Chapitre 2
Après le siège d'Accalmie, Stannis s'en alla prendre Peyredragon, laissant son jeune frère et sa sœur dans la forteresse. Ce furent des jours d'inquiétude. La jeune Baratheon s'était rapprochée de son frère aîné durant le siège et craignait désormais qu'il ne lui arrive malheur. Puis un jour, alors que Cassalya marchait dans les couloirs du château, elle entendit les murmures des servantes et apprit avec effroi la destinée fatale de la princesse de Dorne.
Elle éclata en sanglots.
Renly ne comprit pas son émotion. Leurs frères aînés avaient chassé les dragons pour qu'ils ne blessent plus jamais Westeros. Ils avaient fait ce qui était juste. Robert était un héros aux yeux de tous pour cela. Alors pourquoi sa douce sœur pleurait-elle ainsi ? Secouant la tête, Cassalya ne sut comment lui faire comprendre qu'Elia Martell était morte de la plus horrible façon à cause d'elle.
Parce qu'elle avait pris sa place.
La jeune Baratheon se demanda comment les choses se seraient passées si elle avait été en bonne santé. Le roi fou l'aurait voulu à Port-Réal, sous son regard scrutateur, mais le prince aurait dû attendre quelques années avant de pouvoir l'épouser, qu'elle grandisse. Il aurait rencontré Lyanna Stark et l'aurait sans doute enlevée, menant Lord Stark et son fils aîné Brandon à la mort par le feu et par étranglement. Robert aurait déclenché sa guerre, furieux contre le prince, comme il l'avait fait dans cette réalité. Et alors… Qu'aurait fait le roi fou ? L'aurait-il tuée pour venger son fils ? Aurait-il essayé de faire pression sur sa famille en l'utilisant comme otage ? Dans ce dernier cas, qu'auraient fait les siens ? Robert n'avait que faire de sa jeune sœur… Peu importe la manière dont elle y pensait, elle avait le sentiment qu'elle serait morte, d'une façon ou d'une autre.
Cassalya n'avait jamais rencontré Elia Martell mais elle la pleura longtemps, rongée par la culpabilité. Lorsqu'elle apprit qu'au lieu de punir ceux qui avaient été si cruels avec la princesse et ses innocents enfants, son propre frère, son sang, leur héros, avait félicité ces monstres, la jeune fille entra dans une noire fureur. Ce sentiment ne fit que s'accroître lorsqu'on l'informa que Robert allait s'unir à Cersei Lannister.
Stannis revint à Accalmie pour les chercher, Renly et elle, pour assister aux noces royales. Avec la complicité de Mestre Cressen, elle prétendit être trop faible pour le voyage. Son frère aîné, qui avait appris à la connaître et l'apprécier durant ces derniers mois de siège, ne fut pas dupe. Il n'insista pourtant pas. Cassalya entendit les gens de sa maison murmurer qu'il était de toute façon préférable qu'une enfant comme elle ne fréquente pas la cour, pour ne pas déshonorer le roi. Avec amertume, la fillette de neuf ans songea que son frère Robert n'avait pas besoin d'elle pour cela.
Le plus triste fut peut-être qu'il ne remarqua même pas son absence.
Robert Baratheon, roi usurpateur, premier de son nom, avait complètement oublié l'existence de sa jeune sœur. Elle aurait dû en être blessée. Comme Renly, elle avait toujours vu Robert comme son héros. Elle l'était peut-être d'ailleurs un peu, au fond d'elle. Mais ce n'était pas une surprise. Son frère aîné avait vécu auprès de Jon Arryn plus qu'il ne l'avait fait avec sa famille de sang. Et dans son esprit, Cassalya avait causé la mort de leurs parents. Par ailleurs, elle était destinée à mourir jeune. Robert était un homme pragmatique. Sans doute préférait-il ne pas avoir à l'apprécier pour ne pas avoir à porter de nouveau le deuil, comme il le faisait pour Lyanna Stark.
Cassalya trouva toutefois un point positif à tout cela. Persuadés qu'elle n'atteindrait jamais l'âge adulte, personne ne venait lui dicter sa vie. Stannis et Renly avaient rejoint Port-Réal et n'en étaient jamais revenus, Stannis faisant partie du conseil du roi. D'ici quelques années, ce serait sans doute également le cas de Renly. Sans ses frères, elle vivait sous la tutelle de Ser Cortnay Penrose. L'homme n'était pas des plus amusants, mais il lui était loyal et cela lui suffisait.
Cassalya était seule, à Accalmie. C'était un sentiment étrange, la solitude, pour elle qui avait bâti les premières années de son existence sur le bien-être de son jeune frère. Elle se retrouvait tout à coup sans personne sur qui veiller. Sans raison d'être. C'était déroutant. Effrayant, même. L'enfant découvrit toutefois que c'était en réalité une véritable opportunité. Elle était seule, oui, mais elle était libre. Libre d'apprendre ce qu'elle souhaitait, de faire ce qu'elle désirait, de jouer dans les flots et danser sous les pluies d'orages jusqu'à ce que ses jambes ne la portent plus. Elle s'enivra de cette liberté nouvelle. Sa vie était à l'image des vagues, alternant la maladie et les heureux moments de rémission. Renly venait parfois lui rendre visite, ayant hérité de la forteresse ancestrale quand Stannis avait obtenu -bien malgré lui- Peyredragon. Son départ lui causait toujours de la peine, mais la distance et le temps avaient atténué cette douleur.
Elle apprit, l'année de ses onze ans, qu'elle était tante du prince Joffrey Baratheon, premier du nom. Avec honte, elle constata que cela lui était parfaitement égal. Elle ne ressentit pas le besoin de féliciter son frère. Elle n'eut même pas l'envie de lui rendre visite pour voir le nourrisson.
Un jour, alors qu'elle marchait au bord d'une mer agitée, guettant l'orage à venir, un serviteur vint l'informer que Stannis se mariait. Cassalya se déplaça, pour l'occasion, à Peyredragon. Elle se sentit désolée pour son frère. Malgré son âge, elle percevait sans peine que son union ne serait pas heureuse. Cette femme, Selyse, était aussi laide que mauvaise. Elle ne demanda pas à Stannis s'il en était amoureux. Le regard qu'il adressait à la future mariée était sans équivoque. La jeune fille fut néanmoins touchée lorsque son frère lui avoua qu'il était heureux de la voir ici, auprès de lui, pour cette occasion. Elle le prit alors timidement dans ses bras, cherchant la chaleur d'une étreinte qu'elle n'avait jamais eue auprès de personne d'autre que Renly. A cette occasion, elle revit son frère Robert. Il ne la reconnut pas, en raison des années passées depuis leur dernière rencontre et elle ne chercha pas à se faire connaître de lui, passant les festivités avec discrétion.
L'union de Stannis et Selyse lui avait appris une chose. Aussi longtemps qu'on oublierait son existence, elle serait libre d'éviter un mariage de convenance. Elle rentra donc à Accalmie et se fit oublier de son royal frère. Sa santé, si fragile, empira l'année de ses treize ans. Mestre Cressen envoya un corbeau à Stannis pour l'informer que sa vie semblait toucher à sa fin. Elle délira des jours durant, alitée malgré le soleil de l''Été qui débutait. A travers sa fièvre, elle crut discerner la silhouette de ses deux frères bien-aimés. Une nuit, alors qu'elle était au plus mal, il lui sembla que Stannis pleurait. D'une voix hésitante, il implorait son pardon. Encore et encore. Parce qu'il allait devoir la quitter, elle et Accalmie, une nouvelle fois pour servir leur frère Robert.
Cassalya l'ignorait mais la maison Greyjoy se rebellait contre la Couronne de son aîné et Stannis avait reçu l'ordre de rejoindre la guerre. Malgré sa fièvre, la jeune fille voyait toutefois combien cela coûtait à son frère de l'abandonner alors que sa vie ne tenait qu'à un fil. Elle tendit la main pour caresser la joue humide de Stannis et lui adressa un sourire qu'elle voulut tranquille.
Elle ne lui fit pas de promesse. Elle ne jura pas qu'elle s'en sortirait, qu'elle serait encore là à son retour. Elle lui sourit, simplement, en essuyant les larmes d'un homme que tous pensaient froid et inébranlable. Stannis quitta Accalmie au matin, dans la crainte et l'incertitude. Sur sa route, il se jura que s'ils s'en sortaient tous les deux, il prendrait sa jeune sœur avec lui pour qu'elle vienne vivre à Port-Réal, auprès des siens. De sa fratrie. Là où il pourrait veiller sur elle et son bien-être, quoi qu'en dise ou en pense Robert.
Dans la forteresse ancestrale, les serviteurs, le Mestre et Renly retinrent leur souffle et vécurent ces semaines comme en suspens. Mais la santé de la jeune Baratheon ne s'améliora pas. La jeune fille, déjà si maigre, sembla perdre le peu de chair qui lui restait. Ses forces l'abandonnèrent, petit à petit. S'alimenter devint un dur labeur. Elle avait froid. Si froid, malgré son corps moite et brûlant. Ses délires, causés par la fièvre, devinrent de plus en plus fréquents. Dans ce moment-là, elle appelait Stannis et Renly, désespérément. Encore en encore. Jusqu'à ce qu'elle n'en ait même plus la force. Mestre Cressen, sombrement, déconseilla au plus jeune Baratheon de visiter sa sœur aînée, cherchant à lui éviter ce traumatisme.
A la fin du mois de juillet, le charpentier reçut l'ordre de se préparer à confectionner un cercueil. Nul ne le souhaitait car au fil des années Accalmie avait fini par aimer sa jeune dame, mais la mort se tenait au chevet de Cassalya.
— Ma dame ? Appela la voix de Mestre Cressen venu apporter sa médication.
Il lui semblait loin, ce cher Mestre. Si loin qu'elle eût l'impression de l'entendre depuis un rêve. Tout était sombre, soudain, autour d'elle. Sombre et froid. Ses yeux l'abandonnaient à leur tour. Elle sut, tout à coup, qu'elle mourrait.
Et c'était triste, de mourir avant d'avoir eu le temps de vivre.
Sa première pensée fut pour Stannis, qui culpabiliserait de ne pas avoir été là. Elle songea également à Renly, qui se retrouverait seul et dépourvu d'affection. Elle pria les Sept pour que quelqu'un prenne soin de lui en son absence. Elle pria aussi pour son peuple, pour ses gens, dont elle se sentait responsable malgré son jeune âge. Elle pleura pour ceux qui restaient. Mais elle ne pleura pas pour elle. Car elle était née pour mourir et cela faisait longtemps qu'elle l'avait compris.
— Vraiment ? Lança soudain une voix dans les ténèbres. Alors pourquoi luttes-tu ?
Pourquoi, en effet ? Pourquoi luttait-elle encore, malgré la mort qui l'enserrait, après toutes ces années ? Ne s'était-elle pas promis de se faire une raison, de ne pas craindre l'inéluctable ? Durant toute son enfance, Cassalya avait vécu jour après jour, dans le doute de ne pas vivre le lendemain, se répétant inlassablement "pas aujourd'hui". Elle avait touché la mort, à tellement de reprises, qu'elle ne devrait plus en être effrayée. D'ailleurs, elle ne l'était pas. Ce n'était pas la peur qui l'habitait, c'était la colère.
— Parce que je suis une Baratheon, répondit-elle avec une soudaine ardeur. La furie est mienne. Nous n'abandonnons jamais !
— Quelle est ta fureur, fille de l'Orage ? Qu'est-ce qui gronde en toi, si fort que tu résistes même à la mort ? Pourquoi refuses-tu de mourir ?
— Parce que ce n'est pas juste ! S'écria rageusement Cassalya, des larmes amères dans la voix. Ce n'est pas juste…
Elle voulait vivre. Elle l'avait toujours voulu, et par les Sept, elle avait combattu pour cela ! Chaque jour vécu était une victoire. Et elle méritait de gagner cette foutue bataille ! Elle voulait danser de nouveau dans les vagues, sentir le soleil brûler sa peau, rire à gorge déployée auprès de sa famille. Elle souhaitait prendre la mer, découvrir le monde au-delà de ses livres et vivre des aventures épiques. Elle désirait apprendre encore et encore, apprendre tout ce que le monde pouvait lui offrir ! Elle voulait rencontrer des personnes qui la chériraient plus que tout.
Cassalya Baratheon, demoiselle d'Accalmie, n'avait jamais vécu. Elle survivait. Ce n'était pas juste !
— Non, en effet, lui accorda la présence omniprésente. Mais la vie ne l'est jamais…
Cassalya réalisa soudain qu'elle ignorait à qui elle s'adressait. Etait-ce un nouveau délire ? Comment pouvait-elle encore avoir la force de s'époumoner ainsi, même dans son esprit ?
— Je porte bien des noms, fille de l'Orage. On me donne de nombreux visages, on me craint et on m'adule. Je suis la seule vérité de ce monde. Je suis irrémédiable.
— Vous êtes l'Étranger… Comprit-elle avec stupéfaction.
— Lui et tant d'autres.
Elle aurait dû être terrifiée, car c'est ainsi que sa Septa l'avait éduquée. Dans la crainte de l'Étranger. Mais elle ne l'était pas. Cassalya était amère, car cela confirmait ce qu'elle avait supposé jusqu'alors.
— Alors je suis…
— Morte, en effet. Je suis venu t'apporter la délivrance que tu aurais dû connaître bien plus tôt.
— Je ne veux pas de votre délivrance, rugit-elle désespérément.
Alors que la rage brûlait dans ses veines, elle eut soudain le sentiment d'une douce chaleur l'entourant, comme une étreinte dans laquelle on s'assoupit. Elle voulut lutter, crier et se débattre. Parce qu'elle ne voulait pas s'endormir à jamais. Elle n'était pas prête à s'en aller, pas maintenant, pas comme ça ! Mais les quelques forces qui lui restaient l'abandonnèrent. Elle eut alors le sentiment de chuter et d'être rattrapée par deux puissants bras chauds et lumineux.
— Dors, jeune enfant, car la vie est bien plus épuisante que tu ne le crois et il te faudra autant de fureur que de courage pour la suite. Dors, car à présent, il te faut reprendre des forces.
— Pourquoi ? Murmura Cassalya d'une voix endormie.
— Tu as gagné ta bataille mais d'autres sont encore à venir.
...
Whoa. Croyez-le ou non, je suis choquée moi-même d'avoir tué mon personnage principal au bout de deux chapitres. Ce n'était pas du tout censé se produire. Cassalya était censée guérir, rester faible mais se remettre peu à peu. Je me suis encore laissée entraîner par mes personnages, il faut croire. Je suppose que d'avoir perdu plusieurs membres de ma famille ces derniers mois m'a également influencé dans l'écriture de son calvaire.
Bref. Je ne sais pas ce que vous allez penser de tout ça, je ne sais pas trop moi-même quoi en tirer.
Y-a-t-il d'ailleurs quelqu'un qui lit ce chapitre ? Si oui, merci d'avoir eu la curiosité de cliquer ! J'espère que cette histoire te plaît !
On se dit à bientôt pour la suite,
Kalwen
