Chapitre 2

Les étoiles sont parties. Elles se sont effacées dans la brume du matin et tu as disparu avec elles.

Comment dire ce que je ressens en ce moment? Il n'y a pas de mots, pas d'expressions assez fortes pour cela.

Ils t'ont emmenée.

Que t'ont-ils fait? Je n'ose même pas imaginer.

Ils sont venus ce matin, à l'aube. Nous étions blottis l'un contre l'autre, endormis. Lorsqu'ils ont fait irruption dans la cellule, nous nous sommes éveillés en sursaut mais je n'ai pas pu les empêcher de t'arracher à moi. Je n'ai pas pu te retenir. Ils m'ont envoyé au sol d'un coup de pied au ventre et ils sont partis avec toi.

Je regarde mes mains maintenant. Mes mains qui n'ont pas su te retenir. Mes mains qui se sont accrochées à tes phalanges mais qui n'ont pas été assez fortes pour les garder près de moi.

Toutes mes promesses s'évaporent, s'évanouissent dans la brume du matin. Je t'avais promis, mais je n'ai pas pu. Je suis recroquevillé là, au milieu de la pièce et je ne perçois déjà plus que le fantôme de la chaleur de ton corps contre le mien. Où es-tu mon ange?

J'ai peur de tes pas qui s'éloignent avec les leurs. J'ai peur de ta voix devenue inaudible. J'ai peur que tu ne deviennes qu'un souvenir.

Le souffle qui sort de ma bouche se condense dans l'air glacial. Le froid m'envahit. Les arbres pleurent aussi. Ils frémissent sous le ciel maussade. Les feuilles devenues bleues tombent, tombent encore comme des larmes, comme mes larmes. Je les regarde tomber et même si je tends la main, elles tombent inexorablement sans que je ne puisse les en empêcher. Elles se brisent au bout de mes doigts, bleus et gercés.

J'entends les loups hurler.

Ce ne sont pas des loups. Ce sont des bêtes atroces qui ne sortent jamais de l'ombre. Des monstres affamés qui n'attendent que l'on s'approche de leur tanière pour nous dévorer. Je ferme les yeux pour qu'ils disparaissent. Si nous nous enfuyons, ils nous emporterons dans un gouffre obscur sans espoir d'évasion.

Je suis muet de peur, muet de mort, comme cette petite fille que nous avons vue à l'entrée du village. Qu'avait-elle fait? Qu'avait-elle subi? Attachée à un pieu, elle était blême comme le jour. Une poupée de chiffon devenue torchon, abusée, désabusée, jetée et oubliée, comme un linge sali et déchiré, maculé de sang et de terre. La tête inclinée, elle ne bougeait plus, elle avait oublié comment pleurer, comment crier. Couverte de blessures et de meurtrissures, elle ne savait même plus gémir.

T'es-t-il arrivé le même sort? Gis-tu toi aussi accroché à un pieu, couverte de sang comme la petite fille désarticulée?

Si seulement je pouvais sortir d'ici. Si seulement j'avais pu te retenir. Si seulement nous n'étions pas venus sur cette planète maudite. C'est un monde aux mille facettes, tantôt fabuleux et utopique, tantôt sinistre et cauchemardesque. Par la fenêtre, je vois le ciel qui se dégrade en gris bleu jusqu'à l'horizon. Là bas, les loups hurlent dans la forêt, le théâtre des ombres qui se mangent et se mélangent dans un tourbillon de vent glacial. A l'orée, l'hiver réduit déjà en cendres tout ce qui a prit vie de la lumière. Des bruits venus d'un autre monde, des soupirs de terreur et d'angoisse profonde résonnaient par delà la montagne et la vallée.

Je frissonne de la tête aux pieds, comme saisi d'un accès de fièvre brûlante. Reviens mon ange. Je ne supporte plus d'être seul, je ne supporte plus de te savoir loin de moi. Pourquoi restes-tu muette?

Mes mots aimeraient gémir, mes mots aimeraient t'appeler mais ils meurent avant d'être, avant de naître. Ils tombent, bleus comme les feuilles. Les étoiles se sont échouées dans la boue. Mon amour a-t-il sombré avec elles?