One-shot écrit dans le cadre de la cent-trente-septième nuit d'écriture du FoF (Forum Francophone), sur le thème "Tentacule". Entre 21h et 4h du matin, un thème par heure et autant de temps pour écrire un texte sur ce thème. Pour plus de précisions, vous pouvez m'envoyer un MP !


Quand il avait peur de quelque chose, Édouard II avait la même réaction que quand il était vexé ou en colère : il criait sur tout le monde. Même si ce n'était, actuellement, de la faute de personne si un kraken avait jailli juste devant la proue du navire qui les ramenait en Angleterre, à la stupeur totale de tout le monde, puisqu'il n'était pas supposé se trouver de telles créatures en plein milieu de la Manche. Aussitôt, ce fut la débandade. Les marins s'enfuirent en hurlant, ceux qui se trouvaient dans les cordages s'y accrochèrent de toutes leurs forces, paralysés de peur. La plupart des soldats qui étaient censés protéger le couple royal recula pour se tenir loin des tentacules de la bête. On se plaisait à traiter Édouard et son amant le Despenser de lâches, mais force était de constater que la fuite n'était pas leur premier réflexe dans cette situation. Ou alors, ils étaient trop figés par la terreur ?

En tout cas, le kraken ne se donna pas la peine de se demander qui était la meilleure cible et tendit ses appendices monstrueux en direction du roi et de la reine. Par réflexe, Édouard étendit le bras devant sa femme et recula pour les soustraire à la poigne de la créature, ce qui lui valut un regard bleu totalement abasourdi. Depuis quand, se demanda Isabelle, Édouard avait-il pour réflexe de la défendre alors qu'il la haïssait ? Elle n'eut cependant pas le temps de se poser davantage de questions, parce que son mari, maladroit comme seul lui pouvait l'être, glissa dans l'une des nombreuses flaques d'eau salée qui avaient submergées le pont du navire. La jeune femme eut un réflexe complètement dépourvu de sens, elle aussi, et elle saisit son bras pour le rattraper et continuer à reculer.

À la gauche d'Édouard, Hugh avait fait la même chose et il gardait ses yeux verts fixés sur la créature, visiblement horrifié mais déterminé. C'était que le roi avait beau être insupportable, et n'avoir suscité son intérêt en premier lieu que pour les largesses qu'il était capable de lui offrir, il en était tombé amoureux, de ce maladroit exigeant. Pas question qu'il laisse cette œuvre du Diable le dévorer.

La reine, le roi et son favori reculèrent encore jusqu'à cogner contre la porte en bois de la cabine du capitaine. Là, ils ne purent plus rien faire d'autre que regarder les tentacules du monstre fuser vers eux, mais un soudain coup d'épée trancha net l'un des appendices. Ils tournèrent la tête juste à temps pour voir une silhouette juvénile aux cheveux blonds se faire emporter dans les airs par le kraken.

« Kent ! hurla Édouard en reconnaissant instantanément son demi-frère. Mais qu'est-ce que vous attendez ?! s'époumona-t-il ensuite en direction de ses soldats. Aidez votre prince, sinon je vous ferai tous pendre ! »

La menace eut, étrangement, l'effet escompté et les hommes se précipitèrent vers les tentacules qui s'étaient enroulées partout autour du bateau. Le kraken avait beau être puissant, il mugit de douleur en sentant des dizaines de lames plonger dans sa chair. De colère, il jeta le corps de Kent dans la première direction qui lui vint à l'esprit et le jeune homme entra violemment en collision avec son frère, qui, sous l'impact, fut projeté contre la porte, la brisa et dégringola dans les escaliers.

« Édouard ! s'écrièrent Hugh et Isabelle en se précipitant au milieu des débris de bois, avant de se lancer un regard mauvais. »

Heureusement, au bas des marches, le roi allait à peu près bien. Son frère était complètement effondré sur lui et Édouard tâtonna précautionneusement le corps inerte pour vérifier qu'il n'avait rien de cassé.

« Êtes-vous en un seul morceau ? s'assura-t-il, plein d'une compassion assez rare pour ce cadet si jeune et si innocent, mais qui l'avait touché par sa bravoure et le danger dans lequel il s'était mis.

-Je le pense, marmonna Kent, trop sonné pour essayer de se redresser. Pardonnez-moi, sire mon frère… Je pense que je vais avoir besoin de votre assistance pour me relever… »

Édouard ne protesta pas et passa ses bras autour de lui pour l'entrainer dans son mouvement lorsqu'il se remit d'aplomb. Kent avait encore la tête qui tournait, mais ça ne l'empêchait pas d'aimer la sollicitude de son frère. Il se serra donc un moment contre sa poitrine, en une étreinte qu'Édouard lui rendit. Dehors, Hugh et Isabelle, d'accord pour une fois, houspillaient les soldats pour qu'ils se débarrassent vite du kraken.

Qui aurait pu croire qu'un tel monstre pourrait créer un tel moment béni ?