Chapitre II

Eren se sent perdu. Quelle drôle de mort... mais est-il bien mort ? Une âme ne peut pas avoir autant de douleur, autant de courbatures, si ? Sa tête se tourne vers le mur le plus près de lui, il reconnaît cette pierre sombre, suintant par endroits, et les faibles lueurs que les torches du couloir y projettent, dansant dessus, brillant parfois contre la suie. Le cachot. La sensation de planche sous son dos, matelas le plus rudimentaire qu'on y trouve, ne fait que confirmer cela. Eren tente de fouiller dans ses souvenirs et de se montrer logique. Quel acte d'insubordination a t-il commis ? Il revoit le visage de Livaï penché sur lui. La sensation de ses lèvres froides sur la peau fiévreuse de son front. Est-ce que le Jäger... a fait une bêtise après cela ? Il se le demande !

« Tu sembles réveillé, Eren », commente la voix d'Erwin.

« Erwin-taicho... »

Le garçon se redresse vivement en position assise, à la vitesse d'un râteau sur lequel on marche.

« Taicho...Pourquoi suis-je... ici ? »

« Tu l'ignores vraiment ? » s'étonne le commandant.

Erwin conclue à un problème de mémoire, vu l'air sincèrement perdu du gamin. Est-ce temporaire ? Des souvenirs lui reviendront bientôt ? La vision d'Eren s'éclaircit. D'entre les barreaux, il voit son commandant installé sur une chaise, lui faisant face. A côté de lui, nonchalamment adossé contre un mur, se trouve...

« Livaï-hecho... » murmure Eren, ses yeux verts retrouvent cette petite étincelle qu'il ne réserve qu'à lui.

L'homme remarque le changement, mais le balaie avec nonchalance:

« Me regarde pas comme ça gamin, tu t'es sauvé tout seul. »

On aurait dit que tout ce qui s'est passé quand il se trouvait à terre, mourant, n'était qu'un rêve... mais non, cela n'en était pas un. Livaï l'a trouvé. Eren était dans ses bras. Il a vu ses yeux argent près de lui, plus près que jamais, il a senti l'appui léger de ses lèvres sur son front. Ce n'était pas un rêve….n'est-ce pas ?

Erwin lui présente la clé qu'il portait autour du cou depuis plusieurs mois. On lui a pris ses effets personnels. Armin a su répondre quant à l'utilité de chacun d'eux, y compris celui-ci. Eren prend peur qu'on croit qu'il a dissimulé cette information alors qu'il a toujours eu l'intention de la dire, au moment propice, quand il se sentirait prêt à retourner à la maison. Le garçon apprend la raison de son enfermement, mais il est rassuré sur un point. Erwin lui dit bien qu'ils ont confiance en lui et à ce moment précis, le regard du jeune garçon se met à scruter Livaï, comme s'il espère de lui une confirmation tacite, mais rien. Le caporal porte sur ses traits son indolence naturelle. Les deux hommes partent, le laissant seul avec ses doutes, seul dans ce cachot. Hansi vient lui rendre visite avant son procès, Eren est preneur de sa bonne humeur. Il n'arrive pas à s'ôter de l'esprit ce « Monstre » plein de mépris qu'un garde lui a sifflé quelques heures plus tôt. Monstre… est-ce que le caporal pense ça de lui, aussi ? Eren espère que Livaï aussi va venir à son tour, il l'attend tellement qu'il veille tard. La fatigue l'emporte et non, le caporal n'est pas venu. Eren se réveille avec du dépit dans le cœur, ça lui alourdit la poitrine. Le lendemain, Hansi revient avec Mike et ils l'emmènent jusqu'à la salle du procès. Le garçon est attaché au poteau de sentence, à genoux, mains dans le dos, au beau milieu de l'assemblée, comme une bête de cirque. Il croise le regard de Mikasa et d'Armin et ressent presque leur soutien depuis sa position. Il n'est pas seul. On énumère contre lui les faits qui lui sont reprochés.

Erwin est le premier à s'exprimer après le juge. Eren n'ose pas regarder dans la direction des autres membres du bataillon d'exploration. Il a peur. Peur de voir leur visage, son visage, inaltérable, neutre, dépourvu d'émotion alors qu'il est traité comme un animal. Il a peur de son indifférence. Cela lui ferait du mal. Une part de lui espère que derrière la façade, son caporal s'inquiète. Qu'il s'indigne. Son espoir se ravive lorsqu'il entend le venin que Livaï jette froidement sur le parti d'en face. Des porcs. Eren daigne enfin le regarder et il se rend compte que ce visage neutre, loin de le blesser, le rassure. La situation est maîtrisée. Il ne laissera rien lui arriver. Il le protège. Cependant, ce tribunal dispose d'une arme contre Eren. Ils commencent à s'en prendre à Mikasa. Eren réagit au quart de tour, il reprend son tempérament d'avant, celui qui s'était un peu calmé en rejoignant le bataillon, en rejoignant Livaï. Il est hors de lui, au point de susciter la peur auprès de ceux qui veulent sa mort. Une arme est braquée vers lui.

Et puis, la frappe tombe, il ne voit rien venir. Eren a l'impression de s'être pris une barre de fer en plein visage. À demi-assommé, il a tout juste le temps de lever la tête vers son agresseur. Livaï. Un autre coup tombe. Puis un autre. Puis un autre. L'homme qu'il admire tant est en train de le tabasser. Et cette pensée lui fait plus mal que les coups en eux-mêmes. Les citoyens et soldats de la garnison le mettent en garde : Eren pourrait se transformer. A cette intervention, le tibia en béton de Livaï percute encore sa tête. A ce moment, le pauvre garçon comprend, ou du moins, espère de tout cœur, que tout ceci est en train d'arriver parce que Livaï lui fait confiance. Il prouve aux autres que son soldat se maîtrise, qu'il ne lui ferait pas de mal, même si on le pousse à bout. Et l'Ackerman le pousse à bout au point de le faire douter de son propre raisonnement, ou plutôt de son espoir peut-être naïf. Sa tête est rabattue par terre, écrasée sous la semelle du caporal. La voix de celui-ci est lointaine, quand il dit que la souffrance est le meilleur enseignement. Eren voit flou, il distingue à peine les voix au-dessus de lui qui argumentent. Après un moment qui semble une éternité, les trois coups du marteau contre le pupitre résonnent dans la salle. Les cordes retenant ses poignets aux poteaux sont déliées, le laissant s'étaler d'autant plus au sol, pitoyablement. Le bataillon d'exploration le ramasse et le transporte vers une salle ressemblant à un bureau.

Les nouvelles ne sont pas tendres pour Eren. Malgré son dévouement depuis son entrée au sein du bataillon d'exploration, la cour lui réclame une expédition supplémentaire qui lui servira à prouver son utilité, comme si ce n'est pas déjà chose faite. Malgré un tempérament parfois un peu trop… bouillant, Eren dispose tout de même d'un bon respect envers la hiérarchie. Il se fie au jugement d'Erwin, qui n'émet aucune critique quant à la décision prise. Un sursaut incontrôlé le saisit lorsque le caporal s'installe soudainement à côté de lui sur le sofa de la pièce. Ce passage à tabac ne fait que le travailler. La main, qui caressait doucement sa nuque lors de son agonie, est la même qui l'a frappé. Et ce n'est pas la douleur physique qu'Eren en retient. Pour autant, il rassure son caporal à sa question : non, il ne lui en veut pas. Le jeune Jäger ne sait pas s'il croit en ses propres paroles. La seule chose dont il se rend compte, c'est que même si Livaï était allé plus loin, ses sentiments pour lui serait restés intact.

Le soir, c'est le pas trainant, fatigué, que le garçon se dirige vers les dortoirs.

« Hum… Eren ? »

Il reconnaît immédiatement cette voix. L'interpellé se retourne et adresse un sourire penaud à sa camarade.

« Salut Petra » dit-il un peu maladroitement.

Le retour de salut n'est pas plus adroit. Elle lui demande si ça va, un échange de banalité bref qui pourrait faire du bien à Eren s'il ne remarquait pas avec évidence qu'elle essaie de lui dire quelque chose. Quelque chose qui ne va pas lui plaire.

Eren se désintéresse toutefois d'elle quand Livaï entre dans son champ de vision. Celui-ci est en compagnie d'Hansi. Dès qu'il croise son regard, le plus jeune esquisse un léger sourire auquel le caporal, sans surprise, ne répond pas.

« Qu'est-ce que tu fais là ? »

« Doucement Livaï, je crois qu'il n'est pas au courant » le rabroue Hansi.

« Au courant de quoi ? » demande Eren.

Livaï lui donne la réponse.

« Il a été décidé que tu dois dormir au cachot tant que l'on n'a pas prouvé que tu ne représentes pas un danger. »

« Vous considérez que je représente un danger, Hecho ? »

« Ce que je pense importe peu. »

Il est rare que, malgré une forte envie de parler, Eren réussisse à se taire. Son visage est pourtant un livre ouvert. C'est important pour moi, songe t-il avec force. Livaï le voit, et Hansi aussi, très certainement.

« Ne te laisse pas abattre. Repose-toi bien ! Tu verras, quand je t'aurais bien étudié, tout le monde te connaîtra et aura confiance en toi ! » dit-elle avec un enthousiasme mal contenu.

Petra, qui a suivi l'échange en silence, se fait toute petite devant cette démonstration de folie auquel on ne s'habitue pas toujours. Ce genre d'extravagance avait le don de dérider un peu Eren avant mais, voyant que sa mine n'est pas moins déconfite après cette prise de parole se voulant optimiste, le caporal intervient.

« Je le raccompagne. »

Une lueur indescriptible jaillit dans le regard vert d'Eren, qui veut donner de l'interprétation à cette proposition simple, qui n'a pourtant rien d'anormal, et ne dissimule aucune autre intention que de devoir fermer la porte de sa cellule. Parce que quelqu'un doit le faire. Eren marche les mains devant lui, en tirant nerveusement sa manche, le regard bas. Même en étant parfaitement conscient de ses sentiments pour le caporal depuis un bon moment déjà, c'est la première fois qu'il se sent vraiment gêné d'être seul en sa présence. Pourquoi ça, d'ailleurs ? Parce qu'il sait, songe t-il alors avec horreur

Eren rougit brutalement en se rappelant de ses paroles avant de sombrer. Bon sang ! Il était censé mourir sur ces mots, sur cet aveu honteux. Pourquoi n'était-il pas mort ?! Est-ce qu'il va devoir regarder le caporal dans les yeux tous les jours avec le souvenir de lui-même réclamant son amour ? Le chemin vers les cachots lui semble interminable. Le bruit de leurs pas résonne dans ses oreilles et son visage brûle encore. Sa gêne est telle qu'il lui faut plusieurs secondes avant de retrouver toutes les sensations, tous les souvenirs d'avant son inconscience. La main de Livaï caressant sa nuque. Ses lèvres se posant sur son front. Comment ne pas t'aimer, gamin ? Surréaliste. Surréaliste à un point qu'Eren doute encore. A t-il rêvé ? A t-il halluciné un désir ?

L'adolescent rentre mécaniquement dans sa prison et fait quelques pas vers le milieu de la pièce. En entendant la porte se refermer, il se retourne vivement.

« Hecho » Livaï retire la clé de la serrure et relève un regard neutre vers lui, l'invitant implicitement à poursuivre. Ce qu'Eren fait, non sans embarras. « Je… me rappelle du bruit. Un craquement fort comme un coup de tonnerre, la douleur vive, la longue chute... Je ne sentais plus mes jambes. Je suffoquais et... je vous ai vu. Vous êtes resté avec moi, Livaï-hecho ? »

« Oui, je pensais que tu mourrais. Quand Hansi est arrivée, tu avais déjà régénéré une partie de tes blessures. C'est fini gamin, n'y pense plus. »

C'était donc arrivé. Comment ne pas t'aimer, gamin ? Plus il y pense, plus Eren songe que les mots de Livaï n'étaient ni vrais, ni faux, mais avaient juste pour but d'apaiser son âme. Pour cela, Eren se met, hélas, à l'aimer plus encore.

« Je ne veux pas oublier. »

Le regard de Livaï soutient le sien un léger moment. Aucune émotion ne s'y est installée, un incroyable flegme s'y traduit, mais Eren se demande si, dans ce silence, le caporal hésite à lui répondre.

Livaï ne dit finalement rien et tourne les talons.

Il entend alors les pas précipités d'Eren qui se rapproche de lui. Les mains du garçon s'accrochent aux barreaux.

« Hecho, attendez... »

Livaï s'arrête et tourne son visage impassible vers lui, attendant qu'il crache le morceau.

« Est-ce que tous les coups étaient nécessaires ? »

« Je croyais que tu ne m'en voulais pas. »

Le silence s'installe un léger moment, à nouveau. Le regard d'Eren, entre espoir et tristesse, l'incite à répondre malgré lui.

« Ils l'étaient. »

Eren ne dit toujours rien, il fait seulement un pas de côté qui le rapproche du coin de sa cellule, et de Livaï. Ce dernier ne peut s'empêcher de penser à un petit chiot quand il le voit comme ça, collé à la barrière qui les sépare dans l'espoir de pouvoir se rapprocher de l'humain. Le caporal se sent obligé de reprendre la parole.

« Gamin. Si j'avais mis toute ma patate, tu aurais perdu bien plus qu'une dent. »

La poitrine du gamin s'allège d'un poids mais il n'arrive pas à sourire. Son cœur est encore enserré de doute et d'inquiétude.

« Est-ce que vous me voyez comme un monstre ? »

« Peu importe la façon dont je te vois, tu en es un. »

Eren est autant blessé par la véracité de ses paroles que par le fait que ce soit lui qui les dise. Livaï a toujours été comme ça. Droit et honnête. Pas le genre à jeter de la poudre aux yeux des autres. Sauf peut-être s'ils sont aux portes de la mort…

L'aveu d'Eren n'a rien changé au comportement du gradé, peut-être parce qu'il savait déjà tout ça avant. C'est un homme de terrain, il est observateur. Peut-être qu'il s'en moque juste.

« Hecho… »

« Va dormir. »

Les doigts d'Eren se resserrent sur les barreaux tandis qu'il l'observe s'éloigner, les lèvres étroitement closes de se retenir de l'appeler. Ce serait se couvrir de honte d'afficher ouvertement cette sorte de désespoir qu'il ressent. Désespoir et frustration, une frustration terrible. Il aurait préféré n'avoir jamais rien dit, et vivre une vie entière de doute, de « Et si… ? », plutôt que d'avoir ouvert son cœur et qu'il ne se passe rien. Rien. Eren n'est pas totalement idiot, il a bien conscience d'être mineur, que Livaï est gradé, qu'il serait irresponsable de sa part de mal se comporter avec une jeune recrue mais… Eren espérait un signe, même léger, un effleurement, un sourire, un mot.

Rien n'a changé quand les premiers tests d'Hansi sont fait avec lui, qu'ils découvrent ensemble les raisons de ses transformations. Eren cherche souvent la présence de Livaï, son regard. Mikasa a une dent contre lui que Eren ne parvient pas à apaiser. Elle ne comprend pas cette amitié qu'il semble éprouver pour le caporal alors que celui-ci l'a maltraité. Le plus âgé s'est pourtant un peu rattrapé depuis. Il est toujours égal à lui-même, semble souvent indifférent, mais fait preuve de bienveillance de manière générale. Cependant, Eren ne veut pas de sa gentillesse. Il veut cet amour dont il lui a parlé, cet amour qu'on ne peut pas lui refuser, or il ne le trouve nulle part dans les yeux de son chef. Rien n'a changé.

Rien n'a changé lors de la 57ème expédition du bataillon d'exploration.

Le titan femelle les poursuit, l'étau se resserre. Eren veut se battre en ayant la certitude puérile qu'il pourra sauver ses amis. Petra et Auruo l'incitent à rester. Mais, comprenant combien l'instant est crucial pour Jäger, combien cette décision est trop importante pour être ordonné sans cœur, Livaï lui laisse le choix. Il lui laisse le choix sans lui accorder ce regard qu'Eren recherche tant. Et à ce moment, sa décision est prise. Elle n'est pas seulement motivée par son envie de protéger les siens, mais par quelque chose de bien plus irrationnel. Eren s'expulse de son cheval, se jetant vers l'arrière, prêt à arracher la chair de sa main avec les dents, en songeant qu'à une seule chose : Je veux risquer ma vie à nouveau.

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Un grand merci à ceux qui ont pris le temps de me laisser une petite review lors de leur passage, je vous encourage à le faire si vous avez des améliorations à me proposer, ou si vous avez simplement apprécié. Cela me motive grandement pour la suite !

A très vite :D