Hermione resta interdite. Barnabas Cuffe était parti aussi vite qu'il était apparu et avait laissé en plan les deux jeunes femmes qui se regardaient à présent sans trop savoir quoi dire. Le nom de Dragonneau évoquait quelque chose à Hermione, mais elle ne put se souvenir de quoi exactement. Bien que la situation fût embarrassante, l'attitude relâchée de la nouvelle arrivante montrait qu'elle n'en était pas plus affectée que cela. Elle était habillée à la mode moldue. Ses bras découverts laissaient apparaître plusieurs tatouages épars. Hermione devina un rapace prenant son envol sur l'intérieur du bras gauche. Sa peau était métissée et son visage en forme de cœur, était ponctué de deux grands yeux en amande d'un noir profond. Une longue chevelure tressée lui arrivait à la taille.
– Je suis désolée. Je n'ai pas été avertie de ta venue. Hermione désigna le deuxième bureau de la pièce. J'aurais débarrassé un petit peu si j'avais su.
La nouvelle arrivée esquissa un sourire laissant apparaître deux fossettes au coin des joues.
– Ce n'est pas grave. Ça se règle vite.
Hermione sortit aussitôt sa baguette magique et sans même avoir à prononcer les formules, elle fit tourner deux fois son poignet et guida les quelques piles de dossiers qui traînaient vers les étagères. Quand cela fut fini, elle remit sa baguette dans sa poche et tendit la main à sa nouvelle collègue :
– Enchantée. Hermione.
– Harmony. Elle présenta une main longue et osseuse. Je suis ravie de te rencontrer.
– Je crois deviner que tu es américaine.
– De New York oui. Je suis arrivée hier.
À cet instant, elles furent interrompues par un homme d'une quarantaine d'années en tenue d'employé.
- Heu bonjour. C'est ici le bureau d'la politique magique ? J'ai du matos à installer. Par contre, j'ai mes hiboux livreurs qui attendent sur les perchoirs-minute. Ça serait bien de n'pas traîner.
Son ton nonchalant exaspéra Hermione. Se forçant à rester aimable, elle confirma au livreur que c'était bien le bon endroit. Pensant qu'il serait plus pertinent de lui laisser la place, elle proposa à Harmony de lui faire visiter la rédaction pour patienter. Cette dernière acquiesça et elles sortirent toutes les deux du bureau.
Betty Braithwaite venait tout juste d'arriver.
– Salut Betty. Je te présente Harmony Dragonneau qui a intégré l'équipe ce matin.
Les yeux de sa collègue s'ouvrirent tout grands.
– Êtes-vous de la même famille que Norbert Dragonneau, le célèbre auteur de « Vie et habitat des animaux fantastiques » ?
Hermione se mordit les lèvres. Mais bien sûr, le magizoologiste. Elle s'en voulut de ne pas avoir fait le rapprochement plus tôt. Elle avait bien entendu lu cet ouvrage qui était une référence en ce qui concernait l'étude des créatures magiques.
– C'était mon grand-oncle, le frère de mon grand-père paternel.
Betty proposa un café. Elles acceptèrent et en quelques secondes, trois tasses vinrent atterrir sur la petite table ronde disposée près de la fenêtre. On y avait une vue sur les toits de Londres. Le café fut servi presque aussitôt.
Betty Braithwaite n'était pas journaliste-portraitiste sans raison. Elle savait mettre les personnes à l'aise et délier les langues. Cependant, Hermione dut bien avouer que ce talent n'aidait pas tant Harmony qui visiblement se sentait aussi à l'aise qu'un hyppogriffe en plein vol, mais bien elle-même. Hermione n'avait jamais été très confortable lors des premières rencontres avec des inconnus, ne sachant jamais ni quoi dire ni comment se comporter. Il lui avait fallu des années pour abandonner son masque de Madame-je-sais-tout, qu'elle avait utilisé plus que de raison dans le passé. Ce comportement lui avait valu plusieurs réactions épidermiques, et ce même de la part de ses meilleurs amis actuels. Mais elle n'avait pas pour autant trouvé une alternative satisfaisante.
Betty et Harmony échangeaient sur New York. La célèbre journaliste y avait vécu plusieurs années au début de sa carrière professionnelle et pouvoir en parler la mettait manifestement en joie. Elles furent bientôt rejointes par Kamila Grove, leur jeune collègue du courrier des lecteurs, puis d'Ignatus Skinner de la rubrique société magique. Ce dernier était dans tous ses états. Il préparait la publication d'un livre sur l'étude des luttes des classes à travers les époques dans le monde magique britannique. Il rencontrait quelques difficultés avec son éditeur au sujet de certains passages et plusieurs références jugées trop subversives.
"Tout ce qui touche à l'Irlande ou l'Écosse est apparemment sous tabou !"
L'arrivée du courrier mit fin à cette pause café improvisée. Hermione et Harmony continuèrent la visite. Daegal et Bozo le photographe officiel de la Gazette étaient partis couvrir un entraînement de Quidditch. Elles se dirigèrent vers l'imprimerie qui se trouvait au rez-de-chaussée du bâtiment. Hermione aimait cet endroit. Bien que bruyant, poussiéreux et en désordre, l'effervescence qui y régnait était fascinante. Les énormes rouleaux d'impression tournaient, actionnés par des forces invisibles. Les feuilles volaient tout autour. Une odeur d'encre et de papier embaumait toute la pièce. C'était de là que tous les exemplaires de la Gazette du Sorcier étaient distribués par les hiboux.
En remontant, elles croisèrent le livreur qui leur confirma qu'il venait tout juste de finir. En effet, elles trouvèrent sur le bureau d'Harmony une machine à écrire neuve, une lampe ainsi que plusieurs fournitures diverses plus ou moins utiles. Elles s'installèrent toutes les deux devant leur bureau respectif. Hermione devait impérativement finaliser un article avant midi. Elle ne savait pas trop quoi proposer à Harmony. Cette dernière la rassura. Le rédacteur en chef lui avait demandé de traiter l'actualité internationale et notamment des relations entre le ministère de la Magie britannique et le MACUSA. Les deux jeunes femmes s'exécutèrent et l'on entendit bientôt plus que le crépitement des machines à écrire et les échos de la rue.
La pendule indiqua bientôt midi. Hermione releva la tête et suggéra d'aller déjeuner. Harmony accepta et elles sortirent toutes les deux. Le chemin de Traverse ne proposait que quelques endroits où il était possible de manger. Le Chaudron-Baveur était de loin le préféré d'Hermione. Elle avait un attachement particulier au lieu, mais aussi à Tom le barman. Il lui arrivait d'y faire un tour le soir après le travail où elle échangeait avec lui. Parler à quelqu'un d'extérieur à sa vie professionnelle et personnelle était d'un soutien précieux.
Ce jour-là cependant, le temps était encore chaud et elles décidèrent de profiter d'un dernier déjeuner en terrasse avant l'arrivée de l'automne plus frais et humide. Elles se dirigèrent vers le salon de thé qui se trouvait en face de la ménagerie magique. La serveuse les accueillit avec chaleur. Elles s'installèrent sur l'une des deux tables disposées devant la vitrine où quelques gâteaux étaient exposés.
Une fois assises et leurs plats commandés, Hermione qui avait un peu plus gagné en confiance, engagea la conversation avec sa nouvelle collègue :
– Que faisais-tu avant d'arriver ici ?
– J'ai travaillé plus de cinq ans au Fantôme de New York après mes études en sciences politiques magiques à l'université de Elay. J'étais à la rédaction politique et correspondante officielle au MACUSA.
Hermione fut légèrement impressionnée par ce curriculum vitae. Elle n'avait pas suivi d'études au-delà de Poudlard. Finalement, elle n'en avait pas eu besoin. Elle avait pu tout apprendre sur le terrain, encadrée par ses collègues. Mais rien que le principe de pouvoir étudier lui faisait envie. De plus, les universités de sorcellerie américaines étaient aussi réputées que leurs homologues moldues notamment celles faisant partie de l'alliance des Grimpantes.
– J'imagine que tu as fait ta scolarité de second cycle à l'école d'Ivermorny. J'ai cru comprendre que l'enseignement était quelque peu différent de celui que l'on a pu recevoir à Poudlard.
Harmony but une gorgée de son jus de citrouille avant de répondre.
– En vérité, les programmes sont assez comparables aux vôtres. Évidemment, les cours d'histoire de la Magie portent majoritairement sur l'histoire des sorciers et sorcières du continent américain. J'avais aussi pris une option supplémentaire sur les Premières Nations nord-américaines magiques. Ce qui diffère beaucoup c'est l'organisation interne de l'école. Nous n'avions pas ces systèmes de points et de compétition. On nous poussait plus à la collaboration et l'investissement dans des activités comme le sport ou les clubs.
– Et dans lequel étais-tu ?
– J'étais rédactrice en chef du journal. Évidemment.
Hermione sourit et c'était la première fois de la journée. Elle commençait à se détendre petit à petit et le soleil chauffait la peau de ses bras découverts.
– Qu'en était-il des maisons ? demanda-t-elle.
– Ce sont les maisons qui te choisissent. Il peut arriver qu'on ait à faire un choix si plusieurs se manifestent pour un même élève. J'ai dû me décider entre la maison du Serpent cornu ou de l'Oiseau-tonnerre.
Elle laissa un silence.
– Et laquelle as-tu intégrée ?
– C'était assez stressant et inutile de préciser que tu n'as pas non plus tellement le temps de la réflexion. Mais c'est le but. Les maisons symbolisent nos aspirations ou la place qu'on voudrait occuper dans la communauté magique. Le serpent cornu représente l'esprit et se prédestine plutôt aux personnes érudites.
La serveuse vint leur apporter leur plat.
– Tu as donc choisi celle-ci, j'imagine.
Harmony émit un petit rire en mordant dans son toast grillé.
– Non. J'ai opté pour la maison de l'Oiseau-tonnerre qui s'adresse à l'âme et aux aventuriers. Elle fit une pause et ajouta, en tout cas, d'après les créateurs de l'école.
– As-tu déjà eu un doute ?
Harmony fit non de la tête.
– Mes parents étaient un peu déçus. Le Serpent cornu est une maison extrêmement renommée. Mais je ne sais pas. Je me suis laissée guider.
Elle venait de finir son plat. Elle but une dernière gorgée de jus de citrouille.
– Votre choixpeau ne vous laisse pas le dernier mot non ?
Hermione eut une pensée émue au souvenir de la cérémonie de répartition de Poudlard. Avait-elle été nerveuse ? Oui un peu. Elle pensait être envoyée à Serdaigle, mais le choixpeau en avait décidé autrement. Aurait-elle choisi Gryffondor s'il lui avait laissé l'opportunité de décider ?
– Harry m'a raconté qu'il lui avait demandé à ne pas aller à Serpentard. Elle se reprit. Je parle bien sûr d'Harry Potter.
– J'avais compris. Et pourquoi pas Serpentard ?
– Et bien... Elle prit quelques instants pour réfléchir. Nous n'avons pas exactement les mêmes centres d'intérêt. Et puis, ils sont arrogants, imbus de leur personne et de leurs origines « Sang-Pur ».
Harmony esquissa un sourire.
– Effectivement, ce portrait ne donne pas envie. Cela dit, c'est très probablement la maison dans laquelle j'aurais atterri si mon père avait fini par m'envoyer à Poudlard.
Hermione faillit s'étouffer.
– Je pensais que les Dragonneau étaient plutôt répartis à Poufsouffle.
– Le fait est que je ne suis pas qu'une Dragonneau, mais aussi une Lestrange. Ma grand-mère Leta a été scolarisée à Poudlard et était une élève de Serpentard.
Elle ajouta après une courte pause :
– On peut voir de l'arrogance, mais également de l'ambition. Tout est une question de point de vue.
Hermione se renfrogna. Elle serait toujours catégorique en ce qui concerne les élèves de Serpentard. Elle avait suffisamment vu leurs agissements et justement non-agissements lors de la bataille de Poudlard.
– Être ambitieux sans courage, je trouve cela ridicule.
– Prendre la décision de se battre contre ses parents et les discours qu'on a entendus toute sa vie, ne demande pas en premier lieu du courage, mais de la réflexion si c'est ce à quoi tu fais référence.
Elle semblait amusée par la conversation.
– C'était donc vrai cette compétition à Poudlard entre les maisons...
Elle laissa la phrase en suspens. Hermione s'agaça :
– Mais j'imagine que vous avez bien aussi des sorciers « Sang-Pur » et compagnie de l'autre côté de l'Atlantique ?
Elle éclata de rire.
– Oui et à la différence de Poudlard, ils sont répartis dans toutes les maisons. Tu m'as dit que le choixpeau tenait compte des préférences personnelles. Vu l'histoire de vos fondateurs, ce n'est pas étonnant que les enfants des Mangemorts entre autres se soient retrouvés là. Que Salazar Serpentard ait eu l'ambition comme valeur n'est finalement qu'un simple concours de circonstances.
Hermione ne trouva rien à répondre. Elle n'avait jamais envisagé les choses sous cet angle.
Elles finirent leur repas par une infusion de mandragore. La serveuse leur apporta deux tasses d'eau chaude où trempaient les feuilles réduites en de fins rouleaux. Elle disposa également quelques scones à la myrtille. Hermione sucra, remua et porta la tasse à ses lèvres.
– Et du coup quelles sont tes ambitions en venant ici ?
– Me plonger dans la culture anglaise et voir de l'intérieur la mise en place des nouvelles réformes. Et si la question suivante est de savoir comment j'ai obtenu le poste, j'ai simplement envoyé un hibou.
– En même temps, avec un curriculum aussi impressionnant, je ne suis pas étonnée que Barnabas Cuffe t'ait recrutée.
Harmony but une petite gorgée de son infusion.
– En vérité, vu l'entretien que j'ai pu avoir ce matin avec lui, je pense que c'est plus mon nom et le fait qu'il connaisse mon père qui ait joué.
– On a dû avoir le même entretien alors. Cependant, je n'avais aucune expérience de journalisme à ce moment-là.
Hermione avait soigneusement évité de se poser trop de questions par rapport à son recrutement. Mais malgré ces précautions, elle ne pouvait faire taire cette voix interne qui lui susurrait qu'elle n'était pas légitime pour écrire sur la politique. Son poste à la Gazette était un poste important. La Gazette était le journal le plus lu de toute la Grande-Bretagne magique et ses articles décrivaient des événements qu'elle savait être d'une importance capitale. Objectivement, elle avait conscience qu'elle avait atteint un certain niveau de compétence avec les quelques années passées à la rédaction. Mais la voix revenait sans cesse au moindre doute et ne lui faisait aucun cadeau lors de ses erreurs.
Harmony semblait lire dans ses pensées.
– Tu ne devrais pas écouter cette voix trop souvent. Même avec des diplômes, on se sent toujours illégitime. Je lis tes articles depuis le début et tu fais du très bon travail. Les critères sur lesquels on nous recrute ne nous regardent pas. Ce qui compte c'est d'obtenir le poste et d'avoir notre chance.
– J'aimerais parfois juste être anonyme et ne plus avoir ce doute. J'aimerais être sûre qu'on me considère pour ce que je suis au lieu de ce que j'ai pu faire pendant la guerre. C'était une autre époque. On improvisait la plupart du temps...
– Tu ne vas pas non plus t'excuser d'avoir sauvé le monde magique. Ça a dû être suffisamment dur comme ça. Je comprends que ça te perturbe cela dit.
Elle regarda sa montre. La réunion d'équipe hebdomadaire commençait dans dix minutes. Hermione insista pour régler la note. Elles se levèrent et se hâtèrent de retourner dans les locaux de la Gazette de l'autre côté de la place.
À la fin de l'après-midi, les deux jeunes femmes avaient bouclé l'article du jour et elles préparaient déjà le programme de la semaine prochaine. Relevant la tête, Hermione s'aperçut qu'il était six heures et demie. Elle avait donné rendez-vous à Olivier Dubois dans un bar moldu dans le quartier de Soho. Tout en rassemblant ses affaires, elle demanda à sa nouvelle collègue :
– Où loges-tu ? Tu as trouvé un appartement quelque part ?
– Non pas encore, répond-elle. J'ai pris une chambre au Chaudron-Baveur. Je vais chercher un petit studio ces prochaines semaines.
Hermione lui souhaita un bon week-end, se hâta vers la sortie et transplana sur le perron de la rédaction. Elle réapparut dans une petite ruelle à quelques dizaines de mètres du pub où Olivier l'attendait deux bières à la main.
– J'ai réussi à payer avec l'argent moldu, mais je persiste à dire que ce n'est vraiment pas pratique.
Hermione le débarrassa d'une des pintes et l'embrassa amoureusement.
– Et tu n'as pas pris ton balai cette fois.
– Non. Je l'ai laissé aux vestiaires. Je sors tout juste d'un entraînement de Quidditch.
Hermione lui fit signe de s'éloigner un peu du groupe de jeunes Moldus qui s'étaient retournés à l'évocation d'un entraînement, mais étaient restés perplexes à l'énonciation du nom du sport.
Olivier continua :
– La saison s'annonce bien. On devrait pouvoir améliorer nos performances si l'on s'entraîne plus. J'ai demandé de nouveaux balais, mais ils sont encore un peu hésitants.
Hermione l'écouta avec plus ou moins d'attention. Le Quidditch n'avait jamais été son sujet de discussion préféré même si elle savait que ça faisait plaisir à Olivier de pouvoir partager avec elle. Elle repensa à sa conversation de ce midi avec Harmony. Elle n'avait jamais évoqué ce sentiment d'illégitimité avec personne justement parce qu'elle avait peur de ne pas être comprise. Harmony était arrivée ce matin et en un déjeuner, Hermione s'était sentie suffisamment en confiance pour parler de ce sujet et elle avait eu raison.
Voilà ! Vous en savez plus sur Harmony qui est je le précise une invention totale de ma part. C'était un vrai challenge de me lancer dans l'écriture d'un personnage principal original. J'espère qu'elle vous plaira (autant qu'à moi). On se retrouve dimanche prochain à 22h11 pour le chapitre suivant qui risque de vous secouer un peu. Je n'en dis pas plus. ( :
