Je marchais depuis un certain temps déjà lorsque je vis se dessiner une charmante maisonnette devant moi. L'endroit m'était familier. Une voix que je reconnus immédiatement m'interpella. Je me retournai, le sourire aux lèvres. La petite fille aux cheveux clairement bleutés courra vers moi en ouvrant les bras. Je voulus la réceptionner, mais elle passa juste à côté pour se jeter au cou d'une autre fillette. Elles ne semblèrent pas remarquer ma présence et entrèrent rejoindre une jeune femme souriante qui préparait le repas. Je les suivis à table, m'installant à leurs côtés, menton dans la main, et les regardais rire aux éclats autour d'une maigre portion de nourriture. L'ambiance chaleureuse et les visages rougis de bonheur me donnèrent du baume au cœur. Je ne voulais plus partir. Je voulais rester près d'elles.

Je pris une mandarine qui roulait sur la table et commençai à l'éplucher, quand la discussion cessa subitement. En relevant les yeux, je rencontrai leurs regards surpris posés sur moi. Prise de panique, je bégayai nerveusement, mais à peine eus-je le temps de placer un mot qu'elles se redressèrent d'un même élan. À ce moment précis, des hommes démolirent la porte principale.

Lui... Son rire mauvais... Jamais je ne pourrai l'oublier...

La brute s'avança lentement, un rictus méprisant collé au visage. Il leva le bras afin de porter une attaque contre elles, mais je m'interposai devant lui. Je n'avais plus peur. Je fermai les yeux, appréhendant un puissant coup. Mais rien ne se fit. Je rouvris un œil, puis le deuxième. Tout avait disparu. Le décor était vide. Où étaient-ils tous passés ?

Soudain, je sentis une pression qui me propulsa vers le bas, et atterris de justesse dans un buisson, près de l'endroit où nous étions. Je me redressai difficilement, puis aperçus au loin les pirates face à...

Non...

Je m'apprêtai à courir pour empêcher l'attaque, mais les deux fillettes sortirent de leur cachette, juste derrière moi, pour se ruer vers leur mère. Le docteur leur cria de ne pas y aller, mais elles n'écoutaient déjà plus.

Le Capitaine sanguinaire pointa son arme sur la jeune femme courageuse. Je me précipitai vers elle, malgré mes jambes tremblantes, la main tendue et l'appelant de toutes mes forces. Mais mes mots ne semblaient pas l'atteindre.

Il va appuyer sur la détente... Il va...

Je me dépêchai du mieux que je le pus, mais mes efforts étaient vains. Elle tourna la tête vers moi, puis me sourit avec tendresse et fierté, articulant un faible « Je t'aime ».

« Non... attends... Pas encore... J'y suis presque... Je... »

Le coup retentit. Je regardai impuissante la scène épouvantable qui se déroulait devant moi.

Maman...

« BELMER-SAN ! »

Je me réveillai en sueurs. Mon cœur palpitait follement.

Un rêve ?

J'haletai, encore sous le choc, et tentai difficilement de reprendre mon souffle. Ma tête bourdonnait.

Où suis-je ?

Je me redressai péniblement, la main sur le crâne, croyant vainement que la douleur s'apaiserait de la sorte. La lumière m'aveugla un instant. Laissant passer un court moment afin d'adapter ma vue fatiguée, je découvris la pièce dans laquelle je me trouvais. C'était une petite cabine en bois qui ne possédait rien de particulier.

Alors que je prenais peu à peu conscience de l'état des lieux, un homme entra. Il était d'une taille relativement grande et ses cheveux blonds en bataille lui donnaient le curieux aspect d'un ananas. Il portait une veste mauve, une ceinture métallique de couleur or, un simple bermuda marron ainsi que des sandales.

« Oh, tu es réveillée ! » remarqua-t-il un peu surpris.

Il se rapprocha joyeusement et je me couvris instinctivement du drap blanc avec méfiance. Son sourire se fendit.

« Tu pleures ? » questionna-t-il alarmé.

Si je pleure ?

J'effleurai ma joue de mes doigts. Elle était mouillée. J'essuyai rapidement les larmes qui coulaient encore, un peu honteuse. Inquiet, il me demanda si je me sentais bien et si j'avais besoin de quelque chose.

« Où suis-je ? ne trouvais-je qu'à répondre.

— Tu es sur un bateau pirate. Ne t'en fais pas, tu n'as rien à craindre. Nous n'allons pas te faire de mal.

— Un bateau pirate ? » répétai-je, perplexe.

Je tentai de me relever mais lâchai une petite exclamation de douleur en me tenant l'abdomen.

« Attention, ne te force pas. Tu es encore très faible. »

Il se rapprocha et posa le plateau qu'il tenait dans les mains sur une table près de mon lit.

« Qu'est-ce que je fais ici ? Que s'est-il passé ? C'est vrai... j'étais... j'étais sur l'île de Shanbondy avec mes amis. Mes compagnons, où sont-ils ? La dernière fois que l'on s'est vus, je... On... on a été séparés et... »

Les larmes me remontèrent aux yeux alors que je me rappelais les événements passés. Je me pris la tête entre les mains.

« Calme-toi. Je suis convaincu que tes amis vont bien. Tu devrais plutôt te soucier de toi. Ça fait presque trois jours que tu es inconsciente.

— Trois jours ?!

— Tu ne te souviens pas de la façon dont tu as atterri ici ?

— Non... je me souviens seulement que l'on se battait contre Bartholomew Kuma, le Grand Corsaire. Pour la première fois, nous avons été entièrement vaincus et... »

Je marquai un silence. Ma voix se nouait à mesure que je parlais. Il posa une main réconfortante sur mon épaule.

« Ne sois pas si triste. Le plus important reste que tu es en vie. Tes amis le sont probablement aussi. Tu as de nombreuses blessures qui sont en grande partie dues à ta percussion avec l'un de nos navires.

— Ma percussion ?

— Je n'étais pas là mais plusieurs de nos hommes t'ont vue arriver par le ciel à une vitesse foudroyante ; tu prenais presque feu. Ils ont cru à une attaque ennemie, mais comme tu étais inconsciente, ils t'ont simplement amenée sur le bateau principal.

— Je suis désolée d'avoir causé autant de soucis... »

Ses mots chaleureux me soulagèrent. Je lui rendis son sourire, attendrie.

C'est vrai. Il ne sert à rien d'angoisser maintenant. Je ne peux rien faire dans l'état actuel des choses. Je ferais mieux de reprendre des forces.

J'acceptai le plateau qu'il m'offrit et le remerciai. Ma bouche était sèche. Trois jours que je n'avais rien avalé. J'engloutis l'assiette avec hâte sous son regard satisfait. Alors qu'il s'apprêtait à repartir, je me souvins que je ne connaissais pas encore son nom.

« Attendez, comment vous appelez-vous ? »

Il se retourna interloqué.

« Je m'appelle Ma...

— MARCOOOO ! ON A BESOIN DE TOI SUR LE PONT ! »

Ledit Marco passa une main sur sa nuque, un peu embarrassé.

« Enfin voilà, je crois que tu sais maintenant » lança-t-il en riant.

Je lui souris amusée. Cela me rappelait mon propre équipage et leurs braillements permanents. J'avalai les dernières cuillères du plat pour chasser la nostalgie naissante, puis posai le plateau et entrepris de me lever.

« Tu devrais rester allongée. Tu n'as pas bougé depuis plusieurs jours. Laisse-toi le temps de...

— Ça ira, le coupai-je. J'ai besoin de me dégourdir les jambes et de remercier votre équipage.

— Tu peux me tutoyer. »

Il m'aida à me mettre debout, et après avoir retrouvé l'équilibre, nous sortîmes de la chambre. Les rayons du soleil me chauffèrent la peau et me caressèrent le visage. Je fermai les yeux, savourant ce moment de sérénité qui m'avait tant manquée. Je les rouvris finalement pour examiner les lieux.

Un grand nombre d'hommes exécutaient diverses tâches sur le pont. Certains nettoyaient le plancher, d'autres pompaient l'eau et d'autres encore s'activaient à ranger les cordes et tout le matériel habituel des marins. Nous marchâmes en faisant attention à ne pas les déranger dans leur labeur. Marco-san s'arrêta un moment pour parler à certains de ses camarades.

« Oooh ! Alors tu es enfin levée ! Comment tu te sens ? Ça fait un bail que tu dors ! Ben, tu sais pas parler ? s'exclama gaiement un grand homme qui portait deux gigantesques tonneaux sur les épaules.

— Laisse-lui le temps de répondre, Joz ! ria Marco-san.

— Pardon de vous avoir inquiétés, hésitai-je. Je vous remercie tous sincèrement d'avoir pris soin de moi. Et... je m'excuse des dégâts que j'ai pu causer...

— Si tu veux vraiment t'excuser, tu devrais t'adresser à lui. »

Je suivis du regard la direction que pointait du doigt Marco-san. La silhouette du jeune homme à son bout m'était familière. Il était à moitié de dos, assis sur le bord du bateau, le regard perdu dans l'océan. Je m'approchai à pas comptés tout en réfléchissant à son identité. Il me remarqua sans doute, puisqu'il pivota légèrement le menton vers moi. Je distinguai son visage fin caché derrière quelques mèches brunes rebelles, et commençai à le reconnaître. Mes lèvres s'entrouvrirent de stupeur. Je n'arrivais pas à le croire.

Lui ? Ici ?

Il planta finalement ses yeux sombres dans les miens. Ce fut comme s'il pouvait lire entièrement dans mon esprit. Son regard ténébreux me fixait si profondément que j'en fus étourdie. Le temps se fit long. Je vacillai, impuissante, prête à m'effondrer, quand les bras vigoureux de Marco-san me soutinrent.

« Doucement Ace, elle est encore faible. Tu viens d'utiliser le haki là ?

— Pas vraiment. »

Il me dévisagea de nouveau, comme pour extraire mes moindres secrets.

« Yo, Nami. Ça faisait longtemps. »