourré dans votre champ au milieu de la nuit) (Ou en organisant des rituels païens tout nus dans votre champ au clair de la pleine lune) (et ne parlons pas des petits jeunes voulant pécho après un picnique romantique au clair de lune). En fait, n'importe qui d'autre lui aurait probablement roulé dessus sans même le réaliser (voir même exprès parce que Oscar en avait vraiment, vraiment marre des gens tout nus dans son champ), c'était un miracle que le jeune fermier l'ai vu (et soit un esprit pure et noble) (et aussi parce que nettoyer des bouts de gens sur les roues de son tracteurs prenait vraiment, vraiment beaucoup trop de temps et d'énergie) et ait arrêté la machine avant. Il sauta dans la boue et se précipita vers la silhouette. Pitié, par encore un fermier nue comme un ver, je fais encore des cauchemars sur le dernier…
Le ciel l'entendit parce qu'il découvrit une jeune femme (habillée, soulagement) étalée face contre terre dans la boue et immobile.
"Hé, est-ce que ça va miss?" S'enquit-il avec inquiétude (était-il possible de se noyer dans une flaque de boue?). Il la secoua mais n'obtint aucun résultat. Il était déjà trempé jusqu'à l'os, et franchement il n'avait aucune envie de rester planter sous la pluie. Mais il ne voulait pas non plus abandonner cette fille à son sort (et elle était un peu sur le chemin et manoeuvrer le tracteur était une vraie galère…)
Un coup de tonnerre le fit se décider, et il passa ses mains sous les bras de la fille pour la traîner dans le tracteur. Ses muscles crièrent un peu mais il parvint à la charger sur la banquette et se dépêcha de mettre en marche l'engin tout en prétendant ne pas être couvert de boue. Une fois à l'abri dans la grange, il soupira de soulagement. Puis il réalisa qu'il y avait une jeune femme inconsciente dans le tracteur de sa tante et fit la seule chose logique.
"Tante Pruss !"
Tante Pruss était une femme forte à qui on ne la racontait pas, il le fallait quand on travaillait seule à faire tourner une ferme régulièrement envahie par des nudistes. Elle était bien en chair, musclée, et avait des hanches larges. Elle n'eut aucune difficulté à sortir l'inconnue inconsciente du tracteur et à la ramener dans leur petite maison à l'écart de la grange, ni à la monter dans la salle de bain pour la nettoyer et la sécher. Elle lui enfila une de ses vieilles chemise et l'emitouffla sous deux couvertures avant de retrouver son neveux qui faisait les cents pas.
"Cesse donc de creuser une tranchée dans mon tapis, elle va très bien ta mystérieuse inconnue !"
"Ce n'est pas ma mystérieuse inconnue. Mais elle n'a pas bougé d'un cil depuis que je l'ai trouvée, ce n'est pas normal si?"
Pruss haussa les épaules. La fille se réveillerait quand elle se réveillerait. En attendant, elle prépara le dîner et demanda poliment - exigea - qu'Oscar prenne une douche et mette des vêtements propres et secs. Oscar s'exécuta parce qu'il n'y avait vraiment pas d'autre option. L'orage continua de faire rage dehors, mais le jeune garçon resta préoccupé le reste de la soirée. Finalement, il alla se coucher et s'effondra sur son lit, terrassé par une journée de dur labeur.
Elle se réveilla confuse et déboussolée, incapable de se souvenir ce qu'elle faisait ici, ou comment elle était arrivée là, ou (pire) de la dernière fois qu'elle avait mangé. Elle se trouvait dans une pièce en bois, emmitouflée sous des couvertures chaudes et un peu rêches qui la démangeaient désagréablement. Avec circonspection, elle se redressa dans le lit en regardant autour d'elle. Une mèche de cheveux châtain lui tomba sur le visage et elle l'enroula autour de son index en clignant des yeux : elle aurait tout aussi bien pu appartenir à la tête de quelqu'un d'autre qu'elle aurait ressenti la même chose. Elle tira dessus et grimaça de douleur. Yup, clairement les siens. Elle regarda ses mains, compta ses dix doigts qui répondirent tous quand elle voulut les faire bouger, c'était un sentiment étrange qu'elle mit un moment à identifier : elle avait l'impression d'être dans une peau d'emprunt. Et elle n'avait toujours pas la moindre idée de où elle était.
Elle hésita, mais dans son regard s'alluma une lueur de détermination et elle se dégagea des couvertures pour poser les pieds sur le plancher, frissonnant du changement de température. Elle était pieds nus et portait une chemise trop grande qui lui tombait sur une épaule : clairement pas suffisant pour ne pas mourir de froid aussi dut-elle se résoudre à prendre la couverture à démangeaison. Elle ne fit même pas un pas avant de s'emmêler les jambes et de s'écraser pathétiquement par terre avec un couinement de surprise. Comme une quiche, elle n'avait même pas pensé à envoyer ses bras en avant pour amortir sa chute parce qu'elle était trop occupée à tenir les pans de la couverture pour rester au chaud. Et pour parfaire la scène elle sentit un filet humide lui couler du nez et au point où elle en était elle ne savait si elle préférait que ce soit du mucus ou du sang.
Des pas précipités retentirent dans le couloir et la porte s'ouvrit, manquant de lui pulvériser un peu plus le nez.
"Arg !"
"Est-ce que tout va bie- Oh mon dieu, je suis désolé !" S'écria une voix paniquée.
Avec un grognement, elle roula sur le côté pour dégager la porte. "C'est bon, la voie est libre…" Grommela-t-elle.
Oscar se précipita à l'intérieur et écarquilla les yeux à la vue de son nez en sang. "Qu'est-ce qui s'est passé?!"
"J'ai trébuché. Et je me suis aussi pris la porte." Expliqua la fille d'une voix nasillard en se tenant le nez avec la main pour essayer d'endiguer le flot. "Mais ça va, au top !" Rajouta-t-elle en levant le pouce de sa main.
Oscar avait de gros, gros doutes. Mais alors aussi gros que le tracteur de sa tante, au moins ! Mais il préféra ne rien dire pour préserver le peu de dignité qu'il restait à l'inconnue et la guida vers la salle de bain pour l'aider à nettoyer ce carnage. Au passage il l'empêcha plusieurs fois de tomber après avoir trébuché sur ses propres pieds (manquant une fois de tomber la tête la première dans l'escalier, sérieusement?!).
Elle s'assit sagement sur les toilettes au couvercle rabattu tandis qu'Oscar sortait la trousse de secours, notamment des boules de coton et du désinfectant qu'il lui tamponna sous le nez. Ce faisant, il ne put que remarquer les deux grandes billes ambrées le fixant d'un air scrutateur. Il sentit le rouge lui monter aux joues malgré lui, embarrassé de toute cette attention, et finit par oser demander :
"Err… J'ai quelque chose sur le nez?"
"Est-ce qu'on se connaît?" S'enquérit-elle.
"Hum. Non. Pas vraiment non."
"Oh. Dommage."
"Er…. Je m'appelle Oscar." Il attendit. "C'est… le moment où tu te présentes aussi."
Elle cligna des yeux, l'air on ne peut plus innocent malgré les deux coton ensanglantés dans ses narines.
"Je ne m'en souviens pas." déclara-t-elle finalement. "En fait, je ne me souviens de rien."
Il y eut un silence un peu lourd et soudain Oscar sembla horrifié. "Je suis désolé ! Je ne voulais pas remuer le couteau dans la plaie ! C'est horrible !"
"Meh, mieux vaut pas de souvenir que des mauvais souvenirs. Pas que je pense n'avoir que des mauvais souvenirs mais statistiquement il doit bien y en avoir un ou deux. Enfin bon, ce que je veux dire c'est que ça va. C'est pas grave." Et pour conclure elle haussa les épaules. "C'est pas pratique, mais c'est pas grave."
"On peut te trouver un nom si tu veux, jusqu'à ce que tu te souviennes de l'ancien."
Si elle avait eu des oreilles de chien sur la tête, celles-ci se seraient redressées sur sa tête d'excitation.
"Vraiment?! Tu ferais ça?!"
Oscar réalisa un peu tard que nommer un être humain c'était quand même un peu plus délicat que de baptiser une vache ou un chien. Mais elle le regardait avec de grands yeux brillant plein d'espoir et il ne se sentit pas de la décevoir comme ça. Tu parles avant de réfléchir, maintenant assume Oscar ! Il fit tourner ses méninges, essayant de ne pas céder sous la pression de ce regard ambré intense, et soudain la lumière se fit dans son esprit.
"Ambre. Tu en penses quoi?"
Son regard s'illumina d'une joie intense et elle sourit jusqu'aux oreilles. "Ambre. J'aime beaucoup !"
Ils se sourirent comme des complices, puis bondirent au plafond lorsque des coups retentirent à la porte.
"Mais qu'est-ce que vous fichez enfermés dans la salle de bain?!"
Après être sorti de la salle de bain, Oscar informa sa tante des derniers développements, notamment l'amnésie de leur invité et son nouveau nom. Pruss secoua la tête. Elle s'était préparée à ce que son neveu ramène un jour un animal errant à la maison, il avait le cœur sur la main et les enfants avaient tendance à se laisser attendrir facilement. Mais de là à ce qu'il ramène une personne à adopter? Elle aurait dû s'en douter en fait, ce garçon était trop gentil pour son propre bien. Au moins, songea-t-elle en dévisageant la mignonette aux grands yeux de biche, ce n'était pas un vieux fermier bedonnant tout nu.
Ambre insista pour les aider dans leur tâche à la ferme, et Pruss eut la gentillesse - décence - de lui fournir des vêtements adéquats au travail dans les champs. Ainsi, elle se retrouva affublée d'une chemise blanche à manche bouffante beaucoup trop grande pour elle appartenant a la tante d'Oscar, avec un veston vert par dessus emprunté à Oscar, un short marron un peu grand avec une ceinture pour le tenir en place, des collant en laine noire, des bottes boueuses et enfin un gros manteau confortable et bien chaud ayant appartenu à feu monsieur l'oncle d'Oscar.
Sitôt vêtue, elle partie crapahuter dans la boue la fleur au fusil sous la supervision d'Oscar qui s'attendait toujours à la voir s'étaler dans la gadou d'un instant à l'autre. Mais apparemment, elle n'était maladroite qu'au réveil parce qu'à chaque fois qu'elle dérapa elle parvint à récupérer son équilibre. En fait, elle était même d'une grande aide, réalisa Oscar à la fin de la première journée. Non seulement sa compagnie faisait passer le temps plus vite (elle s'extasiait de tout et n'importe quoi), mais elle s'appliquait précautionneusement à chacune de ses tâches, et même si elles lui prenaient plus de temps qu'à lui, au moins il n'avait pas à passer derrière pour réparer les dégâts.
Le soir venu, elle insista pour aider Pruss en cuisine, ce qui lui fit gagner des points auprès de sa tante qui n'était toujours pas convaincue par l'idée de l'héberger indéfiniment. D'un autre côté, c'était difficile de la regarder dans les yeux et de garder l'envie de la mettre dehors, cette fille avec un regard de chiot plein d'espoir qui vous faisait vous sentir comme la lie de l'humanité pour avoir arboré des pensées aussi impures.
Et parfois, elle se demandait si Ambre était aussi innocente qu'elle le prétendait et ne savait pas exactement le pouvoir de persuasion de ses grands yeux innocents.
