Ibiki termina de rédiger son rapport sur l'affaire de l'espion d'Iwa. Il scruta son écrit à la recherche d'une information manquante avant d'hocher la tête et d'apposer sa signature à la fin. Une bonne chose de faite. Les espions n'étaient pas une espèce rare en ces temps troublés, il ne manquait donc pas de travail. Il ne manquait jamais de travail. Mais vraiment envoyer un homme seul dont son statut d'espion semblait inscrit sur son visage pour enlever le jinchiruki du village ? N'était-ce pas sous-estimé Konoha ? Kotetsu l'avait de suite signalé et un ninja du post frontière avait confirmé les doutes deux heures plus tard, il avait pisté l'homme pendant deux jours. Pitoyable.

Il avait à peine eu le temps de l'effleurer d'un de ses couteaux que déjà l'homme se mettait à table. Il en avait dit plus que ce qu'il avait pensé pouvoir obtenir. L'idée d'envoyer un tel moins que rien pouvait-elle vraiment venir du Tsuchikage ? Ou avait-il dit cela dans l'espoir de cacher les oppositions dans son village ? Iwa serait fragilisée... Mais Konoha n'avait pas les ressources pour une nouvelle guerre, pas maintenant.

Ibiki soupira : faire des suppositions c'était pas son job. Hiruzen réunirait ceux dont c'était la tâche et trancherait. Il espérait tout de même qu'une nouvelle guerre ne se profilerait pas. Depuis la dernière guerre, Konoha était faible.

Le Hokage avait été très secret là-dessus : il cachait ce qu'il savait ou pensait savoir. Ibiki n'aimait pas cette idée. L'information était une chose capitale pour la survie d'un village. S'il avait connaissance de quoique ce soit : il aurait dû en faire part.

Ibiki connaissait cela : respecter les ordres envers et contre tout. Pour protéger une information, il était souvent missionné en tant qu'exécuteur. Si, il y avait un risque pour l'information : il tuait l'équipe. Radical. Nécessaire. Il n'avait eu à le faire qu'une unique fois au début de sa carrière. Il avait appliqué le protocole mais ne s'en vantait guère. Il était heureux de ne pas l'avoir fait plus que cela et espérait ne pas repartir sur une mission du genre avant longtemps. Mais les missions étaient les missions.

Il regarda dehors, le soleil se couchait, il en avait certainement assez fait pour aujourd'hui. Il apposa les sceaux de protection sur son bureau, piégea la fenêtre et sortit. Il arrêta un apprenti et le missionna d'emmener le rapport aux assistants de l'Hokage. Enfin il put sortir et respirer. Fini les tortures, les cris, les pleurs, le sang... Place à un repos bien mérité. Autant il appréciait ce qu'il faisait, autant il aimait arriver à la fin de sa journée.

Comme souvent, il aimait faire le tour de Konoha pour se souvenir pourquoi il faisait cela. Pourquoi il vouait sa vie aux informations, à la violence, à Konoha. Voir les civils loin des considérations de la guerre, des combats, de la peur de perdre les gens qu'ils aiment parce qu'un autre pays pouvait lancer une attaque à tout moment. C'était donner un sens à ce qu'il faisait. Il protégeait, les épargnait.

Il prit le chemin du quartier le plus populaire. Il regroupait bon nombre de restaurants et de magasins en tout genre. Les Akimichi avaient même ouvert deux restaurants dans ce quartier sortant ainsi de leur district. Les Nara avaient depuis peu installé une herberie proposant les herbes médicinales qu'ils cultivaient. La boutique de fleurs des Yamanaka était juste à côté. Ce trio de clan avait enfin décidé de développer une activité en dehors de leur quartier, renforçant les liens avec les citoyens. Malheureusement, les Hyuga n'avait pas suivi le mouvement, ils restaient confinés dans leurs quartiers, dans leurs coutumes traditionalistes. Il faudrait encore travailler là-dessus.

Il passa devant un bar qu'il côtoyait, mais qui était tenu par un ancien du département interrogatoire. Mis en retraite forcée après une mission qui avait failli lui enlever la vie ; il avait trouvé le moyen de continuer son métier. Qu'est-ce qui déliait plus les langues qu'une soirée dans un bar à boire du bon alcool ?

Ibiki s'efforçait de ne pas faire attention aux gens qui s'écartaient sur son passage, à ceux qui couinaient de peur en le voyant. Il était plus grand et plus musclé que la moyenne, de fait il détonnait dans le paysage. Sans compter son grand manteau noir, ses bottes militaires et son air sévère. Les cicatrices qui le parcouraient et qu'il ne prenait plus spécialement le temps de dissimuler, exceptée celles sur son crâne, en impressionnaient plus d'un. Il voyait dans leurs yeux la peur. Ça leur rappelait les sacrifices que faisaient une partie de la population de Konoha pour le bien de l'autre.

Les mains enfoncées dans son long manteau, il continua son chemin, le regard rivé au loin, la démarche assurée, surplombant tout le monde. Plutôt que de rentrer chez lui, il décida de prendre le chemin du bar qui servait de point de ralliement à bien des jonins. Le ninja brumeux n'avait pour clientèle presque exclusivement des shinobi. Les civils évitaient de s'y rendre de peur de terminer au milieu d'un combat dont ils ne maîtriseraient pas les coups. Pourquoi se contenter des poings quand on peut régler le problème d'un katon ?

Le bar se trouvait dans une rue adjacente et étroite. Le bâtiment ne prenait guère la lumière. Le propriétaire ne prenait pas la peine de remettre la façade et l'intérieur en état. A quoi bon ? Il ne voulait pas attirer les touristes (le peu qu'il y en avait), ni une nouvelle clientèle. Les ninjas voulaient du calme et rester entre eux, du moment qu'ils continuaient à venir et consommer : rien n'avait besoin de changer.

Il poussa la vieille porte en bois, entra et fila s'avachir dans le fond de la salle. Dos au mur avec vue sur tout l'intérieur. Réflexe de ninja aguerri. On ne se refaisait plus après tant d'années de service. Il fit signe au tenancier qui lui apporta rapidement un verre et une bouteille de saké : "comme d'habitude". L'homme connaissait les habitudes de tous ses consommateurs réguliers, il aurait pu faire un bon ninja tant sa mémoire était impressionnante. Dommage que physiquement, il soit incapable de faire un cent mètres sans perdre un poumon : alcool et cigarette n'étaient pas un bon mélange.

Ibiki savoura le liquide de feu lentement. Il y avait encore peu de monde, c'était reposant. Bientôt la cascade de cheveux brun de Kurenai lui fit face, aidée par l'alcool elle parlait pour deux, il répondait de temps à autre d'un hochement de tête écoutant d'une oreille distraite. Asuma et Hayate finirent par les rejoindre et il retint un soupir dépité en voyant Anko débarquer. Il ne suffisait donc pas qu'il côtoie cette boule d'énergie du matin au soir...

Il écouta Kurenai se plaindre qu'on lui avait encore demandé de devenir Jonin-Sensei alors que ça ne l'intéressait pas du tout. Elle voyait cela comme un moyen de la tenir loin des missions dangereuses parce qu'elle était la dernière de son clan. Il dissimula un sourire amusé en voyant Asuma se retenir de lui dire qu'elle devrait accepter. Celui-là décidément !

Deux heures plus tard, las, il quitta enfin le bar. L'air frais de la nuit le frappa dès qu'il posa un pied dehors. Les rues étaient bien moins animées que plus tôt. C'était reposant. Il prit le chemin de sa maison qu'il avait choisi éloigné du centre et loin des immeubles où logeait la plupart de ses collègues.

Soudain, alors qu'il avait relâché son attention profitant de cette petite balade pour décompresser, au détour d'une rue il sentit quelque chose entrer en contact avec son torse. Aussitôt un kunai sembla se matérialiser dans sa main tant il fut rapide à le dégainer. Il laissa une vague d'aura meurtrière s'étaler autour de lui, laissant entrevoir à son adversaire la puissance qu'il avait en lui.

Aura qu'il s'empressa de faire disparaître en croisant le regard de la jeune femme qui se trouvait à terre. Elle mit un certain temps avant de recommencer à respirer normalement tant le chakra l'avait oppressée. Elle n'en avait pas assez en elle pour tempérer l'agression que venait de subir ses méridiens. Il ne s'agissait que d'une citoyenne de Konoha, pas une ennemie. Il dissimula tout aussi rapidement le kunai.

— Je suis désolée ! Je ne faisais pas attention où j'allais, s'excusa-t-elle avec empressement.

Il hocha simplement la tête en marmonnant un "ce n'est rien" qu'elle peina à entendre. Elle accepta la main qu'il lui tendit pour se relever. Elle s'épouseta rapidement et le remercia après s'être excusée une nouvelle fois. Elle osa enfin relever les yeux vers lui et un sourire s'épanouit sur ses lèvres alors que ses joues rosissaient d'embarras. Il avait fallu qu'elle s'humilie devant un ninja, évidemment. Elle calma au plus vite les battements de son cœur qui s'était emballé face à la pression. Heureusement qu'elle n'avait pas heurté un ennemi, elle serait morte avant d'avoir eu le temps de réaliser ce qui lui arrivait. Marcher au hasard des rues en fixant les étoiles n'était pas une bonne idée.

Un silence s'abattit et elle finit par s'effacer précipitamment du chemin du shinobi. Elle utilisa sa cascade de cheveux noirs pour dissimuler son embarras. Ses méridiens la brûlaient encore et ça serait certainement encore le cas pour une heure ou deux. L'homme avait une puissance phénoménale. Elle fila ensuite son chemin dans la nuit en espérant oublier le sentiment de honte qui la parcourait.

Ibiki la regarda disparaître dans la rue adjacente. Le son de sa voix encore aux oreilles, son doux parfum flottait encore dans l'air et ses yeux qui l'avaient capturé en un instant. Il soupira. Il avait dû la terroriser avec la violence qu'il avait relâchée d'un coup. Il essaya de ne pas imaginer la douleur qu'elle avait ressentit. Il n'allait tout de même pas culpabiliser pour si peu, il était un guerrier.

Il fila son chemin vers sa maison. Il avait hâte de pouvoir dormir un peu. Entre les cauchemars qui ponctuaient chacune de ses nuits. De fait, être ninja n'était pas de tout repos.