Milwaukee, septembre
S'il y avait quelque chose que Peter essayait d'éviter à tout prix, c'était les fêtes de bureau, en particulier les anniversaires. La plupart du temps, il arrivait à les esquiver en invoquant du travail supplémentaire suite à sa récente promotion, mais cette fois-ci il avait été pris de court. Il ne pouvait se décommander sans paraître suspect, ou irrespectueux, alors Peter avait accepté avec un sourire poli et s'était promis de repartir dès que tout le monde l'aurait vu faire une apparition.
Dans la salle de pause vaguement décorée avec une banderole défraîchie, Peter attrapa un verre de vin pétillant dans un gobelet en plastique et accepta bon gré mal gré de se joindre aux conversations. Murphy et Sullivan lui racontèrent leurs exploits du week-end et Sally-Ann Wilkes leur conta les derniers ragots du journal. L'ambiance était agréable, mais Peter ne pouvait s'empêcher de grincer des dents, et quand arriva le moment de souffler les bougies, il veilla à rester à l'écart.
Peter n'aimait pas voir les autres célébrer leur anniversaire, car il n'avait aucune idée du sien. Il ne connaissait même pas son âge exact.
Les médecins qui l'avaient ausculté à Chicago à l'époque lui avaient donné une estimation : entre seize et dix-huit ans. Aujourd'hui, il en avait entre dix-huit et vingt. Un laps de trois ans dont il devait se contenter, ce qui était à la fois beaucoup - puisqu'en dehors de son nom, c'était l'une des seules informations dont il disposait - et trop peu.
L'odeur des bougies, le chapeau ridicule sur la tête de Rob Higgins le comptable, la crème au beurre écœurante du gâteau, tout lui rappelait ce à quoi il n'avait pas droit.
En rentrant chez lui, peu de temps après avoir picoré sa part de gâteau, Peter se dirigea directement vers une étagère sur laquelle étaient entreposés de nombreux papiers, dossiers et carnets. Il en sortit une petite liasse de documents, bien trop maigre à son goût et s'installa, en tailleur, sur le tapis du salon et déposa les quelques feuilles devant lui.
Quelques semaines auparavant, il avait commencé des recherches sur ses parents, à Chicago. À distance, les résultats n'étaient pas probants. Les correspondances par mail et les coups de téléphone avaient donné quelques pistes mais s'il voulait en savoir plus, il ne pouvait y échapper, il devait retourner à Chicago.
Peter ignorait comment il se sentait réellement à cette idée, assis au milieu de son salon avec pour seule compagnie le bruit de la chaudière, ses doutes et ses interrogations. Il réfléchissait à l'éventualité de ce voyage, à la graine d'espoir que cela faisait germer. Il y avait douze autres Hayes encore en vie à Chicago. "Et si cela ne donnait rien ? Et si les Hayes qu'il cherchait n'étaient déjà plus de ce monde ?". Cette question le rattrapait toujours.
Peter chassa cette pensée. Pour le moment, il préférait s'en tenir à la liste des vivants.
Il pensa aux visages qui peuplaient parfois ses rêves. Des apparitions fugaces, certaines plus récurrentes que d'autres. Des silhouettes tatouées, un halo de cheveux blonds, des vêtements noir et blanc à l'image d'un jeu d'échec. Peter se demandait souvent si ses parents faisaient partie de ces fantômes qui hantaient ses nuits. Il avait essayé de les dessiner une fois, mais entre ses piètres qualités artistiques et sa mémoire embourbée, le résultat avait été un échec.
Peter resta éveillé tard ce soir-là, sans bouger du tapis, adossé sur son canapé, le regard perdu dans le vague. La nuit tombée, le lampadaire sur le trottoir était la seule source de lumière mais il n'en avait cure. Le problème qu'il devait affronter ne pourrait se résoudre avec un peu de lumière, ou un footing. Si seulement…
Si seulement cela pouvait être aussi simple. Si seulement ces flash n'étaient jamais apparus. Peter aurait été ignorant, mais heureux, un jour, lorsqu'il aurait réussi à se construire une nouvelle vie. Au début, l'amnésie lui seyait bien. Peter ne se posait pas de questions, il se contentait d'avancer au jour le jour et son plus grand défi était de comprendre le monde qui l'entourait.
Maintenant, le besoin de savoir le consumait et chaque nouveau flash alimentait ce feu. Ses certitudes étaient un jeu de quilles constamment éparpillées, secouées, abîmées. À ce jour, Peter Hayes était juste un nom sur du papier, une série de listes dans ses carnets et cela ne lui suffisait plus. Il avait besoin de savoir d'où il venait, qui il avait été.
Il avait espoir qu'il restait quelqu'un là-bas, qui attendait son retour. C'était égoïste, il en avait conscience, lui qui n'avait jamais pris l'initiative de faire des recherches auparavant. Mais cet espoir allait de pair avec une idée, qui restait nichée, toute petite, mais qui revenait inlassablement à la charge. Celle qu'il n'y avait personne. Et que ce voyage pouvait lui apporter encore plus de solitude et de déception.
Cette nuit, il n'y eut aucun rêve. C'en était presque étrange, suspect, le calme avant la tempête. Pourtant, le calme dura quelques jours. Un répit que Peter mit à profit pour exploiter au mieux ses journées, avancer dans son travail et même se lancer dans une collaboration avec un collègue d'un autre service. Le Milwaukee Journal Sentinel ne regretterait pas de lui avoir accordé sa confiance.
Il baissa également sa garde, un peu. Juste assez pour accepter l'idée que, s'il voulait des réponses sur son passé, cela allait nécessairement de pair avec certains risques. Il ne trouverait peut-être pas ce à quoi il s'attendait mais il devait se retrouver. Il devait trouver qui était Peter Hayes.
Consigne : Votre personnage traverse une crise qui ébranle ses certitudes sur lui-même et il doit se retrouver
