Chapitre 1
Miya observa longuement les visages de ses amis se décomposer doucement. L'air s'était fait soudain plus frais, presque glacé, et un nuage avait dissimulé ce chaud soleil de printemps. Près d'elle, Jude se crispa, incapable de refréner ce qu'il ressentait. D'ailleurs, qu'est-ce qu'il ressentait vraiment ? Miya aurait donné chère pour le savoir.
Axel et Marc se dévisagèrent longuement, avant de reporter leurs regards sur Jude, hésitants. Inquiets. Dans le cercle qu'ils formaient, le silence s'était imposé, chacun réfléchissant à ce que la libération de Ray Dark signifiait. Pour eux. Pour le football. Pour la compétition mystère qui approchait. Pour Jude.
Son regard s'attarda sur Giuliano, dont le visage grave et l'air mélancolique étaient révélateurs des mauvais souvenirs que la nouvelle avait ravivés. La situation ne prêtait pas à rire, mais la jeune fille esquissa un sourire timide en découvrant à quel point la main de Nelly, qu'il serrait dans la sienne, avait blanchi, privée de sang.
Emi se tenait en retrait, peu ébranlée, mais compatissante. Bien sûr, elle savait qui était Ray Dark, ce qu'il avait fait, ce qu'il représentait pour Jude et ses coéquipiers. Alors, elle ne disait rien, témoignant son soutien dans le silence.
- Est-ce que….
Aïden s'interrompit, hésitant visiblement à poser la question qui lui brûlait les lèvres. Emi lui lança un regard noir qu'il ignora superbement.
- Est-ce que quelqu'un peut nous expliquer qui est ce Ray Dark ? Giuliano et moi, on n'y comprend rien !
- Moi, je sais qui est Ray Dark, démentit l'italien.
- Il est si connu que ça votre énergumène ? tenta-t-il de se moquer pour détendre l'atmosphère.
Mais même Marc ne lui adressa pas un sourire. Miya secoua la tête, désolée pour lui.
- Ray Dark était l'ancien directeur du club de foot de la Royal Academy, dit Nathan après quelques minutes, tu sais le collège où jouent Joe, David et Caleb ?
Aïden hocha la tête, l'invitant à continuer.
- Il a œuvré une bonne partie de sa vie à la destruction du football, et il en a particulièrement voulu à Raimon de détruire sans cesse ses plans.
- D'accord ! Conclu Aïden, et alors les gars ? Pourquoi faire cette tête-là ? Il a été libéré, sûrement loin de lui l'envie de vous rejouer de sales tours.
Miya sourit, attendrie devant la naïveté du garçon. Elle ignora le regard blasé d'Emi, et s'apprêtait à lui en dire davantage, mais Jude s'avançait déjà au milieu du cercle.
- Il y a une chose que tu dois savoir sur Ray Dark, Aïden, c'est que sa vie entière tourne autour de la destruction, de l'annihilation totale d'un football porteur de joie et d'espoir. Jamais il ne s'arrêtera !
- Un homme comme Ray Dark, commença Marc avec sérieux, n'est à sa place que derrière les barreaux. Il est inadmissible qu'il puisse être libéré. Nous devons faire quelque chose.
Miya, comme tout le reste du groupe, hocha la tête à ces paroles. Seul Jude n'approuva pas. Le regard éteint, il fixait le sol, loin dans ses pensées. La jeune fille aurait vraiment donné chère pour y avoir accès. Depuis que Jude avait appris la libération de Ray Dark, il n'était plus le même.
- Vous ne ferez rien du tout !
La voix forte de Seymour Hillman résonna puissamment au centre de la petite assemblée. Miya ne se souvenait même pas l'avoir vu arrivé. Marc, qui lui tournait le dos, sursauta violemment, manquant de s'étaler au sol. Alors que des regards surpris convergèrent vers le vieil homme, il reprit :
- Vous êtes sur le point de rejoindre une compétition d'ampleur internationale. Votre place est sur le terrain. Ray Dark est surveillé, ça ne doit pas être votre problème.
Jude rit avec cynisme.
- Alors, pourquoi nous l'avoir dit, hein ?
- Sûrement pas pour vous inciter à jouer aux petits héros, trancha le coach Hillman avec dureté. Dark a interdiction de s'approcher à moins d'un kilomètre de n'importe quel club de foot dans le pays, et il lui est interdit d'assister au moindre match. Des agents gouvernementaux épient le moindre de ses faits et gestes, il ne vous arrivera rien.
Si l'atmosphère sembla s'alléger, Miya remarqua tout de même la crispation des traits de Jude, Marc et Axel. Aucun d'eux ne craignait réellement Ray Dark, du moins, ils n'avaient pas peur qu'il s'en prenne à eux personnellement. C'était ce qu'il représentait qui les effrayait. Et plus encore, c'était l'idée que des hommes qui incarnaient des valeurs comme les siennes ne soient pas davantage punis.
Seymour Hillman se dirigea vers le banc de touche et s'y assit lourdement. La vieillesse ne l'avait pas gâté, et la jeune femme s'étonnait de voir qu'il s'affaiblissait chaque jour un peu plus.
- Bien, et si je vous expliquais exactement en quoi consiste cette compétition !
Son ton joyeux et enthousiaste ne laissa rien présager des événements des derniers instants, et autour de lui, les joueurs se massèrent avec enthousiasme. Les étoiles s'étaient rallumées dans les yeux de Marc, et il se fraya difficilement un chemin en première loge. Jude resta derrière, et Axel, pour le soutenir, s'installa à ses côtés.
- Le Football Frontière des Clubs Légendaires est un tournoi international qui réunit seize clubs à travers le monde sélectionnés par un jury comme étant les meilleurs du moment. C'est une compétition qui a été créée il y a treize ans, malheureusement, à la veille de la première édition, le fondateur et son épouse sont morts dans un accident aérien. À l'époque, les instances du football international ont simplement décidé d'annuler le tournoi. La Fédération International a émis l'idée il y a quelques mois seulement de recréer le tournoi, et a pour l'occasion décidé de sélectionner les seize équipes qui avaient été demandées il y a treize ans. Vous avez donc compris que Raimon en fait partie.
Les joueurs, maintenant enthousiastes, et ayant presque tous oublié l'ombre de Ray Dark qui planait sur eux, se mirent à discuter avec frénésie. Le coach Hillman leur laissa quelques instants pour savourer la nouvelle. Il avait été jeune lui aussi, il savait ce que ça faisait d'entendre qu'on s'apprêter à jouer contre des équipes internationales. Miya fut heureuse de voir que même Jude et Axel s'entretenaient en souriant du tournoi à venir.
- Oui, oui, c'est une très bonne nouvelle ! L'équipe actuelle est très bonne, mais le règlement du tournoi nous offre l'immense chance de pouvoir faire transférer des joueurs sur toute sa durée. J'ai donc décidé de saisir cette chance, et j'ai fait appel à certains de vos anciens camarades pour renforcer les rangs. Les gars, vous pouvez venir !
Une silhouette, que Miya reconnut comme étant celle de Shawn Froste émergea de derrière l'un des grands arbres qui bordaient le terrain d'entraînement. Derrière eux, la jeune fille aperçut aussi Heath Moore, Acker Reese et Elliot Ember.
Ils se joignaient déjà au reste de l'équipe, ayant chacun revêtu un maillot aux couleurs de Raimon. La plupart des joueurs s'étaient rués vers eux, heureux de se revoir.
Heath s'approcha d'elle.
- Ne m'en veux pas de ne rien t'avoir dit, lui dit-il en souriant, le coach Hillman a été très clair : il voulait que ça reste secret.
Miya hocha la tête, compréhensive.
- Je comprends, lui assura-t-elle, mais tout de même, dire que j'étais si triste que tu ne puisses pas participer à un tel événement.
- Comme s'ils avaient réellement pu se passer de moi. Et puis avec cette histoire sur Ray Dark, je doute vraiment que Jude soit capable de jouer comme il en a l'habitude.
- Ne commence pas avec ça ! Il faut le lui sortir de la tête, se concentrer sur un tournoi est une très bonne chose.
Heath confirma d'un mouvement de tête, puis après une dernière accolade envers son amie, il se précipita dans le tas de joueurs afin de saluer certains de ses anciens coéquipiers en sélection nationale.
- Deux joueurs ne sont pas encore disponibles pour un transfert immédiat, mais je ne doute pas de leur capacité à parfaitement s'intégrer au groupe le moment venu. En attendant, tous sur le terrain, que l'entraînement commence.
Miya s'assit sur un banc alors que tous les joueurs se mettaient en position pour démarrer la première séance. Les yeux fixaient sur Jude, elle essayait de deviner qu'est-ce qu'il avait exactement dans la tête. Quand il bloqua une jolie parade de Giuliano, puis qu'il offrit à Axel un merveilleux ballon plein axe, elle fut rassurée. Le football serait toujours la solution au moindre de leur problème.
Emi était concentrée sur son téléphone portable, balayant distraitement son fil d'actualité Instagram, distribuant des likes au hasard.
L'entraînement était terminé depuis longtemps. Elle avait vu Jude et Miya, puis Nelly et Giuliano partir il y a près de vingt minutes, mais elle attendait encore que cet imbécile d'Aïden se change.
Ce soir, ils avaient prévu d'appeler Andreas par vidéo, et si le garçon ne se dépêchait pas, ils seraient en retard. Leur ami ne les attendrait certainement pas, le décalage horaire ne lui étant pas favorable.
La porte des vestiaires s'ouvrit avec fracas faisant sursauter la jeune fille. Son cellulaire lui échappa des mains, dégringola les quelques marches qui la séparaient du sol, et s'écrasa au pied du nouvel arrivant.
Celui-ci ramassa l'objet, et le tendit à Emi qui s'en saisit en détournant la tête.
Axel la regarda un moment, avant de finalement se retourner pour rentrer chez lui. Ce n'est que lorsqu'il atteint l'autre extrémité du couloir qu'elle trouva la force de lui parler.
- Je suis désolée, Aïden et moi… ce n'était pas prévu.
Le silence d'Axel, qui s'éternisa, lui fit croire qu'il ne répondrait pas.
- Je sais, finit-il par dire après un moment, tu n'es pas si cruel, tu te donnes seulement un genre.
Emi laissa échapper un rire cynique. Cette réponse ne lui plaisait pas. À l'entendre, elle avait le sentiment d'être la coupable, la méchante de l'histoire. Mais ce n'était pas de sa faute à elle s'ils en étaient arrivés là. S'il n'était pas parti, aujourd'hui, ils seraient toujours ensemble.
- Tu es parti Axel ! Je suis venu jusqu'ici pour toi, et tu es partie. Tu ne peux pas me reprocher de ne pas avoir tout essayé pour que ça marche entre nous.
Axel ne dit rien. Mais il ne bougea pas pour autant, et n'arrêta pas de la regarder.
- C'est ce que tu as toujours fait : partir. Abandonner tes amis, m'abandonner moi, c'est l'une de tes spécialités.
- Je n'ai jamais voulu abandonner qui que ce soit, Emi. J'ai fait des choix, et parfois, cela nécessite de laisser certaines personnes de côté.
La voix d'Axel avait changé, elle était plus rauque, plus grave. Emi savait que ce qu'elle lui avait dit l'avait blessé. Mais que croyait-il faire de son côté ? Comment pouvait-il assumer la mettre de côté pour ensuite lui reprocher de l'avoir oublié ?
- Les gens parlent de Marc, mais ce n'est pas le seul à être complètement obsédé par ce foutu ballon. Tu es comme lui, peut-être même que tu es pire. Marc n'a jamais fait souffrir personne pour réaliser ses rêves.
Le silence encore. À croire qu'à chaque fois qu'elle parlait, Axel réfléchissait sérieusement à tout ce qu'elle disait. Quand il parla, Emi sut que ce serait la dernière chose qu'elle entendrait de lui avant très longtemps. Ils ne pouvaient pas être ami, ils ne pouvaient plus rien être d'autres que des inconnus.
- Tu as raison Emi. Marc combattrait le diable si celui-ci exigeait son âme pour qu'il puisse continuer de jouer au football. Moi, je vendrais la mienne, et bien d'autres encore. À quoi bon refuser, si on te donne les opportunités ?
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- Tu as parlé à Axel ?
Emi n'avait pas dit un mot depuis le départ d'Axel. Quand Aïden s'était montré, quelques minutes plus tard, elle s'était contentée d'un morne sourire, et ils avaient pris la direction du studio dans lequel vivait le garçon.
Aïden n'était pas idiot et elle savait qu'à un moment où un autre, il poserait la question. Elle aurait espéré qu'il le fasse plus tôt, afin que l'ambiance pesante entre eux se dissipe rapidement. Mais même quand elle lui répondit par l'affirmative, celle-ci demeura.
Aïden n'ajouta rien d'autre jusqu'à ce qu'ils arrivent chez lui. Emi se demandait ce qu'il se passait dans sa tête, quelles questions est-ce qu'il se posait ? Craignait-il qu'elle éprouve toujours des sentiments pour lui ? Qu'elle le laisse tomber pour retourner avec le blond ?
Elle ne lui en voulait pas de douter d'elle, parce qu'elle-même l'avait fait. Elle avait eu peur que revoir Axel lui rappelle des souvenirs, que cela éveille d'anciens sentiments, qu'ils retrouvent l'alchimie qu'il y avait toujours eu entre eux.
Mais cette entrevue avait mis fin à toutes ses préoccupations. Elle n'avait plus pour Axel que de la rancœur. Et elle se promit qu'à l'avenir, il n'y aurait plus jamais rien d'autre que de l'indifférence.
Aïden alluma toutes les lumières du studio, de l'ampoule principale qui pendait pitoyablement au bout d'un câble électrique, à la guirlande lumineuse que Célia lui avait offerte lors de son aménagement, avant d'ouvrir le congélateur pour en sortir une barquette de frites congelées qu'il passa rapidement au micro-ondes.
En même temps qu'il les nappait d'une généreuse couche de sauce mayonnaise, Emi se dirigea vers son lit, où son ordinateur portable l'attendait. Elle vérifia l'heure, et finalement, se connecta sur l'application qui leur permettrait de discuter un peu avec Andreas.
Quand Aïden la rejoignit, il prit garde à ne pas s'approcher trop près d'elle.
Andreas apparu sur l'écran quelques minutes plus tard, le visage encore gorgé de sommeil, les cheveux emmêlés, et vêtus en tout et pour tout d'un pyjama à rayures. À Détroit, il était à peine sept heures du matin, mais le jour tapait déjà doucement par la fenêtre derrière leur ami.
- Hey ! Les salua-t-il d'une voix mal réveillée. Vous rentrez de l'entraînement ?
Aïden, qui avait la bouche pleine, se contenta de hocher vivement la tête.
- Coucou Andreas, le salua plus joyeusement Emi, on rentre à peine parce que cette andouille passe plus de temps sous la douche que sur le terrain. Comment tu vas ?
Andreas rit alors qu'Aïden lui donnait un coup réprobateur sur l'épaule.
- Je vais bien ! Aujourd'hui on commence la préparation pour le FFCL. J'ai appris que Raimon était sélectionné. Ça signifie qu'on va sûrement devoir s'affronter.
Emi sourit sincèrement en voyant l'excitation qui briller dans ses yeux. Aïden repoussa sa barquette et ils entreprirent tous les deux de parler football. Qui étaient les joueurs sélectionnés pour participer à Détroit ? Contre quelles équipes joueraient-ils leur match de préparation ?
- Des équipes américaines pour la plupart, annonça Andreas, ce soir, on joue contre le Sporting Dallas. L'équipe adversaire doit déjà être dans l'avion et vous ?
- D'après Marc, on commencera par affronter la Royal Academy. C'est une bonne équipe, mais rien d'exceptionnel, si tu veux mon avis.
- Et toi Emi ? Tu viendras ? Tu n'es toujours pas manager n'est-ce pas ?
La jeune fille n'eut même pas le temps de répondre, Aïden se moquait déjà.
- Tu parles, elle passe tellement de temps sur le rebord du terrain, que c'est à se demander si elle n'est pas plutôt remplaçante.
Les deux partirent dans de grands éclats de rire, alors qu'elle frappait Aïden.
- Bien sûr que je viens, je ne vais pas rester là pendant que vous vous amusez ! Et sois sûr que quand je te verrai Andreas, je te frapperai aussi.
Pour toute réponse, il lui tira la langue.
- Emi, j'ai entendu dire par mes amis en Allemagne qu'Axel était revenu. Ça va entre vous ? Vous vous êtes remis ensemble ?
La jeune femme sentit Aïden se tendre à côté d'elle, mais il souriait toujours, et elle espéra qu'Andreas ne devine pas sa tension soudaine derrière la caméra. Elle ne voulait pas parler d'Axel. Elle voulait simplement passer un moment avec ses deux amis d'enfance sans que l'ombre noire du footballeur ne vienne obscurcir cet instant. Mais il y avait une réelle inquiétude dans le regard d'Andreas. Il se faisait du souci pour elle, et si elle refusait de répondre, elle savait qu'il le prendrait mal.
- Axel est rentré, mais on ne se remettra pas ensemble. On a eu une discussion… édifiante.
- Qu'est-ce que ça veut dire édifiante ?
- Que nous avons tous les deux des attentes différentes, et que donc, il n'est même pas envisageable qu'on se réconcilie.
Andreas le regarda quelques instants, analysant ses paroles, avant de répondre.
- Tu sais, je n'aime pas beaucoup Axel Blaze, mais je comprends qu'il n'ait pas refusé cette offre en Europe. Notre ballon de foot c'est un peu notre soleil à nous. C'est vital.
- Mais on ne vit pas que de la lumière du soleil Andreas !
- C'est vrai, renchérit Aïden, moi j'ai aussi besoin de frites pour vivre.
Andreas partit dans un grand éclat de rire en avisant la barquette que son ami tenait dans la main. Il ne vit pas le regard lourd de sous-entendus qu'Aïden adressait alors à Emi.
Lui, il ne partirait pas, peu importe à quel point il respirait au rythme d'un match de football.
Danny Yavol n'aimait pas courir. La douleur dans ses muscles à chaque foulée, la brûlure dans ses poumons à chaque inspiration, l'afflux de chaleur dans sa tête quand l'effort devenait trop intense étaient autant de raison qui faisait qu'il détestait ça.
Pourtant, Danny aimait le football. Dès son plus jeune âge, il avait été passionné par la ferveur que ce sport soulevait, la joie que cela procurait à tous les supporters du monde entier, le bonheur qui se lisait sur les visages chaque fois qu'on marquait un but.
C'est pour ça que Danny était devenu gardien de but. Il pouvait jouer au football, sans passer quatre-vingt-dix minutes à courir bêtement. Il jubilait quand son équipe marquait un but, il faisait un effort intense que lorsque l'équipe adversaire parvenait jusqu'à ses cages. Jusqu'à présent, Danny avait bien choisi ses clubs de football. Tous avaient été réputés pour leur défense incroyable, ce qui faisait que bien souvent, il passait le plus clair de son temps, appuyé contre le poteau de son but, à admirer le match d'une place particulièrement intéressante.
Quand Seymour Hillman l'avait trouvé, pour qu'il rejoigne l'équipe du lycée Raimon, Danny avait insisté pour connaître les aptitudes des défenseurs. Le vieil homme lui avait présenté le profil des joueurs, comme s'il savait que de toute façon, Danny le demanderait, et l'avait laissé l'analyser tout le temps qu'il souhaita.
- Ce Scotty Bannian, avait-il dit en pointant la photo d'un garçon qui paraissait tout droit sortie de l'école primaire, nous n'en aurons pas besoin.
Seymour Hillman s'était contenté de rayer son nom de la liste des joueurs à recruter, et n'avait fait aucun commentaire. Finalement, à l'issue de leur entretien, il lui avait serré la main, et Danny lui avait promis de se présenter à l'entraînement d'ici quelques jours.
C'est la raison pour laquelle il était là, assis bêtement sur cette butte qui surplombait le terrain d'entraînement de l'équipe de foot du lycée Raimon, à observer ses futurs coéquipiers jouer.
Les attaquants n'étaient pas trop mal, quoiqu'un peu coincés, mais il ne doutait pas que l'heure matinale y était pour beaucoup. Les défenseurs aussi, ceux qu'ils avaient implicitement choisis, avaient des aptitudes physiques prometteuses. Nathan Swift s'échauffait encore, mais il faisait déjà œuvre de capacité de vitesse impressionnante. Jack Wallside était peut-être beaucoup plus lent, il était fort et puissant. Mais le plus flamboyant d'entre eux était Shawn Frost. Il était rapide, fort et puissant. S'il n'avait pas été là, Danny n'aurait jamais accepté de rejoindre cette équipe.
Son regard s'attarda alors sur le gardien de but. Naturellement, Danny le connaissait. Quel footballeur japonais n'avait pas entendu parler de Marc Evans, le capitaine de l'équipe du collège Raimon ? Il n'avait que dix-huit ans, pourtant, il était déjà bien plus célèbre que des joueurs professionnels. Sa réputation avait motivé des dizaines de jeunes à rejoindre le collège Raimon, simplement pour pouvoir marcher dans les pas de ce si célèbre gardien.
Danny savait que si Marc ne se blessait pas, il ne foulerait jamais la pelouse. Quel entraîneur intelligent laisserait Evans sur le banc ? Il était plus qu'un gardien de but, plus qu'un capitaine. Il était un phare, dont la lumière était si lumineuse, qu'il guidait ses coéquipiers alors même qu'ils lui tournaient le dos.
Un mouvement, à sa droite, lui fit détourner les yeux. Une jeune fille aux cheveux bleus venait de s'asseoir près de lui, un carnet de notes dans les mains. Il la regarda, ses yeux rouge brillant de curiosité.
- Tu es Danny n'est-ce pas ? M. Hillman m'a parlé de toi. Il ne pensait pas te voir si tôt.
- Pourquoi est-ce qu'il t'a parlé de moi ?
La fille, qu'il devina être l'une des manageuses, lui tendit une feuille qu'elle sortait de son cahier. Il parcourut les noms inscrits sur la feuille, avant d'écarquiller les yeux de surprises.
- C'est la composition pour le match de préparation de vendredi, contre la Royal Academy. Les joueurs en rouge sont ceux qui seront titularisés.
Danny contemplait son propre nom, en rouge, juste derrière la mention « gardien ». Ce n'est pas qu'il n'y croyait pas, c'est qu'il ne comprenait pas.
- Ça n'explique pas pourquoi il t'a parlé de moi ! dit-il finalement.
- Je suis journaliste. Il voulait que je te retrouve pour t'avertir qu'il était impératif que tu sois là vendredi.
- Je vois, dit-il en rendant le papier à la jeune femme. Il a seulement parlé de vendredi n'est-ce pas ?
Il se releva, épousseta l'herbe sous ses fesses, et attrapa son sac à dos. La fille parue prise de court, elle bégaya.
- Eh bien… oui. Mais c'est dans deux jours. Tu… Où tu vas ?
- Je m'en vais.
- Où ça ?
- De quoi je me mêle ?
- Tu devrais aller t'entraîner !
- Pour quoi faire ?
- Le match est dans deux jours !
Elle paraissait au bord de la crise de nerfs. Si bien que Danny esquissa un sourire amusé en la voyant peu à peu perdre ses couleurs.
- Je n'aime pas ça, m'entraîner. Je rentre chez moi regarder un match ou deux à la télé.
- Quoi ?
Danny s'éloigna d'un pas traînant, encoure tout sourire de la réaction de la journaliste. Elle aussi maintenant devait se demander pourquoi Seymour Hillman l'avait choisi pour être le remplaçant de Marc Evans.
Danny s'était posé la question pendant plusieurs jours. Ce matin encore, en se levant, il n'était pas certain d'avoir la réponse. Il savait maintenant. Il ne serait pas le remplaçant de Marc Evans. Marc Evans serait son remplaçant.
.
- Je ne pourrai pas assister à la phase de poule du tournoi !
Emi contempla Miya avec bien plus de désarroi qu'elle n'aurait voulu le montrer. À ses côtés, Nelly et Célia s'étaient tendues, apparemment tout aussi surprises que contrariées.
- Quoi ? bégaya Nelly.
Miya haussa les épaules, l'air indifférent.
- Le tournoi débute en pleine période scolaire, et je ne suis pas scolarisée à Raimon. Je n'ai aucun justificatif m'autorisant à sécher les cours.
- Mais Acker, Heath et Elliot ? s'étonna Emi.
- Ils ont été transférés pour rejoindre l'équipe. Mais comme le tournoi est bientôt, les joueurs sont dispensés de cours.
- Mais… tu peux demander une dérogation ? essaya Célia. Tu n'as qu'à leur dire que tu fais du bénévolat ou quelque chose comme ça ?
Emi approuva de vigoureux hochements de tête. Elle ne le dirait jamais à Miya, mais elle ne voulait certainement pas que celle-ci reste derrière. Sa cousine était un point de repère, un élément familier.
- Non, je ne peux pas, le bénévolat c'est du sérieux. Mon dossier ne serait jamais accepté.
Un ballon de football roula jusqu'aux bancs où elles étaient train de discuter. Jude courra vers elles pour le récupérer, haletant sous l'effort.
- Jude, tu le savais ? demanda Célia en croisant les bras.
- Quoi donc ?
- Que Miya ne nous accompagnerait pas !
- Elle me l'a dit oui.
La blonde s'étonna qu'il ne paraisse pas spécialement déçu. Il leur sourit, voulant se faire rassurant.
- Et ça ne te gêne pas ?
- J'aurais préféré qu'elle soit là, c'est sûr. Mais on ne va pas en faire toute une histoire. Elle nous rejoindra dès qu'elle pourra.
- Et si vous n'atteignez pas les phases éliminatoires ? demanda Emi.
- C'est pour ça qu'on doit les atteindre. Ce serait trop nul pour elle sinon.
Et il repartit aussitôt, rejoignant Marc et Axel qui l'appelait de l'autre côté du terrain. Emi détourna la tête quand son regard croisa celui d'Axel et se reconcentra sur Miya. Cette dernière ne paraissait même pas contrariée, et c'était ce qui énervait le plus la blonde.
- Pourquoi est-ce que tu n'es pas triste ?
Miya se tourna vers elle, un sourire confiant sur les lèvres. Emi n'aimait pas ça. Elle connaissait ce sourire. C'était le même que celui qu'elle arborait quand elle s'apprêtait à faire une bêtise quand elles étaient petites.
- Parce que je sais que je pourrais bien plus aider Jude en étant ici que là-bas.
