Chapitre 2

En arrivant au lycée, le lendemain matin, Raelle avait des poches sous les yeux, principaux témoins de sa nuit blanche. Dès lors qu'elle avait cherché à fermer les yeux pour trouver le sommeil, la veille, son esprit n'avait de cesse de lui rappeler sa rencontre avec Scylla. La blonde avait tout essayé pour chasser sa présence et ses pensées, sans succès. Et encore était-elle forcée de constater que, ce matin-là, soit près de douze heures après les quelques phrases qu'elles avaient échangé, la jolie brune était toujours au centre de ses préoccupations.

- Est-ce que ça va ? Lui demanda immédiatement Tally en la voyant. On dirait que tu n'as pas dormi de la nuit.

La question de la rousse sortait Raelle de ses pensées, alors même qu'elle n'avait pas vu ses deux amies la rejoindre. Toutes deux élégamment vêtues, la blonde avait l'impression de faire tâche. Son apparence était à des années lumières de la beauté qui émanait de Tally et d'Abigail, pourtant, ce n'était pas faute de ne pas avoir d'aussi beaux vêtements que les deux autres. Mais Raelle n'avait pas eu l'envie de s'habiller correctement ce matin-là, par fatigue autant que par manque d'envie. Elle le regrettait maintenant.

Un soupir s'échappa de sa gorge alors qu'elle passait une main dans sa nuque. A vrai dire, elle n'était pas sûre d'aller bien. Comment aurait-elle pu l'être alors que, dès qu'elle pensait à autre chose, c'était forcément vers Scylla que ses pensées se tournaient ? Mais il était évident qu'elle ne pouvait pas se confier à ses meilleures-amies sur ce point qui la perturbait. Elles n'auraient pas compris.

- Je n'ai pas dormi de la nuit, confirma-t-elle simplement.

- Ne me dit pas que c'est à cause de ce qu'on a fait, hier, lui lança Abigail avec un air soucieux.

Bien sûr que si, en partie, pensa la jeune Collar en pinçant les lèvres. Mais ça aussi, elle ne pouvait pas le confier à Abigail et Tally, de peur qu'elles ne le comprenne pas. Alors, elle haussait juste les épaules.

- Non, je me suis disputée avec mes parents, mentit-elle.

- Et ça t'empêches de dormir la nuit ? S'étonna Tally. Je te donne ma mère si tu veux, je me dispute avec elle tous les jours.

- Tally, rabroua Abigail en lui faisant les gros yeux.

La rousse haussa un sourcil interloqué mais le regard insistant de leur amie commune lui fit baisser la tête. La relation qu'elle entretenait avec sa mère était bien différente de celle que Raelle avait avec ses propres parents et Abigail, comme Tally, savaient bien que la blonde aurait tout donné pour que ses parents soient plus présents dans sa vie, comme l'était la mère Craven. Toutefois, la blonde n'était pas plus touchée que cela par cette remarque. Non. Elle s'y était habituée, même si c'était encore dur. Et puis, de toute manière, de quoi aurait-elle dû être touchée alors que cette histoire était un mensonge inventé de toute pièce pour ne pas révéler l'étrange sentiment qui habitait dans sa poitrine dès qu'elle pensait à Scylla ?

- Désolée, soupira la rousse, emprunte à une culpabilité sincère.

- C'est pas grave, assura Raelle.

Et elle le pensait. Les deux femmes durent le capter car elles lui rendirent un petit sourire compatissant et cette fois, ce fut à la blonde de s'en vouloir. Il n'y avait rien auquel compatir, ses amies n'auraient pas dû se sentir ainsi à son égard.

Un court silence s'installait entre elles, teinté de malaise. Alors, le regard de Tally divagua sur les environs et, quelques secondes plus tard, se figea sur quelque chose, derrière Raelle. La main de la rousse trouvait automatiquement l'avant bras d'Abigail pour attirer son attention tandis qu'elle donnait un coup de menton dans la direction de ce qui l'intriguait, forçant son amie à suivre son regard.

- Regardez, c'est la fille d'hier. Vous pensez qu'on devrait aller la saluer ?

- Non mais t'es folle ? Demanda aussitôt Abigail en secouant vivement la tête de gauche à droite. Elle a vu Raelle en train de l'observer, on est toutes fichées maintenant.

Les paroles de la Bellweather ne parvinrent jamais aux oreilles de la blonde, qui avait fait volte-face aussi vivement que le signe de dénégation de l'afro-américaine. Un peu trop vivement, si elle en croyait la soudaine nausée qui la prenait alors que son cœur venait de rater un battement dans sa poitrine.

Immédiatement, sans même qu'elle ne s'en rende compte, un sourire était apparut sur les lèvres de Raelle tandis que ses iris se mettaient à détailler le doux visage de la brune. Oui, ce qu'elle ressentait pour Scylla n'était définitivement pas normal, elle en était certaine maintenant. Et pourtant, c'était tellement agréable qu'elle aurait aimé connaître ce sentiment chaque minute de sa vie, parce que c'était le seul et unique moment où elle ne ressentait pas le manque omniprésent dans sa poitrine.

Sans même réfléchir, incapable de mesurer à quel point elle faisait peut-être une erreur, Raelle avait fait un pas dans sa direction. Puis un deuxième. Mais avant qu'elle ne puisse en faire un de plus, une main ferme se posait sur son épaule. Surprise, Raelle se figeait aussitôt pour jeter un coup d'œil dans son dos et découvrir les sourcils froncés de ses deux meilleures-amies. Ce n'est qu'à cet instant, alors que le contact visuel qu'elle avait sur Scylla était rompu, qu'elle prenait conscience de ce qu'elle faisait et un nœud d'anxiété naquit dans sa poitrine.

- Mais qu'est-ce que tu fais ? Demanda Abigail, l'air incrédule.

Raelle n'avait plus le choix. Elle le savait. Raison pour laquelle elle ne cherchait même pas d'excuse à son comportement. De toute manière, qu'aurait-elle pu dire ?

- Je vais la saluer, déclara-t-elle sur le ton de l'évidence.

- Mais pourquoi ? S'enquit Abigail de plus belle.

- Par politesse ? Tenta Raelle sur le ton de l'humour. Elle va vraiment nous prendre pour des psychopathes, sinon, tu sais ?

La jeune Bellweather secoua la tête, tandis que Tally, de son côté, ne pouvait s'empêcher de sourire d'amusement, faisant renaître du courage dans le cœur de la blonde.

- Bon, vous venez ou quoi ? Demanda cette dernière en reprenant sa marche vers celle qui l'intriguait plus que de raison.

oOoOoOo

Raelle ne s'était jamais sentie aussi intimidée qu'en s'approchant de Scylla, ce jour-là, ses deux meilleures-amies sur les talons. La brune était assise sur l'un des bancs de la cour, son attention accaparée par son téléphone, les traits tirés par la contrariété. La blonde se faisait aussitôt la réflexion qu'elle la trouvait bien plus jolie lorsqu'elle souriait, mais que malgré cet air, elle n'en restait pas moins séduisante, et son cœur s'emballa aussitôt dans sa poitrine. Pourquoi fallait-il qu'elle pense ce genre de choses ? Se blâmait-elle intérieurement en secouant presque imperceptiblement la tête pour chasser ses réflexions.

Le cœur tambourinant, à moitié malmené par l'anxiété, et à moitié par un sentiment qu'elle ne parvenait pas encore à nommer, Raelle s'arrêtait devant la belle adolescente d'un an son aînée. Elle attendit un court instant mais Scylla ne semblait pas remarquer sa présence tandis que, derrière elle, Abigail et Tally attendaient que la blonde se décide à dire un mot. Consciente qu'aucune des trois autres adolescentes ne lui faciliteraient donc la tâche, Raelle se racla la gorge en puisant dans le peu de courage qu'elle avait.

- Hey, Scylla, interpella-t-elle avec un sourire, salut.

La dénommée releva immédiatement la tête à l'entente de son prénom et, aussitôt, ses magnifiques iris azurs tombèrent dans celles, toutes aussi bleues que les siennes, de la blonde. Instantanément, l'air contrarié de la plus âgée quitta son visage pour un véritable sourire. Raelle cru défaillir un peu plus face à autant de plaisir. A vrai dire, elle ne se souvenait pas d'avoir déjà vu quelqu'un être si content de la voir, par le passé.

- Hey, salut, répondit-elle avec enthousiasme. C'est sympa de te revoir. Tu vas bien ?

Incapable de réprimer le sourire grandissant sur son visage, Raelle sentait une drôle de chaleur gagner ses joues tandis que la brune n'avait de cesse de soutenir son regard. L'atmosphère se teintait d'une électricité palpable et un long frisson parcourait la colonne vertébrale de la blonde. Les deux adolescentes seraient bien restées un moment ainsi, perdue dans le regard de l'autre, tentateur et séduisant, mais c'était sans compter sur Abigail et Tally, qui se raclèrent la gorge pour rappeler leur présence.

Immédiatement rappelée à l'ordre, les joues légèrement rosées par la gêne, Raelle s'empressait de faire volte-face pour montrer ses amies d'un signe de main. Le sourire de Scylla se fit naturellement moins enjoué alors que ses prunelles bleutées tombaient sur les deux femmes derrière la jolie blonde qui lui faisait face.

- Oh euh... je te présente mes meilleures amies, indiqua Raelle avec hâte. Abigail Bellweather et Tally Craven.

Sans attendre de réponse de la part de la nouvelle venue en ville, la rousse s'approchait spontanément d'elle pour lui faire la bise. Scylla, surprise, fronçait les sourcils mais se laissait faire avant d'offrir à Tally un sourire simple, mais chaleureux.

- Oh mais oui, c'est ta mère qui est venue nous souhaiter la bienvenue, non ?

La jeune Craven hocha la tête avec un sourire ravi, tout en reprenant sa place près d'Abigail qui n'avait pas bougé d'un iota.

- Oui c'est elle, acquiesça-t-elle avec enthousiasme. Est-ce que tu te plaît, ici ?

Scylla pinça les lèvres, sembla hésiter un quart de seconde puis jeta un coup d'œil furtif vers Raelle avant de répondre.

- High Tower a l'air d'être un quartier intéressant. Et les voisins sont plutôt sympa donc oui, je pense que je devrais me plaire ici.

Tally arbora un air ravi, prête à poser plus de questions, mais Abigail la devançait. Son mutisme suspicieux prenait fin, pour le plus grand soulagement de Raelle, qui n'aimait pas spécialement le regard méfiant que son amie portait sur Scylla. Mais comment lui en vouloir ? La blonde comprenait la prudence dont faisait preuve la Bellweather, même si elle ne trouvait pas cela particulièrement justifié à ce stade.

- Et donc, Scylla, interpella-t-elle en feignant de l'intérêt, tu es en première ?

- En terminale.

Les sourcils d'Abigail se haussèrent, laissant apparaître une expression purement dubitative sur son visage gracieux.

- Tu es en terminale et tes parents t'ont fait changer d'école au mois de mai ? S'étonna-t-elle. Ça ne doit pas être facile pour toi avec les examens de fin d'année et les examens d'admission à la fac...

- Je suis bonne élève, annonça un peu durement la brune, dont le visage s'était soudainement fermé. D'ailleurs, en parlant de ça, je suis désolée mais il faut que j'y aille. J'ai des choses à faire avant d'aller en cours.

Abigail pouffa et, pendant un millième de seconde à peine, les deux adolescentes se livrèrent à une bataille de regard. Voyant cela, le malaise déjà présent dans le corps de Raelle ne fit que s'accentuer un peu plus. Un mauvais pressentiment lui saisissait les tripes, faisant naître de la peine au plus profond de son être. Il était évident qu'Abigail ne portait pas Scylla dans son cœur, pour une raison qui échappait à la blonde, mais cela ne faisait que compliquer un peu plus sa situation. Comment pourrait-elle mettre au clair ce qu'elle ressentait vis-à-vis de la brune si sa meilleure-amie, son pilier, ne semblait pas l'aimer ? Raelle n'avait aucunement envie de se retrouver partagée entre elles deux, pourtant, une majeure partie d'elle ne voulait pas renoncer à connaître davantage Scylla.

Désireuse de faire taire cette crainte dans sa poitrine, la blonde posait une main sur le bras de la brune pour attirer son attention. Alors, pour la première fois en dix-sept ans, Raelle se figeait, parcourue d'une décharge électrique qui fit bondir son cœur dans son thorax et qui la fit déglutir tant la douleur était agréable. Et ce ne fut rien comparé à l'explosion de sentiments qui s'emparait de son ventre, tordant son estomac, lorsque le regard si doux et si profond de Scylla s'ancrait de nouveau dans le sien. Raelle perdait l'entièreté de ses moyens en une fraction de seconde, si bien que ce n'est que lorsque la brune haussa un sourcil qu'elle se rendit compte qu'elle la regardait fixement depuis trop longtemps.

- Euh... Est-ce que tu as besoin d'aide pour trouver ton chemin ? Je peux te faire visiter l'école, si tu veux.

Le sourire attendri de Scylla réapparut sur son visage à cette demande qu'elle trouvait beaucoup trop mignonne.

- Merci mais ça va aller, refusa-t-elle gentiment. On se voit plus tard ?

- Bien sûr, acquiesça aussitôt Raelle avec un petit sourire en laissant retomber sa main le long de son corps.

La jeune Ramshorn se tourna vers les deux adolescentes qui accompagnaient sa nouvelle amie et les salua d'un signe de tête.

- C'était un plaisir de faire votre connaissance.

Abigail et Tally hochèrent furtivement la tête, mais Scylla n'avait pas attendu de réponse de leur part pour s'éloigner et mettre un terme à cette entrevue qu'elle ne savait pas qualifier de positive ou de négative, en raison des différentes tensions qui en émanait encore.

oOoOoOo

- Tu ne nous avais pas dit que tu la connaissais ! S'indigna Tally en se retournant sur sa chaise pour s'adresser à ses deux amies, derrière elle, avant de froncer les sourcils dans un air dubitatif. Comment tu la connais, d'ailleurs ?

Assise dans leur salle de classe principale, à côté d'Abigail, Raelle tentait, tant bien que mal, de suivre le cour de maths dans lequel elles se trouvaient. Mais la blonde devait se rendre à l'évidence : ses deux meilleures-amies ne la laisserait jamais se concentrer tant qu'elle n'aurait pas répondu à leurs questions. Il suffisait qu'elle jette un œil vers le regard attentif d'Abigail, ou vers le visage curieux de Tally pour qu'elle le sache. Tant pis pour les maths, les logarithmes népériens attendraient encore quelques minutes.

Poussant un soupir, Raelle retirait de sa bouche le stylo qu'elle mordait inlassablement depuis des mois maintenant. Voilà que ses mensonge s'apprêtaient à s'entrecouper et à se contredire, et la blonde n'aimait pas ça. Mais en réalité, était-elle même une bonne menteuse ? Elle était déjà persuadée que ses deux amies savaient très bien que l'excuse qu'elle avait bâtit à propos de ses parents étaient montée de toutes pièces. Pourtant, malgré cette certitude, elle se confortait en trouvant un nouveau mensonge qui pourrait étayer le premier, par souci de ne pas dévoiler son jeu, sa divergence et son attrait pour Scylla.

- J'avais besoin de prendre l'air après ma dispute avec mes parents donc je suis sortie me balader et on s'est croisées, expliqua-t-elle sur un ton qui se voulait convaincant et anodin. Du coup, on a discuté vite fait.

Tally hocha la tête et Raelle retint un soupir de soulagement en constatant qu'elle avait l'air de la croire.

- Elle est sympa, déclara la rousse avec un sourire approbateur. Je l'aime bien.

- Ouais, elle est cool, acquiesça la blonde.

- Vous déconnez ? S'outra Abigail en prenant enfin part à la conversation. Il y a quelque chose de louche chez cette fille.

Les deux adolescentes rivèrent leurs regards sur l'afro-américaine, à la fois surprises et contrariée par ces paroles.

- Mais qu'est-ce que tu racontes ? S'enquit Raelle en secouant la tête.

- Ouvrez les yeux, s'indigna Abigail, elle est bizarre. Non mais sérieusement, on l'espionne depuis une fenêtre et elle ne nous évite pas ? Faut pas être sain d'esprit pour agir comme ça. Et puis c'était quoi le coup de "j'ai des trucs à faire" ? Elle est là depuis quoi... deux jours ? Et elle a déjà des trucs à faire ?

La jeune Bellweather secoua vivement la tête pour appuyer ses dires.

- Je vous le dit, il y a un truc qui ne tourne pas rond avec cette fille. On ferait mieux de s'en méfier.

- Tu vois toujours le mal partout, rétorqua Raelle avec un agacement palpable. Tout le monde n'est pas mauvais, Abigail.

Offensée, l'adolescente au teint chocolat clair releva fièrement le menton et reporta son attention sur le cours.

- Vous ne viendrez pas vous plaindre quand vous vous rendrez compte que j'ai raison.

- Mais bien sûr...

Raelle leva les yeux au ciel tandis que Tally se faisait étrangement muette désormais. La rousse jeta un regard plein d'excuses envers la blonde, coupable de cette petite prise de tête sans conséquences, et se retourna lorsque cette dernière lui offrait un sourire rassurant. La conversation venait de tourner court, mais ce n'était pas plus mal, pensait Raelle. D'autant plus qu'elle refusait fermement de croire un seul mot de ce qui était sortie de la bouche de sa voisine de table. Scylla n'était pas louche. Elle était belle, visiblement intelligente et elle lui montrait de l'intérêt. La blonde n'avait pas besoin d'en savoir plus sur la brune pour l'apprécier en retour. Et quand bien même elle aurait voulu en ressentir la nécessité, son cœur, lui, lui rappelait en s'emballant soudainement dans sa poitrine qu'il n'en avait aucunement besoin. Alors, pour une fois, Raelle décidait d'écouter son organe palpitant plutôt que sa raison qui n'avait de cesse de la torturer ces derniers temps.

oOoOoOo

Comme tous les soirs, et peut-être car elle pensait sans réellement se l'avouer que ça lui permettrait de la revoir, Raelle avait rejoint son observatoire en haut de la tour de gué, à l'entrée de la ville. Mais plus les minutes passaient, et moins elle croyait en sa chance d'apercevoir Scylla la rejoindre, car celle-ci ne semblait pas avoir décidé de se joindre à elle, cette fois. C'est donc, assise sur l'un des petits murets au sommet de la tour, une jambe pendue dans le vide tandis que l'autre était repliée vers elle, le dos appuyé contre le bloc de pierre derrière elle, que Raelle perdait tout espoir de voir son visage, ce soir-là.

La nuit était tombée depuis quelques minutes, signe évident de l'heure tardive qu'il était et pourtant, la blonde ne pouvait pas se résoudre à partir, juste au cas où. Et ce, même si son cœur douloureusement serré lui renvoyait à quel point elle était pathétique de se raccrocher à quelque chose qui existait à peine. Ce n'était pas comme ci elle était importante aux yeux de Scylla, se disait-elle, la brune n'avait aucune raison de venir la retrouver. Et pourtant, ce constat légitime ne lui faisait qu'un peu plus mal, sans qu'elle ne sache vraiment pourquoi. Oui, elle était pathétique. Pathétiquement sentimentale.

Un profond soupir quittait alors les tréfonds de sa gorge et elle reportait son regard sur l'horizon, face à elle, seulement éclairée par les lumières des lampadaires de la ville, en contrebas. Le vent, froid, de cette soirée, lui mordait les épaules, lui arrachant un frisson et aussitôt, elle regrettait de ne pas s'être plus convenablement couverte. Non seulement elle était pathétique, mais en plus, elle était imprudente. Mais peut-être que si elle attrapait une pneumonie de part son imbécillité, il était possible que ses parents médecins s'occupent enfin d'elle, relativisait-elle en une pointe d'amertume intérieure.

- Tu sais que ce n'est pas très intelligent de sortir en t-shirt, le soir ?

Le cœur de Raelle se stoppa dans sa poitrine à l'entente du léger accent qui venait de résonner à ses oreilles. Inconsciemment, un véritable sourire niais prenait place sur son visage tandis qu'elle portait son attention sur la nouvelle venue, bien plus vêtue qu'elle. Naturellement, comme appelés par les deux océans bleus de la brune, les yeux de Raelle tombèrent dans les siens et, à son tour, Scylla arbora un sourire. Elle était venue.

- C'est un beau t-shirt, rétorqua Raelle sur le ton de la plaisanterie.

- C'est vrai, concéda la brune avec amusement.

Scylla jeta un coup de menton vers l'avant, pour désigner le muret en pierre sur lequel sa camarade était assise, et s'en approcha d'une démarche élégante et étrangement pleine de grâce.

- Tu me laisses une place ?

- Bien sûr, acquiesça la blonde en laissant sa jambe rejoindre l'autre, dans le vide.

Ni une, ni deux, la brune ne se fit pas prier et pris place à ses côtés sur le muret, dans la même position que son amie. Elles se regardèrent durant quelques secondes, incapables de poser leurs prunelles sur autre chose que sur les courbes du visage de l'autre. Un nouveau frisson s'empara du corps de Raelle et le doux sourire de Scylla se transforma en un rictus plus soucieux. Sans réfléchir, la brune retirait son manteau et le tendait à sa camarade, qui fronçait immédiatement les sourcils d'incompréhension.

- Qu'est-ce que tu fais ? Demanda-t-elle avec surprise, faisant s'accroître l'expression amusée sur le visage de Scylla.

- Mets ça, indiqua-t-elle tandis que Raelle s'emparait du blouson avec hésitation. Je me sentirai coupable si tu tombais malade et que je n'avais rien fait pour te l'éviter.

L'humour présent dans le timbre de voix de Scylla fit naître un sourire reconnaissant sur les lèvres de la plus jeune, qui osait enfin revêtir le vêtement de sa voisine. Aussitôt, les effluves de l'odeur de la jeune Ramshorn atteignirent ses narines et Raelle ferma les yeux un instant afin d'en profiter. Jamais elle n'avait sentit quelque chose de si bon. Jamais elle n'avait sentit son cœur s'emballer dans sa poitrine pour un simple parfum, tambourinant tellement fort qu'elle pouvait en percevoir les battements jusque dans son crâne. Pourtant, soucieuse de ne pas paraître trop bizarre aux yeux de sa nouvelle amie, elle se hâtait de rouvrir les paupières, bien qu'à contre-cœur, et découvrit un sourire encore plus marqué par l'amusement, - et peut-être même par de l'attendrissement, elle n'en était pas sûre, sur les lèvres de Scylla, qui n'avait eu de cesse de l'observer durant tout ce temps.

- Merci... mais tu ne vas pas avoir froid, toi ? Osa tout de même demander Raelle alors qu'elle découvrait le simple petit gilet qui couvrait désormais les épaules de la brune.

- Oh, non, assura-t-elle sur un ton et une œillade volontairement mystérieuse. J'y suis habituée.

- Vraiment ?

Les sourcils subitement froncés de la blonde firent rire la plus âgée, mais elle ne répondit jamais à la question, se contentant d'hausser les épaules dans un geste purement anodin. Scylla n'avait jamais aimé parler d'elle et Raelle le comprenait sans mal par cette réaction face à une question plus personnelle.

- Alors, comment s'est passé ton premier jour de cours au lycée de High Tower ? S'enquit Raelle avec un peu moins d'intérêt.

- Mieux que je ne l'espérais, avoua honnêtement Scylla en reportant son regard sur l'horizon, l'air pensif. Je ne suis pas à la traîne au niveau du programme, ce qui est une bonne chose. Je n'ai juste pas encore eu l'occasion de faire connaissance avec tout le monde.

La jeune Collar opina du chef et observa la brune, détaillant son profil avec attention. Même ainsi, elle était belle, pensait-elle, admirative. Puis, soudainement, les échos des paroles que venaient de prononcer Scylla firent naître une idée dans son esprit et son sourire s'agrandissait alors qu'elle puisait dans un élan de courage momentané.

- Il y a une fête chez Abigail, demain. Tu pourrais venir. Ça pourrait être un bon moyen d'apprendre à connaître tout le monde. Tout High Tower y sera.

Un court silence reprit possession de l'atmosphère, durant lequel la brune tourna lentement la tête pour observer la plus jeune avec un sourire que cette dernière ne parvenait pas à déchiffrer. Etait-ce de l'amusement ? Ou du contentement, peut-être ?

- En fait, j'avais déjà prévu d'y aller, répondit-elle sur un ton mystérieux. Mais merci de l'invitation.

- Il va falloir que tu me donnes ton secret pour réussir à être invitée plusieurs fois à une fête en une seule journée, plaisanta Raelle en levant un sourcil circonspect. Parce que je suis presque que sûre que ce n'est pas Abigail qui te l'as proposée.

Les souvenirs de sa rencontre avec la Bellweather se bousculèrent dans l'esprit de la brune et celle-ci ne put s'empêcher de rire. Elle n'avait pas besoin de connaître l'afro-américaine pour savoir que cette dernière ne la portait pas dans son cœur, mais en réalité, ça l'amusait plus qu'autre chose.

- Non, clairement pas, concéda Scylla avant de marquer une pause remplie d'hésitation. En fait, c'est mon petit-ami, Porter, qui m'a invitée à l'accompagner.

Cette annonce, faite avec tant de précaution pourtant, brisa la cœur de Raelle d'une façon qu'elle n'aurait pas cru possible auparavant. Une intense douleur, mêlée à une profonde déception, prenait possession de son thorax tandis que ses sourcils se fronçaient avec surprise. Aussitôt, les lèvres de la brune se tirèrent d'une grimace, laissant son expression se transformer en culpabilité et en gêne.

- Et là, je suis sûre que tu te demandes comment je peux déjà avoir un copain alors que je ne suis là que depuis deux jours, déclara-t-elle en pinçant ses lèvres de contrariété.

- Euh... ouais, avoua Raelle en baissant la tête, légèrement honteuse à l'idée que Scylla puisse lire aussi facilement dans ses pensées. Un peu.

La brune haussa les épaules en poussant un soupir las.

- Je ne suis pas ce genre de filles faciles, si c'est ce que tu penses.

- Qu... quoi ? S'étonna la blonde, dont les joues se mettaient étrangement à chauffer, tout à coup. Non. Non, pas du tout.

En voyant la teinte rougeâtre qui prenait possession du teint si clair du visage de Raelle, un petit sourire amusé s'installa sur les lèvres de la plus âgée. Si elle n'était pas encore pleinement sûre de ce que la blonde ressentait à son égard, c'était le cas, désormais. Et, même si elle ne l'avouerait pas pour le moment, elle était plus que ravie par ce constat alors que la jeune Collar, elle, aurait préféré pouvoir disparaître dans un trou de souris tant elle se sentait mal à l'aise.

- En réalité, je connais Porter depuis plusieurs années, expliqua Scylla en reportant de nouveau son attention sur l'horizon, face à elle. On était déjà ensemble avant que j'emménage à High Tower.

A son image, la blonde rivait également son regard sur les plaines, lâchant momentanément, mais furtivement, le visage de la brune des yeux. Elle savait qu'elle devait répondre quelque chose à ce que venait de lui dire sa nouvelle amie, mais rien ne lui venait. Raelle avait bien trop mal à l'intérieur de sa poitrine rien qu'en pensant que Scylla avait quelqu'un et, malgré elle, elle se forçait à repousser cette pensée loin d'elle pour atténuer la peine que cela lui causait. Une peine anormale et illégitime, elle en était un peu plus consciente encore. C'est pourquoi, elle optait une nouvelle fois pour un trait d'humour qu'elle jugeait bienvenu, et elle espérait sincèrement que Scylla l'apprécierait également.

- C'est cool. Je devrais peut-être te rendre ton blouson, du coup, indiqua-t-elle en attirant le regard circonspect de la brune sur elle. Je ne suis pas sûre que ton mec serait vraiment d'accord avec le fait que tu sympathise avec la fille qui t'épie depuis la fenêtre de la chambre voisine.

Comme ça avait déjà été le cas précédemment, Scylla se mit à rire à cette plaisanterie, emplissant de bonheur le cœur de sa voisine. Jamais Raelle n'avait entendu quelque chose de si beau que la mélodie que la brune lui renvoyait à cet instant, et elle ne put faire autrement que de replonger ses iris bleutées dans celles, si malicieuses, de la Ramshorn.

- C'est bon, garde-le, s'amusa cette dernière. Porter n'a pas son mot à dire sur les personnes que je décide de fréquenter. Tu me le rendras demain, à la soirée.

Raelle hocha la tête, dans un geste qui voulait souligner l'évidence de la phrase de Scylla.

- Bien sûr.

Délicatement, Scylla se levait dans un clin d'œil, retrouvant la terre ferme, et offrait à la plus jeune un clin d'oeil qui la fit déglutir.

- On se voit demain, alors. Il faut que je rentre, ma mère va se demander où je suis passée, déclara Scylla en arborant un sourire bien plus charmeur cette fois. Bonne nuit, Raelle.

- Bonne nuit, Scylla.