4 mois plus tôt

23 mai 2018 [15:32]

Lycée Yuei

- Voilà, je voudrais ... enfin, j'aimerais savoir si ... si tu accepterais qu'on aille au cinéma tous les deux ?

Kirishima s'arrêta dans l'encadrement de la porte, bloquant l'accès à la seule sortie de la salle de classe. Il ne prêta aucune attention à Iida qui lui hurlait de ne pas encombrer le passage, non pas par manque de respect envers son délégué, mais parce qu'il ne l'entendait pas. Il n'avait d'intérêt (et d'oreilles) que pour la scène qui se déroulait sous ses yeux.

- Ça me dépasse, soupira Kaminari dans son dos. À croire qu'avoir mauvais caractère, ça rend populaire auprès des femmes.

En effet, Bakugo était planté au milieu du couloir, face à une étudiante de la filière générale dont les joues rosées et le pied remuant trahissaient tout son embarras. Le blond colérique de la seconde A lui plaisait, cela crevait les yeux.

Et avec la proposition de sortie qu'elle venait de lui faire, il ne faisait plus aucun doute : elle était soit, enhardi e par l'amour, soit complètement suicidaire.

- Sérieusement ... souffla Bakugo. Vous croyez que je n'ai que ça à faire ? Je n'ai pas le temps de répondre à vos sentiments d'un jour, ni de vous divertir le temps d'un putain de rencard. Je ne suis pas à Yuei pour batifoler. Je m'en tape de vos déclarations.

Face à la réponse plus que violente de son ami, Kirishima s'empressa d'intervenir, suivi de près par le manipulateur d'électricité, et du reste de la bande : Sero et Mina.

- Non mais ça ne va pas, mec ! s'exclama-t-il avant de se tourner vers l'adolescente. Excuse-le, il peut paraître brut de décoffrage, mais en réalité il n'est pas bien méchant.

Peine perdue, la rejetée avait déjà commencé à tourner les talons pour fuir cette situation. Rien d'étonnant après un tel râteau.

- Bon sang, Bakugo, t'abuses ! lui rapprocha son ami. Ce n'est pas comme ça qu'on s'adresse à une fille !

- Fille ou pas, ça ne change rien, je n'irais pas à ce rencard.

- Ce n'est pas ce qu'on te demande, temporisa Sero, mais reconnaît que tu y as été un peu fort.

- Ouais, et bien, avec un peu de chance, elle ira raconter à ses copines que je suis le pire des goujats et elles me ficheront enfin la paix.

Kirishima tiqua sur cette dernière phrase et osa demander :

- Ce n'est pas la première déclaration qu'on te fait ?

- Tu rigoles ou quoi ? Je reçois au moins trois lettres parfumées toutes les semaines ! Mon casier empeste la mangue ou ce genre de fruit à la con que personne ne mange !

Le garçon aux cheveux rouges savait son camarade populaire mais pas à ce point. Même s'ils passaient le plus clair de leur temps ensemble, il supposait que les filles attendaient que Bakugo soit seul pour confesser leur amour. Logique qu'il n'ait rien vue avant.

Peut-être que ce style rebelle et vantard avait toujours eu de quoi attirer les foules, Kirishima n'en savait rien. Au fond, ils ne se connaissaient que depuis deux mois, et il avait fallu du temps pour qu'il parvienne à percer un tant soit peu la carapace du blond pour s'y frayer un chemin. L'attaque du SCA survenue quelques semaines plus tôt avait vite eu fait de les rapprocher.

Réussir à entretenir ces rapports n'était pas de tout repos. Mais aujourd'hui, Kirishima était fier de pouvoir dire qu'ils étaient amis.

- Tu nous as caché que tu avais autant de succès, relança Mina avec entrain.

- Qu'est-ce qu'on en a à faire ? répliqua l'intéressé. Ce n'est pas ça qui va m'aider à devenir le numéro 1.

- La popularité joue beaucoup dans le classement final de la Commission, précisa Sero. Si tu continues à faire fuir tes prétendantes de cette manière, elles risquent de te faire une sale réputation qui te suivra longtemps.

- Rien à faire, dit Bakugo. Je veux devenir un héros qui débarrasse le monde des vilains. Je ne veux surtout pas devoir ma place à des sponsors ou à des sourires forcés.

C'était tout à son honneur, Kirishima devait bien le reconnaître. Son camarade avait une vision bien à lui du métier, et des convictions si profondes qu'il ne pouvait en être qu'admiratif.

Il se sentit sourire tout seul. Son ami était décidément quelqu'un d'incroyable.

- Est-ce que ça veut dire que tu vas te priver toute ta vie de connaître l'amour ? le taquina Kaminari.

- Déforme pas tout, abruti ! Je n'ai jamais dit ça.

- Allons, il te taquine, c'est tout, fit le garçon aux cheveux rouges en passant son bras autour des épaules de Bakugo. Et puis goujat ou pas, en attendant de trouver l'amour, nous, tes amis, on sera là pour refaire ta réputation si besoin.

« Ami ».

Oui. Kirishima était fier de pouvoir dire que lui et Bakugo en étaient à ce stade de relation.

Et pourtant, une simple déclaration d'une inconnue et une discussion lamba dans un couloir venaient de changer la valeur de ce mot symbolique.

Aussi déterminé pouvait-il être, Bakugo ne réfutait pas complètement l'idée d'allier vie sentimentale et carrière de héros. Il venait lui-même de l'avouer à demi-mot. Grand bien lui fasse, il avait parfaitement raison.

Alors pourquoi Kirishima sentit son cœur se pincer à l' idée de le voir avec une fille ?

Pourquoi le mot « ami » semblait tout d'un coup avoir perdu de sa saveur ?

19 septembre 2018 [06:11]

Hôpital de Matsuzawa

Un premier rayon de soleil filtra à travers les fenêtres de l'accueil et vint aveugler Bakugo, assis contre le mur. Il grogna, prenant l'apparition de l'astre comme une provocation du karma. Dans ce genre de situation, n'était-il pas censé pleuvoir à torrents ? Comme si le monde partageait notre douleur ?

Bakugo ne méritait visiblement pas cet élan de compassion. Au contraire, à l'extérieur, le soleil levant et les oiseaux chantants, se plaisaient à lui rappeler que la Terre continuait de tourner. Que rien n'avait changé entre hier et aujourd'hui.

Il tourna la tête, préférant se concentrer sur ses accompagnateurs, plutôt que sur la lumière du jour. Sur la rangée de sièges, à côté de lui, Tamaki faisait vibrer nerveusement sa jambe, malgré la pression réconfortante que Fat Gum exerçait désespérément sur son genou. Aizawa, lui, gardait les bras croisés contre sa poitrine, en espérant que cela suffirait à masquer sa respiration troublée : ça ne fonctionnait pas.

Après avoir annoncé la triste nouvelle à Bakugo, le professeur s'était retiré à l'extérieur pour soi-disant accueillir les parents de Kirishima. Mais le blond n'était pas dupe. Il savait que son enseignant était avant tout sorti pour pouvoir pleurer à nouveau loin du regard des autres.

Passé l'annonce de la mort de son camarade, l'adolescent n'avait pas encore versé la moindre larme, et il ne ressentait plus qu'une vive anxiété. Pour cause : il refusait d'y croire. Son cerveau s'efforçait de rester dans un déni profond, comme un mécanisme d'autodéfense. Tant que Bakugo n'aurait pas une preuve concrète sous les yeux, il réfuterait l'idée que son camarade soit réellement parti. Il n'avait que ça pour tenir. Question de survie.

Les parents de la victime étaient avec lui depuis plusieurs heures et Bakugo se devait d'attendre leur retour et leur accord avant de pouvoir aller le voir. Il trépignait d'impatience, convaincu que tout ceci n'était qu'un malentendu. La vie ne pouvait pas être aussi cruelle. Ce genre de catastrophes n'arrivaient qu'aux autres ou dans les films.

Les parents de Kirishima revinrent dans le hall, poussant Aizawa et tous les autres à se redresser par politesse. Non pas qu'ils les regardent, ils avaient bien d'autres choses à penser.

C'était la première fois que Bakugo les rencontrait. Son père était un homme grand et baraqué, avec des dents que l'on pouvait deviner aussi acérées que celles d'un requin. Quant à sa mère, Kirishima avait hérité de ses iris rouges sang. Enfin ça, c'était ce que le blond supposait. Difficile de déterminer avec exactitude la couleur des yeux d'une femme lorsqu'elle pleure.

Son mari devait la tenir entre ses bras pour lui éviter de s'effondrer complètement. Un tableau déchirant qui n'aurait jamais dû avoir lieu.

- Je ne peux imaginer toute la douleur que vous ressentez, entama Aizawa d'une voix rauque et instable. J'ai failli à mon devoir. J'aurais dû le protéger.

- Non, c'est moi qui aurait dû intervenir, corrigea Fat Gum. Il était sous ma responsabilité au moment où ...

- Vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir, les interrompit Monsieur Kirishima faiblement. Vous n'auriez pas pu le prévoir.

Sa femme acquiesça douloureusement entre deux sanglots et s'efforça même d'offrir un sourire bienveillant aux héros, comme pour les rassurer.

Oui. Kirishima avait été façonné à l'image de ses parents, et pas que physiquement. Bakugo comprenait d'où lui venait cette bonté naturelle, et ce besoin constant de voir le bien en chaque être humain. Il était de ces personnes qui ne méritait certainement pas de mourir. Encore un fait qui confortait le lycéen dans son délire : Kirishima ne pouvait pas être mort, même le Diable n'était pas injuste à ce point.

- Je peux aller le voir ?

Il avait conscience que sa demande pouvait paraître déplacée, mais les mots étaient sortis de sa bouche avant même qu'il n'ait pu les retenir. Il fallait qu'il en ait le cœur net, qu'il prouve à tout le monde que ce n'était qu'une erreur -une épouvantable erreur- et que Kirishima était toujours bel et bien vivant.

Bakugo se mit à courir vers la chambre où reposait son ami à la seconde où le couple accepta d'un hochement de tête.

« Tu vas voir, idiot ... Je vais prouver à tes parents, à Aizawa, à Fat Gum et tous les autres qu'ils se sont trompés. Les médecins sont vraiment à chier ici. »

« Et puis tu ne serais jamais parti de ce monde s'en m'avoir envoyé balader après ce que je t'ai dit la dernière fois. »

Tout en rejoignant la fameuse pièce, Bakugo se demanda sur ce qu'il pourrait faire en premier en retrouvant son camarade : lui hurler dessus pour avoir fait paniquer tout le monde, le frapper pour qu'il comprenne combien il avait causé du mal à ses parents ... ou s'excuser, pour la façon dont ils s'étaient quitté la semaine précédente. Et pour ces mots violents que le blond lui avait balancé à la figure.

Il balaya ses différentes options en secouant la tête. Il laisserait son instinct parler.

L'adolescent ouvrit la porte de la chambre en trombe. Son cœur rata un battement, et un nœud se noua au creux de son ventre. Jamais, dans sa courte vie, il n'avait fait face à un spectacle aussi déroutant.

Kirishima reposait sur un lit, inerte, le corps parcouru de tout un tas de fils et de tubes. Malgré cette vision assez perturbante, Bakugo se sentit soulagé d'entendre le « bip » régulier du moniteur. Il avait suffisamment bouffé de ces séries médicales dont Mina raffolait pour savoir que ce que cela voulait dire. Il avait eu raison d'y croire : le cœur de Kirishima battait toujours.

Le blond évacua son angoisse d'un soupir et se rapprocha de son ami.

- Tu m'as fichue une de ces peurs, tête d'orties...

Le visage du rouge était détendu, il avait l'air de dormir paisiblement.

- Toutes mes condoléances, jeune homme, résonna une voix dans son dos. J'imagine comme c'est compliqué de perdre un ami à votre âge.

Le concerné laissa quelques secondes s'écouler, avant de lâcher un rire nerveux.

- C'est quoi cette mauvaise blague ? Est-ce que je suis le seul à avoir des oreilles ici ? Votre foutu moniteur, il ne veut rien dire peut-être ?

Loin de s'offenser de son ton, le médecin eut l'air profondément touché par les paroles de l'adolescent.

- Oh ... C'est plus compliqué que ça ... Votre ami a subi un violent traumatisme crânien. Un vilain avec un alter de force l'a propulsé contre un mur de béton. Le choc a provoqué une vive hémorragie que nous n'avons pas pu résorber.

Bakugo accusait chaque mot comme un uppercut en plein ventre. Pour la première fois depuis son arrivée à l'hôpital, quelqu'un lui expliquait clairement ce qui était arrivé à Kirishima. Ni Fat Gum, ni Tamaki, pourtant présents au moment des faits, n'avaient eu la force de le faire.

Pour autant, le lycéen refusait d'entendre la vérité. Il se mordit l'intérieur de la joue pour s'empêcher de hausser le ton davantage. Il s'efforça de retenir ses larmes montantes.

- Vous dîtes n'importe quoi. Il respire encore.

- Seulement grâce au respirateur artificiel. Sans ça, il en est incapable.

- Alors, on a cas attendre qu'il se réveille, et qu'il puisse de nouveau le faire seul.

- Il ne s'agit pas d'un coma. Votre ami ne se réveillera pas.

« Ce n' est pas qu'un ami. »

- Qu'est-ce que vous en savez, putain ? Tous les jours dans le monde il arrive des phénomènes que vous ne pouvez pas expliquer, alors pourquoi est-ce que-

- Il est en mort cérébrale.

C'était sorti.

Le médecin aurait préféré lui épargner un terme médical aussi cru mais c'était le seul moyen qu'il avait de lui faire voir la réalité en face.

- Il est de miracle qui sont irréalisables, ajouta-t-il tristement. Même dans un monde fait d'alters.

Le cœur du professionnel de santé se tordit lorsqu'il vit de longues larmes s'échapper des yeux de l'adolescent. Les lèvres pincées, Bakugo secoua vivement la tête comme pour oublier ce qu'il venait d'entendre.

- Vous ne le connaissez pas, lâcha-t-il. C'est la personne la plus déterminée et la plus têtue que je n'ai jamais rencontré. Il ne laisserait pas une hémorragie minable l'emporter comme ça.

- Je suis persuadé qu'il s'est battu de toutes ses forces.

- VOUS NE COMPRENEZ PAS !

Une explosion éclata entre ses paumes. Pas assez puissante pour causer des dégâts, mais assez pour faire reculer le médecin.

- Il ne serait pas parti comme ça ! reprit-il la voix brisée. On s'est disputé, et je lui ai dit des choses horribles ! Il doit se battre, ne serait-ce que pour me coller la gifle que je mérite ! Alors pourquoi est-ce que vous parlez comme si c'était trop tard ?

Le docteur n'avait pas de réponse à lui donner. Si ce n'était que la vie était injuste. Mais ce n'était clairement pas ce qu'un gamin de seize ans à qui l'on venait d'arracher une partie de lui-même, avait envie d'entendre.

- Je suis profondément navré.

Bakugo encaissa ces condoléances comme une ultime provocation et implosa. Des douloureux sanglots lui échappèrent, et seul face au reste du monde, il se tourna vers Kirishima comme en ultime recours.

- Prouve-leur, toi ! Montre que tu n'es pas du genre à abandonner aussi facilement ! Que jamais, tu ne nous aurais quitté comme ça ! Allez, réveille-toi !

Bien évidemment, seul le « bip » de l'appareil respiratoire lui répondit. De quoi accentuer sa détresse.

- Merde, Eijiro ! Ne fais pas le con ! Réveille-toi !

Mais plus les secondes passaient sans réponse, plus il prenait conscience de la situation. Ses appels se murent rapidement en supplication.

- Je t'en supplie... Ouvre les yeux ...

Il sentit sa tête tourner, ses oreilles se boucher et son contrôle lui échapper.

La dernière chose dont il se souvint, c'est des bras d'Aizawa autour de lui, en train d'essayer de le réconforter, autant que d'inhiber son alter. Sans quoi, la douleur de la réalisation, insoutenable, l'aurait sûrement pousser à faire exploser le bâtiment.

À suivre.