Attrait
De mémoire, Sam n'a jamais vu le labo de McKay aussi vide. Tous les gens avec un tant soit peu de connaissances techniques avaient passé les trois dernières semaines dans l'armurerie, à modifier chaque arme dont ils disposaient afin qu'elles émettent l'impulsion énergétique nécessaire à désactiver les super-soldats d'Anubis.
De ce fait, elle se retrouve seule avec McKay dans le laboratoire à exhumer dans l'amas de recherches en attente, des éléments permettant encore d'augmenter leur chance de succès pour récupérer la Terre. Malheureusement, cette situation ne détourne pas McKay de son obsession pour le morceau de tissu qu'elle a cousu. Sam se dit qu'elle pourrait bien l'étouffer avec s'il la regarde encore une fois avec son air mi-contrarié, mi enjôleur.
« Et à propos de ça ? » Demande-t-il, pointant son doigt vers le tableau blanc où a été recopiée l'équation. Quatre des morceaux y sont accrochés côte à côté, recouverts des chiffres qu'elle y a inscrit, sans pour autant que cela soit plus limpide pour elle que pour lui.
« Je ne sais pas » Répond-elle en détournant le regard des nombres. Ils ont quelque chose de douloureux.
MacKay l'observe et durant un court moment, elle se dit qu'il va la pousser dans ses retranchements. Qu'il va l'accuser de mentir ou bien encore qu'il va lui demander pourquoi elle a pris la peine de revenir si c'est pour être inutile. Ce n'est qu'une fugace lueur dans ses yeux qui s'échappe très vite. Elle se demande quelles menaces ont bien pu proférer Daniel et Teal'c pour le garder tranquille.
Ne la brusquez pas. Elle est encore trop fragile.
McKay se retourne vers le tableau. Elle devrait en être soulagée, pourtant elle se sent déçue.
Elle ne sait pas pourquoi cela lui parait plus simple de mettre ces suites de nombres sous le compte de la folie, que d'admettre qu'elle n'avait pas été aussi stoïque et insensible quand son père lui avait annoncé le sort de la Terre ce jour là. D'accepter qu'il s'était peut être passé beaucoup plus de choses en elle qu'elle n'en avait eu conscience.
Elle lève les yeux vers le tissu et laisse son esprit divaguer, se rapprocher de la sensation de réconfort qu'il lui inspire. Elle laisse cette chaleur familière s'accumuler dans sa poitrine – ce vide, cette sorte d'engourdissement. Et là, juste en dessous, apparaissent progressivement les souvenirs. Ils se dressent devant elle, sans y être invités, apportant avec eux un picotement sous sa peau et une sensation soudaine d'urgence.
Ce jour-là, elle pensait à la Terre, à sa protection et à ce qu'elle aurait pu faire pour les sauver si elle avait été présente. C'est de là qu'étaient venus les nombres, réalise-t-elle. C'est cela qui les avaient fait surgir dans un acte désespéré de foi et de logique. Une manière de retourner la violence émise contre l'assaillant, une façon de le neutraliser. Une solution pour englober la planète sous un bouclier de défense impénétrable, afin que rien ne puisse l'atteindre. Isolée. Protégée. Parfaite.
Elle est incapable de dire s'il s'agissait d'un plan ou d'un fantasme.
Mais elle avait dû savoir, même alors, que cela la mènerait ici. Inévitablement.
McKay laisse tomber son stylo sur la table en soupirant. « Ca doit forcément dire quelque chose. » Marmonne-t-il dans sa barbe.
Comme beaucoup de gens ici, le scientifique cherche une solution miracle. Seulement, il ne la cherche pas au bon endroit.
Sam se redresse, essayant d'ignorer le tremblement de ses doigts, et le sentiment de panique toujours prêt à l'envahir. Jour après jour, il se fait de plus en plus bruyant.
McKay pivote pour la regarder s'éloigner. Sa déception est évidente, mais elle voit qu'il essaie de la dissimuler pour ne pas la heurter. « Ouais » Dit-il en hochant la tête comme si l'idée provenait de lui. « Pourquoi ne pas faire une pause ? »
Elle est déjà proche de la porte.
Dans le couloir, tout est calme. Bien trop calme et tranquille pour que ça le reste. Des voix résonnent déjà au loin. Il y a trop de monde ici. Trop de regards scrutateurs, de tensions. Ca s'accumule sous sa peau et menace de l'engloutir.
Ce dont elle a réellement besoin c'est de s'évader. Juste un moment, juste quelques jours pour respirer. Seulement elle n'a nulle part où aller. Elle craint de remettre un pied sur Cimmeria et de ne plus jamais être capable d'en partir.
C'est dangereusement attrayant.
Alors elle reste. Elle reste et essaie de ne pas s'effondrer.
Le bureau de Jason Reynolds est à l'image de son propriétaire : spartiate, utile mais avec de ci de là quelques touches de confort ou de camaraderie. On y trouve de l'ordre mais aussi des souvenirs. La rigoureuse régularité des rangées de classeurs, de documents et de journaux est de temps à autres interrompue par quelques objets épars pouvant être considérés comme personnels : une balle de baseball usée, cachée à côté d'une photo aux bords ondulés. Une plante grêle, maintenue on ne sait comment en vie dans cet environnement souterrain. Et un dessin de l'Enola Gay, dont Daniel se refuse à analyser la présence.
Il ne connaissait pas vraiment Reynolds avant leur exode sur Omega. Seulement que lui et Jack avaient réalisés des missions ensembles. Il avait parfois passé du temps en sa présence durant les pauses, entendu quelques blagues de sa part et surpris quelques paris à moitié sérieux concernant sa possible nudité prochaine.
Sérieux et concentré, voilà qui décrit finalement le mieux Reynolds maintenant qu'il le connait davantage. Il ne reste plus grand chose de son humour d'antan. Daniel ne sait pas bien si c'est parce qu'ils n'ont plus vraiment de raison de rire ces temps-ci, ou si, comme beaucoup de commandants avant lui, l'homme ressent le besoin de se tenir légèrement en retrait vis à vis de ceux qu'il commande.
Cela n'avait jamais été la façon de faire de Hammond, mais Daniel sent bien qu'il est déloyal en les comparant. Non seulement cela déprécie tout ce qu'a pu accomplir Reynolds pour les maintenir en vie, mais ça diminue également le dernier grand sacrifice de Hammond. Ils les avaient abandonné pour garantir leur retraite. De vaines comparaisons ne rendant justice à aucun des deux hommes.
Daniel se détache de son observation et dirige son attention vers le rapport qu'il tient entre ses mains. Il rencontre Reynolds une fois par semaine afin de connaitre l'avancement des calculs. Ils sirotent un café vers 7h32 pendant que l'archéologue fait un point sur les derniers travaux réalisés par le département de recherches et de traductions. Ils sont toujours à la recherche de cette cachette extraterrestre contenant le pouvoir de tout changer. Leur Saint Graal en somme.
« Quelque chose concernant le cartouche des Anciens trouvé par SG4 ? » Demande le militaire.
Daniel hoche la tête. « Il contient plusieurs adresses, mais nous avons déjà visité nombre d'entre elles. Une néanmoins a attiré notre attention : P9R-872. »
« Et ? » Encourage Reynolds, percevant certainement son hésitation dans l'intonation de sa voix.
« Il ne semble pas y avoir de Porte. » Répond-il. « Il faudrait environ 3 jours en vaisseau pour l'atteindre. »
Reynolds émet un sifflement. C'est ce que redoute le plus les équipes SG : un voyage spatial au long-court. Daniel se dit qu'ils se sont peut-être trop habitués à leurs transferts instantanés au fil des ans dans le programme. Personne n'a plus le temps pour les trajets.
« Est-ce que cet endroit pourrait être important ? » L'interroge le militaire, certainement déjà entrain de réfléchir à qui il pourrait confier cette tâche, quel vaisseau pourrait être disponible. A tout moment, l'homme doit tout prévoir, tout penser. Daniel n'envie pas sa position.
Il hausse les épaules en guise de réponse. « Peut-être. Mais je ne parierais pas ma vie sur les capacités de Gary à comprendre les nuances linguistiques. » Réaliser ce voyage en fonction d'un mot qui pourrait éventuellement signifier « recueil » si vous le tordez suffisamment pour supposer qu'il fait référence à un « entrepôt » des Anciens sur la planète, en dit plus long sur l'enthousiasme de Gary que sur ses réelles compétences. Sans oublier que les mots « entrepôt » et « recueil » ne sont pas aussi synonymes que Gary peut l'espérer.
Reynolds réfléchit encore à ses derniers propos quand quelqu'un frappe à la porte.
« Entrez ! »
Daniel voit Jack et Cam rentrer dans le bureau. « Regardez qui est de retour. » s'exclame Cam, montrant son compagnon d'un signe de main.
Le commandant se penche en avant, la question de la planète des Anciens pour l'instant reléguée à plus tard.
« Avez-vous retrouvé Vala Mal Doran ? »
« Finalement oui. » Répond Jack, s'avançant d'un pas et s'appuyant contre une des étagères. Son ton dur laisse supposer à Daniel que la jeune femme avait tout fait pour ne pas lui rendre la tâche facile. Malgré les appréhensions de Daniel, elle avait effectué la livraison des armes, mais s'était évaporée très peu de temps après. Apparemment, sa faible implication dans l'Alliance Lucienne refaisait surface, non sans une certaine envie de vengeance. Jack l'avait poursuivi des semaines depuis qu'elle avait été aperçue dans un recoin de la galaxie.
« Et ? » L'invite Reynolds.
« Et elle a arrangé une rencontre. »
Daniel se demande ce que Jack a dû faire ou dire pour arriver à ce résultat. A ce qu'il peut voir, l'homme ne présente pas de nouvelles ecchymoses.
« Quand ? »
« Dans quatre jours. »
La main de Reynolds se serre. « Si rapidement ? »
« Pas le choix. » Répond Jack en haussant les épaules. Ce n'est plus son travail de prévoir la situation dans son ensemble, de savoir comment toutes les pièces peuvent s'emboiter, de prévoir les lacunes ou les problèmes potentiels. C'est à Reynolds, qu'il le veuille ou non.
« D'accord. Vous et Daniel- »
Jack lève une main pour le stopper. « Il vous faut quelqu'un d'autre pour cette mission. »
« Quoi ? »
« Croyez-moi, » Appuie Jack, « il n'en sortira rien de bon si j'assiste à cette rencontre. »
« Pourquoi donc ? »
Il grimace. « Disons que l'Alliance Lucienne et moi-même avons eu quelques différents par le passé. »
« Vous nous demandez donc d'avoir confiance en Vala ? » S'étonne Daniel.
Le sourire ironique qu'il lui lance le fait douter de sa santé mentale. « Confiance ? Non. Elle vous vendrait sans hésiter pour sauver sa peau, n'oubliez jamais ça. Mais ses intérêts concordent avec les nôtres ces derniers temps et c'est pour l'heure le meilleur atout que nous ayons. »
Le fait est qu'il avait raison.
« Je me porte volontaire, Monsieur. » Propose Cam.
L'archéologue ne manque pas le coup d'œil que lance le commandant à Jack dans l'attente d'une sorte d'approbation tacite concernant son remplaçant. Cela devenait un réflexe plutôt dangereux. Jack conserve une posture impertinente et butée qui laisse entendre que lui aussi est parfaitement conscient du problème.
Reynolds détourne les yeux vers son bureau, fixant à présent les dossiers posés devant lui comme s'ils pouvaient lui souffler la bonne décision. Il finit par relever la tête et referme un des documents ouverts dans un claquement vif.
« Très bien » Décide-t-il. « Daniel, dites à Gary que nous ne pouvons pas encore nous rendre à l'adresse découverte. Et Jack, contactez Vala. La rencontre est acceptée. »
L'homme approuve d'un mouvement de tête, s'écartant du mur pour retourner vers la porte. Au niveau de Cam, il s'arrête pour jeter un rapide coup d'œil à Daniel. « Netan est un salopard très intelligent. » Prévient-il. « Mais si vous lui faites miroiter l'acquisition d'un certain pouvoir, il sera votre homme. »
Cam acquiesce, reconnaissant qu'on lui offre une idée de l'affaire dans laquelle il venait de s'embarquer.
« Surveillez vos arrières. Et si Vala s'enfuit… » Il pose une main robuste sur l'épaule du jeune Colonel, « par pitié, poursuivez quand même. »
Sur cette note prometteuse, Jack finit par sortir de la pièce.
« Fantastique. » Cam croise les bras contre son torse. « On dirait bien que ça va être une partie de plaisir. »
« Hâte d'y être » Marmonne Daniel.
La porte se referme après le départ de Cam.
Derrière son bureau, Reynolds fixe toujours l'inextricable amas de dossiers devant lui.
Daniel s'installe dans une des chaises, le petit dessin encadré sur le bureau attirant une nouvelle fois son attention. Il finit par se dire que l'Enola Gay est ici pour rappeler à Reynolds qu'en fin de compte, quelqu'un devra donner ce dernier appel, décider d'appuyer sur le bouton.
Il ne pourra pas y avoir de retour en arrière.
Jack est affalé sur une chaise au fond du bureau de Daniel, ses pieds posés sur ce qui pourrait bien être un très ancien artéfact. L'archéologue, qui travaille à son bureau, n'a pas vraiment vérifié où se positionnait Jack, donc c'est que ce ne doit pas être un objet si important que ça. Soit ça ne l'est pas, soit Daniel s'est habitué à voir ses affaires être cassées.
Jack fait des allers-retours vers Omega depuis près de quatre semaines maintenant. Pas trop long, pas trop court, juste assez pour que Daniel n'ait plus cet air surpris à chaque fois qu'il réapparait. A présent que l'affaire Netan est en cours d'exécution, Jack n'a plus vraiment d'objectif fixe. Il se laisse donc glisser, comme tout le monde ici, attendant la suite. Et le bureau de Daniel lui semble un point de chute comme un autre.
On frappe doucement à la porte.
« Oui » Répond Daniel sans même lever le nez de son bureau.
Carter rentre dans la pièce avant de stopper net en apercevant Jack. Elle se tourne vers lui. Ses mouvements sont maîtrisés, méthodiques. Elle hoche la tête, reconnaissant sa présence. Il lui retourne le geste. C'est à peu près les seuls contacts qu'ils ont ces temps-ci, mais ça représente déjà un petit miracle. Elle s'habitue doucement à le voir trainer dans les parages.
Par automatisme il se remet sur ses pieds, lentement, et s'écarte de sortes à ne pas se trouver entre elle et sa seule issue. Alors qu'elle l'observe du coin de l'œil, il voit la tension disparaitre de ses épaules.
Une fois qu'il est à nouveau bien installé, Carter reporte son entière attention sur Daniel, leur petite danse n'ayant duré qu'une poignée de secondes. Elle tend un dossier à l'archéologue.
Daniel y jette un coup d'œil, puis fronce les sourcils. « P9R-872 ? Reynolds a décidé de n'envoyer personne pour l'instant. »
Il se mordille la lèvre, ses yeux se portant brièvement sur Jack. Elle contourne le bureau, prend un stylo et griffonne quelque chose sur un morceau de papier. Elle tend enfin le mot à Daniel.
« Vous voulez y aller ? » Traduit Daniel lentement, comme s'il essayait de comprend l'intérêt soudain de Carter pour une planète que les Anciens n'avaient dû visiter qu'une seule et unique fois. « Vous pensez qu'on y trouvera quelque chose d'important ? »
Elle acquiesce, mais l'attention de Jack se porte surtout sur sa main serrée dans son dos, autour de sa ceinture, comme si elle luttait contre quelque chose mais tentait de le cacher.
« C'est au sujet de votre projet ? » Demande Daniel.
Cette fois, elle hésite une fraction de secondes, puis approuve de la tête.
Elle ment.
Daniel ne semble pas s'en apercevoir. « Il n'y a pas de Porte des Etoiles là-bas, Sam. Et nous n'avons aucun vaisseau disponible en ce moment pour nous y rendre. »
Jack est certain que ce n'est pas vraiment la destination qui compte. Pas même la mission. C'est visible dans sa posture, dans la raideur de son corps. Elle veut du temps, une chance de sortir de cet endroit. Jack en conclue qu'elle doit être devenue aussi claustrophobe que lui ces temps-ci.
Peut être que c'est cela qui le décide à intervenir.
« Je vais l'emmener. » Déclare-t-il.
Les yeux de Daniel se pose sur lui avec alarme, traduisant de façon très claire sa désapprobation. Comme s'il existait un accord tacite entre tous, actant qu'il ne fallait surtout pas brusquer Carter ou trop attendre d'elle. Pourtant c'est exactement ce qu'il faudrait, ce qui se rapprocherait le plus de sa normalité. A minima, Jack a surtout envie de voir si elle va le repousser.
Carter se tourne pour le regarder. Ses yeux qui le transpercent ont quelque chose de familier, comme si elle percevait qu'il est entrain de la tester. Il se demande si elle réalise enfin dans quoi elle s'est embarquée en refusant son offre de partir quand il lui avait proposé.
« Vous n'avez de toute façon pas besoin de moi pour la rencontre avec Netan. » Rappelle-t-il à Daniel avec un haussement d'épaules.
L'archéologue le fixe, prêt à riposter, à offrir un plan de secours, et Jack ne l'en blâme pas. Mais ils savent tous les deux que tout le monde est déjà occupé, et que leur nombre est dangereusement réduit.
Il n'y a pas d'autre choix possible. Et pour une fois, les évènements tournent en sa faveur.
« Est-ce que ça ira Sam ? » Demande Daniel quand il ne trouve aucune autre option à lui soumettre.
Carter ouvre la bouche sans qu'aucun mot ne s'y échappe. Jack se demande si quelqu'un d'autre que lui sait pourquoi elle a tant de mal à s'exprimer.
Sa main serrée contre sa gorge. Son corps impuissant sous le sien.
« Dis-le ! »
Même ses poings ne la persuadent pas de parler.
Jack secoue la tête pour s'extirper de ce souvenir. Bon sang, c'était une très mauvaise idée.
« Sam ? » Répète Daniel.
Elle relève le menton et hoche fermement de la tête, réussissant à paraître bien moins paniquée qu'il ne l'aurait cru. Ou peut-être n'avait-il simplement pas envisagé qu'elle accepterait son offre.
Par tous les saints.
« Alors c'est réglé, » se force-t-il à dire avec plus de nonchalance qu'il n'en ressent. « Je vais m'assurer que le vaisseau est prêt à décoller. » Tournant les talons, il sort de la pièce à grandes enjambées mais s'arrête de sorte à rester hors de vue.
« Sam » Prononce doucement la voix de Daniel.
Un bruit, comme du papier qu'on déplace. Jack essaie d'imaginer leurs mouvements.
« Vous n'êtes pas obligée de faire ça. Nous comprenons tous ce que vous ressentez… »
Une main claque contre une surface plane, un sursaut de colère sans éclat de voix qui le surprend. Durant le silence qui suit, il l'entend.
« Non, vous ne savez pas. »
La voix est basse. Les mots sont râpeux, comme s'ils provenaient d'un pays étranger, difficiles à prononcer pour cette langue malhabile. Mais c'est bien sa voix. C'est bien elle.
Jack appuie son dos contre la porte. Il n'écoute pas vraiment, il n'arrive juste plus à faire un seul mouvement. Il est comme gelé sur place. La dernière fois qu'il a entendu sa voix, c'était il y a cinq ans. Il s'agissait d'un cri, d'une malédiction proférée.
« J'ai…Je lui ai pardonné il y a déjà longtemps. » Continue-t-elle. « Lui aussi était prisonnier. »
Jack ferme les yeux.
« Alors pourquoi… » La voix de son ami s'éteint, clairement ébranlé par leurs comportements, par son incapacité à prononcer plus d'un mot d'affilé en sa présence.
Daniel pense qu'il sait. Il croit savoir ce qui s'est passé entre eux.
Il n'en a pourtant pas idée.
« Parce qu'il ne s'agit pas de ce qu'il m'a fait, Daniel, » Répond-elle et il a le sentiment d'être trop à l'étroit dans son corps, de manquer d'air. « Il s'agit de ce que je lui ai fait, moi. »
Vous auriez dû me tuer.
Je sais.
Jack part en trombe dans le couloir, incapable d'entendre un mot de plus.
Teal'c ouvre la porte de ses quartiers, ses yeux balayant la pièce.
Il trouve Sam assise contre le mur, ses genoux plaqués contre sa poitrine, un carton ouvert d'un côté et un petit sac posé de l'autre. Elle est vêtue d'un jeans et de chaussures de sport, mais elle porte toujours sa veste de treillis rapiécée par-dessus un t-shirt noir. Ses doigts suivent les coutures sur son épaule.
La rumeur était donc vraie.
« Sam, » Elle lève des yeux écarquillés vers lui, le visage pâle. « Personne ne vous force à faire ça. »
Ses bras fléchissent autour de ses jambes, quelque chose dans ses yeux est ébranlé. Son menton bouge. « Si, je dois le faire. »
« Vous n'avez rien à prouver. »
Elle secoue la tête. « Il ne s'agit pas de ça, Teal'c. »
« En êtes-vous certaine ? »
Elle pose ses yeux sur lui à nouveau mais quelqu'un frappe à la porte avant qu'elle ne puisse répondre. Elle fixe la porte un moment avant de revenir vers lui. « Je dois le faire. »
Que ce soit vrai ou non, il semble très clair qu'il ne réussira pas à la faire changer d'avis. Il traverse la chambre et ouvre à l'intrus.
O'Neill se tient de l'autre côté, son corps aussi immobile qu'une statue, si éloigné de l'attitude de l'homme qu'il avait connu autrefois. « Tealc', » dit-il en hochant la tête.
« O'Neill » Lui répond-il poliment, en ouvrant davantage le passage.
« Je cherche… » Dit-il avant que ses yeux ne trouvent Sam. « Ah. » Il fait un geste par-dessus son épaule. « Le vaisseau est prêt. »
Sam répond d'un signe de tête, se relevant et positionnant son sac sur son épaule. Il n'y a pas d'hésitation dans sa posture. Si la sagesse de ce voyage reste encore à prouver, sa résolution elle, ne l'est pas. Teal'c ne peut rien faire d'autre que lui libérer le passage et espérer que ce qu'elle cherche à faire n'empire pas la situation.
Elle stoppe à sa hauteur, touche son bras et se tourne vers lui. Elle lui sourit gentiment en signe d'au revoir, ses mots l'ayant à nouveau abandonné.
Teal'c incline la tête. « Portez-vous bien. »
Elle acquiesce, ses doigts serrant son bras. Elle finit par se séparer de lui et franchit la porte, sa trajectoire étant la plus éloignée possible de O'Neill. Ce dernier s'écarte rapidement de son chemin. Ils font tellement d'efforts l'un comme l'autre pour ne pas être en contact, ne pas se regarder, que Teal'c se demande comment cette mission peut avoir une chance de réussir.
Une fois Sam à l'extérieur, O'Neill s'apprête à la suivre mais Teal'c le retient en attrapant son bras. « O'Neill, nous devons parler. »
Il lève les sourcils mais obtempère, résigné à subir cette conversation.
« Ok, bien sûr. » Il se tourne vers Sam. « Je vous rejoins dans le hangar. »
Elle acquiesce, leur jetant un coup d'œil puis envoyant un regard à Teal'c qu'il n'a pas de difficulté à interpréter. Il s'est habitué à cette étrange idée qu'une rencontre entre lui et O'Neill se terminerait forcément dans le sang. La porte se referme sur eux.
« Vous partez. » Observe le Jaffa.
O'Neill grimace, sentant peut-être une critique là où n'y a que l'évidence. « Nous reviendrons bien avant que Reynolds ne s'en aperçoive. »
Les plans sont aussi instables qu'une flamme dans un courant d'air. Peu importait les intentions de O'Neill. Pas plus que celles de Reynolds, ou même les siennes. Mais ce n'est pas vraiment la raison pour laquelle il a retenu son ancien compagnon.
Il l'observe, à la recherche de cette colère dont tout le monde le soupçonne. De cette déception ou de cette trahison qui, selon eux, devrait gronder dans sa poitrine. O'Neill leur a menti et les a abandonné en plein coeur du combat. Malgré ça, Teal'c ne ressent rien de tout ceci. Peut être est-il réellement devenu la pierre dont parlait Ishta. Pourtant, Teal'c n'arrive pas à garder son regard fixé sur ce visage autrefois familier.
O'Neill doit percevoir ses pensées car son comportement change. « Je suis désolé Teal'c. » Dit-il d'une voix basse.
« Pour quelle raison ? » Car en vérité, le Jaffa n'en veut pas plus à O'Neill qu'à Sam pour leurs décisions. Tous deux luttent contre une situation intenable du mieux qu'ils le peuvent. Il accepte cela et n'a pas besoin de les en excuser.
Le regard de O'Neill dépasse sa silhouette. « Je suis désolé de pas pouvoir être l'homme que vous vouliez que je sois. »
Le cœur de Teal'c fait un bond dans sa poitrine, ses battements vibrant à travers ses os.
Je peux sauver tous ces gens.
Beaucoup ont dit cela. Mais vous êtes le premier en qui je crois.
Ce jour sur Chulak parait si loin à présent. Teal'c soupçonne qu'aucun d'entre eux n'avait réellement compris dans quoi ils s'engageaient ce jour-là, ni la chaine d'évènements inexorables qu'ils avaient imprudemment lancé. C'est peut-être la raison pour laquelle Teal'c avait si soigneusement évité O'Neill depuis qu'il était rentré. Non par colère, mais par peur de ce qu'il représentait : les espoirs insensés auxquels il s'était aveuglément accroché. Ce chemin qu'ils avaient commencé ensemble.
Teal'c déglutit difficilement, luttant contre l'aridité soudain de sa bouche. « Ces jours-ci nous vivons…ce destin…Rien de tout cela n'est le fardeau d'un seul homme, peu importe combien nous essayons tous les deux de le porter. Ishta appellerait cela, la folie masculine, ce besoin de porter le blâme, de s'attribuer la faute. Aucun homme n'est assez important pour que ses décisions à elles seules puissent façonner le destin de toute une galaxie. »
Teal'c essaie en tout cas de le croire.
Il soupçonne O'Neill de porter davantage que sa simple culpabilité, mais le Jaffa comprend qu'il ne s'agit pas plus de sa faute que de la sienne. Se blâmer l'un l'autre ramène à la plus importante question : mourir libre signifiait-il encore quelque chose aujourd'hui ?
Il ne peut se résoudre à vivre dans un monde où la réponse à cette question serait négative. Il ne peut pas l'accepter.
« Nous avons tous les deux fait ce que nous devions, et nous continuerons à le faire. » Finit Teal'c en tendant son bras vers lui.
Une lueur de surprise traverse son visage alors qu'il répond à son salut. « Je pense que vous êtes le meilleur homme que je connaisse, Teal'c. »
Si seulement c'était vrai.
O'Neill relâche sa prise, prêt à prendre congés mais le Jaffa le retient, enfonçant ses doigts dans sa chair.
« Teal'c ? » L'interroge O'Neill, la méfiance reprenant place.
Les yeux du Jaffa rencontrent les siens. « Même si elle semble forte, il serait imprudent de croire qu'elle va bien. »
L'air glacial que prend O'Neill n'est pas surprenant, mais reste tout de même impressionnant. Teal'c ne lâche pas sa prise pour autant.
« Vous devez prendre soin d'elle. » Insiste-t-il.
Quelque chose frémit sur son visage. Une lueur sombre traverse son regard. Après un long moment, il acquiesce. « Je vous le promets. »
Teal'c garde un moment le contact visuel pour appuyer ses propos. Finalement rassuré d'avoir été entendu, il relâche enfin sa prise. « Alors je vous souhaite un bon voyage. »
O'Neill s'éloigne. Son expression s'adoucit, devenant une fois de plus impénétrable. « Ouais, merci. »
Teal'c regarde O'Neill sortir de la pièce. Il ne peut qu'espérer qu'ils trouveront l'un comme l'autre une forme d'apaisement lors de ce voyage, plutôt que de s'inventer une nouvelle manière de se blesser.
Encore une chose sur laquelle, malheureusement, il n'a plus de contrôle.
Carter l'attend dans le hangar quand il finit par la rejoindre. Elle semble si petite au milieu de ce grand espace, avec seulement son sac sur le dos. Elle est pâle, mais il reconnait dans sa posture cette détermination qu'il a tant de fois vu chez elle.
« Désolé pour ça. » Dit-il, tentant d'écraser ce dangereux sentiment de familiarité qui cherche à poindre.
Elle secoue la tête, l'étudiant avec attention comme si ses gestes pouvaient lui indiquer ce que lui et Teal'c avaient pu se dire.
« Tout va bien. C'était juste une discussion amicale à propos du bon vieux temps. » Répond-il à sa question muette.
Le regard que lui renvoie Carter semble insister sur le fait que muette ou non, elle n'est pas idiote pour autant.
Jack secoue la tête, pas encore bien sûr de l'effet que ce petit échange avec Teal'c avait eu sur lui. « Tout va bien » Répète-t-il en se dirigeant vers le vaisseau.
Lorsqu'elle pénètre dans l'engin, il ne peut s'empêcher de se tourner vers elle. Il cherche à y déceler sa réaction, tandis qu'elle parcourt des yeux l'espace qui se présente devant elle.
« Ce n'est pas grand-chose. » Se justifie-t-il.
La voir ici lui donne l'impression de devoir rendre des comptes sur ce qu'il a fait ces cinq dernières années.
Ses yeux se posent sur la couverture qui recouvre sa petite couchette et qu'elle doit certainement reconnaitre. C'est la seule chose qu'il n'a pas eu le cœur d'échanger. La seule petite partie d'elle qu'il s'est autorisé à garder ici, dans l'immensité spatiale.
Il n'est pas certain de le mériter.
S'éclaircissant la gorge, il lui désigne une trappe. « Celle-ci est vide. Si vous le souhaitez, vous pouvez y ranger vos affaires. » Il jette un nouveau coup d'œil au minuscule sac qu'elle a emporté et essaie de ne pas grimacer.
Décidant de partir tant qu'il en est encore temps, il disparait vers la cabine de commande pour entamer sa routine de pré-décollage.
Il a presque terminé lorsqu'elle le rejoint et s'installe dans l'autre siège, les mains soigneusement repliées à l'intérieur comme si elle craignait d'accidentellement heurter quelque chose. Il se demande s'il s'agit de son premier voyage spatial depuis…Il repousse avec véhémence la pensée qui est sur le point d'émerger.
« Ici l'Orphée. Demande d'autorisation pour décollage, » Annonce Jack dans la radio.
Carter le regarde intensément, une question semblant lui brûler les lèvres mais il fait mine de ne pas s'en apercevoir. Si elle souhaite savoir, il faudra qu'elle demande.
Un flash-back du visage horrifié de Daniel lui revient, ses oreilles vibrant encore des échos de son échange avec Teal'c. Vous devez prendre soin d'elle. Mais le simple fait qu'elle soit en cet instant à côté de lui signifie qu'elle a largement été choyée jusqu'ici.
« Vous savez Carter, » Dit-il, ses mains posées sur les manettes, prêt au départ, « Ce voyage ne sera probablement pas la promenade de santé que Daniel a pu vous vendre. »
Il voit en périphérie l'air ironique qui apparait sur son visage. 'Ca ne l'est jamais,' L'entend-il presque penser. Du moins il l'espère. Parce que sinon, cela voudrait dire qu'il l'entend elle aussi dans sa tête.
Fantastique. Ca commence à faire du monde là dedans.
« Je dis ça seulement parce que pour que ça fonctionne…» Il s'interrompt, essayant d'éclaircir sa voix. Bon sang ! « Il va falloir que vous soyez capable de me parler. »
Il capte un rapide mouvement de sa part. Elle le regarde avec intensité, et il la laisse l'étudier, gardant les yeux fixés droit devant lui. Il est encore temps pour elle de sortir du vaisseau, de changer d'avis et de se rendre compte que c'est la pire idée qu'ils aient eu. Il attend, une partie de lui espérant fortement qu'elle en arrive à cette même conclusion. Finalement elle se détourne.
« Je sais. » Sa voix est à peine plus audible qu'un murmure.
Jack ferme les yeux, laissant l'amas de sentiments refluer dans sa poitrine. C'est un soulagement, presque une victoire mais surtout…cela lui rappelle la dernière fois où elle a parlé en sa présence.
Jack.
Il doit s'en remettre s'ils veulent s'en sortir. Ils le doivent tous les deux.
Anhur se délecte de l'ironie de cette situation.
Bonne chance, champion.
Connard.
La radio grésille. « Vous pouvez décoller, Orphée. Le sas est ouvert. Bon voyage. »
« Prête ? »
Elle acquiesce, mais stoppe à mi-chemin, se forçant à ré-essayer. « Oui. » Dit-elle, sa respiration anormalement rapide. « Je suis prête. »
« Parfait. » Il oblige son attention à se reporter vers les manettes de contrôle devant lui. Il se concentre sur le bruit de son vaisseau qui lutte contre la gravité. Les guidant dans l'immense tunnel qui s'élève au-dessus d'eux, l'engin remonte lentement à travers les couches de terre les camouflant aux yeux de l'ennemi. Il enclenche immédiatement le bouclier d'invisibilité. La dernière chose dont a besoin le site Omega est de laisser entendre qu'il existe un trafic d'engins spatiaux.
Au-dessus d'eux, le ciel s'éclaircit progressivement. Il perçoit le souffle de Carter qui s'accélère. Il l'imagine entrain de se pencher en avant pour avoir un premier aperçu de l'espace. Il garde obstinément ses yeux fixés devant lui, comme si la regarder ferait s'évaporer le moment. Dans un dernier à-coup, ils se libèrent de la lune et entament leur ascension à travers l'atmosphère.
Jack programme leur cap, les éloignant de l'éclatant soleil pour viser l'immensité noire et familière.
Jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'eux deux. Seuls.
