Un moment opportun

Chapitre 2

Il était allongé dans son lit, les yeux grands ouverts, incapable de trouver le sommeil.

Il ignorait si Bucky était rentré.

Il avait attendu jusqu'au retour de Sarah, tard dans la soirée, abandonnant la quelconque émission diffusée sur l'écran plat qu'il avait suivi d'un œil distrait. Sa sœur lui avait jeté un regard et lui avait demandé si tout allait bien après avoir envoyé ses neveux au lit. Sam doutait qu'elle ait été entièrement convaincue par sa réponse et son sourire, ou qu'elle ne se soit pas intérieurement posé des questions sur l'absence atypique de leur invité à cette heure. Mais ce n'était pas vraiment pour ne pas l'inquiéter qu'il s'était résolu à rejoindre sa chambre. Peu importait à quel point il aurait voulu connaître l'état d'esprit actuel de Bucky, il ne voulait pas lui mettre la pression. Et attendre de pied ferme son retour sans même plus avoir la piètre excuse qu'il voulait s'assurer que Sarah soit rentrée avant d'aller se coucher ? Il était assez certain que ça ne donnerait pas la bonne impression. Après tout, que pouvait-il arriver de pire ? Que son partenaire prenne le premier avion pour New-York sans l'en avertir ? Ce n'était pas une pensée réconfortante mais ce ne serait pas catastrophique. Sam était tout à fait prêt à lui laisser du temps et de l'espace si c'était ce dont il avait besoin. Oh, dans un cas pareil, il serait sans doute enclin à s'interroger à nouveau sur le bien-fondé de sa décision et l'absence de Bucky allait être un coup dur... Il espérait vraiment que ce n'était pas le choix qu'il avait fait.

Il grogna et se tourna sur son côté. Il avait presque oublié ces vagues de doutes et d'émotions qui l'assaillaient lorsqu'il tombait amoureux.

Cela faisait longtemps. Avant l'Afghanistan. Non pas qu'il n'y avait pas eu quelques rencontres avec quelques très jolies femmes entre son retour de la guerre et le jour où il avait croisé le chemin de Steve, dont une plutôt mémorable même, mais ça n'avait jamais rien été de sérieux. Et Sam se connaissait suffisamment pour savoir que ce qu'il ressentait maintenant était très sérieux.

Il fixa longuement le mur en face de lui.

Il pourrait peut-être juste aller jeter un œil dans le salon. Juste pour se rassurer. Il serait là, dans ce fameux canapé qu'il devrait définitivement lui échanger contre sa chambre, il constaterait qu'il s'était fait du souci inutilement puis il pourrait dormir comme un bébé.

L'idée lui trotta dans la tête durant plusieurs minutes. Puis, d'un geste résolu, il écarta sa couette, s'assit sur le bord du lit, frissonnant légèrement dans son t-shirt et son bas de pyjama alors que ses pieds nus touchaient le sol, et -

On frappa à la porte.

Ces émotions qui bouillonnaient en lui et auxquelles il pensait un instant plus tôt ? Elles venaient de repasser directement à l'avant-plan.

Sam alluma par réflexe sa lampe de chevet et invita à entrer le seul visiteur qu'il s'imaginait pouvoir avoir à cette heure. Il se félicita intérieurement pour le ton très neutre de sa voix.

Bucky franchit le seuil et referma la porte derrière lui mais n'avança pas davantage dans la pièce. Son expression resta masquée par la pénombre. Il constata seulement qu'il avait ôté ses chaussures et portait toujours le jeans, la chemise et le tee-shirt dans lesquels il avait passé la journée.

- Tu es certain que tu as bien réfléchi à tout ça ?

Sam ouvrit la bouche.

- Non, je ne veux pas dire à propos...

Bucky fit un geste vague entre-eux avec sa main droite et poursuivit.

- Tu portes pour le bouclier. Je sais bien que les choses sont différentes aujourd'hui mais ça ne risque pas d'être un poids en plus pour toi ?

Sam haussa les épaules. Sans doute. Probablement. Cet aspect ne l'inquiétait pas vraiment. Il y avait déjà des gens qui lui en voulaient d'être Captain America à cause de la couleur de sa peau. Il y en auraient d'autres qui pourraient le faire à cause de son orientation sexuelle. Sa mission ne changeait pas. Ses objectifs non plus. Pas plus que ses sentiments. Le simple fait qu'il lui pose cette question lui faisait d'ailleurs ressentir une nouvelle bouffée d'affection pour le super soldat.

- J'ai bien réfléchi. Je sais ce que je veux, répondit Sam sans détour.

Son ami acquiesça puis resta silencieux. Il voulait le garder dans sa chambre, oh oui, il aurait vraiment aimé cela mais il était raisonnable de penser qu'il était encore confus et perturbé par sa déclaration.

- Veux-tu que je te laisse le lit ce soir ? Je peux -

- Non, je suis bien en bas. Il y a plus d'espace.

Un nouveau silence. Plus embarrassant, cette fois. Ou peut-être juste pour Sam.

- Ce n'est pas pressé, tu sais ? Prends vraiment tout le temps dont tu as besoin pour...

Il s'interrompit lorsqu'il entendit Bucky soupirer alors qu'il s'animait finalement pour passer une main nerveuse dans ses cheveux.

- C'est justement ça le problème. Je vois... de nouvelles réalités. Auxquelles je n'ai très honnêtement jamais pensé avant. Et je n'ai pas l'impression que du temps m'aiderait à éclaircir les choses. Parce que je ne sais pas...

Il ne continua pas sur sa lancée et, à la place, il avança de quelques pas dans la pièce, suffisamment proche de Sam pour qu'il doive imperceptiblement lever la tête et qu'il ne soit plus à moitié caché par la pénombre. Le regard du super soldat fut fuyant durant quelques instants et sa posture lui donna même l'impression qu'il voulait déjà revenir sur ses pas, quitter la pièce même. Puis ses poings se serrèrent et se relâchèrent. Sa nervosité s'avérait contagieuse car lui-même sentait une agitation plus importante monter en lui, comme si s'approchait un moment décisif.

- On forme une bonne équipe, lâcha Bucky. Ce n'est pas quelque chose que je veux perdre.

Ses yeux étaient fixés sur les siens et son expression affichait presque de la détresse. Il sentit une boule se former dans son ventre.

- Moi non plus, Bucky, moi non plus.

Il baissa les yeux.

- Ce n'est pas parce que... Ça ne va pas changer. Et puis, que serait Captain America sans son acolyte ? essaya-t-il de plaisanter. Tu n'as pas à te sentir obligé de faire ou de dire quoi que ce soit. On peut tout à fait -

Le matelas s'affaissa sous le poids de l'homme qui s'assit dessus. Sam releva vivement la tête et le vit frotter impatiemment le côté droit de son visage avant qu'il ne reprenne la parole.

- Sam. J'ai besoin de savoir si c'est une réelle possibilité, d'accord ?

Il acquiesça bien qu'il n'était pas sur de le suivre. Même lorsqu'il se pencha vers lui, il fallut à Sam un temps suffisamment long pour qu'on puisse le considérer comme embarrassant avant qu'il ne saisisse ce qu'il voulait dire.

Oh. Bucky avait envie d'essayer quelque chose de nouveau et il le prenait au mot. Et la pensée s'éteignit aussi vite qu'elle était venue parce que leurs lèvres se touchaient, se caressaient à peine.

L'autre homme pressa en avant et il y eut un petit moment de confusion où chaque nez sembla batailler pour se faire sa place. Il y eut un bruit de frustration et un petit rire. Puis la main de métal guida sa tête en se posant sur sa joue et sa mâchoire, lui arrachant un léger frisson à cause de sa température inférieure à celle de sa peau. Sa propre main vint se poser à l'arrière de la nuque de Bucky.

Les effleurements hésitants et maladroits laissèrent la place à un échange plus maîtrisé, plus expérimenté. Des lèvres bougeant dans un rythme plus régulier, insistantes. Puis des bouches plus voraces, des langues humides, chaudes.

Il aimait ça. S'il avait encore eu un doute inconscient à ce sujet, il découvrait que dans ce cas précis le genre de son partenaire était sans grande importance. Il aimait ça, il en était persuadé, parce que c'était Bucky.

C'était vraiment bon. Tellement bon qu'il remarqua à peine qu'il était encouragé à passer en position horizontale et qu'il fallut que son crâne soit appuyé contre l'oreiller pour qu'il se rende compte que le super soldat le recouvrait de son corps, ce qu'il enregistra comme une position très étrange et peut-être un rien inconfortable vu la masse de l'homme.

Ça, c'était un peu différent. Torse musclé contre torse musclé. Leurs jambes entremêlées de telle façon qu'il ne pouvait pas ignorer le renflement là où il n'y en avait jamais eu avec ses autres partenaires... C'était un afflux d'informations assez soudain, un peu déstabilisant, mais ce n'était pas assez perturbant pour qu'il ne continue pas à trouver ça agréable. Il semblait qu'ils se laissaient totalement porter par le moment.

A l'instant exact où il eut cette pensée, sans parvenir à décider si c'était un problème, Bucky s'écarta brusquement et s'assit sur ses talons, ses cuisses enserrant les siennes.

Trop rapide, voilà où était le problème. Même si son corps protestait déjà de perdre la soudaine proximité de cet autre corps, il devait bien accepter, à voir l'expression presque choquée de Bucky que, ouais, ils avançaient sur un terrain nouveau pour tous les deux et que la précipitation pouvait bien être déconseillée. Ça ne l'empêcha pas de sourire comme le chat ayant pu goûter au fromage de la bergère et de poser la main sur la cuisse à sa portée pour y tracer de petits mouvements circulaires avec son pouce. Il n'en fut pas certain mais cela sembla aider le super soldat à relâcher un rien la tension présente dans ses muscles. Bucky finit d'ailleurs par lui offrir un sourire d'abord à peine naissant puis qui devint assez large également, répondant parfaitement au sien.

- Ça faisait longtemps que je n'avais plus fait ce genre de chose, déclara-t-il, pas exactement sur un ton d'excuse mais pas vraiment comme une justification non plus.

Il devinait que ce n'était pas un euphémisme.

- Oh, je n'ai pas oublié l'âge de l'homme qui est dans mon lit.

Il ne feignit même pas d'être ennuyé par sa remarque et l'ignora apparemment pour choisir de l'observer. Mais pas de cette façon où il gardait un regard fixe, limite pesant, voire carrément inquiétant, mais avec une lueur de convoitise dans le regard.

C'était nouveau. Cela pourrait devenir très addictif très rapidement.

Puis Bucky se pencha pour effleurer brièvement ses lèvres, lui laissa à peine le temps de lui répondre et s'écarta, l'étincelle de désir paraissant alors encore plus vive dans son regard. Et puis il quitta purement et simplement le lit.

Sam étouffa sa déception et se força à s'asseoir à nouveau sur le bord du matelas. Bucky était debout à côté du lit mais souriait encore même s'il paraissait un peu plus hésitant.

- Juste pour que les choses soient claires entre nous, déclara Sam le premier, je pense qu'on était plutôt en phase ici et qu'on s'est assez bien débrouillé.

Le sourire de son compagnon devint clairement amusé mais peut-être aussi un peu soulagé.

- J'imagine qu'on peut se dire que c'est bon signe pour ce qui suivra. Ces... nouvelles expériences dont tu as parlé, précisa Bucky.

Il ne semblait pas exactement mal à l'aise. Il avait peut-être du mal à définir ce chemin sur lequel ils venaient de mettre les pieds. Sam était peut-être encore un peu trop baigné dans l'euphorie qui lui réchauffait la poitrine pour saisir l'énormité de leur nouveau choix.

Il acquiesça en souriant toujours et, même lorsque Bucky referma la porte derrière lui après lui avoir souhaité bonne nuit, et plus tard lorsqu'il s'endormit enfin, le sourire heureux qu'il arborait ne quitta pas son visage.


Note : L'idée de départ était bien d'en rester à ces deux chapitres... mais un troisième (du point de vue de Bucky) a fait son chemin sur le papier durant ces derniers jours. J'hésite à le poster parce que je trouve que ces deux parties se suffisent à elles-mêmes. Qu'en pensez-vous ?

Dans tous les cas, merci d'avoir lu jusqu'ici et n'hésitez pas à me laisser vos avis :)