Le PsychologueChapitre 1

Une fois passé le seuil de son petit appartement, Eren s'enferma à clé à l'intérieur sans aucune hésitation. Épuisé mentalement, il fit choir son sac sur le sol et se laissa glisser contre sa porte d'entrée. C'était un cauchemar pur et simple. Lui qui avait tout fait pour se reconstruire et faire disparaître ses peurs voyait tous ses efforts se fragiliser sous ses yeux. Lorsqu'il avait déménagé de Shinganshina pour refaire sa vie à Trost, Eren pensait être libre, s'être affranchi de Jean. Il faut croire que sa réussite n'était qu'illusion, puisqu'il commençait d'ores et déjà à trembloter. Il avait peur, peur de son ex petit-ami. Cependant, le jeune homme aux yeux verts si particuliers ne devait pas montrer cette fragilité aux autres, encore moins à Jean. Ce dernier risquerait sans doute d'interpréter cette faiblesse comme une victoire et ça, Eren ne pouvait pas l'imaginer. Si Jean venait à apprendre que le brun le craignait toujours, il n'abandonnerait pas son idée, bien au contraire.

Avec des gestes lourds et lents, Eren partit se doucher et abandonna bien vite l'idée de se préparer à manger pour ce soir. Il n'avait pas envie de se prendre la tête avec ça. De toute façon, apprendre le retour de Jean dans sa vie lui avait coupé tout appétit. Sous le jet puissant de la douche, Eren soupira. Kirstein ne lui avait encore rien fait et le voilà qui perdait déjà le goût de tout, replongeant dans l'antre de ses démons intérieurs. Le jeune homme secoua énergiquement la tête : il devait se ressaisir et travailler sur lui. Il ne pouvait décemment pas laisser Jean gâcher sa vie à nouveau. Alors qu'il se frottait le torse avec le gel douche, Eren s'arrêta brusquement. Son corps se mit brusquement à le dégoûter. Lui qui avait mis du temps à oublier et à passer outre son traumatisme, le voilà bloqué par ses souvenirs. Quelques secondes plus tard, les larmes qu'il retenait depuis un bon moment dévalèrent ses joues, se mêlant bien vite à l'eau du jet et Eren frotta, frotta, frotta. Sa peau rougit bien vite. Il fallait qu'il se débarrasse de cette crasse invisible. La souillure des mains de Jean.

Eren n'avait pas bonne mine ce matin-là. Il avait beau faire comme si tout allait bien, son mal-être commençait déjà à transparaître et ce n'était pas bon. Il frémit et se concentra pour ne serait-ce que tenter de sourire. Il devait y arriver. Pour lui et pour ses deux meilleurs amis, Mikasa et Armin qui marchaient en sa direction. Les salutations furent calmes pour le premier et enjouées pour les deux autres. Au vu de leur air innocent, ils ne devaient pas être au courant pour le retour de Jean. Autrement, ils lui auraient déjà posé des questions pour savoir si tout allait bien. De toute manière, ils le sauraient bientôt. Tant qu'il pouvait éviter de les inquiéter, Eren ne leur dirait rien. Sois fort, se répétait-il en boucle. Lorsqu'ils découvriraient la vérité, le jeune homme se contenterait de leur faire croire que cela ne lui faisait rien.

La sonnerie annonçant le début des cours retentit, au grand dam d'Eren qui fut forcé de dire au revoir à ses deux meilleurs amis, ceux-ci n'étant pas dans sa classe. Leur présence l'aurait rassuré et peut-être aidé. Malheureusement, il allait devoir faire avec, ou plutôt sans.

La première heure de cours fut plutôt lente, mais pas pesante. Par chance, il avait eu le temps de se placer à côté de quelqu'un, loin de Jean. La seconde fut nettement moins agréable. Il avait cours avec Madame Rall qui, pour son plus grand malheur, avait décidé que ses élèves gardent la même place que la veille pour le reste de l'année. Par conséquent, Eren allait devoir rester à côté de Jean, ce qui lui fit un choc. Il resta quelques secondes immobile au milieu de la classe alors que tout le monde commençait déjà à s'asseoir. Il reprit bien vite ses esprits et s'installa aux côtés de celui qui le hantait.

- Tu ne me dis pas bonjour ? Fit la voix familière de la personne à sa droite.

La stratégie d'Eren était d'ignorer Jean le plus possible. C'est ce qu'il fit durant quasiment toute l'heure. Ce fut extrêmement difficile de ne pas montrer autre chose qu'un masque d'impassibilité bancal. Qu'il était compliqué pour lui de ne pas céder à l'angoisse qui le guettait. Jean était à côté de lui et Eren était certain qu'il était capable de lui faire quelque chose pendant le cours. Il ne savait pas s'il comptait s'en prendre à lui pour l'instant, mais cela pouvait sans doute arriver à n'importe quel moment de l'année. Malheureusement pour lui, c'était effectivement ce jour-là que Jean avait prévu quelque chose. Un peu avant la fin du cours, Kirstein se pencha et chuchota à l'oreille d'Eren ces quelques mots :

- Rejoins-moi à la fin des cours au portail. J'ai quelque chose d'important à te dire et je pense qu'il est dans ton intérêt de venir.

Eren frissonnait de dégoût. Cette voix, ces lèvres qui effleuraient son oreille… Les flashs de souvenirs qui apparaissaient dans son esprit de temps à autres le déstabilisaient. Comment pouvait-il seulement espérer garder un masque impassible, un masque d'indifférence alors qu'il savait que Jean connaissait ses points faibles ? Il n'avait rien oublié. Il savait que la proximité perturbait Eren et ce, depuis le jour où il l'avait détruit sans réellement le vouloir au début. Il avait conscience que le jeune homme aux yeux verts n'allait pas aussi bien qu'il le laissait transparaître. Il avait perdu de son assurance passé même si, il fallait bien l'avouer, il avait repris du poil de la bête depuis trois ans. Mais ce n'était pas assez pour se débarrasser de Jean. Kirstein savait qu'une fois le semblant de défenses d'Eren brisé, ce dernier serait à sa merci et ne pourrait plus rien lui refuser. De toute façon, c'était pour son bien. Jean était certain qu'ils étaient faits l'un pour l'autre et ce n'était pas de sa faute si Eren ne le voyait pas encore.

Cependant, cela ne saurait tarder.

Eren n'alla pas manger au réfectoire ce midi-là. Il n'était pas en état. Son esprit était torturé, les mots de Jean tournant en boucle dans sa mémoire. Qu'avait-il de si important à lui dire ? Devait-il vraiment aller le voir ? Dieu sait à quel point le jeune homme aux yeux verts n'avait pas envie d'y aller. Cependant, avait-il seulement le choix ? Dans son égarement, il percuta quelqu'un dans l'un des nombreux couloirs du lycée. Faiblard parce que cela faisait deux repas et un petit-déjeuner qu'il sautait sans trop y penser, Eren perdit l'équilibre et manqua de tomber. La personne l'aida à rester debout.

- Bon sang, tu pourrais pas faire attention quand tu marches, le mioche ?

Cette voix, Eren ne la connaissait pas. Encore un peu fébrile et ne se rendant pas vraiment compte de ce qu'il venait de se passer, il baissa légèrement la tête pour voir qui le tenait et lui parlait de ce ton si désinvolte et empli de reproches. C'était un homme un peu plus petit que lui, un jeune adulte, à vue de nez. Des traits fins mais pas trop, des yeux aussi gris que l'acier qui semblaient le transpercer. Une coupe militaire stricte et un teint pâle mais pas maladif, contrairement au sien. L'homme haussa un sourcil en regardant plus attentivement le visage du gamin qui l'avait percuté. Comment pouvait-on avoir des yeux aussi grands et expressifs ? À cet instant, ils exprimaient tant de choses qu'il était aisé de lire en Eren. Lire que ce gosse était perdu, angoissé, apeuré. Le lycéen détourna son regard vert vacillant, incapable de soutenir celui, acier et inébranlable, de la personne qui l'avait empêché de tomber.

- Désolé… Je ferai plus attention la prochaine fois. Excusez-moi.

Eren se libéra de la prise de son interlocuteur et s'éloigna, gagnant un autre couloir dans le but de rejoindre sa future salle de cours. Dans son élan, perturbé qu'il était, le jeune Jaeger n'avait pas remarqué la personne qui se tenait derrière l'homme qu'il avait percuté.

- Il n'a pas l'air dans son assiette aujourd'hui, remarqua-t-elle.

- Tu le connais, Petra ? S'enquit l'homme.

L'enseignante but une gorgée de son café, qu'elle avait pris avec elle en sortant de la salle des professeurs, avant de répondre :

- C'est un de mes élèves, Eren Jaeger. Je suis sa professeure depuis l'année dernière.

- J'espère que tous tes élèves ne sont pas du genre à rêvasser toute la journée, railla l'homme.

- Voyons, Levi, bien sûr que non. Bon, si tu veux bien m'excuser, j'ai un cours, on ira boire un verre ensemble tout à l'heure.

Pourquoi était-il venu, déjà ? Ah oui, parce que Jean avait quelque chose d'important à lui dire. Ce mystère avait tracassé Eren tout le reste de la journée. Il n'aimait pas ne pas savoir les choses. Bien sûr, le lycéen aurait très bien pu passer outre et rentrer chez lui directement mais quelque chose dans le ton de son ex lui disait qu'il n'avait pas intérêt à lui poser un lapin.

- Je vois que tu es déjà là.

Eren se retourna vivement. Un frisson parcourut l'entièreté de son corps. Jean était arrivé pile à l'heure. Au fond de lui, le jeune homme aux yeux verts si particuliers avait espéré que son ex petit-ami ait eu un empêchement. L'espoir fait vivre, comme on dit. La présence de Kirstein agit comme un poids sur les épaules de Jaeger.

- Tu as bien fait de venir, sourit malicieusement Jean. Car, vois-tu, j'ai une proposition à te faire.

Eren fronça légèrement les sourcils, s'apprêtant déjà à la refuser alors qu'il ne savait pas encore ce que comptait lui proposer Jean. Pourquoi avait-il soudain un mauvais pressentiment ? Pourquoi celui-ci s'accentuait-il à mesure qu'un air vainqueur se dessinait sur le visage du jeune homme face à lui ?

- Il se peut que ma tante soit la propriétaire de l'immeuble dans lequel tu as ton appartement. Lorsque j'ai déménagé dans cette ville il y a quelques jours, je suis naturellement allé lui parler de notre belle histoire et, devine quoi ? Elle a trouvé très dommage que tu m'aies laissé tomber. Elle t'en veut, tu sais ? Après tout, je suis son neveu adoré, elle ne veut que mon bonheur.

Le mauvais pressentiment d'Eren se confirmait et une colère sourde s'empara de lui.

- Où veux-tu en venir, Jean ? Lui demanda-t-il étonnamment calmement, sa haine grandissante teintant légèrement le timbre de sa voix.

- Mais à rien, voyons ? Rit Jean. J'ai appris que tu avais du mal à payer le loyer, que tu avais parfois des petits… Retards de paiement, retards qui agacent ma tante depuis un moment. Il se peut simplement que tu puisses te protéger de tout risque d'expulsion en faisant une chose simple.

Le sang d'Eren s'était glacé, toute colère l'ayant quitté. Seule l'angoisse l'étreignait actuellement. Avait-il vraiment compris le sous-entendu de Jean ? Ce dernier s'approcha dangereusement d'Eren jusqu'à briser le peu de distance qu'il y avait encore entre eux. Le jeune homme aux yeux verts ne bougea pas, ne sembla même pas réagir lorsque la bouche de Jean s'écrasa sur la sienne. Il était paralysé par la peur et l'horreur. Pitié…

Jean se recula après plusieurs secondes, le regard on ne peut plus triomphant. Il avait réussi son petit manège. Quel régal de voir Eren si déstabilisé !

- Tu as cinq jours pour faire ton choix. Un mot de ma part et ma tante t'expulse, penses-y.

Le monde d'Eren s'écroula.