– Quel temps pourri, je pleins les premières années qui doivent venir en barque, s'exclama Ruby, en courant pour aller dans une calèche.

Elle approuva d'un signe de tête. Ils avaient à peine fait quelques mètres qu'ils étaient déjà trempés jusqu'aux os. Heureusement que les calèches étaient chauffées.

Montant dans une calèche en compagnie de ses trois autres amis, elle s'affala littéralement sur la banquette capitonnée, se poussant en catastrophe quand Matt fit semblant de venir s'affaler sur elle.

S'attachant les cheveux en quelque chose de plus présentable, elle soupira, puis se frotta les yeux. Elle n'aspirait qu'à dormir. Son dos lui faisait toujours autant mal et les cahots de la route n'aidaient pas.

– Tu es toujours là Parker ? cracha Rosier, alors qu'elle venait à peine de passer les portes de l'école. Tu devrais refaire la répartition, tu n'as pas ta place dans notre maison.

– Mais ferme-là, Rosier, cracha Maëva, la fatigue la rendant que plus agressive. Tu comptes me faire la même diatribe à chaque fois qu'on se croise ? Ton cerveau n'est pas assez développé pour réfléchir à une autre phrase ?

– Je suis supérieur à toi, tu dois me respecter, siffla Anderson, en la poussant violemment contre le mur de pierre.

Elle se mordit la lèvre pour s'empêcher de pleurer, sentant les pierres appuyer sur ses hématomes. Autour d'eux, un attroupement fébrile s'était déjà formé, et le mot bagarre circulait sur toutes les lèvres.

– Monsieur Rosier, que faites-vous ? s'exclama la professeure de métamorphose, Daphnée Greengrass, en avisant l'attroupement.

– Rien du tout, déclara ce dernier, en jetant un regard méprisant envers la née moldue.

Anderson s'éloigna, mais pas assez pour ne pas se faire entendre.

– Tu ne payes rien pour attendre, sang de bourbe. Tu n'as pas ta place ici.

Elle essuya une larme traîtresse, s'éloignant rapidement de l'attroupement, ignorant les appels du professeur et de ses amies. Elle dépassa la grande salle sans un coup d'œil à l'intérieur, sentant derrière le regard brûlant des autres Serpentard.

Il lui avait fallu très peu de temps pour comprendre que venir d'une famille de moldus n'était pas une réponse acceptée dans cette maison, où la pureté du sang était la chose la plus importante à leurs yeux. Même si la guerre contre Voldemort — elle ne comprenait pas pourquoi on ne devait pas prononcer son nom, c'était absurde — était finie, ceux qui étaient de son côté n'avaient pas disparu pour autant, et n'attendaient qu'un signe, qu'un leader pour se montrer. Être une née moldue pas du tout exceptionnelle, cela suffisait pour que les Serpentard considèrent qu'elle jetait le déshonneur sur leur maison. Hier, elle avait hâte de revenir ici, mais finalement, elle n'y était pas plus à sa place que quand elle était chez elle.

Elle s'enferma dans une cabine de toilette, puis sortit de ses poches un scalpel. Elle remonta sa manche, avant d'appuyer lentement la lame contre sa peau.

Elle avait déjà tenu deux ans. Elle pouvait bien tenir un an de plus.

Elle s'est tailladé les veines en regardant le sang couler.

Quand la répétition du geste fut suffisante pour se calmer, elle prit la direction de la salle commune, indifférente au fait que tout le monde était réuni dans la grande salle pour le discours de rentrée, la répartition et le repas. Elle n'avait pas faim, et elle verrait les petits nouveaux demain au déjeuner de toute façon.

Elle traversa les couloirs déserts, reçut quelques commentaires des tableaux qui s'étonnaient de ne pas la voir au repas, puis arriva enfin devant le tableau de la salle commune. Elle ouvrit la bouche avant de la refermer. Elle n'avait pas le mot de passe.

– Sang pur ? essaya-t-elle, en mettant ses mains dans ses poches.

– Pur-sang, pureté, Élite, ambroisie, Éden, pomme, pom pom pom pom… énuméra-t-elle, sans queue ni tête, espérant que le passage s'ouvre.

Voyant que ce n'était pas le cas, elle soupira, essayant une autre approche.

– Écoutez, je suis crevée, j'ai mal presque partout et j'ai encore des devoirs à finir, car j'étais trop occupée à fuir mon père plutôt que de me concentrer sur mes devoirs. Alors pour l'amour de Dieu, laissez-moi passer.

– Miss Parker, puis-je savoir pourquoi vous n'êtes pas au repas ?

Elle sursauta, voyant son responsable de maison arriver vers elle à grande enjambée. Comment avait-il su qu'elle était ici ? Et surtout, qu'avait-il entendu ?

– Je… déclara-t-elle, réfléchissant à toute vitesse. Je voulais juste aller dans mon dortoir, professeur.

– Et vous pensiez donc que votre présence au repas était facultative ?

– Excusez-moi, je ne me sentais pas très bien alors je voulais me reposer.

Pour ce mensonge, elle n'était pas allée chercher très loin. Elle était vraiment fourbue de partout, et donnerait cher, pour du silence et un sommeil sans son père qui hurle au milieu de la nuit, mécontent du résultat d'un des matchs de football ou d'un pari.

– Alors, allons donc voir Mrs Reeces, ordonna Severus.

– NON ! s'exclama-t-elle, avant de se maudire devant cette réaction tout sauf naturel.

– Je veux dire, reprit-elle d'une voix assurée. Pas besoin de la déranger pour si peu, j'ai juste mangé trop de bonbons dans le train.

Severus regarda son élève en troisième année, à moitié convaincu de son excuse. Après un long temps de silence de réflexion, il finit par abdiquer et se tourna vers le tableau pour donner le mot de passe. Fouillant dans ses poches, il sortit une potion, le tendant à la jeune fille.

– Potion contre la douleur, pour éviter que vos maux de ventre finissent par vous faire rendre vos bonbons dont vous vous êtes goinfrés.

– Merci, déclara-t-elle, en prenant la potion, enchantée intérieurement d'être si bonne actrice.

– Vous n'avez rien à me dire ?

– Euh, merci encore ?

Ce dernier claqua la langue, agacé, repartant en sens inverse. Elle soupira d'angoisse et de soulagement, se demandant néanmoins ce qu'il voulait. Elle se dépêcha d'entrer dans la salle commune déserte pour aller prendre sa douche puis finir ses devoirs.

– Maé, pourquoi tu n'es pas venue manger ! s'exclama Céleste, en entrant dans le dortoir.

La concernée sursauta, renversant son flacon d'encre noire sur son parchemin qu'elle avait mis tant de temps à écrire.

– Oh non, mon devoir de métamorphose !

– Oh, tu n'as pas fini tes devoirs ? demanda Ruby, compatissante. Laisse-nous t'aider. C'est vrai que nous, on a l'avantage d'avoir nos parents pour nous aider si l'on ne comprend pas.

– Tu aurais dû nous envoyer une lettre, tu sais très bien qu'on t'aurait aidé, ajouta Ruby, légèrement accusatrice.

Maëva ne répondit rien, se contentant d'offrir son sourire le plus innocent.

.

– Les filles, vous dormez ? murmura-t-elle, en entrouvrant une teinture.

Rassurée face au silence, elle se glissa hors de son lit sur la pointe des pieds, puis rejoignit la salle de bain tout aussi discrètement. Une fois la porte fermée, elle quittait son haut de pyjama, regardant son corps frêle dans le miroir, passant ses doigts sur les marques sombres. Son père n'était pas méchant, il aimait juste un peu trop l'alcool. Certains avaient l'alcool joyeux, d'autres… elle ne savait même pas pourquoi il buvait. Est-ce qu'il lui fallait seulement une raison ?

La douleur de ses muscles finira par disparaître, tout comme ses hématomes et ses cicatrices. Cela n'était qu'une question de temps. Jusqu'à la prochaine fois.

Prenant sa fidèle lame, elle resserra sa main autour, faisant couler son sang. C'est son sang qui coule, ce ne sont plus ses larmes.

.

– Tu es déjà réveillée ? Et habillée ? demanda Céleste, avec consternation, en la voyant assise au bureau, travaillant sur un devoir quelconque.

– Je ne sais pas pourquoi tu t'étonnes encore de ce fait, c'est toujours elle qui est réveillée en premier, marmonna Ruby, en se grattant les cheveux.

– Je vais déjeuner, lança-t-elle à la cantonade, en embarquant son livre et le parchemin sur lequel elle prenait des notes sur les sujets à approfondir et ses théories.

Sans attendre de réponse de ses camarades qui venaient à peine de se réveiller, elle sortit du dortoir, livre de métamorphose dans les mains. Elle se réveillait avant tout le monde pour la simple et bonne raison que les douches étaient libres, et qu'elle pouvait se changer sans craindre qu'une personne lui pose des questions sur ses bleus ou ses coupures. Comme chaque fois, elle rentra dans une grande salle presque vide, hormis quelques personnes qui devaient être tombées du lit. S'installant, elle profita des places encore vides pour poser son livre, continuant ce qu'elle avait commencé tôt ce matin.

– Au cas où vous l'auriez oubliée, le petit-déjeuner est fait pour vous restaurer, et non pour travailler, déclara Severus, en prenant le livre puis le parchemin, la faisant se crisper soudainement, enfonçant ses ongles dans la paume de sa main par réflexe.

– Je …

– Une remarque à faire peut-être ?

– Non ! je suis désolée, déclara-t-elle vivement, en baissant la tête.

Le professeur de potion haussa un sourcil devant cette nouvelle réaction étrange. Emportant avec lui le livre de cours et le parchemin, il regagna sa place sur l'estrade. Il le lui rendrait à son prochain cours.

– Pourquoi lui avoir pris son livre ? S'enquit sa collègue de métamorphose. Ce n'est pas la première fois qu'elle le fait.

Le directeur de la maison des verts et argent ne répondit pas, se contentant de fixer Parker qui regardait quelque chose sous la table. Il y avait quelque chose d'étrange avec cette enfant, et il comptait bien découvrir quoi.

Fouillant dans ses poches, elle sortit un mouchoir pour tamponner le sang qui commençait à couler de sa paume. Elle veillait toujours à se couper assez pour que la douleur l'apaise, mais pas assez pour que ça se voie. Du moins sur la main. Ensuite ailleurs, c'était une autre histoire.

Tout à ses réflexions, elle releva la tête en voyant un mouvement en face d'elle.

– Tu n'as pas encore déjeuné ? demanda Céleste, interloquée, en voyant son assiette aussi vide que propre.

– Je vous attendais, déclara-t-elle, première chose qui lui vint à l'esprit.

– Pour une fois, commenta Ruby, en s'installant en face.

– De quoi, pour une fois ?

– J'avais pensé qu'avec la nouvelle année, nouvelle résolution tu vois ? Mais apparemment non, tu continues de ne jamais nous attendre, et de tout faire de ton côté. Tu ne nous attends jamais pour aller manger, pour aller en cours, ou même pour aller au dortoir le soir. Tu as du mal avec les cours, mais tu refuses notre aide, tu ne veux jamais venir chez nous, tu ne nous invites jamais, alors qu'on s'en fiche que tu sois née moldu ! Donc je dis pour une fois, car pour une fois tu nous as attendus, comme des amies le feraient.

– Ruby ! s'exclama Céleste, abasourdie.

– Oh, ça va, tu sais que j'ai raison, ça fait depuis sa première année qu'elle fait ça.

Elle ouvrit la bouche puis la referma, incrédule.

– OK, j'ai compris, souffla-t-elle en se levant.

– Maé, attends ! s'exclama Céleste, attirant quelques regards vers leur table.

– Bravo Ruby, déclara Matt, ironiquement.

– Oh ça va, j'ai raison, et vous le savez.

S'enfermant dans les toilettes, elle s'adossa à la porte fermée et se laissa glisser contre, appuyant toujours plus fort sur la coupure de sa paume pour ne pas pleurer. Elle pensait qu'elles étaient ses amies, mais apparemment elle s'était trompée. Si seulement elles savaient… mais elle ne pouvait pas leur dire.

Tu n'as pas ta place ici.

Où était sa place ?

En entendant la sonnerie des cours, elle se releva. Elle avait bien tenu deux ans, elle pouvait bien tenir un an de plus.

– Désolée pour le retard, marmonna-t-elle, en entrant dans les cachots.

– Maé vient à côté de moi, lança Matt, indifférent au fait de l'air agacé de Rogue.

– Bien, maintenant que vous vous êtes tous donné la peine de venir à mon cours, nous allons commencer.

Elle suivait consciencieusement le cours. Les potions étaient fascinantes. Comment des ingrédients aussi étranges pouvaient-ils donner des remèdes aussi puissants ? Grâce à ces breuvages, on pouvait faire repousser des os en une nuit, régénérer le sang en une seconde, faire disparaître la douleur immédiatement, et encore bien d'autres choses qui relevaient du miracle dans le monde des non-sorciers.

– Tiens ton couteau sur tout le manche, ce sera plus stable pour toi, chuchota Matt, qui la regardait faire.

– J'ai mal à la main, je ne peux pas… marmonna-t-elle, en faisant exprès de découper des limaces un peu plus grossièrement que requis.

– Tu as fait quoi ?

– Je me suis… euh…coincé les doigts dans la porte.

Ignorant le regard perplexe de Matt, elle continua à découper les ingrédients, priant pour qu'il ne pose pas plus de questions. Tant que les gens ne posaient pas de questions, elle pouvait gérer. C'était sa plus grande crainte, sa peur la plus profonde, celle de se trahir.

Un pic de douleur la fit siffler et se relever brusquement, une main sur la taille, alors qu'elle était penchée au-dessus de son chaudron.

– Truc de femme, mentit avec assurance la jeune fille à la question muette de son camarade qui lui demandait ce qu'il se passait.

Le cours se passa sans autres incidents notoires, faisant une potion moyenne. Alors qu'elle allait déposer son flacon sur la table du professeur, un livre lui fit tendu en même temps. Son livre de métamorphose, sans son parchemin. Alors qu'elle allait le prendre, le professeur Rogue le reprit, sous son regard rempli d'incompréhension. Une fois le dernier élève sortit, et avoir fait un sourire de politesse à Céleste qui l'informa qu'elle lui gardait une place en sortilège, le professeur Rogue daigna poser le livre sur la table.

– Vous cherchez ça aussi peut-être ? S'enquit ce dernier, en posant par-dessus le parchemin, sans pour autant le lâcher.

– Merci.

– Pourquoi ? demanda-t-il, les yeux légèrement plissés.

– Pourquoi quoi ?

– Pourquoi cacher votre niveau réel ?

– Je ne cache rien du tout, déclara-t-elle, en reprenant ses affaires.

La laissant partir, il resta songeur. Ce qu'elle avait écrit, ses théories, ses références à d'autres articles, ce n'était pas du niveau d'une troisième année. C'était même hors catégorie. Quels élèves en aspics réfléchiraient au fonctionnement de la magie ? Quels étudiants se poseraient la question de savoir si un animal conjuré à partir d'une table avait une conscience, des organes, ou bien était-ce la magie qui l'animait ?

Agacé, il fusilla du regard le Poufsouffle qui venait de faire tomber un tabouret. Décidément, le mystère autour de cette enfant s'épaississait.