Il me regarde avec hésitation. Je sens, je ressens ses questionnements depuis mon arrivée. Évidemment, j'ai été accueilli à bras ouverts, comme un second fils. Je n'avais aucune inquiétude.
· C'est la première fois.
James me fixe avec une grande attention. Prêt à se lever pour m'entraîner à l'extérieur, il semble vite s'être ravisé et s'assoit à mes côtés. Il faut dire qu'il essaie depuis tellement d'années de communiquer au sujet de ma famille.
· C'est la première fois que mon père m'accorde son… «attention».
· Tu veux dire que c'est sa première… «intervention»?
· Oui. Il n'est quasiment jamais présent. Alors, les enfants, ce n'est pas lui qui s'en occupe.
· Qu'est ce qui s'est passé?
J'explique, consciencieusement, sans oublier de détails. Et, c'est comme si, un poids s'allégeait. Comme si, partager ma douleur parvenait à la diminuer de moitié. Je prends une grande inspiration.
· Lui il ne m'aurait jamais laissé partir. J'ai eu de la chance qu'il travaille.
· Et… tu crois qu'il viendra te chercher?
Je souris malgré moi. Orion Black se déplacer pour venir chercher son fils? J'imagine la scène et rit doucement.
· Certainement pas.
· Donc, tu es tranquille? Pour de bon?
· Je pense. À l'heure qu'il est, je dois être considéré comme l'ennemi public numéro un. Par l'ensemble de la famille Black.
· Parfait. Comme ça, tu deviens un vrai Potter.
James sourit et pose sa main sur mon épaule. Ses yeux semblent soucieux malgré tout.
· Comment tu te sens?
· Bien, malgré le contexte…
· Sirius. Comment tu te sens, réellement?
Les larmes montent. Et j'entends ses mots. Les mots de mon meilleur ami, mon frère. «Ce n'est pas une honte. C'est un droit de craquer.»
Je lâche, je largue les amarres, je fonds dans ses bras. Je le sais, je le sens, je ne serai jamais un Potter. Malgré tout ce qu'on se dit. Je porterai en moi leur sang, leur nom. Je porterai les blessures, je serai toujours un peu à eux. Parce que, quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, peu importe les accords et les désaccords, les disputes, les moments de joie. La famille reste la famille. Et quelle famille. Je n'ai sûrement pas la pire, mais pas la meilleure. Je pleure, et c'est eux que je pleure, malgré tout. Je pleure chacun d'entre eux. Même elle. Parce que je rêve que tout change. Et pourtant, on ne peut modifier les autres. On ne peut que se transformer soi même. Je pleure, et ce sont des années de larmes contenues qui glissent. Elles filent le long de mes joues, s'infiltrant partout. Et je sens, je devine que ce poids, porté depuis des années, s'allège davantage encore. Les bras de James m'entourent, me soutiennent, me portent. Il me porte. Je me laisse aller, contre lui, et sa force me maintient. Elle me maintient, la tête hors de l'eau.
C'est donc ça, d'être soutenu par les siens? C'est ça, une vraie famille? Être porté, à chaque instant, et surtout quand ça flanche. Je trouve que c'est beau. Je pense qu'il n'y a rien de plus fort.
· J'ai peur, James. J'ai peur de ne pas avancer. De ne pas m'en remettre… De tomber et de couler.
· Tu vas y arriver, Sirius. Là, tu es affaibli, et c'est normal. Ce qui t'es arrivé, c'est dur. C'est blessant. Mais tu es fort. Tu as toujours été fort.
· Je ne sais plus. Ça me semble impossible.
· Tu as le droit de tomber. Tu as le droit de couler. Un peu. Quelques jours, quelques semaines, si tu en as besoin. Mais je rattrape. Je suis là, derrière, comme une main pour te relever, une branche pour te retenir. Laisse venir et sortir ce qui a besoin. Une fois fait, tu seras libéré. Pour toujours.
Mes larmes redoublent. Touché. Je suis touché. Je sens que j'ai passé un cap. Je suis parti, j'ai appris à parler, communiquer. Je lâche, je perce et casse cette foutue carapace. Je sors du personnage, je brise ce mur dans lequel j'avais enfoui mes blessures et mes émotions.
Je casse tout.
Et je recommence.
Je respire.
Je prends ma première bouffée d'oxygène depuis des années.
Je me sens comme un nourrisson qui vient au monde.
C'est une renaissance.
Je suis Sirius Black.
Je suis parti pour revenir.
Je reviens à la vie.
Plus fort.
Plus mûr.
Pas neuf, mais retapé.
Retapé à l'amitié.
Bercé par l'amour.
Porté par une force nouvelle.
