Des pas pesant retentissent sur le sol lisse, la lourdeur du cuire est incomparable, il n'y a qu'une paire de bottes avec la même pesanteur sur le vaisseau. Le sas se referme en un bruit d'air aspiré.
Kylo a toujours ce poids dans ses pas, comme s'il portait constamment tous les crimes qu'il a commis. Il y en a tant, et parmi eux des auxquels j'ai participé auparavant de plein gré. Mais sa démarche n'est en aucun cas mélancolique, elle est sombre et menaçante.
Il est si dur à suivre, ses longues jambes avancent toujours à un rythme doublant le mien, sa cape battant l'air lors de missions.
Je lui marcherais bien dessus, sur sa maudite cape, ça l'étranglerait un peu et le surprendrait. Il est si compliqué de déceler des émotions sous son casque, ce masque qu'il porte et qui le change tant.
Le fameux casque qu'il arbore presque sans relâche, fonçant sa voix, la rendant sombre et statique. D'après ce que je peux entendre jusqu'ici il ne l'a pas enlevé en rentrant.
Les lumières s'allument d'un coup, m'arrachant un couinement suivi d'un râle. Je presse mes paupières fermement, grognant. Il aurait pu ne pas mettre la luminosité au maximum. Ma plainte n'a pas dû être des plus silencieuses, j'entends ses pas lourds se diriger jusqu'à là où je suis avachie.
Étonnant qu'il n'ait pas ressenti ma présence dès son entrée, lui qui est si sensible à la Force et la présence de ceux qui en sont de même.
Il a cette mauvaise habitude de vouloir s'introduire dans l'esprit de tout ce qui bouge, ce qui est évidemment des plus agaçant.
Au début de notre relation, il ne cessait ses petites intrusions dans mon esprit. J'ai rapidement appris à le bloquer, garder un semblant d'intimité au sein du Premier Ordre est une chose impérative.
Je l'ai plusieurs fois repris à essayer de s'y introduire, sans succès, et c'est tant mieux, il n'a pas à voir mes faiblesses et encore moins de savoir qu'il en fait partie.
Il est rare qu'il y ait des moments de blocages dans des combats, mais à chaque fois qu'il y fait face, je le ressens et lui vient en aide.
Aucun 'merci' ou 'je te suis reconnaissant' ne sort de sa bouche d'apprenti gâté par le Suprême Leader Snoke. Il semble soit imperturbable, demeurant un néant émotionnel, soit un être colérique détruisant ce qui lui passe sous la main pour éliminer sa rage.
— Je peux savoir ce que tu fais là ?
Sa voix mécanique, légèrement percée par un vrombissement statique, semble agacée, froide. Je rouvre les yeux, il est debout, à deux mètres en face de moi, son éternel masque en place et sa cape flottant légèrement au-dessus du sol.
Son ton est visiblement exaspéré, pas étonnant, il aurait probablement préféré passer une soirée tranquille sans se coltiner la deuxième apprentie qui pour le coup est bourrée.
— Est-ce que ça t'intéresse vraiment ?
Je pousse légèrement sur ma voix, engourdie et craquelée. Tout de même, je n'aime pas vraiment la situation, pourtant j'en suis mon propre bourreau. Laisser Kylo me voir dans cet état de faiblesse me contrarie.
Pourquoi est-il aussi stoïque, aussi inexpressif avec ce masque ? Il est immobile, ne bougeant pas d'un millimètre, sa cape se stabilisant en l'absence de mouvement. Un petit silence s'installe, ma réponse ne le satisfait apparemment pas.
— Qu'est-ce que tu fais là ? Répète-t-il, le ton légèrement différent mais ne s'écartant pas de son irritation.
Je prends ma bouteille de Spotchka en main et en avale une gorgée pour aider ma gorge à répondre. Je suis déjà assez chanceuse qu'il n'ait pas haussé le ton. Je repose la bouteille.
— Je crois que c'est assez évident. Je décuve.
Il ne dit rien une fois de plus, qui sait la manière dont ses yeux me regardent à travers son casque. Honnêtement, je ne sais pas si je préfère le savoir, c'est probablement mieux ainsi. Le spectacle doit le satisfaire, moi, son emmerdement quotidien, complètement déchiré à la Raava.
— Comment as-tu réussi à entrer ?
Je crois ne même plus connaître la réponse à sa question. Nos deux chambres respectives s'ouvrent avec des codes à entrer sur un HoloPad. Peut-être que je l'ai ouvert avec la Force ? Je ne sais plus, l'alcool m'embrouille l'esprit comme on brouille un œuf.
— Comment étaient les négociations ?
Bravo, détourner le sujet, ça me sortira de cette question s'il ne pousse pas plus sur celle-ci. Il sait pertinemment que les discussions de négociations me portent peu d'intérêt, c'est pourquoi il se charge de chaque rencontre avec les autres conseils de planètes. Et puis de nous deux, c'est sans nul doute le plus convaincant. Un silence s'installe, je me demande ce qu'il pense.
Bien que j'ai probablement aussi l'habilité de pénétrer son esprit, je n'en ai jamais fait usage. À l'évidence, j'ai été curieuse de savoir ce que ce crâne renfermait comme idées, mais je n'ai jamais tenté.
Ses immixtions dans mon esprit me donnent l'impression qu'il sait toujours tout, prêt à me dire « je vais craquer ta tête aussi facilement qu'un œuf et faire frire tes pensées ».
Comparé à lui, je suis encore sous-entraînée. Mes maîtrises de la lance et du bâton s'améliorent, je pourrais bientôt me construire mon propre sabre si j'avance bien. Je fais quelques progrès en télékinésie, pouvant attirer des choses vers moi ou les repoussant.
Snoke dit qu'il faut que je fasse appel à la plus grosse noirceur, aux plus profonds ténèbres qui sommeillent en moi. Je n'aurais jamais cru que ce serait aussi compliqué, il suffirait juste que je sois en colère.
C'est à se demander si Kylo joue intentionnellement sur mes nerfs depuis le début pour libérer ma haine et faire avancer l'entraînement… Non, Kylo n'aide pas, il se débarrasse des choses qui s'interposent dans ses plans le plus rapidement et efficacement possible.
Il a sans doute déjà pensé au fait de me tuer. Peut-être pense-t-il au fait de m'achever là, maintenant. Quelle occasion en or, me voilà à sa merci, faible, saoule et incapable de me défendre.
Ça lui enlèverait une épine du pied de me supprimer. Peut-être ferait-il ça d'une manière simple, un étranglement par la Force. Ou bien s'il se sent théâtral et sadique voudrait-il éventuellement m'enfoncer son sabre lentement dans la chair, se délectant de ma disparition dans sa vie et de la fin du petit éclat dans mes yeux.
Pour le moment mon euphorie intérieure descend, s'amenuise, je commence à me sentir triste maintenant, mélancolique. Je sens Kylo en train d'essayer une immixtion d'esprit, mais j'arrive encore à le repousser.
— Tu es ivre ?
Inutile de posséder la Force pour comprendre ceci, mon attitude et ce que j'ai dit tout à l'heure certifient ses dires. Néanmoins son ton laisse entendre de la surprise.
— On ne peut décidément rien te cacher.
Il reste immobile, il doit sûrement se demander de quelle manière il va se débarrasser de moi. Supposément, il pourrait m'éjecter de la pièce avec la Force, sa colère serait suffisante pour me soulever du sol et me déplacer.
Mais dépenserait-il son énergie pour faire une telle action ? Surtout si elle me concerne ? J'en doute fort.
Cette observation aphone mutuelle commence à me déranger. Kylo n'est pas de nature bavarde, à chaque fois que nous nous retrouvons ensemble c'est pour s'entraîner, pas pour taper la causette.
Le peu de fois où nous nous retrouvons ensemble, l'état paisible ne dure pas longtemps et l'un des deux commence un échange de reproches et d'injures, ou bien l'un de nous deux part avant que l'autre n'ait eu le temps de dire quoique ce soit.
Mais il arrive parfois qu'il ne porte pas son masque pour les entraînements, ce qui me surprend à chaque fois. Ses traits ne sont pas gracieux, certes, mais la profondeurs de ses yeux pourrait me consumer comme un trous noir, et ses cheveux semblent si doux face à la dureté de ce qu'il présente.
Ses yeux... je veux les voir, là, maintenant, tout de suite. Contempler leur nuance de mousse contre terre, leur teinte noisette froide. Ces mêmes iris qui se transforment lorsque la colère les consume et les changent en lac d'encre, sombres, profonds. Ma fièvre rétamée me pousse à dire :
— Tu peux retirer ton masque ?
Ma voix est fatiguée, terriblement petite, vulnérable, chétive. Et Kylo reste toujours aussi imposant, me surplombant comme si je n'étais qu'une misérable fourmis qu'il lui suffirait d'écraser sous ses lourdes bottes.
C'est comme s'il respirait à peine, inaudible. Il prend une petite inspiration, comme s'il s'apprêtait à dire quelque chose… mais je le coupe, presque surprise par ce que je lui dis mais ne le laissant pas paraître, tout du moins je l'espère...
— S'il te plaît…
Je me sens épuisé, mais je résiste au sommeil. Mon mal-être physique comme intérieur me gardent éveillés. Le temps se suspend, hésite-t-il ou bien est-il juste désespéré par mon état ? Ce ne serait pas nouveau, qu'il soit exaspéré à mon égard.
Il lâche un soupir, ses épaules s'affaissent à peine sous le mouvement. J'attends son geste, va-t-il refuser ? Probablement, à quoi je pensais en disant ça... Comme s'il allait m'écouter, moi. Et pourtant j'attends son prochain geste, je ne me promets pas la lune bien entendu.
C'est souffrir de se donner de faux espoirs, surtout avec Kylo, mais il est parfois si imprévisible qu'une partie en moi espère toujours bêtement que quelque chose se produira.
Puis, soudain, il incline légèrement la tête vers l'avant. Je ne le quitte pas des yeux, bouche fermée, attendant simplement ce qu'il s'apprête à faire.
Il monte lentement ses mains gantées jusqu'à son casque. J'ai rarement vu ses mains, il porte tout le temps ses fameux gants même durant les entraînements.
À vrai dire, je ne connais de Kylo que des vêtements sombres et son visage, je ne connais pas son cou, je ne connais pas ses mains, je ne connais pas ses bras. Tout est recouvert.
Je me souviens de la première fois où je l'avais vu sans son masque. Je m'attendais au départ à un homme plus âgé, vers la fin de la vingtaine, mais en le découvrant je ne m'attendais pas à une telle jeunesse.
Comment pouvait-on être si dur à un âge pareil ? Pourquoi se devait-il encore et toujours ne montrer que sa forteresse et jamais qui il était vraiment ?
En avait-il honte ? Sur le moment, la question me paraît absurde. Pff, honte ? Kylo ? Je crois que je n'aurais jamais positionné ces deux mots dans la même phrase auparavant.
Mais et s'il se cachait réellement, et s' il avait tout simplement honte… voir même peur ?
Ses mains gantées ont l'air si grandes, je suis sûre qu'elles sont plus grandes que ma tête. Il les pose de part et d'autre de sa tête, sur les côtés. J'observe ce trou qu'i la place où devrait se trouver ses yeux, il semble vide et dénudé de vie.
Il pose ses pouces sur les côtés du casque et appui avec ces deux derniers sur deux boutons que je ne vois pas. Le geste provoque une pression et un bruit d'air rapidement soufflé se fait entendre, provenant du masque.
La partie avant de ce dernier, une sorte d'héxagone allongé d'un noir matte, s'avance alors pour se remonter alors que j'entends Kylo prendre une inspiration, toujours modifiée par l'appareil. Le mécanisme émet un petit bruit métallique, comme de l'air sur une lame, comme si on aiguisait un couteau.
Puis il soulève le masque, et je le regarde comme une enfant désespérée de connaître une réponse à sa question.
D'épais cheveux d'un noir d'obsidienne se découvrent, brillants, séparés en une raie sur le côté et ondulant timidement mais avec un charme inconscient.
Je découvre ensuite son front pâle, calme, fier, menant à des sourcils droits, sur l'un d'eux se trouve un grain de beauté.
Ayant les paupières sur le moment fermés, je découvre son nez. Ce dernier n'avait jamais été fin, il était même assez proéminent, et je me surprends à penser que c'est peut-être un complexe physique.
Et s'il cachait son visage pour ceci ? Non, c'est absurde… Quoique…
Un arc de cupidon marqué mène à ses lèvres bombées, charnues, détonnant de leur rose péchu du teint blafard de sa peau.
Tout finit en un menton puissant et une mâchoire marquée.
Je retrouve ses yeux et retiens mon souffle. Sous des paupières tombantes se cache ses deux iris, d'une même couleur qu'une feuille de début d'automne ayant pris la pluie, aussi beaux, lumineux et sombres que deux éclipses.
Et ses yeux, ils me regardent, contrits, curieux, agacés… et pourtant il me semble discerner une autre chose dans leur reflet, sous les longs-cils qui les protègent.
Je mets un certain temps à déterminer ceci et décide de ne pas le prendre en compte, mais il semble sur le moment ne pas vouloir avouer quelque chose : il a l'air inquiet de mon état.
