Chapitre 1 :
Draco reste stoïque alors même qu'un immense sentiment de soulagement et de satisfaction mêlé déferle sur lui et que ses collègues le félicitent. Le verdict du vote qui vient d'avoir lieu est tombé et Minerva McGonnagall a prononcé son nom.
-J'espère me montrer digne de mon prédécesseur, dit-il quand c'est à son tour de parler.
Mais il ne pense pas à Slughorn quand il dit ça, bien qu'il fixe le gros homme tout récemment retraité avec un sourire. Non, son modèle a toujours été et sera toujours Severus Snape mais ça son auditoire n'a pas forcément besoin de le savoir.
- Devenir le directeur de la maison Serpentard est un véritable honneur, poursuit-il, cette maison et l'ensemble des valeurs qu'elle inculque représente beaucoup pour moi. Et j'ai pleinement conscience de la confiance que le conseil, ainsi que la directrice de Poudlard, place en moi en m'offrant ce poste. Donc merci de croire en moi. Et excellente retraite à vous, Horace, vous l'avez bien mérité.»
Plus que mérité en fait, l'homme a plus de quatre-vingt-dix ans et même si chez les sorciers ce n'est pas encore un âge catatonique, il était quand même grand temps pour Slughorn de passer la main à un esprit plus alerte -comme le sien, par exemple-.
Draco sait que son discours est bref mais il s'en fiche. Ses collègues le connaissent assez pour savoir qu'il n'est pas du genre à s'étaler, en plus il se doute que le vote a été serré et qu'il n'y a eu aucune écrasante victoire de sa part. Mieux vaut ne pas en faire des caisses si il a raison et que le poste lui a été attribué in extrémiste.
-Ce fut juste, Draco, annonce en effet McGonnagall après qu'elle l'eut rejointe à l'écart des autres professeurs.
-J'en ai conscience, lui apprend-t-il avec un léger sourire. Je suppose que je dois ma bonne fortune à votre appui en particulier.
-Le mien et celui du directeur de la maison de gryffondor, il a considérablement bien plaidé votre cause.
Draco regarde dans la même direction qu'elle et ses yeux tombent sur Londubat en train de parler à Elisa Grount, la jeune remplaçante de Pomfresh. Même s'il se doute qu'ils argumentent sur sujet terriblement barbant (au hasard, les plantes médicinales), la jeune infirmière a quand même les yeux qui brillent et le sourire aux lèvres. Etre témoin du succès de Londubat auprès de la gente féminine, perturbe toujours autant Draco.
-ça veut dire que je dois essentiellement mon poste à deux gryffondors, récapitule-t-il en détournant les yeux de la scène déconcertante. Je bondis intérieurement de joie à cette nouvelle.
Minerva lève les yeux au ciel. Elle aussi est vieille, Draco ignore son âge exact mais il suppose qu'elle est tout de même plus jeune que Slughorn. Pourtant, il a l'impression qu'elle est la même que dix-neuf ans plus tôt quand il a mis pour la première fois les pieds dans cette école. En toute logique, elle a probablement gagné quelques rides en plus, mais elle se tient toujours aussi droite, son regard est toujours aussi vif, sa magie toujours aussi puissante et elle est toujours une fan acharnée de quidditch –doublée d'une supportrice aveugle de ces ahuris de gryffondors -. L'immuable Minerva McGonnagall.
-Vous devez essentiellement votre poste à vous-même, réplique-t-elle en lui tapotant le bras puis elle rajoute avec douceur. « Je suis fière de vous, Draco. »
Il hoche la tête, essayant de ne pas se sentir ému mais c'est peine perdue. Il est sûr qu'elle l'a fait exprès en plus, cette femme semble prendre un malin plaisir à lui rappeler qu'il possède un cœur comme le reste des mortels.
-Mais je vous préviens, poursuit-elle ayant probablement décidé de le sauver de sa gêne, si vous décidez d'ouvrir un club select à votre nom à votre tour, je ne réponds plus de rien.
-Je n'en crois pas un seul mot, madame la directrice. Je parie au contraire que vous serez la première à vous y inscrire.
-Oh Merlin, j'oublie toujours à quel point vous pouvez être suffisant, répond McGonnagall l'air à la fois incrédule et amusé en pinçant les lèvres.
-Ce que vous appelez de la suffisance, nous autres des hautes castes, appelons ça « être conscient de sa valeur». Je suis sûr que je pourrais vous avoir une place de trésorière ou de secrétaire générale. Mieux : Membre d'honneur ! Comment ça sonne ?
Il ne sait pas comment ça sonne pour McGonagall car elle a juste le temps de lever de nouveau au ciel que Slughorn l'interpelle, probablement pour parler de combien il a œuvré pour le bon fonctionnement de Poudlard et de combien les élèves et ses collègues vont le regretter. Draco préfère prendre la tangente car depuis trois mois au moins le vieux radote toujours sur ce sujet et la patience du professeur de Magie Noire qu'il est a depuis longtemps été séchée.
Il cherche de nouveau Londubat des yeux et estime qu'il devrait lui offrir un verre pour le remercier d'avoir appuyé sa candidature.
-Félicitations mon garçon, lui parvient une voix derrière lui.
Il se retourne, le portrait de Dumbledore pourtant vide quelques secondes auparavant, lui fait face en souriant.
Le vieil homme dans le tableau le regarde de la même manière qu'il regardait tout le monde de son vivant, comme s'il sait des choses sur vous que vous ignorez. Ça a toujours mis Draco mal à l'aise et c'est une des raisons pour laquelle il n'aimait pas spécialement le directeur –la raison principale était parce que l'homme bénissait le sol sur lequel Potter marchait-.
-Merci, répond-t-il tout de même.
-Même si, reprend le portrait de l'ancien directeur, enseigner la magie noire…j'ai toujours trouvé ça pour le moins hasardeux. Minerva n'a pas le même point de vue là-dessus semble-t-il.
-Draco sait ce qu'il fait ! réplique, ou plutôt grommelle, un autre portrait avec lequel Draco parle quelque fois quand le portrait en question est d'humeur à le faire.
-Allons Severus, sourit Dumbledore, tu es de parti pris.
-Pas du tout.
-Moi je suis de parti pris, s'interpose un troisième portrait, celui de son ancêtre Phinéas Black, non sans une pointe de fierté dans la voix. Mais parti pris ou pas, je peux vous certifier que mon arrière arrière arrière petit-fils fera un bien meilleur directeur de la maison Serpentard que ce vieux balourd de Slughorn. Il est de mon sang après tout. Sa mère est une Black, vous savez.
-On sait, réplique le portrait de Dumbledore. Votre passion pour votre propre généalogie a toujours été édifiante et vous aimez en faire profiter vos voisins.
La peinture représentant son ancêtre jette un regard noir à celle de Dumbledore.
-La famille c'est important, lui dit-il.
Draco écoute les portraits des très dignes et respectables anciens directeurs de l'école s'envoyer des piques –et à sa grande surprise, pour l'instant c'est Dumbledore qui marque le plus de points- jusqu'à ce que Londubat arrive dans son champ de vision.
-Hé Londubat ! l'interpelle-t-il après s'être excusé brièvement auprès de ses interlocuteurs en toile.
Le professeur de botanique se tourne vers lui avec un grand sourire. Londubat est le genre d'homme à sourire souvent, ce que Draco trouve à la fois agaçant et à son grand dam un poil rafraichissant. Draco ne regrette pas les années qu'il a passé à le martyriser car c'était amusant du temps que Neville Londubat était un avorton, et lui-même une petite teigne. Mais il faut croire que les années ont le pouvoir de changer les garçons maladroits en héros de guerre sûrs d'eux et les garçons élevés pour devenir l'élite du monde en hommes taciturnes et méfiants.
-Malfoy ! Encore toutes mes félicitations ! lui dit l'ancien gryffondor en s'approchant et souriant toujours.
Draco arrive à se fendre à son tour d'un demi sourire, se disant que ses sourires à lui sont plus rares mais du coup d'autant plus précieux. Et pan, prends ça dans tes dents Neville Londubat-Joiedevivre. Londubat semble ignorer sa victoire intérieure et c'est bien dommage.
-D'après McGonnagall, tu as joué à la bonne fée sur ce coup, explique Draco laissant trainer sa voix comme il avait l'habitude de le faire dans son adolescence car il sait que Londubat va du coup froncer les sourcils comme une sorte de reflexe post-traumatique et c'est plutôt marrant à voir. « Ça te dit que je te paies un verre ce soir pour te remercier et fêter le début des vacances ? »
Londubat, comme prévu, fronce les sourcils mais son sourire revient vite à la charge plus large et brillant que jamais. Ils ont l'habitude de boire des verres ensemble. Enfin surtout depuis que la psychomage de Draco lui ai conseillé de sortir plus souvent avec des gens. Londubat n'est pas son confident, ni son grand ami, mais sa compagnie n'est pas si déplaisante et une fois de temps en temps boire un coup avec lui en râlant sur leurs élèves ou leurs collègues est somme toute agréable.
-Je suis désolé, ce soir je ne peux pas. Harry est revenu des Etats-Unis et Arthur et Molly organise un repas pour fêter ça. Mais demain si tu veux ?
Comme chaque fois qu'on parle d'Harry Potter devant lui, Draco sent son pouls s'accélérer, une colère sourdre poindre dans sa poitrine et une douleur aigue signaler sa présence au même endroit. Même si ça fait plus de deux ans qu'ils se sont séparés et qu'il essaie de toutes ses forces de remplacer toutes ses pénibles sensations par cette bonne vieille sécurisante indifférence.
-Potter est revenu ? reprend-t-il d'un ton curieux et poli, parfaitement maîtrisé, contrairement aux chambardement émotionnel intérieur dont il subit au même moment les affres. Les journaux n'en n'ont pas parlé pourtant.
Et là-dessus il est catégorique. Il a pris l'habitude de surveiller les allées et venues de Potter. Comme ça il peut limiter ses déplacements en ville lorsque l'Auror-prodigue est de retour aux pays, voir carrément rester cloitrer à Pouldard, histoire d'être sûr de ne pas malencontreusement le croiser. Et fort heureusement, Potter ne reste jamais très longtemps, deux ou trois semaines maximum et le voilà reparti sauver les veuves et les orphelins extra-muros.
Draco pense qu'il n'est pas le seul à vouloir déjouer une rencontre fortuite. Ils s'évitent joyeusement et efficacement depuis deux ans et c'est très bien comme ça. Mais savoir, qu'il est de retour et que la presse n'en a pas parlé, donc qu'il aurait pu potentiellement tomber sur lui dans une rue du Londres sorcier, le perturbe plus que de raison. S'il ne peut plus compter sur les bons vieux paparazzis, accrochés au cul de Potter comme des dragons à un monceau de pierres précieuses pour le tenir-lui et le reste des sorciers- informer alors où va-t-on ?
-Il est rentré il y a deux jours, explique Londubat, mais d'après Ginny il est resté terré chez lui, ne voyant que Ron et Hermione. Il devait avoir besoin de souffler avant d'affronter la presse. Je comprends qu'il préfère bosser à l'étranger, la pression médiatique qu'il subit ici est juste infernale.
-Pauvre Petit Populaire Potter, murmure Draco mais Londubat l'entend et lui jette un regard peu amène.
-Ne sois pas si cynique, réplique le professeur de botanique, je ne sais pas exactement pourquoi lui et toi vous n'êtes plus amis mais il reste le mien.
Ces gryffondors, toujours à lever le beau et chatoyant étendard de l'amitié au moindre petit affront envers l'un des leurs, Draco trouve ça ridicule mais il n'a pas envie de débattre avec Londubat là-dessus. Pas envie d'expliquer non plus pourquoi Potter et lui ne sont plus « amis ».
Potter ne vaut pas la peine d'un débat.
Potter ne vaut aucune peine. Plus jamais.
-Demain soir, alors le verre ? demande-t-il finalement abandonnant délibérément toute suite de conversation sur le héros du monde sorcier.
-ça marche, répond Londubat et son sourire revient comme par magie, la précédente tension totalement oubliée.
Draco hoche la tête brièvement et décide de retourner dans ses appartements. Toute la joie et la fierté qu'il a ressenti en obtenant le poste de directeur de maison de serpentard viennent d'être soufflées aussi facilement qu'une bougie. Potter est le vent.
Il a mal à la tête et un peu la nausée et surtout surtout, il veut être seul et se répéter que tout est bien maintenant, qu'il est heureux sans lui, qu'il réussit sans lui, qu'il vit sans lui, qu'il respire sans lui.
Il a hâte, comme à chaque fois, que Potter s'en retourne ailleurs. Il pense, alors qu'il traverse les couloirs au pas de courses et que son cœur bat la chamade : « Deux semaines, trois maximum et il ne sera plus à portée de main. ». Et ça l'aide. Un peu.
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Draco est dans un café avec sa mère, à Pré-Au-Lard. Il sait qu'elle considère le modeste village écossais avec un mépris tout aristocratique et en temps normal, leurs rendez-vous hebdomadaires se tiennent à Londres mais il a réussi à prétexter beaucoup de travail et peu de temps de libre pour rester aux alentours sécuritaires de Poudlard.
Honnêtement il ne sait pas comment ses excuses boiteuses ont marché étant donné que les vacances scolaires estivales viennent tout juste de commencer. Sa mère doit se faire vieille.
Du moins c'est ce qu'il croit jusqu'à ce qu'elle sorte de son sac le Daily Prophète du matin même et qu'elle le pose l'air de rien sur la table avant de laisser sa commande au serveur.
« Harry Potter et Ginny Weasley de nouveau ensemble ? » C'est le titre racoleur de la couverture. Rien de nouveau sous le soleil, sur tous les papiers qui sortent sur Potter il y en a toujours sur sa possible réconciliation avec Weasley, d'après Draco à une fréquence d'au moins une ou deux fois par an. Il suppose que la poursuiveuse des Harpies et le héros forment le couple idéal aux yeux des lecteurs et que ça fait vendre. Il n'en veut pas à sa mère de lui mettre ce torchon sous le nez, il y est abonné et l'a de toute façon probablement déjà reçu dans le courrier de la journée.
La presse semble ne pas savoir que la rouquine est pourtant toujours avec Londubat, même si d'après ce qu'il a compris ils ont une relation libre. Londubat n'a pas donné trop de détails mais Draco a saisi que Weasley souvent en déplacement a pensé que c'était mieux pour eux de ne pas se jurer fidélité. Draco ne sait pas pour elle, mais Londubat ne semble pas approuver à cent pour cent cet arrangement. Il était sombre et amer quand, passablement ivre, il a expliqué ça à Draco –qui n'avait pourtant rien demandé-.
Il y a deux photos sur la page de couverture. Une petite floue où on voit Potter de dos dehors vers les vestiaires du stade de quidditch de Birmingham en train de serrer dans ses bras une femme avec une touffe de cheveux roux. Et une grande où Potter est de profil dans les tribunes VIP. L'homme sur la photographie a l'air de regarder le match de quidditch avec concentration derrière ses lunettes de soleil. Une casquette à l'effigie des Harpies, et une barbe noire et courte complètent le look du balafré. Cette barbe est une surprise, tellement que Draco fronce les sourcils et se demande un instant si c'est vraiment Potter sur la photographie. Mais c'est bien lui-car malheureusement Draco connait ce profil par cœur- et cette nouvelle lubie pileuse est probablement un truc qu'il a choppé aux USA. C'est ridicule, ça lui donne un air plus sombre, plus mature et moins accessible. Les mères de famille ne vont pas aimer ça, leurs filles par contre... Draco serre les dents, lui n'aime pas en tout cas alors qu'il devrait s'en foutre. Il détourne résolument ses yeux du magazine.
« Draco, Potter m'a proposé de reprendre Square Grimmault. »
Draco fixe sa mère sans comprendre. La phrase en elle-même est intelligible, ce n'est pas le problème. Le souci, c'est plutôt que son cerveau refuse de donner suite à ce que ses oreilles viennent d'entendre tellement ça lui semble absurde.
-Pardon ? dit-il.
Sa mère répète sa précédente phrase avec un léger froncement de sourcils qui signifie « Sois un peu plus attentif, s'il te plait. » mais il s'en fout car il vient enfin de comprendre ce qu'elle essaie de lui dire et ça ne lui plait pas du tout.
-Pourquoi ferait-il ça ? s'entend-t-il répondre trop rapidement. Depuis quand veut il vendre sa maison ?
Si Potter vend, ça veut dire qu'il compte partir définitivement d'Angleterre et cette pensée au lieu de le réjouir donne à Draco envie de frapper quelque chose. Ce sentiment est ridicule, il évite Potter comme la peste depuis deux ans, dès qu'il le sait de retour au pays, il se sent comme si la moitié de ses organes internes se liquéfient pendant que l'autre moitié se change en glace. Alors apprendre le fait qu'il quitte l'Angleterre pour de bon devrait, si ce n'est le ravir, du moins le soulager.
-Il ne veut pas vendre, répond sa mère avec un calme effrayant. Il veut me la donner.
Sa stupeur est trop grande pour qu'il parvienne à la camoufler et il sait que sa mère est en train d'analyser la moindre de ses émotions comme la comportementaliste ès-Draco qu'elle s'imagine être. Il regarde de nouveau le magasine et le profil concentré de Potter avec cette barbe qu'il déteste.
-On ne donne pas une maison comme ça, rationalise-t-il essayant de faire prendre feu à la photographie juste par la force de son regard.
« Surtout pas à la mère de son ex », rajoute-t-il dans sa tête.
-Il a dit qu'elle me revenait de droit, étant donné que je suis la dernière des Blacks et que Androméda n'en veut pas.
-Tu l'as vu ? s'entend-il demander d'une voix atone en cessant de fixer le daily prophète pour se concentrer sur sa mère. Il croit quoi ? Que tu as besoin de sa pitié ?
-Je l'ai vu, confirme sa mère ne répondant qu'à sa première question. Il m'a invité hier en début d'après-midi, au Square Grimault. Nous avons pris le thé.
Draco ouvre la bouche et la referme, se sentant trahi. Et quand il parle finalement sa voix est un filet de rage.
-Pourquoi ne m'as-tu pas prévenu ?
Sa mère hausse les épaules.
-Tu n'aurais pas voulu que j'y aille et j'étais curieuse. Tu ne l'as probablement pas remarqué mais tu deviens plutôt agressif dès qu'on mentionne Harry Potter.
-Tu ne t'es jamais dit que j'avais de bonnes raisons pour ça ? crache-t-il presque. J'espère que tu as refusé son offre ridicule ! Je ne veux plus rien à voir à faire avec ce type.
Les rares clients du café ont maintenant les yeux fixés sur eux, à cause de son éclat. Ils ont l'air plutôt inquiet. Sa mère sirote son thé comme si de rien n'était, Draco s'oblige à se calmer. Il connait la plupart des gens du coin et il est parvenu à faire plus ou moins oublier son passé sordide et le rôle de son père durant la guerre –et le fait qu'il bande pour d'autres hommes-. S'il n'est pas forcément apprécié, il reste un professeur de Poudlard et de ce fait, ici, il est respecté. En Angleterre c'est différent, les gens continuent à le regarder comme un pestiféré dans les rues mais ici il est enfin quelqu'un. La dernière chose qu'il veut, c'est que les pécores du coin aient peur de lui. Ils sont déjà trop nombreux à le regarder comme s'il pouvait à tout moment se mettre à jeter des impardonnables dès qu'il met un pied au village.
Parfois ça l'énerve tellement qu'il a envie de le faire, juste pour voir leur tête de « je-le-savais-qu-il-était-comme-vous-savez-qui» puis il se rappelle que Azkaban n'est pas forcément l'endroit où il veut finir sa vie alors il ignore les regards méfiants et il continue son chemin. Il préfère de toute façon l'attitude défiante des habitants du coin au mépris affiché des sorciers londoniens.
-Je lui ai dis que j'allais y réfléchir, répond finalement sa mère à sa grande consternation. Mais Draco, je pense que je vais accepter. Cette maison est celle de mes ancêtres après tout. Androméda est de mon avis…Il m'a dit qu'autrement, il la donnerait au ministère pour qu'ils en fassent je ne sais quoi. Probablement un truc terriblement barbant comme un orphelinat ou un lieu de refuge pour les filles-mères ou n'importe quelles autres causes mettant en scène des défavorisés, ce n'est pas ça qui manque de nos jours. Je parie que Potter regorge d'idées dès qu'il s'agit d'aider son prochain.
Sa mère ouvre soudainement de grands yeux effrayés et agrippe son avant bras.
-Merlin Draco ! Son amie ! La née moldue qui travaille au ministère et qui a des cheveux bruns affligeants ! J'ai lu un article sur elle récemment. Ça parlait d'une association pour Réinsérer les Elfes de Maison Libres Dans La Vie Active, la main de sa mère se crispe encore plus et ses ongles s'enfoncent douloureusement dans sa chair, lui arrachant une grimace. Je refuse que la maison de ma famille serve de QG à cette ignominie !
-Tu es beaucoup trop mélo-dramatique pour être crédible, siffle Draco en ramenant son bras en sécurité contre son torse.
Il n'arrive toujours pas à croire que sa mère soit allée voir Potter sans lui en parler et que cet enfoiré lui ait offert sa maison.
-C'est un offre qui ne se refuse pas, reprend sa mère plus sérieusement. Je suis fatiguée d'être considérée comme une pestiférée par mes pairs. Investir la noble et très ancienne maison de mes ancêtre…je n'ai pas besoin de t'en expliquer les retombées sur notre position sociale.
Elle a raison bien sûr et c'est ça qui le fait le plus enrager. Redorer le nom des Malfoy et redonner à sa mère une vie respectable, c'est ce pourquoi Draco travaille depuis des années. Que l'Elu en personne offre à la veuve du bras droit de Voldemort la maison des Blacks, maison réputée pour avoir abrité les résistants les plus farouches au seigneur des Ténèbres, c'est comme s'il proclamait à tous qu'il considérait Narcissa Malfoy comme la digne représentante d'une des plus ancienne et influente famille de sorciers européenne. C'est l'absolution ultime. Plus que ne pourrait jamais faire Draco en toute une vie de professeur respectable qui ne fait aucune vague.
Sa promotion comme directeur de maison lui semble tout à coup dérisoire. Il a envie de casser quelque chose.
-A cheval donné, on ne regarde pas la bride, poursuit Narcissa doctement. Si ça peut te consoler, je crois vraiment que sa proposition n'a rien à voir avec votre…relation passée. Pendant toute notre rencontre, il ne t'a pas mentionné une seule fois.
-Ah oui ? demande Draco doucereusement en se redressant inconsciemment.
La violence de ce qu'il ressent à cette nouvelle le prend presque de court. Il aurait bien entendu préféré ne rien ressentir du tout. Mais ça aurait pu être pire, au lieu de la flambée de haine que lui inspire Potter et qui lui donne envie de le démolir il aurait pu être pitoyablement accablé de tristesse. Il se dit qu'il s'en sort plutôt pas mal finalement.
-Oui, reprend sa mère après avoir bu une nouvelle gorgée de son thé. Il aurait tout de même pu demander de tes nouvelles, ça aurait été la moindre des politesses mais il a fait comme si tu n'existais pas.
- Dépouille-le de sa maison.
Sa voix est trainante et glaciale. Narcissa esquisse un sourire en coin.
-Je suis ravie que tu retrouves ton bon sens mon fils.
Draco ne répond rien, ses yeux gris et pâles se posent malgré lui de nouveau sur le Daily prophète de comme s'ils y étaient aimantés.
Le Potter de profil se met à bouger un peu et on voit encore moins son visage. Draco a l'impression qu'il se détourne de son regard, même s'il se détourne plus vraisemblablement de l'objectif des paparazzis. Peu importe, il décide de prendre ça personnellement.
Si Potter a comme projet de quitter définitivement le pays, il est peut-être temps pour Draco de lui enlever la marque et de se débarrasser du dernier lien qui l'uni à l'ancien gryffondor. Il pense en être capable à présent. Il fait de la magie normalement même si il lui arrive encore de rester l'espace d'une ou deux terrifiantes secondes pétrifié de terreur à l'idée de refaire une crise de panique avant de lancer un sortilège.
Mais pour lui enlever la marque, il faut qu'il se retrouve face à l'homme qui l'a trahi et ça il est beaucoup moins certain d'en être capable. Car Draco est assez lucide pour s'avouer que ce que Potter lui a fait en réalité va plus loin qu'une trahison. L'ancien gryffondor lui a brisé le cœur.
C'est une métaphore malheureusement, si son cœur était physiquement brisé il lui suffirait de ramasser les morceaux et probablement inventer un sortilège pour les recoller ensemble. Là il ignore quoi faire pour ne plus se ressentir ce manque et cette sensation affreuse de dévastation.
Il a essayé d'autres partenaires, il a essayé l'oubli éphémère qu'apportent certaines potions ou l'alcool, il a essayé de se noyer dans le travail…mais Potter est entré dans sa peau, plus insidieusement que n'importe quel tatouage.
Il est là quand Draco donne des cours et qu'il essaie d'apprendre aux enfants à ne pas avoir peur de ce qu'ils ne comprennent pas. Il est là quand Draco regarde dans la cour et voit sur le terrain un élève de gryffondor voler après un vif d'or. Il est là quand il pleut et Draco se souvient de l'effet de cheveux noirs trempés par la pluie froide entre ses doigts alors qu'il est plaqué contre un mur et tout prêt à être dévoré. Il est là dans chaque recoin de Poudlard comme un putain de fantôme qu'il est le seul à pouvoir voir. Il est dehors aussi dans le sourire d'un homme, dans la démarche d'un autre. Il est dans son lit parfois quand Draco se réveille le corps en feu et que, vaincu, il utilise sa main pour se branler laissant les souvenirs piller son esprit.
Draco ne pense pas que ça soit normal. Au début il imaginait que le temps régulerait tout ça mais la force de ce qu'il ressent est toujours aussi intense après plus de deux ans. Alors depuis quelques semaines, il commence à penser que c'est peut-être dû à la marque qu'il a laissé sur Potter. Cette connexion doit forcément jouer sur son inconscient. Il sait qu'il doit l'enlever.
Mais Draco n'a jamais été courageux et il a peur de cette petite voix en lui qui susurre : « Si jamais ce n'était pas la marque. Si ça venait de toi. Après tout Voldemort a laissé un tas de marque similaires sur un tas de gens et lui ça n'avait pas l'air de le perturber.»
Si ça venait de lui. S'il restait comme ça, tout le reste de sa vie avec l'impression qu'il a trouvé son âme-sœur mais que ce n'était pas suffisant, que c'était juste à sens unique…Draco n'est pas certain de vouloir passer le reste de sa vie avec une telle certitude. En vérité il ne croit pas à cette connerie des âmes sœurs mais il n'imagine personne d'autre que Potter qui puisse à ce point bousculer et tout à la fois mettre en place son monde et pour l'instant il ne possède pas de meilleure définition.
Quelque chose dans son attitude doit avoir changé car sa mère range le magasine et n'évoque plus Potter, ni la maison des Blacks tout le temps que dure leur rencontre.
Il décide d'une ligne de conduite, il ne va rien changer du tout. Potter peut bien partir à tout jamais avec sa fichue marque, ça lui est égal. C'est même très bien. D'ici deux, trois semaines maximum Potter repartira sauver des gens à l'étranger et lui pourra de nouveau respirer librement.
Son plan est parfait pendant vingt-huit jours. Le vingt-neuvième Potter qui n'est toujours pas parti chamboule le monde sorcier en organisant une conférence de presse dans laquelle il annonce qu'il est homosexuel.
A suivre…
