La semaine suivante se déroula sans le moindre incident notable. Le Papillon se montra surprenamment calme, ne laissant pour seules obligations à Adrien que ses activités professionnelles.

Mais comme l'avait justement souligné Alya, lesdites activités étaient à elles seules plus que suffisantes pour bien garnir son emploi du temps.

En plus du rôle de mannequin-vedette qu'il tenait pour Gabriel Agreste depuis l'adolescence, Adrien avait rejoint l'équipe de direction de l'entreprise familiale dès la fin de ses études. Il y travaillait sous la stricte supervision de son père et de Nathalie, à apprendre comment diriger ce prestigieux empire dont il hériterait un jour.

Cette double responsabilité donnait à peine à Adrien le temps de respirer pendant la journée.

Quand il n'était pas en train de poser pour une énième séance photo, il était en réunion. Lorsqu'il n'avait pas un dossier à lire, il essayait des vêtements pour le nouveau défilé à venir. Et à côté de tout ça, il devait trouver le temps de rédiger des mails, donner son avis sur les futures collections, soumettre ses analyses à Nathalie et prendre note en retour des remarques qui lui transmettait son père, étudier le marché, rencontrer ses collaborateurs, se faire coiffer, maquiller…

Alors, certes, Adrien n'avait guère l'occasion de s'ennuyer.

Mais d'un autre côté, il ne serait pas contre le fait que son père et Nathalie se rappellent parfois que les journées ne faisaient que 24 heures.

Les seuls moments où Adrien avait l'impression de souffler un peu étaient les (trop) rares fois où il avait le plaisir de croiser une charmante styliste de sa connaissance.

Dès l'instant où il commençait à parler avec Marinette, Adrien n'avait plus la sensation de travailler. Les minutes filaient à toute vitesse, emportées par le doux son de la voix de la jeune femme et par ses éclats de rires mélodieux. Adrien aurait pu rester ainsi pendant des heures, à l'écouter discuter avec animation, une lueur passionnée brillant dans ses yeux bleus et ses mains virevoltant dans d'adorables petits gestes pour mieux appuyer ses paroles.

Entretenir ce genre de sentiment n'était pas raisonnable, il le savait.

Jamais il n'oserait l'inviter à sortir avec lui, pas tant qu'il craindrait d'abuser de sa position de fils de Gabriel Agreste.

Mais malgré sa volonté de rester strictement professionnel, Adrien n'arrivait pas à faire abstraction de l'attirance qu'il éprouvait pour Marinette. Il ne pouvait s'empêcher de faire un détour pour la saluer lorsqu'il l'apercevait au détour d'un couloir, de s'attarder quelques secondes de plus pour le plaisir de discuter avec elle ou de sentir son stupide cœur rater quelques battements lorsqu'elle lui décochait l'un de ses lumineux sourires.

C'était plus fort que lui.

Parfois, c'était l'univers en personne qui se décidait à mettre à l'épreuve ses bonnes résolutions.

Comme au milieu de cette tranquille petite semaine, alors qu'Adrien revenait d'un déjeuner passé en compagnie de Nino.

Profitant de cette période de calme inespérée que leur offrait le Papillon, Adrien et Nino avaient décidé de s'accorder une pause commune le temps d'un repas de midi. Les occasions de se voir en dehors des combats étaient rares pour les deux amis, et un trou commun dans leurs emplois du temps respectifs représentait une aubaine à ne pas manquer.

Après un copieux déjeuner et une petite balade dans Paris, les deux jeunes hommes s'étaient mis d'accord pour s'offrir un dernier café avant de retourner travailler.

Leur choix s'était arrêté sur une charmante petite boutique, logée au fond d'une ruelle piétonne, d'où s'échappait un arôme prometteur.

Une fois entrés, les deux amis s'étaient rapidement répartis les rôles. Nino s'était immédiatement enfoncé dans les entrailles de l'établissement à la recherche d'une table à laquelle ils pourraient s'installer, tandis qu'Adrien restait au comptoir pour prendre leurs commandes.

Adrien attendait patiemment, négligemment accoudé au bar, quand une voix s'éleva soudain derrière lui.

« Adrien ? »

Il se retourna aussitôt, pour découvrir un visage familier.

Celui d'une jeune femme aux yeux azur légèrement fendus en amande, au nez parsemé d'adorables taches de rousseur et aux cheveux d'un noir si profond qu'il semblait presque bleu.

« Marinette ? », s'exclama-t-il, surpris.

Les joues d'un joli rose, la jeune femme agita la main en signe de salut.

« C'est rare qu'on se croise en dehors du travail », fit-elle remarquer avec un sourire timide.

« Oui », approuva Adrien en souriant à son tour. « Je t'avoue que c'est la première fois que je viens ici », poursuivit-il en balayant machinalement les alentours du regard. « Mais j'avais un peu de temps libre aujourd'hui, alors je me suis dit que ça serait sympa de prendre un café ici plutôt qu'au bureau. »

« Je te comprend », répliqua Marinette dans un éclat de rire. « Et si ça peut te rassurer, tu as choisi un bon endroit. Le café d'ici n'a absolument rien à voir avec celui de la machine à café du boulot », déclara-t-elle en hochant la tête d'un air approbateur.

« Je vois que j'ai affaire à une connaisseuse », rétorqua Adrien en haussant un sourcil amusé.

Pour son plus grand plaisir, sa remarque arracha un nouveau petit rire à Marinette.

« Hélas pour moi, je connais tous les endroits où se fournir en café à dix kilomètres à la ronde, quel que soit le jour ou l'heure. L'inconvénient d'avoir des pics d'inspiration entre onze heures du soir et quatre heures du matin », confessa-t-elle en replaçant machinalement une mèche de cheveux baladeuse derrière son oreille. « Je ne peux plus survivre sans café. »

« Je compatis », répondit Adrien avec une profonde sincérité.

Il n'avait peut-être pas d'élans créatifs à blâmer, mais il devait faire face à suffisamment d'attaques nocturnes de supers-vilains pour partager la détresse de Marinette devant tant de manque de sommeil.

La conversation se poursuivit encore pendant une minute ou deux, quand un employé s'avança finalement vers Adrien pour lui donner sa commande par-dessus le comptoir. Surprenant le regard interloqué que posa Marinette sur les deux tasses qui trônaient fièrement sur le plateau qu'on venait de lui passer, Adrien ne put s'empêcher d'ouvrir hâtivement la bouche.

« Oh, ce… C'est pour mon meilleur ami », bredouilla-t-il lamentablement. « La deuxième tasse », précisa-t-il devant l'expression perplexe de son interlocutrice. « On a mangé ensemble ce midi et je… Enfin, il nous garde une table pendant que je prends nos commandes. »

Le jeune homme se sentit rougir jusqu'à la racine des cheveux au fil de ses explications.

Pourquoi ? Pourquoi avait-il éprouvé le besoin urgent de préciser à Marinette qu'il se trouvait simplement en compagnie de son meilleur ami, et non en plein rendez-vous galant ?

Ce n'était pas comme s'ils sortaient ensemble, après tout.

Au contraire, il essayait de rester strictement professionnel avec elle. Il ne devrait pas avoir à se justifier auprès d'elle, ni avoir envie de se justifier auprès d'elle, et encore moins avoir envie de lui proposer ce café qu'il avait pourtant prit pour Nino et de vouloir l'inviter à passer quelques minutes de plus avec lui et de-

« Ah, tant mieux », s'exclama machinalement Marinette, interrompant le fil de ses pensées. « J'ai cru que tu étais en rendez-vous avec quelqu'un et je ne voulais pas… enfin, tu peux très bien avoir un rendez-vous, il n'y a pas de problème ! », se reprit-elle en agitant vivement les mains devant elle. « Enfin, si ! Enfin, non ! Enfin, je veux dire que-AH ! », s'écria-t-elle lorsqu'un de ses gestes brusques manqua de faire voler le plateau des doigts d'Adrien.

Ce n'est qu'au prix d'un mouvement particulièrement acrobatique que le jeune homme parvint à sauver ses précieuses tasses de café.

(Merci, les heures passées à jongler avec son bâton lorsqu'il devait patienter en tant que Chat Noir.)

Rouge comme une tomate, Marinette se confondit aussitôt en excuses. Adrien lui assura aussitôt qu'il n'y avait aucun mal, mais rien à faire. Sa charmante interlocutrice ne semblait avoir envie de rien d'autre que de creuser un trou dans le sol pour y disparaître.

Un long et pénible silence s'installa entre les deux jeunes gens, avant que Marinette ne laisse échapper la quinte de toux la plus artificielle qui soit.

« Bon, heu, il faut que j'y aille », lança-t-elle nerveusement, les doigts crispés autour de la bandoulière de son sac. « J'ai une réunion dans quinze minutes et je ne peux pas me permettre d'être en retard, vu que mon patron sera là. Enfin, ton père, quoi. Qui est aussi mon patron. Comme tu le sais déjà, vu qu'on est collègues. »

Visiblement horrifiée par son brusque flot de parole, Marinette s'interrompit avec un hoquet affolé et s'empourpra de plus belle.

Elle ferma les yeux, sans qu'Adrien ne sache si c'était pour tenter de reprendre son calme ou pour essayer de fuir la réalité. Elle prit une profonde inspiration, puis une seconde, avant de rouvrir finalement les paupières.

Lorsqu'elle plongea de nouveau son regard dans celui d'Adrien, ses joues étaient toujours d'un rouge saisissant, mais la lueur paniquée qui brillait dans ses yeux encore un instant plus tôt s'était atténuée.

« Bon, et bien, heu, j'y vais », lâcha-t-elle d'une voix hésitante. « Ce… ça m'a fait plaisir de te voir », ajouta-t-elle avec un sourire timide. « À plus tard ! »

« Ç-ça m'a fait plaisir aussi », balbutia Adrien, pris de court, alors que Marinette s'éloignait en le saluant de la main.

Un sourire énamouré aux lèvres, il la suivit machinalement du regard alors qu'elle se dirigeait vers la sortie. Ce n'est que lorsque la porte du café se referma derrière elle dans un doux tintement qu'il se rappela soudain du plateau qu'il tenait en main et de son meilleur ami qui commençait probablement à s'impatienter.

Le cœur battant encore un peu trop vite et les joues encore un peu trop chaudes, le jeune homme secoua mécaniquement la tête pour sortir de sa douce rêverie et pivota sur ses talons pour se diriger vers l'arrière de la boutique. Il ne lui fallut qu'une minute pour repérer Nino, assis à l'autre bout de la salle.

Adrien traversa la pièce en quelques foulées, s'attabla face à son ami et poussa un de ses deux cafés vers lui.

« Il s'est passé quelque chose ? », lui demanda aussitôt Nino en haussant un sourcil inquisiteur. « Tu es tout rouge. »

Adrien se sentit rougir encore un peu plus devant la remarque de son ami.

Il avait espéré que Nino ne s'aperçoive de rien mais visiblement, c'était sous-estimer son sens de l'observation.

« Il ne s'est rien passé de spécial », répliqua-t-il d'une voix un peu trop nonchalante. « J'ai croisé quelqu'un que je connaissais, rien de plus. »

Dans un splendide effort de garder une apparence aussi décontractée que possible, Adrien s'empara de sa tasse d'un geste indolent et la porta à sa bouche. Le liquide amer eut à peine le temps de commencer à descendre dans sa gorge que Nino se penchait déjà vers lui, un sourire amusé sur le visage.

« C'est quelqu'un qui t'a fait une forte impression, alors. Laisse-moi deviner… une certaine Marinette ? »

« …possible », admit Adrien du bout des lèvres.

« Je le savais ! », rugit Nino en abattant triomphalement sa paume contre la table. « Pourquoi tu n'en as pas profité pour l'inviter ? C'était l'occasion idéale ! »

« Et d'une, tu m'attendais déjà », commença Adrien.

« … ce qui n'est pas un argument », le contra aussitôt son ami. « Franchement, tu n'avais pas à te soucier de moi, j'aurais compris. »

« Et de deux, je suis à peu près sûr que je me ridiculiserais complètement si je lui proposais de sortir avec moi », poursuivit Adrien en faisant nerveusement tourner sa tasse entre ses doigts. « Si tu m'avais vu tout à l'heure, c'était un désastre… », se lamenta-t-il en se laissant lourdement retomber contre le dos de sa chaise.

« Ce qui explique la tête que tu faisais en arrivant », le taquina Nino.

« …mais de toute façon la question ne se posera pas parce que, et de trois, je ne sors pas avec les filles de mon travail », conclut Adrien d'un ton ferme. « Tu le sais bien. »

« Je sais, je sais, mais c'est idiot », soupira son ami d'un air défait. « Pour une fois qu'une fille te plaît… »

Soupirant à son tour, Adrien but une nouvelle gorgée de café.

« Qu'est-ce que tu veux, je suis idiot », répliqua-t-il avec un petit sourire d'excuse. « Mais je ne veux pas que Marinette se sente obligée de faire quoi que ce soit juste parce que je suis le fils de son patron. Elle mérite mieux que ça. »

« Est-ce que ça ne vaudrait peut-être quand même pas le coup de lui en parler ? », insista Nino. « Qui sait, tu auras peut-être une bonne surprise. Peut-être que tu lui plais vraiment aussi. Peut-être qu'elle se fiche complètement que tu sois le fils du patron ou pas. Si tu ne lui demande pas, tu ne pourras pas savoir. »

« Mais je ne veux pas la mettre dans une position délicate si jamais ce n'est pas le cas », répliqua obstinément Adrien. « Je… je ne veux pas lui infliger ça. Il ne me reste plus qu'à espérer tomber sur une autre fille qui me plaise au moins autant qu'elle », soupira-t-il finalement.

« Croisons les doigts », conclut Nino en levant théâtralement sa tasse pour saluer ces sages paroles.