02. UN CHOIXPEAU DE MALHEUR
Who Are You – RAIGN
Alfie, qui ne quittait plus Saddie, Scorpius et le garçon ébouriffé de la barque au risque de faire une bourde et de se perdre, se sentit mourir de l'intérieur.
Le groupe des premières années venait d'atteindre le niveau du Professeur Flitwick, et leur quatuor s'était arrangé – notamment grâce à la carrure loin d'être discrète de la Van Den Berghe – pour être placé au plus près. D'un certain côté, c'était plutôt pratique, étant donné qu'ils allaient pouvoir écouter son discours de bienvenue sans râler à cause de potentiels chuchotis et ricanements gêneurs…
D'un autre côté, Saddie, Scorpius comme le petit brun n'avaient pas fini de se payer la tête d'Alfie qui, à sa grande horreur, avait pu constater en direct-live que le Directeur-Adjoint, réputé pour son intelligence comme pour sa taille réduite, était plus grand qu'elle-même.
Les joues roses et le regard assassin, elle se décala derrière la grande brune qui lui servait d'amie nouvellement acquise.
– Bienvenue à Poudlard ! s'exclama joyeusement le petit bonhomme en bleu. Le banquet de début d'année va bientôt commencer, néanmoins vous allez devoir être répartis avant de pouvoir prendre place dans la Grande Salle. La cérémonie de répartition est très importante, car la Maison dans laquelle vous serez envoyé sera pour vous comme un second foyer le temps de votre scolarité. Ensemble, vous partagerez cours, dortoirs et salles communes. Poudlard possède quatre Maisons : Gryffondor, Poufsouffle, Serpentard et Serdaigle.
Dès que Serpentard fut citée, tout un tas de marmonnements désapprobateurs et ricanements critiques se firent entendre parmi les nouveaux élèves. Alfie ne dut qu'à sa gêne naturelle de ne pas se retourner pour tous les fusiller du regard, et se rapprocha imperceptiblement de Scorpius, dont la mine était basse.
– Silence, je vous prie, ordonna d'un ton étonnement sec le Professeur Flitwick. Plus nous tarderons, et moins vous aurez le temps de manger. Bien, où en étais-je… Ah, oui. Ces quatre Maisons ont toutes leurs propres histoires, leurs propres noblesses, leur propres emblèmes, et chacune d'elle a formé au cours des siècles de grands sorciers et sorcières. Chaque fois que vous obtiendrez de bons résultats, vous ferez gagner des points à votre Maison. En revanche, si vous enfreignez le règlement, vous lui en ferez perdre. À la fin de l'année scolaire, la Maison qui aura su comptabiliser le plus de points gagnera la Coupe des Quatre Maisons, ce qui est un grand honneur.
À dire vrai, mis à part mettre en compétition des centaines de gamins apprenant tout juste à se servir de leurs baguettes, Alfie ne voyait pas tellement à quoi pouvait servir cette Coupe. D'un autre côté, elle avait été élevée dans un foyer où l'esprit de compétition était omniprésent et un tantinet étouffant, alors son opinion pouvait tout aussi bien être biaisée.
La petite file fronça le bout du nez. Était-ce normal pour elle de songer à de telles choses à son âge ? Les autres ne semblaient pas plus perturbés que cela…
– J'espère que chacun d'entre vous aura à cœur le bien-être de sa Maison, peu importe laquelle vous accueillera, sourit le petit professeur d'un air aussi doux que malin. Bien, la Cérémonie de la Répartition va débuter dans quelques instants en présence de tous les élèves et professeurs de l'école. Prenez ce temps pour vous repoudrer le nez si le cœur vous en dit, je reviens vite !
Il les laissa alors seuls, et Alfie en profita pour tout bonnement poser son derrière au sol, le dos posé contre une colonne de pierre. Elle n'aimait pas beaucoup rester debout pour de longues périodes, elle préférait largement se reposer.
Saddie n'hésita pas une seconde avant de l'imiter, mais ni Scorpius, ni le petit brun ne les rejoignirent – Scorpius avait d'ailleurs fait la grimace en les voyant faire, mais le sol était propre, il n'y avait pas de raison…
– Comment est-ce qu'on va être sélectionnés, à ton avis ? lui glissa Saddie, l'air de rien.
Alfie la fixa d'un air curieux. Elle aurait pourtant mis sa tête à raser que son amie était au moins une Sang-Mêlée, étant donné qu'elle possédait quelques friandises sorcières dans son sac à dos et que son crayon était affublé d'une gomme magique…
– Je m'en voudrais de te gâcher la surprise, sourit-elle faiblement, peu à l'aise à l'idée de plaisanter – et si elle le prenait mal ?
– Je ne suis pas du Royaume-Uni ou d'Irlande, grommela la brunette d'un air mécontent.
– …Sans vouloir t'offenser, qu'est-ce que tu fais ici, alors ? s'intéressa Scorpius.
– Je cueille des pâquerettes pour m'en faire une couronne, évidemment.
– Tu risques de devoir abandonner cette idée, mon père m'a dit qu'il y avait surtout des pissenlits dans les jardins de Poudlard, gloussa le petit brun. Vous pouvez m'appeler Al, au fait, j'ai oublié de vous le dire…
– Oh, un homonyme, s'amusa Alfie, les yeux perdus quelque part sur les dalles du sol.
– Voici Alfie, Scorpius, et moi c'est Saddie, enchantée Al.
Le petit brun sourit à nouveau, les iris pétillants, et vint leur serrer la main tour à tour. Alfie fixa longuement les doigts halés de « Al », les yeux écarquillés et les joues cramoisies, avant de se saisir délicatement de sa main entre ses doigts moites de transpiration. Il ne prit même pas la peine de s'en plaindre – elle l'en remercia télépathiquement.
– Ta tête me dit quelque chose, souffla-t-elle imperceptiblement.
– Pardon ? Je n'ai pas entendu, tu pourrais répéter s'il te plaît ?
– Je crois qu'elle a dit que ta tête lui revenait pas, sourit Saddie d'un air mutin.
– C'est pas vrai ! s'horrifia la pauvre petite rouquine, le teint crayeux.
À ce moment-là, des cris s'élevèrent dans le fond du groupe de premières années. Les quatre nouveaux amis se tournèrent vers le bruit, et écarquillèrent les yeux de surprise. Une grosse vingtaine de fantômes venaient d'apparaître en traversant le mur du fond, comme un troupeau blanc et vaporeux, légèrement transparent. Pris dans un débat semblait-il enflammé, ils ne remarquèrent leur public.
– Non-non-non ! Je vous l'assure, le Professeur Trelawney l'a vu, il va encore frapper ce soir, durant la Cérémonie ! s'exaspéra un sinistre personnage portant un tablier couvert de taches qui firent froid dans le dos d'Alfie.
– Voyons, mon cher Baron, Peeves s'est bien comporté durant quelques semaines, ne pouvez-vous donc point croire en sa bonne foi ? tenta de tempérer un moine grassouillet. Est-ce donc si difficile de croire que notre cher ami a enfin choisi la voie de la bonne conduite ?
– Bien comporté ? Bien comporté ? Et les Bombabouses qui ont tapissés les murs de ma salle commune, je les ai imaginées, peut-être ?
– Messeigneurs, nous avons de la compagnie, glissa d'une voix douce une jeune femme au visage triste comme les pierres.
Les fantômes baissèrent alors le nez vers l'attroupement de premières années qui les fixait comme des merlans frits.
– Oh, mais ce sont les petits nouveaux de cette année ! gazouilla une voix geignarde qui fit plisser des paupières à Alfie.
– Effectivement, intervint une voix amusée près d'Al. Allons-y, tout le monde, la Cérémonie est sur le point de commencer !
Le Professeur Flitwick, car c'était bien lui, les fit se mettre en rangs avant de leur faire signe de le suivre. Ils quittèrent la petite salle où ils patientaient tantôt, traversèrent un hall si immense qu'Alfie était persuadée qu'il pouvait contenir deux ou trois maisons de banlieue, puis ils franchirent une double porte gigantesque qui ouvrait sur la Grande Salle.
L'endroit était… indéchiffrable. Alfie éprouvait un mélange consternant entre émerveillement grâce aux milliers de chandelles suspendues dans les airs, la vaisselle en or ou encore le plafond magique, parsemé d'étoiles sur un fond de velours et d'un autre côté, elle eut l'intense et irrépressible envie de se faire invisible pour échapper aux regards des centaines d'élèves surexcités et des professeurs, installés sur une estrade dominant la pièce depuis le fond.
Le Professeur Flitwick aligna les première année face à leurs camarades, puis disparut quelques instants pour revenir tout de suite, suivi par deux tabourets de quatre pieds flottant à sa suite. Il grimpa debout sur l'un d'eux, et posa sur le second un chapeau pointu de sorcier.
Alfie haussa un sourcil. Ses frères lui avaient bien dit que le Choixpeau était dans un sale état, néanmoins elle put en attester d'elle-même : râpé, rapiécé, poussiéreux, il était un enfer visuel pour n'importe quelle ménagère maniaque.
Brusquement, le Choixpeau se mit à remuer, puis une déchirure s'ouvrit en grand depuis le bord, comme une bouche, et il se mit à chanter :
Je n'suis pas d'une beauté suprême
Mais faut pas s'fier à ce qu'on voit
Je veux bien me manger moi-même
Si vous trouvez plus malin qu'moi.
Les hauts-d'forme, les chapeaux splendides
Font pâl'figure auprès de moi
Car à Poudlard quand je décide,
Chacun se soumet à mon choix.
Rien ne m'échapp'rien ne m'arrête
Le Choixpeau a toujours raison
Mettez-moi sur votre tête
Pour connaître votre Maison.
Si vous allez à Gryffondor
Vous rejoindrez les courageux,
Les plus hardis et les plus forts
Sont rassemblés en ce haut lieu.
Si à Poufsouffle vous allez,
Comme eux vous s'rez juste et loyal
Ceux de Poufsouffle aiment travailler
Et leur patience est proverbiale.
Si vous êtes sage et réfléchi
Serdaigle vous accueillera peut-être
Là-bas, ce sont des érudits
Qui ont envie de tout connaître.
Vous finirez à Serpentard
Si vous êtes plutôt malin,
Car ceux-là sont de vrais roublards
Qui parviennent toujours à leurs fins.
Sur ta tête pose-moi un instant
Et n'aie pas peur, reste serein
Tu seras en de bonnes mains
Car je suis un chapeau pensant !*
Les applaudissements qui accueillirent la fin de la chanson – si tant fut que cela puisse être considéré comme telle, vu le timbre faux du couvre-chef – Alfie sursauta légèrement.
– Oh, je vois, souffla Saddie à quelques têtes au-dessus d'elle. Jolie surprise…
– Tu t'attendais à quoi ? rit Al en la taquinant du coude. Une piñata parlante ?
– Non, un combat à mort durant lequel je t'aurais pulvérisé.
Alfie ne put contenir un léger gloussement, imitée par Scorpius, alors que le petit brun tournait un visage outragé vers Saddie, qui lui rendit un grand sourire plein de dents.
Le Professeur Flitwick remercia alors le Choixpeau d'une voix indulgente et brandit un long rouleau de parchemin. Alfie frissonna. Quelque part là-dedans se trouvait son nom, et bientôt elle commencerait sa vie de sorcière… Sous les meilleurs auspices, ne put-elle s'empêcher d'espérer en observant ses trois nouveaux comparses.
– Lorsque vous entendrez votre nom, vous viendrez vous asseoir sur le tabouret et je placerais le Choixpeau sur votre tête, expliqua à nouveau le petit bonhomme. Allons-y : Addamson, Felix !
Tandis qu'un petit garçon au teint café et à la démarche hésitante venait s'asseoir près du Professeur Flitwick, Alfie en profita pour jeter un œil aux tables des élèves plus âgés à la recherche de ses frères.
Un discret « psst » qu'elle manqua presque de rater au-delà du tonitruant « GRYFFONDOR ! » que venait de beugler le Choixpeau lui fit tourner la tête vers la table des Poufsouffle. Un sourire soulagé prit place sur son visage lorsqu'elle parvint à discerner les traits rondouillards de Vicky parmi la masse de cravates jaunes.
– Antares, Yoen !
– … POUFSOUFFLE !
Si Humphrey et Robert étaient de beaux, grands et charismatiques jeunes hommes, Victorian avait toujours été un peu plus discret. Avec son teint caramel, ses jolis yeux clairs et ses bouclettes plus ambrées que celles de leurs frères qui lui tombaient sur les yeux, il avait tout du futur tombeur – si son visage se décidait un jour à perdre ses rondeurs d'enfant, lui donnant un air faussement grassouillet.
Avec un clin d'œil de connivence, il lui pointa un visage à l'autre bout de la Grande Salle, près du mur, et Alfie reconnut le calme olympien et placide de Phrey parmi les Gryffondor. Il lui adressa un petit signe d'encouragement, puis elle entendit finalement les appels de son troisième frère, à l'opposé complet de là où était assis son jumeau. Depuis la table des Serpentard, Rob semblait clamer son nom depuis plusieurs minutes en faisant de grands gestes. Aussi heureuse qu'embarrassée, elle lui rendit un petit coucou agrémenté d'un sourire timide, avant de reporter son attention sur la Cérémonie.
– Chandler, Harrison !
– SERPENTARD !
Ah, on y était presque. Alfie se félicita mentalement pour son sens du timing, auquel cas elle aurait eu l'air bien bête si elle avait manqué son nom.
– Christian, Romuald !
– POUFSOUFFLE !
Ils furent cinq à passer avant dans les C, avant qu'enfin (ENFIN) son nom retentisse. Ou plutôt, quelque chose qui y ressembla.
– Crivey-Laufey, Alpha-Phœnicis !
Alfie, qui s'était approchée de quelques pas à l'entente de son nom, s'était figée comme une statue lorsqu'un second patronyme s'y était rajouté.
Un lourd silence s'était d'ailleurs abattu sur la Grande Salle, et il lui sembla que tous guettaient qui serait le ou la malheureuse à porter un tel nom à rallonge. Quelque part, elle crut entendre Rob ou Vicky protester à grands cris qu'il y avait erreur, tandis qu'elle restait aussi inerte qu'une statue de marbre.
Qu'est-ce que c'était que ce numéro ? Laufey ? D'où ça sortait, ce machin ?
– Crivey-Laufey, Alpha-Phœnicis ! répéta à nouveau le Professeur Flitwick, l'air de ne pas y croire lui non plus.
– Eh bien, qu'est-ce que tu attends ? siffla Saddie à son oreille. C'est toi, non ?
Sans piper mot, la petite rouquine hocha lentement du menton, peu sûre de sa réponse.
Saddie fit alors la pire chose possible, mais qui permit tout de même de faire bouger les choses : elle poussa Alfie en avant. Certes, ce n'était pas très fort, à peine un toucher à vrai dire, mais Alfie était si confuse que cela la fit tout de même trébucher.
Rouge d'embarras et les yeux brûlants de larmes face à toute l'attention qu'elle recevait, elle garda le menton baissé pour vérifier où elle posait ses pieds en rejoignant l'enseignant.
– Eh bien, mon enfant, venez, n'ayez pas peur, fit le Professeur de Sortilèges en lui désignant le second tabouret. Prenez place.
– Je… Ce n'est… J'ai… bafouilla-t-elle, les mains tremblant si fort qu'elle préféra serrer sa robe de sorcière. Mon nom…
– Pardon ? Y a-t-il un problème avec votre nom, très chère ?
Incapable de prononcer la moindre syllabe de plus tant sa gorge était douloureusement serrée, elle hocha rapidement de la tête, secouant ses boucles écarlates. Elle mordit sa lèvre et renifla pitoyablement alors qu'une première larme roulait le long de sa joue – le poids des regards.
Encore. Toujours. Regards de hyènes, affamées de potins. Terrifiantes bêtes sauvages prêtes à tout pour se trouver un bouc émissaire.
Non, non. Inspire, expire, tout va bien, s'exhorta-t-elle. Lentement, elle prit de lentes inspirations, et souffla profondément. Les yeux toujours rouges et trempés de larmes, elle planta son regard dans les prunelles patientes du professeur et clama d'une voix aussi forte que possible :
– Je m'appelle Alpha-Phœnicis Marlene Crivey. Pas Laufey.
Finalement, cela ressembla au cri d'un hamster en fin de vie. Néanmoins, Professeur Flitwick sembla comprendre, hochant du menton.
Pour sa part, Alfie n'avait qu'une seule envie : se trouver un coin aussi tranquille que possible et pleurer de tout son soul. Ses nerfs venaient d'être joyeusement passés à la broyeuse à bois, et son nez la piquait de larmes contenues.
– Je vois. Sachez néanmoins que la Plume magique qui a inscrit votre nom à votre naissance ne peut faire aucune erreur, expliqua-t-il d'un ton paisible. Il s'agit de votre nom complet.
– D'a… D'accord, souffla-t-elle sans oser relever le nez du sol.
– Est-ce que vous vous sentez mieux ? Parce qu'il reste encore beaucoup d'élèves à répartir, et la nuit est déjà fort entamée…
Alfie hocha la tête sans piper mot à nouveau et s'installa tant bien que mal sur le haut tabouret jumeau à celui de son enseignant. Celui-ci posa derechef le Choixpeau sur son crâne roux, et l'artéfact couvrit ses yeux d'un noir absolu, lui permettant de faire abstraction des centaines d'yeux curieux qui lorgnaient son tout petit corps.
– Oh, cela faisait longtemps que je n'avais pas eu quelqu'un de ton espèce, dit une petite voix à son oreille. Le dernier date des premières générations de cette école… Hum, ce n'est pas aisé, je vois beaucoup de choses en toi… Lui aussi avait beaucoup de potentiel. Je sens une grande force, un talent brut. Tu as beaucoup de qualités. Hum. C'est une tête bien remplie que tu as là, et tu le sais. Voyons, voyons… Quelle Maison te correspondrait le plus…
Alfie garda les yeux fermés et resta parfaitement silencieuse, se fichant comme d'une guigne du résultat de sa répartition. Elle avait 75% de chances d'atterrir sur un banc déjà occupé par l'un de ses frères, ce qui serait formidable. Néanmoins, ce serait quand même drôle qu'ils soient tous les quatre dans des Maisons différentes, un peu comme un strike.
Du moment qu'il arrive à se décider, décida-t-elle, profitant du noir paisible que lui offrait le bord trop large du chapeau.
– Hum. Tu ne feras rien pour me faciliter la tâche, n'est-ce pas ? Bougonna la petite voix.
Alfie eut un petit sourire amusé. Oh que non, elle était bien installée, et coupée du monde en plus de cela, alors autant faire durer le plaisir aussi longtemps que possible.
D'ailleurs, le Choixpeau se basait-il donc uniquement sur les traits prédominants d'un enfant de onze ans pour le répartir dans une Maison qui sera susceptible de le suivre jusque dans sa vie professionnelle ? N'était-ce pas un peu léger ? Peut-être que Poudlard devrait repousser la Cérémonie d'un an ou deux, histoire que les élèves évoluent un peu…
– Haa, je pense avoir trouvé… Néanmoins, j'hésite encore, je sens de grandes ambitions et un orgueil tout aussi développé en toi. Serpentard pourrait te mener sur le chemin du prestige. Et Gryffondor t'aiderait à affirmer ton caractère profondément enfoui, à surmonter tes blessures… Hum… Que faire, que faire… Je reconnais en toi la témérité de ton oncle et les influences de tes frères et ton beau-père… Tu as une tête trop bien faite pour un si petit corps !
La petite fille déglutit difficilement, le brûlant souvenir des psychologues et des professeurs Moldus incendiant sa conscience.
Tricheuse. Capacités à l'écrit trop développées comparées à l'oral. Menteuse. Impossible qu'Alfie fut aussi intelligente. Aucune capacités sociales. Tête d'ampoule. Intello. Lèche-botte. Toutou de l'institutrice. Arrête de nous prendre pour des imbéciles. Tricheuse. Encore et toujours : tricheuse tricheuse tricheuse tricheuse tricheuse.
Machinalement, Alfie se mit à grattouiller l'intérieur de sa paume, le long du muscle du pouce. Il y avait là une cicatrice à peine discernable, un peu rose encore, des trop nombreuses fois où elle s'était grattée à s'en arracher la peau.
Le pire était que des chuchotis se faisaient à nouveau entendre à travers la Grande Salle, et Alfie sentait son angoisse reprendre du poil de la bête.
– Hum, précoce donc. Hum. J'avais donc bien choisi au départ : SERDAIGLE !
– Strike, souffla-t-elle faiblement avec un faible sourire.
Alfie ôta le Choixpeau lentement et prit encore plus longtemps pour rouvrir les paupières. Ce fut le sourire joyeux de Flitwick qui l'accueillit, jumelé à un clin d'œil de connivence, et elle réalisa avec peine qu'il serait désormais son Directeur de Maison.
Les jambes cotonneuses et la tête bourdonnante, elle se dirigea elle-ne-sut comment vers la table des Serdaigle. Par miracle, elle ne trébucha pas lorsqu'elle vint s'asseoir près d'un gamin de son âge. Ses camarades ne cessèrent de siffler son arrivée à leur tablée que lorsque le Professeur Flitwick réclama le silence, et Alfie eut une moue d'incompréhension.
Un grand garçon à la peau d'ébène et au sourire solaire, portant déjà la cravate bleue et bronze, ainsi qu'un insigne de Préfet, vint se glisser près d'elle.
– Jonathan Larrson, ravi de te rencontrer ! dit-il en lui montrant le cadran d'une montre à gousset étrange dont il tenait la chaîne. Sept minutes et vingt-quatre secondes ! Incroyable, tu as failli dépasser le record établi par Ambrosia McClurdh !
– … Pardon ? souffla-t-elle, trop bas pour être entendue par-dessus le vacarme des Gryffondor qui venaient de gagner un élève.
– Une Chapeau-Flou ! continuait-il sans trop lui prêter attention. Et pour nous en plus ! Cette année s'annonce géniale !
Alfie préféra ignorer son voisin et lança à la recherche de ses amis. Les Gryffondor furent soudain aussi bruyants que le tonnerre alors que Rose Granger-Weasley les rejoignait.
Al lui adressa un pouce en l'air, avant de retourner à son arbitrage de haut niveau : Scorpius et Saddie étaient lancés dans un shifumi endiablé, à tel point qu'Alfie voyait à peine leur mains bouger entre deux formes. Ils se fixaient droit dans les yeux d'un air si déterminé qu'Alfie ne put s'empêcher de lâcher un gloussement.
Une main vint tirer trois petits coups sur le bord de sa robe de sorcière, et elle se figea, terrorisée à l'idée que l'on commence à l'embêter pour la scène qu'elle avait fait.
– Psst, Alfie ! fit une voix fort peu discrète dans son dos.
– Lupere, Fiona !
Alfie se tourna vers Vicky, dont elle avait reconnu la voix, et lui envoya un sourire tremblant pour apaiser l'inquiétude peinte sur son visage. À la moue désapprobatrice qu'il fit, elle comprit qu'il n'y crut pas un instant, mais son intervention eut au moins le bénéfice de la ragaillardir un tantinet.
– GRYFFONDOR ! s'époumona le Choixpeau.
– Ils vont encore rafler les trois-quarts des nouveaux, râlèrent certains alors que la table des lions faisait un boucan du Diable.
La petite fille aux nattes brunes nouées de rubans mauves se précipita d'un air guilleret vers ses nouveaux camarades, tandis que la Cérémonie se poursuivait.
– Malefoy, Scorpius !
Un silence de plomb s'abattit sur la salle. Tous les élèves se redressèrent et se relevèrent pour chercher du regard le blondinet aux joues rouge groseille qui s'approchait à petits pas du tabouret. Alfie, le sourire jusqu'aux oreilles et pressée à l'idée qu'enfin un de ses nouveaux amis soit réparti, monta carrément sur son banc pour mieux l'apercevoir au-delà des têtes curieuses.
Lorsque le Professeur Flitwick posa le Choixpeau sur sa tête, couvrant ses yeux et pliant ses oreilles, la Grande Salle sembla retenir son souffle.
Néanmoins, rien ne vint. Les petits pieds de Scorpius se mirent à se balancer un peu au-dessus du sol, et un murmure surpris parcourut les rangs alors que le chapeau restait silencieux une minute, deux, trois…
Puis enfin :
– SERDAIGLE ! beugla le morceau de cuir rapiécé.
Si les applaudissements de ses confrères bleus et bronze se firent discrets et polis, Alfie lâcha un couinement ravi et tapa dans ses mains avec toute la force dont elle était capable.
Eh toc, droit dans les chicots de tous les imbéciles aux idées arrêtées !
Alfie, toujours debout sur son banc, en oublia presque sa timidité pour éclater de rire et faire une danse de la joie – le mot-clé étant « presque », car elle ne fit qu'afficher un sourire large comme Jupiter sans broncher.
La petite rouquine ne descendit que lorsque Scorpius fut assez près pour entendre ses félicitations et applaudissements en personne.
Le petit garçon, les joues roses et les yeux brillants, lui adressa un grand sourire lorsqu'elle tapota le banc pour qu'il prenne place à ses côtés. Il trottina, tout guilleret, dans sa direction, alors que la Répartition reprenait son cours.
Ni Alfie, ni Scorpius ne virent le pied sournoisement glissé sur son chemin, profitant de l'agitation d'une nouvelle élève admise à Poufsouffle.
Les yeux écarquillés d'horreur, Alfie fixa la chute de son ami, et s'empressa de chercher du regard le propriétaire de la vicieuse jambe alors qu'elle se précipitait pour l'aider à se relever. Tandis que la moitié de la Grande Salle se fendait de ricanements mauvais, elle parvint à faire le lien entre l'expression de fierté sur le visage d'un Poufsouffle de seconde ou troisième année et le sale tour que l'on venait de jouer à Scorpius.
Alfie, les yeux bouillant de rage, observa l'élève rire et taper dans les mains de ses amis d'un air tout fier de sa méchanceté, une envie de meurtre dans les veines.
– Tu vas bien ? souffla-t-elle aussi doucement que possible au blondinet qui époussetait ses genoux. Tu ne t'es pas fait mal ?
– ...Hm...
– Viens, on va s'asseoir, chuchota-t-elle plus bas encore en attrapant sa main pour le tirer vers le banc de Serdaigle.
– Moldubec, Piper !
Tandis qu'une gamine brune à l'air très important s'asseyait sur le tabouret de la répartition, Alfie fit s'asseoir Scorpius près d'elle, sans pour autant lâcher ses doigts.
Le petit garçon avait la mine basse et les yeux brillants, mais d'une manière différente que tantôt. La petite sorcière se mordit la lèvre et sentit son cœur se serrer lorsqu'il renifla en se retenant visiblement de pleurer.
Se faire humilier en public le jour de la rentrée… C'était horrible.
– SERDAIGLE !
– Psst, Alfie ! entendit-elle à nouveau dans son dos.
La petite rouquine se retourna vers son frère, et en profita pour fusiller du regard l'élève de Poufsouffle qui se vantait toujours auprès de ses pairs.
Vicky lui fit un clin d'œil et lui offrit un petit sourire empreint de malice.
– Andrew Mercy, deuxième année, souffla-t-il, un sourcil haussé avec complicité, avant d'hausser le menton vers Scorpius, dont les bras tremblotaient un peu. …Il va bien ?
Alfie haussa des épaules et adressa un sourire plein de gratitude vers son aîné. Scorpius, qui avait entendu les quelques mots chuchotés, leur offrit un regard curieux et un peu plus vivace, ce qui la rassura.
– O'Maley, Thomas !
Alfie eut un petit gloussement et échangea un regard amusé avec son frère.
Soit les parents de ce petit garçon n'avaient pas la moindre idée de ce qu'ils avaient fait, soit ils avaient totalement fait exprès. Dans tous les cas, ce gamin allait se faire charrier par tous ceux qui auraient la référence.
Les noms comme les élèves défilèrent un à un, remplissant les bancs des quatre longues tables. Gryffondor, Gryffondor, Poufsouffle, Serdaigle, Gryffondor, Serdaigle, Poufsouffle, Poufsouffle, Gryffondor, Gryffondor, Serpentard, Gryffondor… Près de la moitié des nouvelles têtes renflouèrent les rangs des lions, déjà en surnombre. En revanche, du côté des serpents, le silence et les larges espaces vides témoignaient de leur impopularité.
Rob et Phrey en discutait souvent, durant les vacances. L'un se plaignait de l'ambiance froide et de la discrimination générale envers sa Maison, l'autre du bruit infernal des trop nombreux élèves à cravates rouges.
Selon eux, c'était ainsi depuis 1998. Serpentard, rappel constant de Tom Jedusor et des Mangemorts, s'était peu à peu dépeuplé. D'un autre côté, Gryffondor, celle qui fut la Maison d'Albus Dumbledore et du Trio d'Or, avait dû doubler le nombre de lits dans leur tour dès la rentrée 2000.
– Je comprends pas, bougonna Scorpius, lui tirant un discret sourire. Comment tu fais pour tout le temps gagner ? T'as des toutes petites mains, et tes pouces sont pires !
Alfie mâchonna sa lèvre, amusée, mais ne répondit pas. Il était lent et répétait inlassablement la même technique depuis qu'ils avaient commencé à jouer à la guerre des pouces. Alfie, de son côté, avait passé sa vie auprès du joueur le plus fourbe de l'histoire – son frère Vicky.
– Potter, Albus !
Alfie fronça les sourcils, surprise, et redressa la tête vers le groupe de premières années.
Comme tout un chacun, elle aimait bien savoir deux ou trois choses sur le Sauveur, notamment parce que son oncle en était un fan invétéré et la bassinait depuis toujours à son propos. Néanmoins, elle avait préféré mettre de côté sa vie privée et sa vie de famille – parce que ça ne l'intéressait pas beaucoup, pour être franche.
Mais de là à passer à côté du fait qu'elle serait potentiellement en cours avec son fils benjamin, elle avait fait fort…
Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'Al, les joues rouges de l'attention qu'on lui portait et les lèvres pincées, s'avança vers le Professeur Flitwick. Alfie eut envie de cogner sa tête contre la table tant elle se sentait bête.
– C'est Al ! s'étonna franchement Scorpius à ses côtés.
– Evidemment que c'est lui, marmonna la petite fille en tirant dramatiquement sur ses boucles rousses. C'est le portrait craché de son père, comment ai-je pu être aussi débile !
Son oncle avait une demi-tonne de photos d'Harry Potter placardées à travers sa maison, comment Diable n'avait-elle pas fait le rapprochement !
Alors qu'Albus s'installait sur le tabouret, le silence était lourd et dense dans la Grande Salle. À la table des Gryffondor, Alfie pouvait voir un garçon brun s'agiter joyeusement, son expression pétillante et curieuse détonnant quelque peu dans l'ambiance religieuse instaurée.
Plusieurs petits groupes à travers la Salle chuchotèrent et s'échangèrent des poignées de mains peu discrètes lorsque le Choixpeau fut posé sur le nid d'oiseau qui lui servait de cheveux. Son sourire confus mais excité ne le quitta pas une seule seconde alors que ses yeux disparaissaient derrière le large bord en cuir.
– SERPENTARD ! Hurla l'artefact.
Sépulcral. Alfie n'avait honnêtement pas d'autre terme pour décrire le lourd et épais silence qui s'était abattu sur la Grande Salle.
À la table des Serpentard, elle put entendre son frère hurler « OUI MERLIN OUI » qui lui firent froncer les sourcils et se sentir particulièrement mal à l'aise. Lentement, les serpents joignirent ses exclamations de joie, et acclamèrent leur nouvel élève lorsqu'il vint s'asseoir, un sourire rayonnant d'hésitation sur le visage.
Lorsqu'Albus se tourna vers la table des Serdaigle pour leur adresser un signe de la main, Scorpius et elle lui renvoyèrent des expressions ravies, les quatre pouces en l'air.
Alors que, pour la énième fois de la soirée, la cérémonie reprenait, Alfie se fit la réflexion que c'était d'un ennui intense et bien trop long pour ses nerfs, qui ne demandaient qu'à se relaxer dans de confortables draps.
– Je plains Saddie, soupira Scorpius. Elle va devoir attendre encore super longtemps pour être appelée…
– …Qui c'est, le garçon à côté d'elle ?
Il lui ressemblait étrangement – il fallait entendre par là qu'il était brun et grand comme leur amie. En revanche, si Saddie restait de marbre depuis le début de la cérémonie, patientant tranquillement pour son tour, le garçon faisait de grands gestes agacés et semblait geindre depuis un moment.
– Peut-être son frère ? J'ai pas l'impression qu'elle laisserait n'importe qui se plaindre à elle pendant dix minutes sans rien dire…
– C'est vrai qu'elle a mentionné son frère dans le train, souffla Alfie, haussant un sourcil lorsque son amie lança un regard noir à son interlocuteur en se décalant loin de lui. Elle n'a pas l'air de l'aimer beaucoup…
À vrai dire, Saddie avait l'air de chercher un échappatoire depuis plusieurs minutes, ses furetaient dans toutes les directions et sa bouche était plissée en une moue mécontente. Sur son tabouret, le Professeur Flitwick restait silencieux, observant son parchemin avec circonspection, avant de soupirer, d'hausser les épaules et appeler :
– Van Den Berghe, Sadalachbiah !
– …On en était pas aux S ? firent plusieurs voix à travers la salle.
Le frère de Saddie grimaça simplement et trottina vers le tabouret sans trop d'hésitations, même si son tour venait de sauter une bonne quinzaine de gamins. Il n'eut pas à attendre bien longtemps : à peine le Choixpeau eut-il effleuré ses cheveux qu'il fut envoyé à Gryffondor.
– Van Den Berghe, Sadalmelik !
Alfie eut une grimace compatissante. Pour elle, c'était son père qui avait choisi son prénom à sa naissance, selon une vieille tradition sorcière de choisir parmi des noms d'étoiles pour leurs enfants. Longtemps, elle lui en avait voulu, surtout qu'aucun de ses frères n'avait de nom à coucher dehors comme le sien.
Un sourire un peu sinistre étirait les lèvres de Saddie lorsqu'elle vint s'asseoir sur le tabouret. Après une ou deux minutes, le Choixpeau finit par l'envoyer à Serpentard, et elle tira la langue en direction de son frère avant de rejoindre sa table avec énergie.
Alfie ne prêta plus attention à la Répartition à partir de ce moment-là, trop occupée à glousser aux grimaces que s'envoyaient Scorpius, Saddie et Albus pour passer le temps.
Lorsque Zingiber, Elijah fut réparti à Poufsouffle, le Professeur Flitwick roula le Choixpeau, le parchemin, et partit ranger les tabourets. La Directrice McGonagall, dont les cheveux semblaient faits de fils d'argent brillant à la lumière des bougies, s'était levée et adressa un sourire quelque peu pincé à l'assemblée.
– Bienvenue, chers élèves, dit-elle, à Poudlard pour cette nouvelle année. En tant que Directrice de Poudlard, je tiens à rappeler aux nouveaux élèves comme aux anciens que la Forêt Interdite est strictement interdite, souligna-t-elle en coulant un regard agacé vers deux ou trois têtes. Cette année, en raison de travaux exceptionnels, l'accès au couloir Est du sixième étage vous est aussi formellement interdit. Sur ce, je vous souhaite un bon appétit !
Les plats se remplirent alors de mille et un mets aux odeurs plus alléchantes les unes que les autres. L'estomac d'Alfie gronda bruyamment, et ses joues rougirent alors que Scorpius lâchait un petit rire en lui tendant une casserole de ragoût.
*Oui, c'est pile la même chanson que dans le premier tome d'Harry Potter, parce que je suis pas doué pour écrire des vers et que j'avais une flemme équivalente à la masse osseuse d'un troll des cavernes. Voilà.
