JOUR NEUF
Depuis trois jours qu'ils avaient débarqué à Santorin, Jean avait eu le temps de se familiariser avec toutes les ruelles et tous les tournants de Fira, la capitale. Tout ici débordait : le soleil, les gens, les bâtiments, les musées, les restaurants… Il y avait de trop partout, mais c'était agréable, et Jean s'y sentait bien. Il avait enfin l'impression d'être en vacances. Il passa ces trois jours avec Eren, Sasha et Connie et les deux couples ne se quittèrent que pour rejoindre leurs cabines le soir venu, si bien que Jean en arriva à la conclusion que tant qu'ils étaient tous les quatre, les risques de se perdre ou bien de s'épuiser inutilement étaient réduits.
L'organisation de la croisière était réglée comme du papier à musique et ce soir-là était un soir particulier : pour leur dernière nuit à Santorin, on les emmenait voir un spectacle en plein centre-ville.
Tous les gens intéressés s'y rendirent à pied, et les quatre en firent partie, parce qu'ils avaient vraiment passé d'excellentes journées ici, ce qui était ironique considérant l'opinion que Jean en avait avant d'y poser les pieds.
Ils débouchèrent sur une large place où un théâtre faussement antique avait été construit. Après s'être installés sur les gradins de pierre, ils attendirent l'arrivée des artistes.
Eren, pour changer, ne tenait pas en place, et Jean avait abandonné l'idée de lui dire de se calmer. Au fond, il ne le faisait jamais vraiment et se contentait de lui lancer des regards en coin en espérant que le brun comprenne le message, mais ça ne fonctionnait jamais tout à fait, sans surprise. Et puis, ces derniers jours, sa compagnie s'était révélée plus souvent agréable que pénible. Après tout, Eren avait tout pour plaire, et ça Jean le savait depuis trop longtemps, bien qu'il ne s'attarde jamais sur le sujet et que jamais, jamais il n'en ferait part au principal concerné. Enfin, le jour où il en avait discuté avec Marco, ce dernier lui avait sorti une absurdité sans pareille telle que « oui, il y a que toi qui penses ça, et ça en dit long », mais ce n'était pas là le propos.
De toute façon, Jean avait plus ou moins effacé tout ce que Marco et lui s'étaient dit au sujet de Jaeger, autant pour sa santé mentale que pour oublier les bêtises qu'il avait pu entendre.
Alors que l'heure de début approchait, Eren se pencha sur lui et le coupa dans sa réflexion :
- J'ai envie d'aller faire pipi.
Jean retira instantanément tout ce qu'il venait de se dire.
- D'accord, se contenta-t-il de marmonner, parce que c'était hors de question qu'il l'accompagne et qu'il dérange l'entièreté de leur rangée autant pour l'aller que pour le retour.
Bien sûr, ce qui devait arriver arriva, et Jean l'accompagna et dérangea l'entièreté de leur rangée, au moins pour l'aller.
Ils traversèrent plusieurs rues avant de trouver une ruelle tranquille où Eren fit ce qu'il avait à faire. Jean tourna en rond au moins deux bonnes minutes avant que le brun ne réapparaisse devant lui.
- J'espère qu'on est pas allés trop loin, marmonna-t-il en revenant.
- Si on se perd, je te parle plus jamais.
- Quelle menace, dit le brun en levant les yeux au ciel. Ce serait un cadeau.
- C'est pas parce-que tu viens de pisser dans la rue comme un chien qu'il faut que t'aies un soudain gain de confiance en toi, hein ?
- J'ai toujours confiance en moi.
- C'est bien le problème, lança Jean en haussant les épaules.
Ils continuèrent à se chamailler sur quelques mètres encore, et puis des lumières bleues au bout de la rue leur firent plisser les yeux.
- Si c'est ce que je pense, marmonna le doré, je te jure que dès qu'on monte sur le bateau je te noie dans la piscine.
Après tout, c'est un déshonneur absolu de se noyer dans une piscine au-dessus de la mer.
- Chut, lui asséna Eren.
Quand ils s'approchèrent assez et qu'ils reconnurent pleinement les lumières de la police, Jean se jura promit croix de bois croix de fer qu'il accomplirait son maléfique dessein. Il essaya de se convaincre qu'il n'y avait rien de louche dans l'image qu'ils donnaient : deux jeunes gens en pleine forme qui se rendaient à un spectacle pas loin et qui sortaient d'une ruelle sombre et puante et inhabitée et-
Jean se rendit compte que si les flics étaient autant, c'était que le commissariat était au bout de la rue. Il se tourna vers Eren en le fusillant du regard.
- T'aurais pas pu choisir un meilleur endroit pour pisser, sérieux ?
- Pourquoi tu crois que tu m'accompagnes ? répondit Eren sur le même ton, et le fait qu'il était absolument sérieux fit que Jean se remit en question quelques secondes.
Ils étaient à quelques mètres à peine du rassemblement des forces de l'ordre quand une policière les repéra et s'approcha d'eux. Elle leur fit signe de s'arrêter. Des questions de routine sûrement, oui, rien de plus. Rien de plus. Ou peut-être que Jean tentait de se convaincre que non, il n'avait pas magiquement un sachet de drogue qui venait d'apparaître sur lui et qu'il n'avait aucun problème avec les figures d'autorités. Il se félicita aussi secrètement de ne pas avoir mis ses fausses converses.
Une fois là, la femme s'adressa à eux en grec, et les deux garçons se regardèrent comme si elle venait d'une autre planète. Le froncement de sourcils de la policière n'indiqua rien de bon et elle répéta plus lentement, et un peu plus fort. Eren prit la parole dans un anglais absolument approximatif qui ressembla un peu à « ze cho. For ze cho » et Jean n'eut jamais autant envie de littéralement disparaître. Bon, il ne faisait pas mieux, mais quand même, il y avait un minimum syndical.
Bien sûr, elle ne comprit rien et fit venir auprès d'elle une de ses collègues qui leur demanda leurs papiers. Le geste était assez universel.
Mais là n'était pas la question, n'est-ce pas ? Puisque la question était, à cet instant, « mais qui emmène des papiers sur lui pour aller à un spectacle pendant une croisière organisée en Grèce ? ». Sûrement pas Eren et Jean. Et sûrement absolument tous les autres habitants de la planète.
Ils se regardèrent, incapable d'imaginer la suite des événements, et Jean maudit Eren sur soixante-douze générations.
- T'inquiète, lui lança le brun, j'ai déjà été arrêté ! C'est pas le première fois, je m'en occupe !
Et ce fut là la dernière chose que Jean entendit sortir de la bouche d'Eren avant qu'on ne les invite à entrer dans le poste de police.
Ils ne furent pas menottés : tant mieux. Après avoir été assis à un bureau loin d'Eren, emmené auprès de quelqu'un d'autre, Jean tenta au moins sept fois d'appeler Connie et douze Sasha, avec qui il savait qu'il avait plus de chance, mais aucun des deux ne lui répondit : forcément, ils étaient en plein milieu du spectacle que lui était en train de rater parce que monsieur Eren avait décidé de pisser à deux pas d'un commissariat.
Jean tenta même l'un des numéros d'urgence que les employés de la croisière leur avait fait enregistrer à leur arrivée, mais tomba sur une messagerie vocale trop étrange pour qu'il réessaye. Il passa ensuite au moins vingt minutes à tenter d'expliquer à la policière en face de lui qu'il venait en vacances et que non, il n'était pas un voyageur clandestin. Il eut même droit à un papier et un stylo mais, même en prenant en compte ses talents de dessinateurs, le tout ressembla plus à une invasion pirate organisée qu'à une croisière touristique.
Communiquer sans discuter était épuisant, tout aussi épuisant que d'attendre qu'enfin l'un de ses deux amis daigne répondre. Et puis, Jean espérait surtout que quoiqu'Eren dise là-bas, il ne fasse pas de bêtises. Les derniers mots qu'il lui avait adressés avaient été tout sauf rassurants.
Il tenta de lui lancer un regard assez intimidant pour lui faire comprendre qu'il devait absolument se taire, mais bien sûr, le brun était trop occupé à agiter les mains en l'air en expliquant très certainement à la personne à côté de lui à quel point Santorin était une jolie île – ou bien en s'inventant des crimes qu'il n'avait pas fait. Au fond, les deux possibilités étaient inquiétantes.
Et puis, alors que Jean était à deux doigts d'abandonner tout envie de vivre, son téléphone vibra sur le bureau. Il attendit le signe de la policière pour décrocher, et puis porta l'appareil à son oreille :
- Hé, Sasha….
- Vous êtes où ? On vous a pas vu revenir ! C'est l'entracte là et c'était vraiment chouette, t'as vu le moment avec les chevaux ? J'espère qu'Eren t'a fait une vanne, parce-que franchement il y en avait un-
- On n'est pas revenus. On est à la police.
Il y eut un instant de flottement qui laissa Jean méditer sur sa grammaire mal en point. Eren avait décidément une influence terrible sur lui.
- Pardon ?
- Ouais. Il y a un commissariat pas loin, et Eren voulait faire ses trucs, et bref.
- Vous vous êtes fait arrêter parce qu'il a pissé dans la rue ?
L'amusement dans sa voix était difficile à rater, mais Jean passa outre : il n'avait pas le temps de s'indigner sur le manque de sollicitude de Sasha Braun qui regardait des vidéos terribles sur internet sans cligner des yeux – et non, il n'allait pas déterrer ses pauvres souvenirs enfermés sous clé pour en donner le titre.
- Pas exactement. On s'est pas exactement fait arrêter. Enfin bref, tu peux venir nous chercher et ramener un truc qui prouve qu'on est en croisière et pas des pirates clandestins venus pour mettre le feu au théâtre s'il te plaît ?
À ces mots, la policière leva un regard suspicieux des papiers qu'elle était en train d'examiner, et Jean se sentit mourir. Il lui adressa un sourire plein d'excuses en espérant que ça suffise à lui prouver que non, il n'avait pas des tendances incendiaires, et puis c'était quoi ces membres des forces de l'ordre qui comprenaient seulement les mots dangereux ?
Il attendit que Sasha arrête de rire à l'autre bout du fil, qu'elle raconte le tout à Connie et que Connie arrête de rire, et puis elle lui dit qu'elle arrivait et ça lui suffit pour raccrocher.
Il ne tenta pas de dire à la policière que ses amis arrivaient, parce que ce serait juste pousser sa chance et manquer de dire par erreur « arme à feu » ou « mort », alors il attendit en silence. Elle lui tendit un papier, et il en profita pour gagner du temps en mettant trois mille ans à le remplir. Enfin, les instructions étaient de toute façon en grec ou en anglais, et autant dire que le niveau de Jean dans ces deux langues n'était pas fameux.
Il espérait juste qu'Eren ne soit pas en train d'inventer des mots. Enfin bon, ce type était capable de retourner le cerveau de n'importe qui sans le savoir, et peut-être même qu'il était à deux doigts d'apprendre à tout ce poste de police comment faire un avion en papier.
Même Jean se laissait avoir, parfois.
Heureusement pour eux et la consommation en papier de commissariat, Connie et Sasha arrivèrent avant que la policière ne s'impatiente et expliquèrent la situation dans un anglais parfait en leur tendant leurs papiers d'identité et un truc concernant la croisière.
Le regard de la policière s'alluma et le sourire qui s'afficha sur ses lèvres ne plut pas du tout à Jean quand elle le désigna du doigt et puis le relia à Eren, à quelques mètres de là, par un fil invisible. Il fit semblant de ne pas avoir vu le clin d'œil qui suivit et se contenta de se lever avec un sourire gêné avant de rejoindre Sasha et Connie qui bien sûr, étaient morts de rire.
Eren ne tarda pas et ils se dirigèrent vers le lieu du spectacle qui était en train de se terminer.
- Ça va ?
Jean leva la tête vers le brun qui l'avait rattrapé pour marcher à sa hauteur, ne voulant sûrement pas être avec Connie et Sasha qui bien sûr ne se la fermait pas et ne le ferait sûrement jamais et leur rappellerait cette expérience jusqu'à la fin de leur vie.
- Ça aurait pu être pire, choisit de répondre Jean.
Il n'avait pas l'énergie de lui faire plus de reproches, et puis au fond, le duo infernal n'avait pas tort : c'était plutôt marrant.
Eren devait penser la même chose puisqu'il semblait retenir un sourire, alors le doré lui donna un léger coup dans l'épaule qui suffit pour le faire craquer. Et, il fallait le dire : Eren avait un très joli rire.
Après le fameux spectacle et en revenant sur le bateau, ils furent tous les deux tellement fatigués que s'endormir l'un contre l'autre leur parut le plus naturel du monde.
JOUR DIX
Jean tapota du bout des doigts sur la rambarde, attendant impatiemment qu'à l'autre bout du fil, Marco daigne arrêter de rire. Devant lui, le ciel s'assombrissait et l'eau reflétait déjà les couleurs du soir.
Quelle idée de l'avoir appelé : il s'était laissé aller et lui avait raconté toutes leurs aventures d sans écouter le cri de son intuition qui lui disait d'éviter de mentionner la police, ou les étoiles, ou même la randonnée du premier jour. C'était comme s'il savait qu'il y avait des choses à dire et des éléments qui donnaient matière à réfléchir. Les retranscrire à voix haute en écoutant régulièrement son meilleur ami retenir ses éclats de rire était tout de même un large indice supplémentaire.
- Donc tu pensais vraiment que c'était une bonne idée, au début, souffla Marco une fois qu'il fut à peu près calmé.
Jean grogna pour seule réponse, peu intéressé par la perspective d'une longue liste de justifications interminables et qui bien sûr, évoquait à un moment ou à un autre un tacos, ce qui garantissait un autre éclat de rire. Encore une fois, c'était presque comme s'il y avait matière à penser. Mais Jean n'y pensait pas, et Jean se concentrait sur les quelques jours qu'il lui restait. Après leur visite au commissariat de la dernière fois, il était pratiquement certain que rien de pire ne pouvait leur arriver. Pratiquement, parce qu'avec Eren, on ne pouvait jamais être sûr.
- Non mais plus sérieusement, reprit Marco, t'as jamais cherché à savoir pourquoi il a accepté de venir avec toi ?
- Pour aller en Grèce, très certainement.
- Accepter de se faire passer pour ton fiancé et accepter la perspective de passer plus de deux semaines non-stop avec toi, en plus de la nuit ? Je sais pas si tu t'en rends compte Jean, mais t'es pas exactement un cadeau. Il aurait dû voir ça comme un immense sacrifice et te le ramener à la figure toutes les deux minutes.
Les gens se trompaient quand ils disaient que Marco était le plus doux des deux. Et Jean n'était certes pas un cadeau, mais il faisait de son mieux. Parfois.
- Tu sais comment il est, marmonna le doré.
Il ne souhaitait qu'une seule et unique chose : qu'ils arrêtent de parler d'Eren Jaeger, parce-que déjà que le type passait sa vie avec lui sur une boîte de conserve coincée au milieu de la mer, si en plus il était au centre de toutes ses conversations, Jean allait finir par faire une overdose.
- Non, Jean. Non, je sais pas, mais toi visiblement oui alors s'il te plaît, éclaire ma lanterne.
Jean grogna un truc qui contenait sûrement un tas d'insultes avant de lâcher un long soupir. Il n'avait aucune envie de poursuivre dans cette direction, parce-que c'était plus ou moins admettre qu'il connaissait mieux Eren que Marco le connaissait, et même si en soit c'était absolument logique, ça le gênait. Allez savoir pourquoi.
- C'est juste qu'il a besoin d'être stimulé. Il passe d'un sujet à l'autre comme si c'était logique alors que c'est normal que sa réflexion suive pas. Aller en Grèce lui a plu, et il a pas réfléchi plus loin, et maintenant il s'éclate alors ça passe et il se pose pas de questions.
- Ouais, d'accord, marmonna Marco avec tout le scepticisme dont il était capable, et c'était quand même beaucoup. Mais tu devrais quand même lui demander.
- Je sais pas ce que tu cherches à prouver, Marco, mais ça marchera pas.
- Si tu sais pas, comment tu sais que ça marchera pas ?
- Va te faire foutre.
- Oui, c'est ce que tu dis quand t'as plus d'arguments. Allez, bisous. Amuse-toi bien avec ton fiancé.
Jean tenta de raccrocher sans lui retourner la faveur, mais c'était impossible. Il aurait dû le savoir : quoiqu'il fasse ou quoiqu'il dise, Marco avait toujours le dessus. Enfin, si l'amitié était une guerre, bien sûr.
- Ouais. Bisous.
Satisfait, son meilleur ami raccrocha, et lui se tourna vers le pont derrière lui. L'espace était complétement vidé de quinquagénaires dégoulinant, mais rien de plus normal : l'activité la plus attendue allait commencer. Jean ne savait pas vraiment ce que ça allait donner, mais un coup d'œil sur sa tenue ridicule le convainquit que puisqu'il avait enfilé ce costume, il pouvait au moins faire l'effort de danser cinq minutes à ce foutu bal.
Avec Eren, oui. Mais c'était un détail.
Jean ne tarda pas à trouver ses trois compagnons, bien sûr agglutinés au bar en l'attendant. Il avait essayé de repousser ce moment le plus possible, mais Marco n'avait pas feint d'être malade et d'avoir absolument besoin de lui toute la soirée et s'était en effet contenté de se moquer de lui.
Il commanda avant de se diriger vers eux et s'assura que quoique son verre contienne soit assez fort, puis laissa Eren lui sourire. Comment ce type pouvait-il être aussi enthousiaste même dans une situation pareille ? Et plus important, comment avait-il fait pour le convaincre de se ramener à cette activité pourrie ?
C'était sympa deux minutes, de danser, mais ajoutez-y le paramètre Jaeger et c'était déjà foutu.
- Il va bien Marco ?
Jean se contenta de hocher la tête et Sasha attira son attention en tapant dans ses mains.
- Bon, maintenant que t'es là, on y va ?
- T'es sûre que tu veux pas attendre un peu ?
- Attendre quoi ?
- Que je finisse mon verre, par exemple ?
- Cul sec, ça te décoincera un peu, lâcha Connie en faisant un geste dans sa direction.
Après quoi il présenta son bras à Sasha, trop princier pour ne pas donner envie à Jean de vomir, et tous les deux partirent en tourbillonnant dans la foule qui tournait au rythme d'une musique aux violons lents. Si au moins c'était la fameuse soirée des années 80, mais non, il fallait que ce soit un bal. Et puis ils ne jouaient même pas de vrais morceaux de musique classique, juste des suites de notes ridicules.
- On y va ?
- Tu veux vraiment danser ? marmonna Jean après avoir effectivement ingéré son verre d'une seule traite.
- Bah on est pas là pour se tourner les pouces, quand même.
Le doré leva les yeux au ciel et se sentit mourir quand Eren lui présenta son bras.
- Non mais quand même-
- Allez, ferme-là un peu.
Par miracle, Jean s'exécuta et finit par poser sa main sur le bras d'Eren. Le brun les tira sans ménagement jusqu'à ce qui était censé ressembler à une piste de danse et puis attrapa sa taille.
Jean inspira si violemment que son cavalier – sérieux, quel mot de merde – se sentit obligé de demander :
- Ça te va ?
Jean marmonna vaguement une onomatopée affirmative et puis posa ses mains sur les épaules d'Eren. Le flashback qui lui revint n'eut rien de plaisant : lui et Mikasa Ackerman à la fin de la classe verte de quatrième, dansant droits comme des piquets à dix centimètres l'un de l'autre. Il s'était toujours demandé si c'était cet instant fatidique qui avait décidé de leur orientation sexuelle à tous les deux.
Et dire qu'aujourd'hui il se retrouvait dans une situation identique avec son frère qui, il fallait le dire, lui avait cassé la figure à l'époque.
- C'est marrant, quand même, murmura Eren comme si toute la foule pouvait les entendre par-dessus la musique qui décidément ne s'arrêtait pas.
Jean en conclut qu'ils avaient en tête le même souvenir, et il se contenta d'hausser les épaules. Ce fut une erreur, puisque ça laissa de l'espace au brun pour qu'il reprenne :
- C'est mieux comme ça, en tout cas.
- Quand même, oui.
Parce-que le doré en avait conclu qu'il parlait de danser plutôt que de se faire frapper, il ne comprit pas vraiment l'origine de l'expression d'Eren qui changea pour de la surprise.
Au moins, ça eut le mérite de le faire taire. Mais ce n'était pas mieux, au final, parce-que là où la conversation permettait à Jean d'éviter de penser trop fort, le silence le ramenait à tout. Il le ramenait aux mains d'Eren, à leur chaleur, à la proximité de leurs corps qui était absolument de moins de dix centimètres, à ces yeux qui brillaient toujours de mille choses qu'il ne savait pas reconnaître et à cette odeur de gel douche offert par le bateau. Et Jean sentait sûrement pareil, mais il y avait quelque chose dans le fait que ça vienne d'Eren, quelque chose qui rendait le tout un milliard de fois plus floral et quelque peu pétillant.
Il évita son regard du mieux qu'il put et se concentra sur autre chose, comme par exemple les chaussures rouges de la madame qui dansait à côté de lui et qui n'allaient pas du tout avec sa robe orange. Et puis la madame aux chaussures rouges qui dansait à côté de lui se pencha sur son mari pour l'embrasser passionnément et Jean se souvint que c'était bien mieux de s'occuper de ses affaires.
- C'est pas si terrible, murmura Eren.
Plutôt que de le sortir de cette synesthésie infernale, Jean s'y sentit plonger plus encore, parce-que Dieu que sa voix était douce. Il sentit son rythme cardiaque s'accélérer et avant même qu'il n'implore son corps de le faire, il avait lâché les mains du brun.
- Je reviens.
Il traversa la salle et quand enfin il trouva l'air du pont, les embruns marins qu'il n'était plus censé sentir agressèrent ses pauvres narines et il faillit hurler. Il fallait quand même être un sacré connard pour abandonner quelqu'un sur une piste de danse.
Mais bien sûr, Eren n'en prit pas ombrage, et même qu'Eren le suivit à l'extérieur, rien que pour s'assurer qu'il allait bien.
Quand Jean sentit sa main sur son épaule, il se tourna vers lui et observa un instant son expression pleine d'inquiétude, incapable de dire autre chose que les mots qui lui brûlaient la langue et que jamais il n'oserait formuler.
Mais c'était vrai, à la fin. Pourquoi est-ce qu'Eren se comportait comme ça ? C'était quoi, le plan ? D'être le plus sympa possible pour que leur voyage se passe bien ? Ou est-ce que c'était juste la personne qu'il était devenu depuis le collège et qui était passée sous les yeux de Jean, trop préoccupé par lui-même ?
- Qu'est-ce qui va pas ?
Jean ne répondit pas, parce qu'il ne savait pas ce qu'il devait dire, et savait surtout ce qu'il ne devait pas dire. Et puis, par-dessus, Jean Kirschtein n'avait jamais été connu pour son courage légendaire. Et c'était là tout le contraire d'Eren, et les points sur lesquels ils s'opposaient ne faisaient que se multiplier dans son esprit.
En constatant qu'il ne répondait pas, Eren lâcha son épaule mais continua de le considérer du regard, comme si le fixer assez longtemps aller lui laisser accès à ses pensées. Peut-être que Jean aurait préféré. C'aurait quand même été bien plus pratique.
Il inspira.
- Je suis fatigué. Et il y a beaucoup de monde.
- Ok. Tu veux aller te coucher ?
Jean secoua la tête. Peut-être qu'il en faisait tout un plat pour rien. Enfin, c'était souvent sa spécialité de se plaindre à n'en plus pouvoir, mais là la situation était différente.
- Tu veux que je te laisse tout seul ?
La réalisation le dérangea avant qu'Eren ne termine de poser sa question. Non, non il ne voulait pas que le brun le laisse tout seul. Jean avait eu tant de mal à tout ranger dans des cases auxquelles il avait fait attention de ne plus jamais avoir accès, et maintenant toutes les portes s'ouvraient et tout remontait et que c'était lui qui coulait sous le poids de ce qu'il avait tenté de mettre de côté, ce qui au fond, puait quand même l'ironie.
- Non, finit-il par dire.
Il fut difficile de ne pas remarquer le soulagement sur le visage d'Eren, et les interrogations du doré se transformèrent en agacement. Mais Jean garda sa bouche résolument fermée.
Il était en vacances. Il était là pour s'amuser, et pas pour se prendre la tête sur des odeurs et un toucher particulier et le fait que son abruti de faux-fiancé était quand même sacrément beau. Il l'avait toujours su et ce n'était pas demain la veille qu'il allait faire quoique ce soit de cette information. L'enterrer avec toutes les autres semblait être une solution acceptable, et Jean se maudit de s'être laissé avoir par un trop-plein de sensations.
- C'est bon, marmonna-t-il. On y retourne.
Et cette fois, il était bien déterminé à ne pas trop y penser, et dans l'idéal, pas du tout.
Eren haussa les épaules derrière lui et puis ils retournèrent à l'intérieur. Cette fois-ci, ce fut Jean qui lui présenta son bras. Après avoir haussé un sourcil amusé, le brun s'en saisit et ils reprirent leurs mouvements.
Et Jean fit attention à ne pas penser à son odeur ou au bruit de sa respiration ou à la façon dont finalement, ils dansaient encore plus proches qu'avant.
Cette croisière allait avoir sa peau, si Eren ne l'avait pas avant.
Ils dansèrent assez longtemps pour que Jean ait des ampoules au bout des pieds, et ça lui alla parfaitement.
JOUR DOUZE
Après avoir passé une journée entière à se prélasser sur le bateau et au bord de la piscine pour se remettre du bal comme s'ils avaient eux aussi cinquante ans, Eren et Jean choisirent d'accompagner Sasha et Connie en promenade.
Ils avaient débarqué hier en début d'après-midi au port de Rhodes, et la réputation de cette ville la précédait. Eren d'ailleurs n'avait pas été capable de se taire et ne faisait que parler de ce fameux colosse, mais ça ne dérangeait pas Jean. Ça ne l'avait jamais dérangé, de toute façon.
Ainsi donc ils quittèrent leur boite de conserve gigantesque pour enfin découvrir l'île. Bien sûr, le paysage était magnifique, entre les bâtiments qui épousaient parfaitement les hauteurs et les arbres qui les décoraient discrètement.
Après de longues minutes de marche, ils arrivèrent tous les quatre à l'entrée d'un parc. On pouvait vaguement lire en anglais, en dessous de l'inscription grecque « Parc des papillons ».
Jean leva les yeux au ciel, mais décida pour une fois de ne pas faire de commentaire : les trois autres avaient vraiment l'air content. Ils firent quelque pas dans le parc, et il comprit alors pourquoi.
L'endroit était magnifique. Une allée dallée qui ensuite se fondait dans la terre les menait sur un sentier, et des arbres entouraient ce dernier de tous les côtés. On se serait presque cru en forêt. En plus de ça, la partie sur les papillons n'était pas un mensonge. Ils étaient partout, en colonie sur les feuilles ou bien regroupés en rangs d'oignons près d'une fleur, ou encore virevoltant dans tous les sens.
Jean avait bien fait de ne faire aucun commentaire, parce qu'il était lui-même émerveillé. Ils progressèrent sur le sentier, s'extasiant à chaque papillon ou groupe de papillon qu'ils voyaient, les faisant d'ailleurs souvent fuir. Enfin, c'était souvent Eren et ses grands gestes. Et Sasha, aussi. Et puis Connie, parfois.
Ils s'enfoncèrent plus profondément encore dans la forêt et trouvèrent un ruisseau minuscule, surplombé d'un pont qu'ils traversèrent en s'arrêtant toutes les trois secondes pour observer un nouveau papillon.
Et plus encore que le lieu et son esthétique, c'était l'ambiance qui donnait l'impression à Jean d'être enfin reposé. Il avait l'impression qu'enfin son esprit avait arrêté de tourner, et qu'ici, il était un peu hors du temps, et qu'il n'avait aucune facture à payer, et aucun bateau à retrouver. Peut-être que les autres partageaient aussi ce sentiment, mais il le voyait surtout dans le sourire d'Eren.
Eren d'ailleurs, qui n'arrêtait pas de lui montrer tous les papillons qu'il voyait, et qui commençait franchement à ressembler à un enfant de cinq ans. Mais Jean pouvait comprendre, et ça ne le dérangeait pas. Ça ne le dérangeait jamais, de toute façon.
Sans vraiment le vouloir, le doré se remémora toutes les fois où Eren s'était profondément intéressé à quelque chose et où la personne en face l'avait interrompu sans l'écouter. Et il pouvait comprendre, que ce soit ennuyeux ou embêtant, mais lui s'était promis juré craché de ne rien jamais faire pareil.
Et là aussi, il y avait sûrement quelque chose à approfondir, mais Jean retrouva ses clés et ses boîtes mentales et y enferma ses pensées.
Et puis, ils firent une pause sur un banc qui traînait pas loin, parce que sans vraiment le savoir, ils venaient de marcher trop longtemps sans se reposer.
Eren continua à s'extasier et préféra explorer les bois autour d'eux. Quelques instants plus tard, il revint et se planta devant Jean.
- Il faut que je te montre un truc.
- Montre-moi d'ici.
- Non, tu verras pas.
Le doré lança un regard à Sasha et Connie qui lui firent signe d'y aller, tous les deux de manière différente mais exagérée.
Il leva les yeux au ciel et s'exécuta, certain que ses amis cherchaient surtout un moment pour être tous les deux. Ils avaient une relation trop particulière pour que quiconque la comprenne, mais savoir qu'ils étaient là l'un pour l'autre suffisait.
Jean suivit Eren en faisant attention à ne pas trébucher sur les branches. Ils marchèrent de longues minutes, et au moment où le doré allait se plaindre, le brun s'arrêta devant un arbre particulier.
- Regarde.
Il avait murmuré, et c'était peut-être justifié : sur toutes les branches se tenaient des papillons qui couvraient chaque centimètre, si bien que le bois était à peine visible. Ils étaient tous de nuances différentes et leurs motifs qui ne s'accordaient pas faisaient tourner la tête.
Jean se laissa porter par la scène qui s'étalait sous ses yeux. Il pouvait entendre le cours d'eau derrière lui et rien ne semblait capable de déranger ces papillons qui lui offraient un tableau de couleur si varié qu'il en devenait resplendissant.
Quand il tourna la tête vers Eren, le brun le regardait lui. Jean déglutit trop fort pour que tous les papillons ne s'envolent pas d'un coup, mais à sa plus grande surprise, ils restèrent immobile. Et lui aussi, sans rien dire, regardant juste le brun comme si soudain, il n'y avait plus toutes ces couleurs incroyables en face de lui.
- C'est joli, finit par murmurer Eren si bas que Jean ne fut pas certain d'avoir bien entendu.
Il hocha la tête et puis se détacha enfin de son regard, et se rendit compte que son cœur battait bien trop vite pour quelqu'un qui restait debout planté sur un tapis de feuille. Il se racla doucement la gorge.
- Ouais.
Il faillit lui dire merci, et puis se souvint qu'il réservait ses mercis à Marco. Alors il reprit :
- On y retourne ?
Eren hocha la tête en lui tendant un sourire, et Jean ne sut pas s'il le rendait absurdement violent ou absurdement absent.
Il se ressaisit à l'aide d'une inspiration ridicule et déjà, le brun était sur le chemin du retour. Ils parvinrent sans mal à retrouver le banc sur lequel ils avaient abandonnés Sasha et Connie, mais en y arrivant, leurs deux amis n'y étaient pas.
Jean se souvint de l'existence de son téléphone et ses messages furent plus qu'informatifs :
- Ah, bon, commença-t-il. Ils sont allés chercher la boutique de souvenir parce-que Connie a vu un truc sur le site qu'il voulait absolument acheter dans l'immédiat. Génial.
Eren eut un rire presque moqueur et ils regardèrent autour d'eux, incertains.
Et bien sûr, le seul plan qu'ils avaient était entre les mains de Sasha. On aurait pu leur offrir les meilleurs outils pour se sortir de la pire des situations qu'ils n'auraient fait qu'aggraver les choses.
- Bon, on y va à l'instinct, hein.
Pour une fois, même Eren ne sonnait pas très convaincu. Ils dépassèrent le banc et continuèrent sur ce qui ressemblait plus ou moins au sentier. De toute façon, leurs options n'étaient pas si nombreuses et il leur fallait juste aller tout droit.
- Je commence à en avoir assez de me perdre avec toi, Jaeger.
- Faut croire que tu portes malheur.
- Tu me lances trop de fleurs, railla Jean en levant les yeux au ciel, qui d'ailleurs était tout aussi joli que les papillons.
Cet endroit était un véritable paradis.
- Je pense qu'ils ont fait exprès.
Le doré se tourna vers Eren en haussant un sourcil.
- De nous laisser ?
- Ouais.
- Pourquoi ils feraient exprès de nous laisser ?
Enfin, de toute évidence, c'était ce qu'il s'était passé mais Eren semblait presque laisser entendre que c'était prémédité. Et pourtant, ce dernier ne répondit pas vraiment et se contenta de hausser les épaules, alors qu'il n'haussait jamais les épaules, ce qui eut pour effet de faire grimacer Jean qui commençait à en avoir assez de toutes les questions qu'il avait et auxquelles on ne répondait jamais.
Mais au fond, ce n'était pas si grave, parce qu'il avait vu de très jolis papillons, et qu'il était en vacances, et que sa résolution d'arrêter de s'arrêter sur des choses inutiles fonctionnait comme elle le devait.
Au bout d'une dizaine de minutes cependant, le chemin commença à se faire long pour un parc, et à moins qu'il ait triplé de volume depuis qu'ils y étaient entrés, Jean n'était plus certain que ce soit normal.
- Tu veux pas qu'on les appelle ? marmonna-t-il en sentant sa bonne humeur descendre comme une flèche.
Mais Eren était un aventurier.
- Pas besoin, on a juste à suivre le chemin encore un petit peu plus longtemps. Tu sais que si on se fait la conversation ça passera au moins sept fois plus vite ?
- Mais on parle.
Des insultes à demi-mots par-ci et des vannes à peine drôles par là. C'était suffisant, non ? Parce-que Jean savait que s'ils commençaient à parler parler, il n'allait pas aimer le résultat.
- Ok, on fait un jeu alors.
- Dis-moi, répondit le doré qui se méfiait de toute son âme des fausses bonnes idées de son faux fiancé.
- Je te pose des questions sur moi et tu dois me répondre.
- Non.
- Pourquoi ?
- Parce-que j'ai plus quatorze ans.
- Ah, désolé, je pensais.
Jean le fusilla du regard ou bien leva les yeux au ciel. À ce stade, il ne pouvait plus vraiment dire.
- T'as pas un autre jeu ?
Il abandonna un peu de terrain parce qu'au fond, Eren n'avait pas tort.
- Non, j'ai vraiment envie d'essayer celui-là.
Même Mikasa ne pouvait pas le faire changer d'avis, alors c'était inutile que Jean essaye.
- Ok, mais alors on fait l'inverse.
Eren eut un sourire étrange et le doré eut l'impression bizarre qu'il était tombé dans un piège.
- D'accord !
Il y eut quelques secondes de silence durant lesquels Jean réfléchit à la question la plus difficile qu'il pouvait lui poser. Déjà, rien sur les films, parce-que c'était avec Eren qu'il en discutait. Rien sur ses goûts non plus parce qu'ils avaient passé assez de temps ensemble depuis le collège pour qu'ils les apprennent mutuellement sans vraiment le vouloir. Il fallait que ce soit un secret, quelque chose que seul Marco savait.
- Ah, j'en ai une. La première fille que j'ai embrassée.
Eren eut un rire qui ne présagea rien de bon.
- C'est un piège. T'as pas embrassé de fille de toute ta vie, et le premier c'était Reiner à une soirée au lycée.
Jena haussa les sourcils et sans pouvoir retenir la question, demanda :
- Comment tu sais ?
- Tu me l'as dit, dit-il en haussant les sourcils comme si ce n'était absolument rien alors que c'était incroyablement dérangeant.
- Quand ça ?
Jean se faisait méfiant, maintenant, parce qu'il était certain qu'il n'avait partagé ses secrets sur sa vie amoureuse qu'à Marco – et encore.
- Une fois où t'as dormi dans mon lit.
- Je te demande pardon ?
Jean savait très bien de quoi il parlait. Il fallait juste qu'il garde la face.
- Tu sais très bien de quoi je parle.
Le doré leva les yeux au ciel. Le souci était que bien sûr, il avait dû dire un nombre incalculable de choses à Eren les fois où ils s'étaient retrouvés à dormir ensemble après une soirée trop arrosée, mais il ne s'en souvenait pas. Il n'avait donc aucun moyen de gagner à ce jeu, puisque oui, il fallait que ce soit à propos du jeu et de sa victoire assurée.
- Ok, j'en ai une autre alors. Mon livre préféré.
C'était étrange, à bien y réfléchir : Eren avait fait des études littéraires et pourtant, ils n'avaient jamais discuté de leurs œuvres favorites en dehors du cinéma. En soit, ils critiquaient surtout les autres.
- Celui que t'emmènes partout avec toi.
- Trop facile. Donne le titre.
- L'île au trésor. Ce qui est assez ironique, si tu veux mon avis.
- Je le veux pas, donc non merci.
Eren eut un rictus, mais surtout, Eren eut bien raison. Et Jean n'avait posé que deux questions et pourtant, il commençait déjà à être à cours de cartes pièges impossibles à contourner.
- Et toi ? demanda-t-il alors, parce qu'il décida de gagner du temps avec ce qu'il avait.
- Mon livre préféré ?
- Ouais.
- C'est Les Trois Mousquetaires.
- Ha, se moqua un peu Jean, avant de se rendre compte qu'il le savait déjà. C'est assez ironique, si tu veux mon avis.
Eren leva les yeux au ciel.
- T'as une autre question au lieu de dire des bêtises ?
Autour d'eux, le vent s'était rafraichi et semblait accompagner le soleil qui se faisait de plus en plus tapant. Heureusement, les arbres étaient toujours nombreux autour d'eux et leur ombre était un cadeau à ne pas refuser.
- Laisse-moi réfléchir.
Ils se turent un instant, et puis Jean reprit :
- Ok, alors dis-moi un secret.
- Un secret sur toi ?
- Ouais. Apparemment tu sais déjà tout.
Eren savait déjà tout, et Jean fit attention à ne pas se laisser avoir par les mouvements de son estomac. De un, les papillons étaient censés être à l'extérieur, de deux, c'était ridicule et de trois, il avait cette citation qui lui collait à la peau depuis maintenant trente secondes et qu'il voulait surtout oublier et qui disait « être connu, c'est être aimé ».
- Un secret…. Ok, alors j'en ai plusieurs.
Jean le fusilla du regard.
- Choisis-en un. Connard.
Pour la forme.
- Ton rêve c'est d'écrire un film. Sauf qu'en fait t'aimerais d'abord écrire un livre qui soit tellement connu que tu puisses l'adapter au cinéma, et une fois que ce sera fait t'iras rencontrer les producteurs et tu leur mettras ton diplôme de ciné sous le nez.
- C'est ultra putain de spécifique.
- C'est toi qui me l'as dit comme ça.
D'accord, peut-être que ça, ça lui disait quelque chose, mais quand même.
- T'as noté mot pour mot tout ce que j'ai dit ou quoi ?
C'était la question à ne pas poser, parce qu'Eren détourna le regard sûrement sans le vouloir. Jean eut tout de même le temps de le voir rougir et ça lui donna envie de s'en aller très vite et très loin, ou peut-être de rester là rien que pour voir la suite.
- T'inquiète, finit-il par dire en lui donnant un léger coup d'épaule, je sais que j'ai beaucoup d'admirateurs secrets.
Eren leva les yeux au ciel mais sa gêne ne semblait pas avoir disparu, et Jean comprit qu'il essayait de dire quelque chose. En revanche, il n'était pas certain de vouloir l'entendre.
- C'est juste que… C'est plus facile de retenir quand tu parles de trucs qui te passionnent.
Jean lui aurait arraché la tête.
- D'accord.
- Enfin-
- Oui, d'accord, annonça Jean en agitant sa main devant Eren pour s'il vous plaît le faire taire.
Il y avait beaucoup de choses dont le brun n'avait pas conscience, et l'une d'entre elle était l'espace personnel mental auquel Jean tenait avec force et qui consistait simplement en ne rien dire qui s'approche de trop près d'une discussion sentimentale, et ça incluait les compliments.
Jean vomissait les compliments. C'était certainement parce qu'il était incapable d'en donner lui-même, mais ça le rendait tout drôle et soudain son estomac se transformait en bouillie et il se sentait le pouvoir de déplacer des montagnes et ça lui donnait envie de crever.
Quand ils venaient d'Eren, c'était encore pire. Et bien sûr, il pourrait y réfléchir s'il en avait envie, mais si déjà les compliments ordinaires lui donnaient envie de se casser une jambe dans les escaliers, il n'allait pas risquer de s'aventurer autour de ceux-là.
- Tu veux essayer ? demanda alors Eren, l'arrachant à son train de pensée qui devait sûrement se matérialiser en fumée noire au-dessus de sa tête.
- Que toi tu me poses des questions sur toi ?
- Ouais.
- Je sais déjà tout.
Au fond, ça n'avait rien de présomptueux : Jean aimait à penser qu'il en savait beaucoup sur Eren. Même s'ils n'étaient pas ensemble toutes les heures de tous les jours ou qu'il pouvait se passer parfois deux semaines sans qu'ils ne s'adressent la parole, ils avaient eu bon nombre de discussions signifiantes (certes, sous alcool, mais signifiantes quand même, et Jean avait beau ne pas se souvenir de ce que lui avait dit s'il ne creusait pas un peu, il avait encore en tête les confessions d'Eren). Et puis, le doré avait toujours su réagir comme il le fallait, et c'était vers lui qu'Eren allait quand il avait envie de casser la gueule à quelqu'un ou qu'il se sentait blessé mais ne savait pas comment le formuler.
Tout était si naturel avec lui, si logique et censé que c'était pour ça que ces derniers jours semblaient autant irréels. Passer tant de temps avec Eren ne l'avait pas dérangé, et même s'il y avait trouvé des mécanismes nouveaux et n'avait toujours pas de réponses quant à son comportement parfois un peu trop rempli de sollicitude, il restait un repère.
Et maintenant, Jean avait envie de vomir, et il n'avait même pas entendu la réponse du brun.
- Quoi ?
- Je disais, reprit Eren, que c'est pas faux.
C'était encore pire. Jean aurait préféré qu'il proteste.
- J'en sais plus que Mikasa ?
C'était enfantin et ridicule, mais le fait qu'Eren y réfléchisse quelques secondes le fit grimacer. En s'en rendant compte, il pria pour glisser et se fouler la cheville.
- C'est différent, finit par articuler Eren, comme s'il était prudent.
- C'est-à-dire ?
- C'est-à-dire qu'elle sait beaucoup parce qu'on a grandi ensemble, des trucs que je pense pas à dire parce-que ça me parait pas important, mais toi… Toi tu sais tout ce que j'ai à raconter.
Jean masqua sa gêne sous un rictus et s'accrocha à la pensée qui s'imposa à lui et lui sauva la vie :
- C'est même pas vrai. Je sais même pas pourquoi tu t'es déjà fait arrêté.
- Ah ça, marmonna Eren, c'est un truc que j'ai dit sur le moment.
- Menteur.
- Je te dirai un jour.
- Je peux deviner ?
- Non.
- Mikasa sait ?
- Non.
- Et Armin ?
- Non plus.
- Quelqu'un ?
- Personne.
- Bon, ça va alors.
Eren lui lança un regard en coin. Ils s'étaient tous les deux naturellement arrêtés pour leur jeu de tennis de table oral ridicule, et maintenant aucun ne voulait reprendre la marche, parce-que soudain avancer était devenu synonyme de défaite.
Ils étaient bien trop proches au goût de Jean dont les poils se hérissaient déjà. Quand il posa son regard dans le sien, il fut facile de comprendre qu'il n'y avait que lui qui voyait ça comme une guerre silencieuse, et qu'Eren n'avait pas du tout l'air de penser à ça.
Jean sentit son estomac faire un bond si grand qu'il remonta dans sa gorge ou bien redescendit dans ses chaussettes, il ne sut dire. La porte qu'il tentait en vain de garder fermée était à deux doigts de s'ouvrir et de laisser s'échapper tout ce qu'il y avait entreposé, et qu'il meure sur le champ si les yeux d'Eren n'irradiaient pas d'une chaleur surnaturelle.
Il l'aurait presque embrassé.
La pensée elle-même faillit le faire reculer et il se ressaisit bien vite, rompant le contact visuel en jurant.
- Allez, sinon on va rater le bateau, râla-t-il.
- N'importe quoi.
Il put presque l'entendre sourire.
Et lui n'avait même pas envie de vomir. Ou alors, c'était différent, et tout aussi violent, mais étrangement doux sur les côtés.
Ils n'étaient plus très loin de la sortie et, environ dix minutes plus tard, débouchèrent sur une place ronde dallée au milieu de laquelle trônait une fontaine. Fontaine sur laquelle se trouvaient Connie et Sasha, et si Jean ne savait pas mieux, il aurait été persuadé qu'ils étaient en couples.
Ils les rejoignirent et avant qu'ils ne soient assez près pour ouvrir la bouche, Connie fit un signe en direction d'un groupe derrière eux. Jean comprit alors leur proximité et grimaça : c'était bien sûr d'autres croisiéristes. On les reconnaissait à beaucoup de choses, mais surtout à leur âge et leur mièvrerie incroyable.
Et pourtant, Jean se pencha sur Eren, et entrelaça ses doigts avec les siens, comme s'ils s'étaient tenu la main pour toute la durée de leur balade. Et étrangement, ça ne lui donna pas autant envie de disparaître que d'habitude.
JOUR TREIZE
Jean ne fit cette fois-ci aucun effort vestimentaire. Il avait déjà donné pour le bal, et maintenant que c'était la fameuse soirée des années 80, ne comptait pas se surpasser. Bien sûr, Eren en avait fait des caisses, mais au moins ils se contrebalançaient. Ils arrivèrent bien après le début de l'activité, si on pouvait toujours appeler une soirée alcoolisée ainsi (au moins pour sauver les apparences), et Sasha était à blâmer : elle avait insisté pour qu'ils prennent des photos tous les quatre, histoire d'immortaliser un instant que pourtant, ils n'oublieront pas.
Jean en savait quelque chose.
Quand ils pénétrèrent dans la salle, elle était plus remplie encore que durant la soirée du bal. Au bar, Jean retrouva la madame aux cheveux bruns et s'attarda cette-fois sur son prénom : Ymir. Il fit un effort pour le retenir avant de se reconcentrer sur son verre, bien décidé ce soir à profiter et à, comme disaient les jeunes, se mettre une murge.
Eren était dans la même optique, apparemment, et Sasha et Connie aussi et c'était tant mieux. Ils gravitèrent autour du bar une heure au moins, essayant tous les cocktails de la carte. C'était leur avant-dernière soirée alors, ils pouvaient au moins en profiter.
Ils avaient passé une superbe dernière journée en Crète et même la randonnée assez longue qu'ils avaient faite avait été agréable. Il était donc temps de fêter ces vacances qui, pour la plus grande partie, avait été une large réussite.
Pour la plus grande partie, parce qu'au fond, Jean repartait avec plus de questions que lorsqu'il était arrivé. Mais tant qu'il les mettait de côté, tout allait bien.
Une fois qu'il sentit ses appuis se faire mousseux, mais pas assez pour qu'il perde le contrôle, il se dirigea sur la fameuse piste de danse.
Au moment où il allait traverser la foule qui tout de même, était nombreuse, il faillit rentrer dans une employée du bateau. Il la reconnut non seulement grâce à son uniforme, mais aussi à ses cheveux blonds.
- Christa ?
Il faillit plaquer ses mains sur sa bouche quand le prénom lui échappa. Finalement, il l'avait retenu sans le savoir. Comme quoi, quand il disait au gens qu'il avait un esprit génial, il ne mentait pas.
Elle lui adressa un regard surpris avant de sembler se souvenir que son prénom était écrit sur son badge, et lui adressa un sourire poli, sûrement celui qu'elle réservait à tous les clients qui lui adressaient la parole avec autant de familière.
- Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?
Jean se sentit bête, et il eut sûrement raison.
- Désolé, se reprit-il en se raclant la gorge et en se demandant où était Eren. C'est juste que je vous ai vue au musée la dernière fois et voilà.
- Et voilà, reprit la blonde avec un sourire plutôt amusé cette fois.
Jean ouvrit la bouche mais fut interrompu par une main qui se glissa sur sa taille. Si au début elle le fit se tendre, il reconnut à sa chaleur que ce n'était qu'Eren. Un éclair de reconnaissance passa sur le visage de Christa et elle eut cette fois-ci un véritable sourire :
- C'est vous !
Eren et Jean la regardèrent incrédules et elle poursuivit sans attendre de réponse cette-fois :
- Bon, je dois filer mais, moi aussi. Et ça me fait plaisir de vous rencontrer. Alors à la prochaine !
Jean la regarda se faufiler dans la foule et se tourna vers Eren qui haussa les épaules.
- Oh, les décorations sur la porte de la chambre.
- Oooh, elle a dit moi aussi.
Jean hocha solennellement la tête et se pencha sur Eren pour chuchoter contre son oreille.
- Et même que je pense savoir qui c'est, sa copine.
- La barmaid, ouais.
Jean eut envie de l'étriper, mais comme sa main était agréable et qu'elle n'avait toujours pas bougé, il n'esquissa pas un geste. Il se sentait un peu fondre mais faisait de son mieux pour rester de marbre, alors que tous ses organes s'agitaient dans tous les sens en criant à l'alerte rouge.
- Comment tu sais ?
- Je sais, c'est tout.
- T'as un super-gay-sens ?
- Allez, ferme-là un peu.
Jean protesta à demi-mots que c'était lui qui devait dire ça, et puis Eren le lâcha et il se sentit mourir de se sentir mourir.
Il le suivit jusqu'au bar parce qu'au fond, l'envie de danser lui était passée, et se promit que c'était son dernier verre.
Il dut observer Ymir avec trop d'insistance, parce-que quand elle vint le servir, elle haussa un sourcil et s'écarta un peu de leur discussion habituelle qui se résumait à un « je vous sers ? » et puis à n'importe quel nom de boisson que Jean trouvait assez drôle sur la carte.
- Je peux faire quelque chose pour vous ?
Jean retint son rictus.
- Non, enfin, un Americano s'il vous plaît.
Elle hocha la tête et Eren posa son coude sur le bar à côté de lui.
- T'es déjà fatigué ?
- Non, mais j'ai perdu Connie et Sasha.
Jean souffla du nez.
- Je vais finir par croire qu'ils couchent vraiment ensemble.
Le sourire d'Eren ne présagea rien de bon.
- Peut-être que c'est ce qui arrive indéniablement aux faux fiancés.
Heureusement que Jean n'avait pas déjà son Americano, parce-que sinon il se serait étouffé avec la moitié et aurait renversé l'autre sur la tête de Jaeger.
- Mais ça va pas ?
- Je rigole, je rigole !
Eren s'amusait bien trop pour un mec aux vannes aussi nulles. Jean le fusilla du regard comme s'il le pensait vraiment et qu'il n'essayait pas petit à petit de se reconstruire une âme en paix après avoir entendu un truc pareil, et puis se reconcentra sur Ymir qui avait soufflé du nez, ayant entendu leur conversation.
Ymir. Qui avait entendu leur conversation. Ymir, l'employée du bateau, qui avait entendu leur conversation sur le pourquoi du comment ils avaient largement triché.
Jean se redressa droit comme un piquet et asséna son meilleur coup de pied à Eren qui fit de même. Peu importe le nombre d'alcool qu'il avait ingéré, il venait de désaouler aussi vite que si on lui avait annoncé sa mort imminente.
Ils échangèrent à peine un regard paniqué avant d'entendre son rire qui résonna comme tous les rires machiavéliques de méchant, et Jean grimaça en insultant mentalement Eren un milliard de fois et en espérant qu'il n'allait pas devoir l'embrasser en gage de sa bonne foi. Enfin, l'idée ne le rebutait plus autant qu'avant, mais là n'était pas le sujet et surtout pas maintenant.
Il se racla la gorge et se prépara à enfiler sa veste de meilleur orateur, celle qui un jour lui avait donné envie d'être avocat. Avant qu'il ne puisse ouvrir la bouche cependant, Ymir s'en chargea :
- C'est Christa qui va être déçue.
Jean fit le lien et bien sûr, elle parlait de sa copine. Il ne sut ce qu'il devait répondre et ne put s'empêcher de remarquer qu'en comparaison avec la blonde, elle avait une voix bien plus grave et tout son corps semblait couvert de tatouages de toutes les tailles et de toutes les formes.
- Si vous nous dénoncez-
Jean plaqua bien vite sa main sur la bouche d'Eren qui avait hurlé pour tenter de se faire entendre par-dessus la musique, et puis aussi parce qu'il était pratiquement certain qu'il allait dire une grosse connerie. Dans ce genre de cas, mieux valait être docile que rebelle, bien que le brun ait encore parfois du mal à comprendre le concept.
- T'inquiète, sourit Ymir, ça n'arrivera pas.
Jean le lâcha en soupirant de soulagement, et ouvrit la bouche pour la remercier avant de se souvenir qu'il réservait ses mercis à Marco. Il pouvait d'ailleurs presque entendre sa voix qui l'insultait quelque part dans un coin de sa tête.
- Cool, soupira-t-il plutôt.
- Dis-nous un secret en échange alors, lança Eren qui avait gardé son expression menaçante.
Il fusilla Jean du regard quand ce dernier lui asséna une légère tape derrière la tête, mais au fond, lui aussi était curieux. Ymir trimballait une aura tellement…barmaidesque qu'il avait bien envie d'en savoir plus. Et puis, sa relation avec Christa avait également de quoi être intrigante.
Elle haussa les épaules.
- J'ai pas de secrets, mais je vous dénoncerai pas. Je suis payée comme de la merde et le patron est un gros nul.
- Ok, alors on lui casse la gueule, lança Eren.
- Ta gueule, Eren, tu dis n'importe quoi.
- Eren et Jean alors, hein ?
Ils se tournèrent tous les deux vers Ymir.
- C'est ça, marmonna Jean.
Il ne savait pas s'il était heureux d'être célèbre ou triste parce qu'il était célèbre avec le nom d'Eren collé au sien.
Ymir poussa naturellement son Americano devant lui, comme s'ils n'étaient pas au plein milieu d'une conversation, et le doré fit un effort pour ne pas l'avaler cul sec.
- Vous vous êtes rencontrées sur le bateau ? finit-il par demander.
Ymir haussa un sourcil, et puis eut un rictus qui n'avait rien de rassurant, mais de toute façon rien chez elle n'était rassurant.
- Non, on s'est fait engager ensemble.
Jean hocha vaguement la tête, prétendant avoir compris tous les sous-entendus qu'elle sembla avoir mis dans sa phrase.
- Merci, finit par lui dire Eren, puisque lui au moins avait la capacité physique d'être poli.
Ymir leur adressa un hochement de tête complice et son regard se posa un peu plus longtemps sur Jean, comme si elle essayait de lui faire passer un message télépathique. Le doré n'était pas sûr de vouloir en connaître le contenu.
Elle fut ensuite appelée ailleurs pour servir un autre client, et Eren poussa un soupir de soulagement.
- Tu me dois trente milliards d'excuses, asséna Jean en grognant.
- Tais-toi, Jean.
Mais c'était suffisant.
Heureusement pour eux, la crise était passée, et la soirée continuait comme si de rien n'était, et de toute façon ils étaient arrivés dans deux jours.
Arrivés dans deux jours comme s'ils n'avaient jamais vécu ça, et Jean osa se demander si Eren allait lui manquer. Il le verrait après, oui, c'était certain, mais plus aussi souvent. Il poursuivit sa réflexion en surpassant son envie de s'éclater la tête contre le bar et au fond, la présence d'Eren était devenu agréable.
Il n'avait jamais ressenti l'envie d'avoir un corps à côté de lui toutes les heures de tous les jours, et encore moins un type à part entière qui parlait tout le temps et n'avait aucun sens du rangement et était à proprement parler un désastre sur pattes, mais il commençait à se faire sentir, et il fut bien incapable de l'interpréter. C'était ça, de remettre toutes ses réflexions à plus tard.
Et puis, Eren faisait des efforts. Il avait fait des efforts pour arrêter de se mettre en colère, faisait des efforts pour faire attention à ce que les gens disaient et pour ranger sa chambre quand il avait des invités, pour ne pas trop parler pendant les films et pour garder ses questions à la fin d'une discussion. Et Jean le savait, et il savait aussi à quel point c'était un effort du quotidien.
- Tu m'énerves.
Eren leva les yeux de son verre vide et lui tendit un sourire.
- Oui, toi aussi tu m'énerves Jean.
- Arrête de dire mon prénom comme ça.
- Comment ?
- Comme ça.
- Jean ?
- Je t'emmerde, Eren.
- Ouais, c'est ça.
Sur ces mots, ils retournèrent danser, retrouvèrent Sasha et Connie au milieu de la foule et Jean passa une excellente soirée.
Jean bailla contre son téléphone sans faire attention à son interlocuteur, mais heureusement, Marco ne s'indigna pas. Il était tard de toute façon, et il ne savait pas ce qu'il lui avait pris de l'appeler après la soirée. Il avait les jambes en compote et le cerveau qui tournait à deux à l'heure, et peut-être que c'était ça qui l'avait poussé à chercher la présence de son meilleur ami.
- Tu vas dormir ?
- Ouais, je vais pas tarder, marmonna le doré.
Ils venaient de passer une demi-heure au téléphone et Jean cette fois n'avait pas hésité à lui raconter en long, en large et en travers comment sa journée s'était déroulée. Il n'avait même pas évité le sujet Eren, même s'il avait refusé absolument tout commentaire de la part de Marco.
- Bonne nuit, alors. Et fais-lui des câlins de ma part.
- Je vais te casser les dents quand on se rever-
Il n'eut pas le temps de finir : Marco avait déjà raccroché.
Jean soupira en rangeant son téléphone dans sa poche. Il ne prit pas la peine de regarder la notification qu'il venait de recevoir, parce-que c'était sûrement Marco qui lui disait « bisou ». Il se laissa simplement pendre un instant contre la rambarde.
- C'est qui que t'insultes comme ça ?
La voix le fit sursauter et il faillit trébucher avant de la reconnaître : Ymir s'était déplacée en silence juste à côté de lui et était en train de s'allumer une clope.
- Tu m'as fait peur putain.
Visiblement, ils avaient jeté la politesse aux toilettes depuis tout à l'heure. De toute façon, ils semblaient avoir le même âge.
- Désolée, annonça Ymir qui n'était absolument pas désolée.
Elle s'accouda elle aussi à la rambarde, sa cigarette maintenant allumée coincée entre les doigts.
La faible lumière du bâton de nicotine se reflétait légèrement sur la mer et Jean s'y perdit.
- Pas grave, marmonna-t-il.
- C'est marrant quand même, parce-que si j'avais pas entendu votre conversation, j'aurais vraiment cru que vous étiez ensemble.
Jean grimaça et évita de penser trop fort à l'image qu'Eren et lui renvoyaient, parce qu'il en aurait presque rougi.
- Ah ouais ?
Il avait grommelé, incapable de poursuivre sur ce sujet. Mais Ymir elle, semblait bien déterminée à en discuter :
- Ouais, carrément. La façon dont vous vous comportez, c'est bien plus marrant à observer que celle de tous les autres vieux.
Jean était trop d'accord pour ne pas hocher la tête.
- C'est pas faux. Mais bon, maintenant tu comprends pourquoi.
- Et il y a vraiment rien entre vous ?
Pourquoi tout le monde s'acharnait donc à vouloir le faire réfléchir ?
- Non rien du tout.
Même Ymir, qui lui parlait depuis trente secondes, se rendit compte que la conviction dans sa voix frôlait dangereusement le zéro pourcent.
- Ouais, d'accord, ricana-t-elle.
Jean s'en serait presque sentit blessé si lui-même n'avait pas une aussi basse opinion de cette affaire.
- Et toi et Christa alors ?
Tout dans l'attitude de la brune sembla se détendre instantanément, et même son souffle se fit plus régulier lorsqu'elle laissa s'échapper quelques brins de fumée.
- Ouais, moi et Christa. J'y croyais pas tellement, mais ouais.
Jean sentait bien que s'ils avaient quelques heures d'amitié supplémentaire derrière eux, elle en aurait sûrement dit plus. Il regretta un peu de ne pas lui avoir adressé la parole plus tôt et se tourna vers elle.
- Tu fais de la musique ?
Elle haussa un sourcil.
- Ouais ?
Jean tendit le doigt vers l'un de ses tatouages en forme de guitare qui trônait le long de son poignet.
- D'accord, concéda-t-elle, c'est pas le plus discret. Mais ouais, du coup.
- Cool. Tu me donnerais des cours ?
Ymir eut un souffle amusé et arrivée à la moitié de sa cigarette, l'éteignit avec soin et la mit dans sa poche.
- Ouais, si tu payes.
- Mon lourd portefeuille dit que ce sera possible.
- Eh bien, reviens me voir demain et je donnerai mon numéro à ton lourd portefeuille.
- On fait ça.
Il esquissa un sourire et la regarda s'éloigner.
- Et dis-lui ! s'exclama-t-elle au milieu du pont.
Jean grogna et leva les yeux au ciel. Il resta un instant appuyé à la rambarde, à ruminer des pensées dont il ne voulait pas, à se souvenir qu'il ne restait que deux jours et qu'Eren lui manquait déjà, et puis il retourna lui aussi dans sa cabine.
JOUR QUINZE
Jean posa un premier pied sur le sol de l'aéroport et faillit hurler de soulagement en constatant qu'il ne tanguait pas. Derrière lui, les trois autres partaient déjà récupérer leurs affaires.
Revenir à la terre ferme avait été une sensation étrange, mais revenir dans ce pays qui n'avait rien de grec plus encore. Jean avait déjà l'impression que les pierres blanches et les volets bleus étaient loin derrière lui, alors qu'il les touchait encore du doigt il y a deux jours.
Une fois qu'ils quittèrent tous les quatre l'aéroport, ils montèrent dans la voiture de Connie qui soupira de soulagement une fois au volant.
- Kirschtein, on commence par toi ? lança-t-il au concerné en lui jetant un coup d'œil par le rétroviseur.
- Dieu merci, oui.
Il n'avait qu'une hâte : retrouver la chaleur de son canapé. Même ses volets qui grinçaient s'il ne tordait pas le poignet d'une certaine manière lui avaient manqué.
Une fois que la voiture démarra, le doré eut un regard en direction d'Eren qui lui, fixait résolument par la fenêtre comme si soudain la sortie du parking de l'aéroport était la chose la plus passionnante de la planète. Et c'était difficile, de ne pas faire pareil, et de juste laisser tout ça derrière lui.
Il avait passé plus de deux semaines avec lui et il aurait dû en avoir marre, alors il avait du mal à comprendre d'où venait l'urgence de lui dire un truc qui ressemblait un peu à « hé, Jaeger, tu veux venir chez moi alors que je suis sûr que t'es juste en train de penser à combien tu veux t'éloigner de moi pour toujours ? ».
Enfin, en vérité, il comprenait absolument cette envie et savait parfaitement d'où elle venait, mais parce qu'il avait à peine formulé ce qu'il ressentait en son for intérieur, il se voyait mal en faire un discours.
Un mouvement attira alors son regard qu'il avait vainement tenté de garder résolument sur le siège de Sasha devant lui. Eren cherchait quelque chose dans son sac sans grande conviction, et s'arrêta en se rendant compte que Jean le regardait.
- Hé, Jean. Je crois que j'ai mélangé un peu de mes affaires avec les tiennes.
Le doré se sentit mourir tant le visage d'Eren dégoulinait d'un sérieux mensonger.
- Ah ouais ?
Il se demanda si ça sonnait aussi étranglé qu'il l'imaginait et espéra très fort que ce n'était pas le cas, même si une main venait juste de s'emparer de ses entrailles et les serrait serrait serrait si fort qu'il ne savait plus respirer.
- Ouais.
Il crut entendre les tremblements dans sa voix, et s'en contenta.
- T'as qu'à monter avec moi. On vérifiera.
- Ok on fait ça, marmonna Eren comme si ce n'était absolument pas le résultat escompté.
Peut-être que Jean se faisait des films. Et au vu des clins d'œil dont il écopa dans le rétroviseur, peut-être que Sasha et Connie aussi.
Ils arrivèrent une dizaine de minutes plus tard et Connie se gara en double file en les fustigeant pour qu'ils se dépêchent. Ils les saluèrent du mieux qu'ils purent comme s'ils n'allaient pas se revoir dans moins de trois jours, récupérèrent leurs affaires et puis se retrouvèrent plantés sur le parking pourri qui bordait l'immeuble de Jean.
Qui aurait cru que trois étages en ascenseurs seraient aussi longs ?
Quand Jean ouvrit la porte de son appartement, il respira avec plaisir l'odeur indescriptible qui y régnait. Il avait bien tenté de la chasser avec des bougies à la mandarine, mais on finissait par s'y habituer.
Eren à sa suite, ils étalèrent leurs affaires qui prirent toute la place de son salon et s'assirent comme ils le purent sur le canapé.
Jean était en tailleur, et il suffisait qu'Eren tende les doigts pour effleurer son genou. Le doré évita de déglutir et tenta de se concentrer sur autre chose que leur proximité, mais son esprit ne pouvait penser qu'à ça ou bien à la croisière, et peut-être qu'y réfléchir maintenant n'était pas une très bonne idée.
Au fond, demander à Eren de l'accompagner ne l'avait pas été non plus. Au final, à part se donner la main et traîner ensemble plus que d'habitude, ils n'avaient pas fait grand-chose de plus.
Jean eut un soupir, trop fort, puisqu'il attira l'attention de son voisin de canapé, mais ce dernier ne pouvait pas lui en vouloir : le schéma qu'il s'évertuait à vomir revenait en boucle dans son esprit.
- C'est marrant quand même, commença-t-il d'une voix étranglée parce qu'il fallait bien qu'il dise quelque-chose maintenant. Je pensais que j'allais être obligé de t'embrasser.
Ce n'était pas parce qu'il avait presque murmuré qu'Eren ne l'entendit pas, en témoigne sa posture soudain tendue à l'extrême.
- Ah ouais ? C'est marrant, c'est sûr.
Il n'avait pas l'air de trouver ça très drôle.
- T'as pas l'air de trouver ça très drôle.
- C'est parce-que j'y ai réfléchi.
- Eren si tu continues de parler je jure sur ma tête-
- Non mais tu sais, quand on était au parc ?
Jean sentit ses joues chauffer plus que nécessaire. Comme s'il n'y avait pas pensé un milliard de fois depuis.
- Non, je sais pas.
C'étaient ses pensées à lui, et en aucun cas celles d'Eren.
Ce dernier sembla prêt à poursuivre, mais en tournant la tête en direction de Jean, la fenêtre entra dans son champ de vision et son expression se peignit en surprise.
- J'ai une idée !
Et juste comme ça, le sujet n'était plus à traiter. Jean ne sut pas s'il le détesta ou l'adora de toutes ses forces.
- Dis-moi, grogna-t-il.
Eren ne répondit pas et quitta le canapé. Il fit des tours et des détours entre leurs bagages et alla jusqu'à la chambre de Jean. Il en ressortit avec une couverture et un oreiller, celui que le doré réservait toujours à ses invités.
- Il y a un toit ici, non ?
- T'es pas sérieux, Eren.
Un coup d'œil en direction de la fenêtre avait suffi à Jean pour comprendre : la nuit tombait.
- Allez, une dernière fois.
- C'est hors de question que je t'accompagne, jamais de la vie, tu m'entends ?
Jean n'allait tout de même pas se taper soixante-dix marches rien que pour observer un ciel pollué.
Jean se tapa tout à fait soixante-dix marches rien que pour observer un ciel pollué.
Enfin, il exagérait. On y voyait des étoiles, quelques-unes, mais bien sûr le tableau n'avait rien à voir avec celui auquel la croisière les avait habitués.
Ils s'étaient à moitié allongés sur la couverture et avait utilisé l'autre pour se couvrir, et peut-être partageaient-ils le même oreiller. Eren n'en avait pris qu'un. Et Jean n'allait certainement pas faire cet effort.
- C'est quand même pas mal, non ?
Le doré fusilla son vis-à-vis du regard.
- Pas mal nuageux, ouais.
- Au moins on voit les constellations.
- Tu les connais ?
Il sentit Eren hausser les épaules. Elles frottèrent contre les siennes, et il se détesta de frissonner.
- Quelques-unes.
- Montre-moi.
Il y eut un léger flottement, et puis le doigt du brun s'éleva dans le ciel et il désigna un astre que Jean fut absolument incapable de dénicher.
- C'est le Cygne.
- Je vois carrément rien.
- Regarde mieux, tocard.
- Je t'emmerde.
Eren eut un léger rire, et Jean eut envie de mourir. Pour les bonnes raisons, cette fois.
Il se racla la gorge, ce qui n'était pas un bon signe dans son langage à lui non plus, et avant qu'il n'ait pu véritablement réfléchir à s'il voulait vraiment dire ce qu'il avait à dire, les mots coupèrent l'herbe sous le pied métaphorique de sa grandiose réflexion qu'il éternisait :
- Tu veux rester dormir ?
- Oui.
Eren avait répondu immédiatement.
Peut-être que ce n'était pas que dans sa tête.
- Peut-être que c'est pas que dans ma tête.
- De ?
Il sentit Eren se tourner vers lui, et fit de même.
Ils étaient si proche qu'il pouvait sentir son souffle sur ses lèvres, et ses jambes contre les siennes, et toute la chaleur qui s'échappait de son corps et lui servait de radiateur.
- De trucs, marmonna-t-il.
Il murmura, comme si parler trop fort aller le faire fuir.
- Quoi comme trucs ?
- Comme quoi je t'emmerde.
- Jusqu'au bout, hein ?
Jean eut un peu peur de comprendre, mais tant pis. Eren dormait ici, et peut-être, peut-être…
Parce qu'il ne sut le lui dire autrement et parce qu'il n'arrivait de toute façon même pas à formuler une quelconque insulte, le doré approcha un peu sa tête, juste un peu, juste pour qu'il se taise et pour effacer son air content.
Leurs nez se touchèrent, et Jean se sentit transpercé d'un milliard d'aiguilles qui, immédiatement au contact de sa peau, se faisaient douce et lui disaient, c'est bon.
C'est bon.
Il ne se rendit compte qu'il l'embrassait qu'une fois les premières secondes écoulées, et quand son estomac arrêta de se tordre dans tous les sens et que ses mains arrêtèrent de brûler et que son souffle arrêta d'être soudain la chose la plus bruyante sur cette putain de planète.
Le baiser fut assez court pour que quand il s'arrête lui aussi, Jean en veule encore, et laisse sa tête tout contre celle d'Eren. Le brun approcha son front du sien et le contact fut si familier que Jean se demanda ce qu'il avait attendu.
Heureusement pour lui, il avait le temps de se rattraper. Restait juste à espérer qu'Eren ne soit pas archi pénible avec la machine à café le lendemain.
Enfin non. Peut-être que s'il l'embrassait assez, il pouvait lui pardonner tous les inconvénients du monde.
Et c'était dire, quand même.
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ET VOILA! Merci beaucoup d'avoir lu hehe. Le titre de la partie précédente venait de Young Hearts par Commuter, et celui de celle-ci vient de Though Love par Shandi. Les deux chansons sont sur...roulement de tambour...la bande-son de Karate Kid (1984).
Les trois prompts étaient : perdus dans la forêt, fake dating pour avoir une réduction en croisière et Eren qui devait dire qu'il s'était déjà fait arrêté avant. J'espère que ça vous a plu!
Maintenant que j'ai mis ça en ligne le plus vite possible i can chat a little et dire que c'est entièrement et tout à fait et absolument dédicacé à CATHARSIS, puisque c'était là le deal. VOILA j'espère que ça t'a plu girl you are a true sunshine ptn tu mérites tous les erejean fake dating en croisière avec Ymir en guest du monde entier, t'es incroyable et MERCI j'arrive pas à y croire on a pas évolué d'un POuce depuis le début de la erejean week et i'm here for it. Love ya girl, et bravo aussi! j'espère que c'était à la hauteur de ton effort
Also on a sidenote j'ai jamais fait de croisière pcq ça pollue bcp (!) et aussi je suis jamais allée en Grèce et j'ai aucune idée d'où ils sont tous originaires et je demande une lourde suspension du disbelief pour la plupart des choses que vous venez de lire.
on se retrouve...soon oui...i'm around...bizou!
Bananarama - Cruel Summer
(karate kid oui regardez svp)
