1.2 Is one of those strangers you ?

Le Général Sloane rajuste son tailleur de cérémonie qui lui va pourtant déjà impeccablement. Elle ne supporte pas le moindre faux pli. Elle se pince les joues pour leur donner un peu de couleur et entortille une mèche noire et bouclée autour de son doigt. Elle se regarde une dernière fois dans le miroir, de la tête aux pieds. Elle est prête. Prête à se jeter dans la gueule du loup, au milieu de tous ces aristocrates affamés d'argent et de pouvoir. Elle jette un coup d'œil à la petite horloge posée sur son bureau. Bientôt huit heures. Dès que l'aiguille des minutes atteint le chiffre douze, on frappe à sa porte. Elle sourit. Ponctuel, comme toujours. Bien sûr. Il doit attendre dans le couloir depuis cinq minutes, les yeux rivés sur sa montre.

— Entrez.

Son subordonné entre dans la pièce. Il est l'exact opposé de Sloane. Elle qui est de taille moyenne, sa large carrure taillée par les muscles, elle fait face à ce garçon grand et mince comme un filet de soie. La peau brune du Général contraste avec la pâleur naturelle du garçon. Elle est vivante, énergique. Il semble fait de cire. C'est peut-être pour cela qu'elle l'apprécie tant. Il n'a presque pas l'air humain, une poupée de porcelaine dans un monde brutal et dur. On pourrait croire qu'il s'y noierait mais, sous les apparences, il a la rage d'un ours, la ruse d'un renard. Il est parfait, un leader né. Elle le sait, l'étique voudrait qu'elle ne montre aucune préférence entre ses disciples. Mais elle ne peut s'en empêcher. Aussi se contente-t-elle de ne lui accorder que quelques faveurs discrètes. Mais aujourd'hui, c'est différent. Elle a un plan en tête. Un dessein qui permettra à son protégé de se trouver à l'abri du besoin pour le restant de ses jours. Elle s'approche de lui et balaye une poussière inexistante sur l'épaule du jeune homme.

Normalement, il n'aurait pas dû être invité à la soirée, mais Sloane a su jouer de ses relations, tirer quelques ficelles. Elle aurait pu croire qu'il l'embarrasserait, lui ferait honte. Mais elle sait qu'il sera dans son élément, au milieu des loups. Il a ça dans le sang. Ce regard qu'ils ont tous, avide, puissant, brûle dans le fond de ses yeux. Elle n'aura pas besoin de lui apprendre, il sait déjà tout. Comment se tenir, que dire. Il est l'un d'eux, sans pourtant les fréquenter. C'est pour ça qu'il y arrivera, et qu'elle ne s'inquiète pas pour lui. Il a tellement d'ardeur, de volonté, que tout lui sera facile. Il a déjà commencé à gravir les marches du pouvoir, rapidement, sûrement. Être gradé si jeune relève du mythe, on pourrait penser que ses relations avec Sloane l'aident à obtenir les promotions, mais il n'en est rien. Il les mérite. Elle l'a déjà trouvé à étudier dans la bibliothèque, au beau milieu de la nuit, tombant de fatigue. Il veut l'influence et le prestige, il les aura.

— Tu es prêt ? demande-t-elle

— Toujours, Madame, répond-t-il avec un imperceptible sourire.

— C'est un grand soir, Armitage. Le soir de ta rentrée dans le monde.

Il la regarde, cille un instant. Elle ne se permet de l'appeler par son prénom que lorsqu'ils sont seuls. Elle le connaît depuis tellement longtemps qu'elle trouve presque ridicule de le désigner par son grade. Elle a l'impression de lire un soupçon de peur dans ses yeux. Il est rapidement remplacé par l'habituelle détermination qu'on peut y voir. Il hoche la tête, s'efface pour la laisser passer. Malgré leur quasi-intimité, il sait se tenir à sa place ; il ne se permettrait jamais de passer devant elle, de la devancer. Elle reste sa supérieur.

A cette heure de la soirée, il n'y a déjà presque plus personne dans les couloirs de l'académie. Les soldats sont déjà rentrés dans leurs quartiers pour se reposer, ou profiter de la douce soirée qui s'annonce pour eux. Les deux soleils d'Arkanis se couchent lentement, répandent une lumière rosée sur la ville. Hux suit Sloane sans le moindre mot. De toute façon, il n'a rien à dire et il n'a pas pour habitude de se perdre en babillages inutiles. Les pensées qui occupent son esprit sont bien suffisantes pour l'occuper. Il ne va pas se mentir, il a peur. Cette soirée déterminera peut-être le reste de sa carrière dans l'armée. Ce qui est un simple rendez-vous mondain pour beaucoup d'habitants d'Arkanis est pour lui un pivot important. Dès lors qu'il prononcera son nom, son destin sera scellé. Il part avec un inconvénient de poids. Il ne se leurre pas, son père aura soigneusement évité de le mentionner dans les conversations, il court donc le risque de passer pour un imposteur. Si quelques-uns des invités le connaissent déjà de par ses résultats excellents à l'Académie, il doit cependant continuer de faire ses preuves. Honorer ce nom qu'il ne veut pas. Et puis, il y a Raene.

Lorsque Sloane lui a proposé de l'accompagner à la grande soirée organisée par les Inkari pour fêter la fin du Marché, il a failli refuser. C'était trop dangereux. Une gaffe, un faux mouvement et il serait ruiné. Il n'aurait plus rien. Un simple soldat n'a pas à fréquenter l'une des filles les plus convoitées de la planète. Et il sait que Raene prendrait un malin plaisir à jouer avec le feu. Elle ne désire rien de plus que se libérer, se défaire de toutes ces règles établies qui régissent son quotidien... et Hux en est le produit. Il ne se trompe pas sur ses intentions, il ne veut simplement pas qu'elles éclaboussent sa réputation. Il a déjà tout le mal du monde à s'arracher à son étiquette de bâtard. Il peine à déglutir lorsqu'il réalise qu'elle risque d'éclater de rire en le voyant là-bas, au milieu de tous ces monstres assoiffés de pouvoir. Dans ce qu'il aimerait être son élément alors qu'il ne pourrait pas en être plus étranger.

La voiture qui les conduit à la fête s'arrête, et Hux ne peut s'empêcher de marquer une légère hésitation. Le temps d'un battement de cœur. Par les fenêtres ouvertes, il entend la musique qui s'échappe de la grande bâtisse ainsi que les rires et les discussions des invités déjà présents. Sloane lui jette un petit coup d'œil entendu. Il n'est pas rassuré pour autant. Tout d'un coup, toutes les pensées angoissantes qu'il s'était promis de garder dans un coin de son esprit l'assaillent, se déversent sur lui comme une vague d'acide qui ronge toute sa détermination. Il va échouer, il le sent. Il se ridiculisera. Il n'a pas sa place, là-bas, au milieu de tous ceux qui détiennent le pouvoir de l'une des planètes les plus puissantes de la bordure extérieure. Son père y est sans doute comme un poisson dans l'eau, Raene aussi, mais lui... Il est différent. Il n'est que le fils d'une cuisinière, qui s'est démené un peu plus que les autres. Il n'a aucune légitimité à se trouver là, dans cette voiture, avec son mentor.

Il tressaille lorsque Sloane pose sa main sur la sienne. Il regarde leurs deux mains gantées sans comprendre. Jamais, depuis son enfance, il n'a vu le Général se permettre le moindre signe de ce genre avec ses soldats. Ce n'est pas approprié.

— Ça va bien se passer, chuchote-t-elle. Tu es déjà l'un d'eux. Il faut simplement qu'ils s'en rendent compte.

Sur ces mots, elle ouvre la porte. Hux a l'impression de recevoir une décharge électrique. Son corps suit automatiquement le Général, mais son esprit lui hurle de retourner dans la voiture, de fuir. Il a une once d'espoir, mêlée à une détresse absolue, lorsqu'il voit le maître d'hôtel à l'entrée, accueillant les invités. Il ne le laissera jamais rentrer. A ce stade, Hux est incapable de dire si c'est une bonne ou une mauvaise chose. Au moins, un refus lui épargnerait bien des tourments. Il se redresse, prêt à garder la face lorsqu'on lui demandera de partir... Mais ils rentrent sans le moindre problème. On s'incline même à son passage. Il sait que c'est la coutume, cependant il ne peut s'empêcher de se sentir puissant. C'est une sensation absolument délicieuse. Il pourrait y prendre goût. A l'entrée de la salle de réception, le couple Inkari se tient droit, accueillant les invités à grand renfort de courbettes et de sourires de glace. Sloane se glisse devant eux avec un naturel impressionnant. Joren Inkari lui adresse un salut militaire, souvenir de ses années au service de l'Empire, que le Général lui rend, claquant ses talons contre le sol de marbre. Elle pointe Hux de la main.

— Laissez-moi vous présenter le Sergent Hux, annonce-t-elle d'une voix sans appel.

— Hux ? Y aurait-il un lien avec...

— Le Général Brendol Hux, Monsieur. Je suis son fils, Monsieur. Sergent Armitage Hux.

Il s'incline, claquant des talons comme l'a fait son mentor. Joren Inkari le regarde un instant d'un air impassible. Il semble hésiter une seconde à le laisser rentrer. Finalement, ses lèvres s'étirent en un petit sourire poli et il s'efface très légèrement pour les laisser passer. Toujours aussi imperturbable, Sloane pénètre dans la salle de réception, Hux sur ses talons. Il plisse presque les yeux devant tant de magnificence. De toute sa vie, il n'a jamais vu ça. Un immense lustre de cristal éclaire une pièce gigantesque au milieu de laquelle des hommes et femmes de tous âges discutent en petits groupes probablement soigneusement réfléchis. Les femmes portent de magnifiques parures, des robes cousues dans des tissus si délicats que le moindre mouvement un peu trop brusque les déchirerait sans doute. Leurs maris surveillent les autres hommes du coin de l'œil, dressent l'oreille, écoutent pour trouver la moindre faille chez leurs interlocuteurs. Ils évoquent immédiatement à Hux de dangereux prédateurs, des carnassiers prêts à bondir sur leur proie.

Les femmes médisent et les hommes méprisent. Les verres se cognent doucement lorsque l'on veut trinquer à la santé de quelqu'un. Le champagne brille de ses mille reflets dorés, les bulles bruissent à la surface. Les robes multicolores, brodées d'or ou d'argent, décorées de pierres et de perles, sont admirées, applaudies et félicitées avant d'être immédiatement comparées aux autres. Les coiffures sont jugées. Le moindre faux pas, condamné. Un ban de requins à l'affût de la moindre goutte de sang. Une faiblesse est fatale. La plus infime brèche dans les défenses est exploitée et peut valoir une annihilation complète et immédiate.

Il ne peut s'empêcher de chercher Raene du regard. Elle devrait être là. Elle doit être là. Elle n'a certes aucun droit sur la fortune de ses parents et encore aucun pouvoir, mais elle est le visage de la relève. Seule enfant du couple de riches notables, elle est celle qui devra faire perdurer le nom d'Inkari, et sa vie sociale avait commencé très tôt. Lorsqu'ils étaient enfants, ils devaient souvent interrompre leurs parties de jeux pour qu'elle se rende à une soirée mondaine ou un dîner qu'elle présentait plus tard comme particulièrement ennuyant. C'était les exigences de sa condition, comme les siennes impliquaient qu'il passe la majeure partie de son temps à l'Académie Militaire. Mais il ne voit que des inconnus, partout. Il se sent presque submergé par tout ce monde. Il veut se raccrocher au regard de Sloane, mais son mentor a déjà disparu dans la foule, le laissant complètement désœuvré. Des paroles prononcées un jour par Raene lui reviennent soudain en mémoire. Ces soirées sont comme un champ de bataille. Tuer ou être tué. La proie ou le prédateur. Et tout le monde veut être le prédateur. Il prend une grande inspiration, et rajuste discrètement son costume de cérémonie afin qu'il tombe parfaitement sur ses épaules. Un domestique passe devant lui, et il se saisit d'un des verres posés sur le plateau. Il est prêt à se jeter dans la gueule du loup.

— Bonsoir, soldat Hux.

Il tressaille. Il n'a entendu personne arriver. Pourtant, comme si elle avait lu dans ses pensées et vu son inquiétude, Raene se tient là, droite et imperturbable, majestueuse dans sa robe anthracite aux manches cousues de dentelle. Ses cheveux acajou sont retenus en une coiffure compliquée qui semble s'enrouler autour de son crâne comme un serpent. Hux se redresse immédiatement, se met au garde à vous. Il ne veut pas qu'on l'accuse de la moindre familiarité avec son hôte. Leur intimité est secrète et doit le rester.

— Sergent, Madame, corrige-t-il.

— Il n'y a pas de quoi se vanter, remarque Raene.

Elle s'empare de la coupe de champagne qu'il tient à la main et la porte à sa bouche. Il fronce le nez. En temps que membre de l'armée, il n'a que très rarement l'occasion de goûter une boisson aussi coûteuse et aimerait bien qu'on ne le prive pas de ce plaisir. Mais la jeune femme semble n'en avoir rien à faire. Ici, elle est reine. Les hommes sont à ses pieds, espérant un mot doux, un geste, un regard. Les femmes s'inclinent, elle a gagné la partie de par sa naissance. Et elle agit comme si elle ne le savait pas. Comme si elle était une femme comme les autres, mêlées au milieu de tous ces invités. Comme si elle n'était pas spéciale. Elle embrasse la salle du regard, avec un petit sourire. Elle fait mine d'ignorer, mais elle sait. Un simple geste, et ils ne seront plus rien. Elle donne un petit coup d'épaule à Hux.

— Venez, Sergent. Ici, le pouvoir s'acquiert avec un nom, tous les invités ici présents en ont déjà un et il est temps de forger le votre. Je vais vous les présenter.

Elle lui effleure la main, fait mine de la lui attraper, mais il se retire d'un geste brusque, comme si elle l'avait brûlé. Il la suit néanmoins, évitant avec adresse les groupes de discussions. A leur passage, les gens s'arrêtent de parler avec respect, guettant l'attention de Raene, prêts à s'incliner devant elle. Elle choisit soigneusement les gens avec qui parler, laissant une grimace d'amertume à ceux qu'elle ignore. Les élus, en revanche, se répandent en courbettes et compliments. Les plus jeunes la regardent avec envie. Elle n'est pas mariée, et elle représente probablement le meilleur parti d'Arkanis. La séduire est primordial, pour eux. Raene fait comme si de rien n'était, sourit gentiment à leurs avances maladroites. Intérieurement, Hux jubile. Il a beau, pour eux, n'être qu'un soldat comme les autres, un membre de la plèbe méprisable, il possède déjà ce que tant convoite. Alors que beaucoup idolâtrent la jeune femme, rêvent probablement d'elle dans leurs nuits agitées, il connaît son corps dans les moindres détails. A embrassé ses lèvres roses, touché sa peau tant de fois qu'il ne peut plus les compter. La clé du pouvoir dépend peut-être du nom, mais il en crochète habilement la serrure.

La première fois que Raene le présente, cependant, il ne peut s'empêcher de rougir. Le vieil homme en face de lui, Skobra Crowe, porte tant de décorations sur son veston militaire que le tissu disparaît à certains endroits sous les médailles. Il inspecte Hux de la tête au pied, d'un œil critique. Un léger sourire méprisant déforme ses lèvres. Le sergent ne se démonte pas, garde un air digne, se tient droit. Les mains croisées derrière le dos, il serre ses poings si fort que ses phalanges blanchissent. Il n'a pas besoin de demander la raison de cette condescendance. Chez les plus hauts gradés, il est déjà connu comme étant le bâtard de Brendol Hux. Un titre qui n'appelle pas vraiment au respect. Raene, en revanche, ignore complètement la réaction de l'homme. Elle vante les mérite de ce sergent si jeune et talentueux, monté en grade de par son unique volonté, à la force de ses bras et de sa tête. Hux lui jette un regard étonné. Il ne s'attendait pas à tant d'éloges de sa part. Malgré le mépris qu'il a affiché au premier abord, Crowe l'écoute, son regard s'adoucit un peu. Il finit même pas serrer la main de Hux.

Raene l'entraîne dans la foule et, au fur et à mesure qu'elle lui présente les invités – des notables et des hauts gradés de l'ancien Empire, pour la plupart – Hux se sent revivre. Il n'est plus un pauvre chiot au milieu des loups affamés qui montrent les crocs. Il est l'un d'eux. Il est le plus jeune gradé de l'Académie militaire, il est le survivant de nombreux combats à mort, il est celui qui les écrasera tous et prendra le pouvoir. Ils parlent à l'un des prétendants de Raene, un jeune homme méprisable du nom d'Arslan Odan mais qui allait un jour hériter d'une énorme fortune dont il parlait comme si elle lui était déjà acquise, lorsqu'un murmure remue la foule. Un invité de marque vient d'arriver, un de ceux dont on veut systématiquement se faire bien voir, peu importe notre rang. Hux guette la porte, mais trop de gens lui bloquent la vue. Il a envie de les pousser pour pouvoir observer de plus près ce mystérieux arrivant. Un petit groupe se pousse enfin, libère le passage. Il a l'impression qu'on vient de lui jeter un seau d'eau glacée au visage. Lui donner un coup de poing dans la poitrine. Entouré de deux ou trois hauts dignitaires, son père serre la main du couple Inkari.

Il attrape la main de Raene, serre ses doigts. Arslan grimace un peu en le voyant faire. En cet instant, Hux s'en fiche. Il veut fuir, le plus loin possible. Quitter cette maison, cette fête, ces gens. Se transformer en toute petite souris pour pouvoir se faufiler dans un trou, se cacher pour oublier. Brendol Hux ne l'a même pas remarqué, il passe de petits groupes en petits groupes, serre des mains, hoche la tête. Il se rapproche, doucement, petit à petit, mais Hux a l'impression qu'il se rue sur lui. Encore quelques mètres... Il faut qu'il trouve une sortie, un moyen de s'éloigner. Et actuellement, Raene est son seul recours. Après cette soirée, il faudra qu'il trouve un moyen de la remercier proprement.

— Viens, on s'en va, souffle-t-il.

Il veut l'attirer plus loin, mais elle résiste.

— Non, attends.

Un petit sourire étire brièvement ses lèvres et ses yeux s'éclairent d'une lueur que Hux ne connaît que trop bien. Elle a une idée. Une idée qui ne va pas lui plaire. Une idée qu'il devine très clairement et qui le pétrifie d'avance. Raene, au plus grand dépit d'Arslan, s'élance vers le nouvel arrivant. Cette fois-ci, c'est elle qui rencontre une résistance. Hux ne peut pas bouger. Ne veut pas. Surtout pas. C'est une très mauvaise idée. Elle se rapproche de lui, doucement, maintient un écart suffisant pour respecter tout protocole mais suffisamment près pour qu'il l'entende.

— Ça va aller.

Il secoue la tête, encore plus pâle qu'à l'accoutumé. Il a envie de vomir. Son père se rapproche encore. Il ne l'a toujours pas vu. Et Hux sait très bien qu'il ne veut pas le voir. Il est une honte à son sang. Raene lui serre la main un peu plus fort. Dans ses yeux, il peut lire mille paroles rassurantes qu'elle n'a pas besoin de lui dire. Il faut qu'il ait confiance en elle. Elle a confiance en lui. Il prend une grande inspiration. Fait un pas en avant. Raene lui sourit, cligne doucement de l'œil. Elle lui lâche la main et s'avance vers Brendol Hux. Il la suit, le souffle coupé par la peur. Une énorme boule s'est formée dans sa gorge, il a la bouche sèche. Il va se ridiculiser. Raene se plante devant son invité avec toute la confiance qu'elle peut dégager lorsqu'elle le veut.

— Général Hux, bonsoir.

Il se retourne vers elle d'un air étonné. Qui a ainsi osé lui couper la parole ? Mais lorsqu'il reconnaît son interlocutrice, son regard s'adoucit et il sourit. On ne refuse rien à Raene Inkari. Il n'a jamais regardé son fils de cette manière.

— Bonsoir, Mademoiselle Inkari. Vous êtes resplendissante, ce soir.

— Je vous remercie. Laissez-moi vous présenter le Sergent Hux, le jeune prodige de l'Académie.

Les regards des deux hommes se heurtent. Dès lors qu'il reconnaît son fils, le visage de Brendol se ferme. De marbre, il hoche légèrement la tête pour le saluer. Hux lui accorde un salut militaire parfait, droit comme un piquet. Au fond de lui, il hurle. Il a envie de secouer cet homme qui ne lui a jamais montré la moindre affection. Lui beugler au visage tout ce qu'il a fait pour qu'il soit fier de lui. Lui montrer tout ce qu'il peut ressentir. Il ne comprend pas ce que fait Raene.

— Le Sergent est un membre important de notre armée, continue cependant la jeune femme. Il représente tout l'avenir d'Arkanis, la grandeur de son armée et du Nouvel Ordre. Après tout, être gradé si jeune, c'est inouï. Vous n'êtes pas d'accord, Général ?

Brendol semble hésiter. Il ne sait pas où se mettre. Maintenant, Hux jubile. Son père n'osera jamais faire la moindre remarque désobligeante, si elle n'est pas justifiée, devant tant d'invités. Il est bloqué.

— Je suppose, grogne le Général.

— Vous devez sans doute avoir beaucoup à vous dire. A ce rythme, le Sergent sera l'un de vos égaux avant ses trente ans. Peut-être avez-vous quelques conseils à lui donner ?

Cette fois-ci, Brendol fusille son hôte du regard. Il a parfaitement compris son jeu, où elle voulait en venir. Et il a les mains liées. Tant qu'elle reste là, il ne peut pas lui faire l'outrage de contredire ses paroles et d'ignorer son fils. Derrière l'épaule du Général, Hux aperçoit Sloane qui les observe, suffisamment proche pour les entendre. Elle lève légèrement son verre en sa direction et lui accorde un petit clin d'œil. Il a gagné.