Chapitre2 :
Cinq jours plus tôt
Harry est en train de lire un dossier sur un couple de sorciers qui se faisaient passer pour des collectionneurs de pièces de monnaie afin d'arnaquer des moldus en leur vendant de l'or de farfadet lorsque l'Aurore Laetitia Mouret l'interpelle depuis l'embrasure de la porte.
-Oui ? répond-t-il prudemment.
Depuis qu'il a grommelé à un journaliste trop insistant dans l'espoir qu'il lui lâche les basquets que non il ne fréquentait pas Ginerva Weasley et que oui, il était encore célibataire, Laetitia Mouret, qui se trouve malheureusement être aussi une de ses collègues de travail, l'a déjà invité trois fois. Harry ne sait plus trop quoi inventer comme excuse si jamais elle compte relancer une demande –sa persévérance serait presque admirable si elle n'était pas tournée vers lui-. Sa façon de flirter avec lui n'a rien de discret et les autres aurors masculins commencent à se demander pourquoi il ne fonce pas puisque Mouret est « aussi sexy qu'une velane », leurs mots, pas les siens.
C'est vrai objectivement qu'elle est belle, dans le genre voluptueuse mais il la trouve futile et son insistance à son égard au lieu de le flatter, l'agace. Et puis c'est une femme, elle n'a de toute façon aucune chance.
Mais son beau visage en forme de cœur est à présent altéré par une paire de sourcils froncés et une moue dégoutée sur ses lèvres. Apparemment elle n'est pas venue ici pour le draguer, ce qui reste un soulagement, peu importe ce qu'elle lui veut.
-Harry, y a un type qui demande à te voir, dit-elle.
Et quand elle crache plus qu'elle ne prononce le mot « type ».
-Quel type ? demande Harry.
Sa moue dégoutée s'accentue.
-Il est venu pour porter plainte. Apparemment on l'a un peu bousculé dans la rue et Monsieur veut en parler à l'Auror Potter et personne d'autre.
Harry soupire de lassitude. Ce n'est pas la première fois que des sorciers essaient de le voir plutôt que de faire affaire avec ses collègues. D'après ce qu'il a compris, ils se sentent super importants dès que le héros en personne s'occupe de leur cas et ça leur fait une histoire à raconter aux repas de famille.
-T'as qu'à lui dire que je suis absent.
Mouret lui lance un regard impatient.
-Déjà fait, qu'est ce que tu crois ? Il a dit qu'il est prêt à attendre et il est en train de foutre du sang partout sur ma moquette.
-Du sang ? reprend Harry qui croyait que le type n'avait été que « bousculé ». Pourquoi il ne va pas à l'infirmerie du ministère ?
-Qu'est-ce que j'en sais. C'est un de ces excentriques, il veut probablement se rendre intéressant.
Excentrique dans le monde sorcier veut dire soit excentrique, soit tout autre chose, comme homosexuel par exemple. Il a l'intuition que cette fois Mouret utilise « excentrique » pour ne pas dire « bouffeur de bite » devant lui.
Harry se sent pâlir. Il ne connait qu'un homme que l'ensemble des sorciers se plait à détester et qui est ouvertement gay.
Sa tête tourne, alors que plusieurs pensées affolées s'y bousculent. Il se demande à quel point Malfoy est blessé, car ça ne peut être que lui n'est-ce pas ? Et pourquoi il veut lui parler à lui alors qu'ils s'évitent consciencieusement depuis leur rupture ? Les alarmes internes raisonnent dans son cerveau, lui criant qu'il n'est pas prêt du tout à lui faire face mais malgré ça et le fait que ses membres lui paraissent peser une tonne il se lève de son siège.
-J'arrive, dit-il d'une voix qu'il lui semble venir de très loin.
Mouret a l'air surprise mais hoche brièvement la tête. Il la suit jusqu'à son bureau dans un état second, ses mains sont moites, ses jambes en coton et sa tête tourne toujours, si bien qu'il se demande s'il ne va pas faire un malaise. Ce qui serait complétement ridicule et il imagine déjà le visage dégouté de Malfoy à son encontre.
La porte du bureau s'ouvre Harry marque un temps d'arrêt et laisse échapper un soupir de soulagement quand il voit que la personne assise en face du bureau de Mouret a un dos bien plus large que celui de Malfoy et surtout une touffe de cheveux roux et pas d'un blond presque blanc. L'homme a dû les entendre car il tourne la tête vers lui et à la grande surprise de Harry et malgré son visage salement tuméfié Harry reconnait Devnet O'Flaherty.
°O°O°O°
-Bien, fait Harry une fois que les photographies des blessures de Devnet ont été prises. Maintenant laisse-moi t'emmener à l'infirmerie du ministère, ensuite tu m'expliqueras exactement tout ce qu'il s'est passé.
Le jeune homme remet son t-shirt dissimulant aux yeux de Harry ses tâches de rousseurs et les grands hématomes sombres et inquiétants qui s'y trouvent puis hoche la tête sombrement. Ils attirent la curiosité de tout le monde alors qu'ils traversent les couloirs. Devnet est grand et assez musclé pour susciter déjà naturellement l'attention mais avec son visage blessé il est presque devenu une bête de foire. Harry se demande si certains d'entre eux reconnaissent l'adolescent qui quatre ans plus tôt a été désigné par la coupe de feu pour être le champion de Poudlard aux tournois des trois sorciers. Mais il ne pense pas, en général les gens ne reconnaissent que l'Elu en priorité et ce, même si Harry se promène avec le ministre de la magie en personne. Harry n'en a cure, il a l'habitude d'être dévisagé, et il est trop occupé à se sentir inquiet et en colère pour prêter le moindre intérêt aux badauds du ministère.
La dernière fois qu'il a vu Devnet, c'était il y a bien deux ans et demi et la rencontre c'était plutôt mal terminée. Ophiuchus Léto, un autre ancien élève de Harry du temps où il enseignait la défense contre les forces du mal à Poudlard, mais qui à l'époque des faits étudiait avec Harry pour devenir Auror, l'avait, à leur grande consternation à tous les deux, embrassé. Devnet qui avait assisté à la scène était devenu fou de jalousie et l'avait frappé. Pour éviter un nouveau coup de poing et donc sauvegarder sa mâchoire déjà douloureuse Harry avait magiquement plaqué le grand rouquin contre un mur. Puis Harry avait écouté Ophiuchus avouer à Devnet qu'il l'aimait mais que comme Devnet était incapable d'assumer de sortir avec un autre homme, il avait décidé d'arrêter de l'attendre. Ca avait été une mise au point à laquelle Harry se serait bien passé d'assister. Devnet avait laissé Ophiuchus partir sans le retenir et c'était ainsi que la rencontre c'était terminé.
A présent Devnet se laisse guider dans une attitude proche de l'apathie et Harry a déjà vu ce comportement chez les victimes d'attaques aussi brutales qu'inattendues. Quand la tension due à la peur, à la douleur et à la colère retombe et qu'il ne reste qu'une immense fatigue.
Harry pense que s'ils tenaient ceux qui ont fait ça à son ancien élève, quelqu'un qu'il a toujours connu comme étant confiant et fier, sa réaction risquerait d'être plutôt explosive.
Heureusement, l'infirmier est quelqu'un de compétent et de taciturne qui se contente d'énumérer les blessures de O'Flaherty d'un ton impersonnel tout en le soignant tandis que Harry prend des notes pour le procès-verbal. Il est en train d'inscrire les trois côtes cassées quand l'infirmier pose une question à Devnet qui le fait sursauter.
« -Avez-vous subis la moindre violation anal ou buccale ? »
Devnet a un sourire mauvais qui lui rappelle l'élève qu'il était et qui s'est tenu dans une arène en France prêt à affronter d'impitoyables chimères. Harry serait content de lui voir une réaction autre que sa torpeur si elle n'était pas aussi inquiétante.
-Non, répond-il dans un grondement, mais il y en a un qui a essayé. Il a dit que les pédales comme moi doivent apprendre où sont leur place.
-Et ? demande Harry se sentant pâlir.
Avec les explications hachées qu'il a eu de Devnet, Harry a bien compris que son ancien élève a été victime d'une attaque homophobe mais il n'a pas imaginé que ça puisse aller plus loin que des coups. Et bon sang, les coups sont déjà de trop mais un viol... Devnet lève les yeux vers lui. Des yeux bleus à la fois dégoutés et froids.
-Et il a choisi le mauvais trou, ricane-t-il mais c'est un rire creux et terne. Celui avec les dents. Ceci dit y avait pas grand-chose à mordre, jamais vu une bite aussi minuscule…
La tentative d'humour est un véritable flop.
-Donc juste tentative de viol, émet l'infirmier toujours de sa voix neutre mais cette fois ce ton donne à Harry envie de l'attraper par le col et de le balancer à travers la pièce.
-Comment ça « juste une tentative de viol » ? demande-t-il dangereusement faisant se crisper l'infirmier tandis que Devnet lève des yeux étonnés sur lui. Vous trouvez que ça n'a aucune espèce d'importance parce que monsieur O'Flaherty ici présent est un homme ?
-Vous m'avez mal compris, reprend l'infirmier sans se démonter et en fixant Harry sans ciller. Je parlais en termes de traumatisme corporel. Pour ce qui est du reste je ne suis ni juge, ni psychomage, ni l'ami de ce jeune homme. Si je devais m'émouvoir dès qu'on m'amène un blessé je ne ferais plus ce métier.
Harry serre les dents mais ne répond rien. Il admet qu'il s'est probablement emporté contre cet homme un peu rapidement et qu'il a peut être mis Devnet mal à l'aise en prenant aussi hargneusement sa défense alors qu'il ne connait même pas encore toute l'histoire. Mais il se rappelle de Mouret disant « il a été un peu bousculé » comme si l'état de l'homme venu demander de l'aide dans son bureau n'était pas grave. Comme si c'était normal qu'il est été maltraité car après tout, Devnet est gay. Harry est dégouté.
-Je…j'allais rentrer chez moi après mon service, commence Devnet plus tard avant de s'interrompre brusquement, puisant probablement dans son courage pour raconter la suite.
Ils sont dans la salle d'interrogatoire car c'est la seule qui est une pièce fermée et Harry pense que son ancien élève est peut être plus à l'aise pour raconter son histoire avec moins de gens autour.
Il est moins apathique qu'une heure plus tôt, quand Harry l'a trouvé mais il subit vraisemblablement un autre contre coup du choc puisque ses genoux et ses mains tremblent même s'il essaie de le cacher. Ron est là aussi, ils sont obligés d'être deux pour recueillir son témoignage et Harry ne voulait aucun autre Auror avec lui sur ce dossier, juste Ron. Ron a apporté des boissons chaudes pour tout le monde alors que Harry n'y a même pas songé. Il regarde Devnet s'agripper à sa tasse de café, les yeux dans le vague et attend qu'il reprenne le fil de son histoire. L'étudiant en médicomagie cherche visiblement ses mots. Il a l'air incroyablement jeune soudainement aux yeux de Harry, il revoit presque le gamin de 14 ans assis cette fois à une table d'écolier et grattant sur son parchemin.
-Ils m'attendaient et ils étaient cinq, reprend-t-il finalement après s'être humecté les lèvres. J'en connaissais deux de vue. Ces mecs ont l'habitude de m'insulter depuis que je me suis installé avec Ophiuchus mais comme je suis plus doué en magie que ces crétins et plus forts aussi ils se tenaient toujours à une distance respectable et je me disais que le mieux était de laissé couler. Je pensais que ces connards allaient se lasser et je voulais pas inquiéter Ophiuchus…merde, quand il va savoir ce qu'il s'est passé, il va se mettre dans tous ses états.
-Ophiuchus est ton petit copain, interrompe Ron.
Devnet qui depuis le début de sa venue ici, semble plus agir par automatisme qu'autre chose, lève les yeux sur Ron d'un air de défi.
-Ouais, dit-il son accent irlandais ressortant d'autant plus fort. C'est mon homme.
Et cet aveu est si simple, si étonnant et si sincère que Harry en reste muet. Ron a un léger sourire en coin comme s'il était satisfait de la réponse.
-Et vous vivez ensemble ? reprend-t-il. Tout le monde sait dans votre quartier que vous êtes en couple ?
-Il…Oui. Au début l'intégration a été difficile et nos familles se sont un peu éloignées, mais on a sympathisé avec certains voisins…y en a d'autre avec qui on ne sympathisera jamais. Je m'en fiche, ça vaut le coup de ne plus se cacher. Ophiuchus en vaut le coup.
Devnet a les yeux qui brillent dès qu'il prononce le nom de son petit ami. Harry se sent jaloux et nauséeux sans savoir pourquoi.
-C'est très courageux de votre part de vous afficher, dit Ron doucement et Devnet le regarde comme s'il n'arrivait pas vraiment à croire que quelqu'un approuve finalement sa façon de vivre. Pas n'importe qui en plus, un auror et un héros de guerre.
Harry est content que Ron soit là, il aurait voulu dire toutes ses choses mais il en est incapable parce que toute la situation lui en rappelle une autre, sauf que lui n'a jamais eu le courage de ne plus se cacher. Il a envie de lui dire que non, ça n'en vaut pas le coup si c'est pour se faire tabasser. Qu'ils ont attaqué le plus faible des deux car l'autre est un futur Auror, et que ça va continuer car la société sorcière est homophobe et tout leur amour n'y changera rien.
Mais il se tait car Devnet O'Flaherty semble tellement soulagé de trouver enfin un allié en Ron après la journée d'enfer qu'il a vécu que les larmes qu'il a courageusement retenu jusque-là lui viennent aux yeux. Il ressemble plus que jamais à un petit garçon même si des trois personnes dans la pièce, il est le plus grand. Le cœur de Harry se serre et en même temps il a une envie furieuse de taper quelque chose.
Ron pose sa main sur celle de Devnet « On va attraper les enfoirés qui t'ont fait ça », dit-il avant de rajouter le plus sérieusement du monde. « Parole de roux ! »
Devnet éclate de rire et pleure en même temps emprisonnant la main de Ron dans une étreinte quasi-mortelle. A sa gloire personnelle, Ron ne sourcille même pas. C'est un sanglot aussi bref que son éclat de rire mais c'est laid et bruyant et ça finit dans un gémissement douloureux et aux oreilles de Harry ce bruit semble raisonner indéfiniment dans la salle, il sait qu'il va l'entendre encore longtemps et il déteste ça. Il tend un mouchoir à O'Flaherty dans lequel ce dernier se mouche bruyamment.
-Désolé, dit-il enfin après s'être calmé. Merci.
Harry et Ron savent qu'il ne dit pas merci que pour le mouchoir.
Devnet reprend la suite de l'histoire, comment les cinq hommes de son âge ou à peine plus vieux, sont venus le voir, ont commencé à l'insulter avant que ça ne dégénère. Il raconte tout, d'abord les sorts qui fusent et ensuite les coups à la moldu, puis le fait d'être mis de force à genoux après s'être battu seul contre cinq et sa rage impuissante. Il avoue à demi-mot qu'il a eu peur d'être violé et que quand un des types à baisser sa braguette il a eu une seconde où perclus de douleur, il a songé à se laisser faire. Ensuite il a mordu la bite du type assez fort pour que ça saigne. Il leur dit de chercher dans les hôpitaux du coin un gars qui est venu se faire soigner sa mini-queue, que ça pourrait être une bonne piste.
Il explique qu'il a profité du raffut que le connard a fait pour récupérer sa baguette et transplaner chez lui.
Il raconte aussi, d'une voix tendue, les gens qui dès le début ont changé de trottoir, détournés les yeux, jusqu'à ce que la rue soit déserte. Et ceux à leur fenêtre qui ont regardé à travers leurs persiennes sans intervenir, le laissant se faire tabasser, jusqu'à l'auror Mouret qui l'a accusé à demi-mot de l'avoir bien cherché pour oser s'afficher avec un autre homme. Mais il voulait porter plainte et ne pas se faire soigner avant que des photos soient prises. A l'hôpital où il bosse, il a déjà du soigner des mecs blessés, des gays qui ont reçu un ou deux sortilèges dans le dos. Même s'ils le disent pas qu'ils sont homos, Devnet le devine. Il essaie de les encourager à chaque fois à aller en parler aux Aurors mais il ne croit pas qu'ils le fassent. Si la plupart des Aurors sont comme Mouret alors il comprend pourquoi, mais lui n'a pas voulu lâcher l'affaire.
Ensuite il s'est souvenu que Harry Potter était de retour en Angleterre depuis peu et Ophiuchus lui a raconté que leur ancien professeur n'avait pas mal réagi quand il a su qu'il était gay, qu'il ne lui en avait même pas voulu pour le baiser, alors il a insisté pour parler avec lui et pas avec la nana qui bien qu'elle soit être canon, restait quand même une sacrée connasse.
Harry reste silencieux, les dents serrées, prenant des notes. Il souligne « Personne ne l'a aidé » trois fois sur son parchemin mais en réalité, c'est à présent gravé dans son esprit et ne veut plus en sortir. (Ça et l'affreux sanglot.) C'était en plein jour et tous les gentils sorciers du coin ont laissé l'homo du quartier prendre sa raclée. Certains ont même profité du spectacle par la fenêtre.
« Vous auriez dû rester cacher », songe-t-il encore et il se déteste pour ça, heureusement il garde cette remarque pour lui. Il se dit qu'il ne vaut pas beaucoup mieux que l'auror Mouret, il n'en est pas au point de penser que O'Flaherty l'a cherché mais il ne peut s'empêcher de penser que ça aurait pu être évité si seulement ses deux anciens élèves ne s'étaient pas affichés ensemble comme si c'était normal.
Il pense à l'avenir de Léto aussi, il est en troisième année de l'académie des Aurors, et cette histoire va forcément venir aux oreilles de ses professeurs et de ses camarades de classe. Ça va être difficile d'obtenir son diplôme et encore plus après, de bosser avec gens qui vous méprisent.
Le monde sorcier sait que les homosexuels existent, mais pour eux ce sont aux mieux des excentriques comme le dit si bien Mouret. Au pire des affreux pervers contre nature.
Ils peuvent admettre qu'il y ait des peintres, des décorateurs, des coiffeurs, des stylistes gays…mais des Aurors sûrement pas.
Et des héros encore moins…
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-C'est affreux ! s'exclame Hermione, lors du repas du soir. Ce pauvre garçon n'a rien fait de mal, il rentrait juste chez lui !
-On va retrouver ceux qui lui ont fait ça, répond Ron après avoir avaler ce qui se trouvait dans sa bouche. Je me suis mis sur l'affaire avec Harry.
Comme si son prénom en était le déclencheur, Hermione se tourne alors vers lui.
-Je croyais que tu devais partir dans une semaine pour la Pologne, dit-elle les sourcils bruns légèrement froncés. Il n'y a pas une mission qui t'attend là-bas ?
Harry hausse les épaules, il n'a pas faim et n'a plus vraiment envie de parler de l'affaire O'Flaherty ce soir. Il revoit toujours le visage et le corps de Devnet perclus de coups avant qu'on ne les soigne et il entend encore la voix de l'infirmier énumérer les dommages comme s'il lisait une putain de liste de courses. Et cet affreux sanglot d'homme perdu qui ne comprend vraiment encore ce qui lui est tombé dessus. Ce n'est pourtant pas la première fois que Harry fait face à des victimes, il a vu des gens en plus mauvais état que Devnet cet après-midi mais cette fois il s'agit de quelqu'un qu'il a connait. Bon sang, il a même vu ce gamin grandir…
-J'irais après, dit-il. Ça ne devrait pas prendre trop de temps de retrouver ces types.
Sa décision de reporter sa venue en Pologne n'a pas semblé déplaire à son chef. Harry sait qu'il souhaite le garder pour les affaires internes du pays. Mais le fait qu'il le fasse pour s'occuper d'une affaire aussi « banale », selon ses mots, était loin de le satisfaire, d'autant plus qu'il entrainait avec lui, un autre de ses meilleurs agents, l'Auror Ron Weasley. Harry a du donc promettre de revenir au pays après sa mission en Pologne et d'accepter de rester pour du long terme (au moins deux ans) en échange, le dossier « agression sur Devnet O'Flaherty » était à eux.
Ce compromis n'était pas prévu et Harry n'a pas envie de revenir pour un si long temps en Angleterre –ses brefs retours tous les deux/trois mois le satisfont amplement- mais il répugne encore plus à abandonner cette affaire pourtant simple à un autre. Son humeur, déjà loin d'être au bon fixe, s'en trouve donc encore plus assombrie.
-Peut-être que je devrais les inviter à dîner, lui et son copain ? reprend Hermione. Ce sont tes anciens élèves après tout Harry et ils ont l'air d'avoir besoin d'amis.
Harry pense à la bande de copains avec qui Devnet traînait à Poudlard et se demande combien sont restés après que le plus coureur de jupon d'entre eux ait décidé de vivre en couple avec le serpentard qu'il s'était acharné à détester durant toute sa scolarité. Ophiuchus, lui, a toujours été moins populaire, même s'il avait tout de même quelques amis, mais c'était un serpentard et Harry a toujours eu du mal à comprendre les gens de cette maison.
-Personne n'a envie de diner avec un ancien professeur, répond Harry d'un ton un peu sec comme s'il s'adressait à quelqu'un de stupide. Et ce n'est pas non plus bien vu que des Aurors s'impliquent trop avec une victime. Mais tu fais ce que tu veux tu es chez toi.
Hermione soupire et ne dit rien, mettant simplement une mèche de ses cheveux derrière ses oreilles et Harry s 'en veut d'avoir été brusque mais ses excuses restent bloquées dans sa gorge. Ses meilleurs amis lui ont ouvert la porte de leur maison depuis qu'il a décidé de donner Square Grimaud à Narcissa Malfoy et il leur en est reconnaissant mais parfois juste sociabiliser avec des gens, même ses meilleurs amis est une épreuve. C'est pour ça qu'il aime bosser à l'étranger. Moins de pressions, moins de souvenirs à chaque coin de rue et surtout moins de risque de tomber sur un journaliste ou pire sur… d'ancienne connaissance, pâle et blonde avec des yeux gris méprisants et un sourire pointu et cynique qui taillade les cœurs.
Mais peut-être qu'il aurait du s'excuser auprès de Hermione, parce que si quelqu'un supporte encore moins que Harry que cette femme soit blessée, c'est son mari. Et Ron Weasley connait tellement bien Harry qu'il suffit d'une phrase pour lui faire le même effet qu'un coup de poing dans l'estomac.
-Ouaip, dit plutôt que t'as peur que leur bonheur conjugal d'homosexuels t'éclate à la gueule. T'as aucune envie de voir que certains peuvent réussir là où tu as échoué.
-Ron ! s'exclame Hermione choquée.
Harry aussi est choqué mais la colère prend vite le dessus. Comment Ron ose-t-il évoquer, même à mot couverts, ce qu'il a eu avec Malfoy. Ce sujet est tabou et chacune des trois personnes autour de cette table le sait.
-T'appelles ça une réussite ? répond-t-il furieusement alors que tout son corps se crispe. L'un des deux vient juste de se faire tabasser en pleine journée ! Et pas dans une foutue ruelle vide sordide mais dans un quartier animé et personne n'a levé le petit doigt pour l'aider !
-Personne n'a dit que c'était facile, mais ils se battent au moins ! réplique Ron. O'Flaherty est sorti du ministère la tête haute et bordel ces deux gamins ont plus de couilles que t'en auras jamais !
-Ron ! répète Hermione en se levant si brusquement que sa chaise tombe par terre.
-Quoi ?! s'énerve Ron en s'adressant à sa femme cette fois pendant que Harry ouvre et referme la bouche essayant d'encaisser ce qu'on vient de lui jeter à la gueule. « J'en peux plus moi de le voir comme ça depuis deux ans ! Il passe son temps à fuir qui il est et qui il aime ! »
Un silence assourdissant prend place après ça, où Harry est toujours figé sur sa chaise. Il voit Hermione se déplacer jusqu'à lui après avoir jeté un regard noir à son mari. Elle pose une main douce sur son bras, ce qui le fait tressaillir.
-Ron s'inquiète pour toi, dit-elle en s'asseyant à côté de lui. Il est juste encore trop scandalisé par ce qui est arrivé à ce Devnet pour s'expliquer correctement. Depuis ta rupture avec Draco, tu t'es replié sur toi-même. C'est encore pire que ce par quoi tu es passé après la guerre. La vérité c'est que tu nous manques et que te voir malheureux nous brise le cœur.
-Je ne suis pas malheureux, articule-t-il d'une voix blanche.
Et c'est vrai, il ne se sent plus triste depuis longtemps. Juste vide et en quelque sorte résigné. Et il trouve le vide bien plus supportable que la tristesse. « Torpillé » susurre la voix du moldu texan à son oreille et Harry s'ébroue comme si une mouche venait de le piquer.
Ron renifle.
-Ouais, ta joie de vivre est tellement aveuglante qu'elle éclipse le foutu soleil, ironise Ron mais son ton est cette fois plus las qu'énervé.
Harry n'a aucune envie de parler de lui, alors il réagit de la même façon à chaque fois que ses amis abordent le sujet, il se renferme complétement sur lui-même et après un autre instant de silence pesant, trouve une excuse bidon pour sortir prendre l'air.
Il ne va pas loin, juste aux poubelles au coin de la rue mais il a le temps d'entendre les voix étouffées de Ron et d'Hermione à l'intérieur. Ron est apparemment en train de se faire engueuler.
Il en veut à son meilleur ami de se mêler de sa vie et il en veut à Hermione d'être à ce point toujours aussi compatissante. S'il est honnête, ces derniers temps Harry a l'impression d'en vouloir au monde entier.
Quand il revient, Ron l'attend à la terrasse, deux bières à la main. Il lui en tend une, Harry la prend avec un soupir et se prépare à recevoir des excuses maladroites teintées de questions plus ou moins subtiles pour savoir « comment va sa vie en vrai ». Donc il se prépare aussi à mentir : « Je t'assure mon pote, je vais parfaitement bien ! ». Mais ce qu'il sort de la bouche de Ron le prend totalement au dépourvu.
«- Hermione a fait une fausse couche, y a cinq semaines.
Harry tourne si brusquement la tête dans sa direction que son cou craque.
Ron fourrage une de ses mains dans ses cheveux roux et lui jette un bref coup d'œil oblique.
-Merde…, souffle Harry incapable d'une autre réaction.
Et il comprend alors pourquoi Ron semble parfois tellement sur les nerfs, et aussi pourquoi Harry a l'impression qu'il lui en veut de passer la majeure partie de sa vie à l'étranger. Une chape de culpabilité prend place dans son estomac. Il sait à quel point ses amis veulent un gosse. Il peut à peine imaginer leur peine. Et lui, n'était pas là.
-Je voulais pas te l'annoncer comme ça, reprend le rouquin moitié gêné, moitié agacé. Et je sais que ce n'est pas une excuse pour t'avoir parlé aussi sèchement tout à l'heure mais Hermione fait comme si tout allait bien alors que c'est déjà la troisième fois et j'ai l'impression parfois comme ce soir que ce monde est pourri et que je suis juste inutile.
-Troisième fois ? croasse Harry. Merde, Ron, pourquoi vous m'avez rien dit ?
Ron a un sourire un peu blessé et Harry sait déjà ce qu'il va répondre.
-T'étais pas là. Et le peu de temps que tu reviens je me voyais mal plomber l'ambiance comme je le fais maintenant pour t'annoncer un truc pareil. Et puis il n'y a pas grand-chose à faire…
-J'aurais du être là, souffle Harry se sentant incroyablement mal.
Ron ferme brièvement les yeux avant d'avaler une grande gorgée de sa bière.
-Oui c'est aussi ce que je crois. Et je pense tout ce que j'ai dis ce soir. Et je t'en veux de passer ton temps à fuir. Si seulement vivre à l'étranger te rendrais heureux, alors je m'en foutrais, je serais heureux pour toi aussi. Mais là ce n'est pas le cas et j'en ai marre de faire semblant que tout va bien. J'ai besoin aussi de mon meilleur pote, Hermione pareil. Tu nous manques. Et toi t'as besoin d'affronter tes problèmes de face, comme tu l'as toujours fait.
-J'en ai marre d'affronter des problèmes, murmure Harry. Je suis fatigué.
Je suis torpillé.
Le regard que lui jette Ron est un peu plus sympathique.
-Harry t'es con, lui dit-il d'une voix adoucie. Personne a dit que tu devais faire face à tout ça tout seul.
Harry secoue la tête. Il ne sait pas ce qui ne va pas chez lui mais il est content que Ron lui parle à cœur ouvert même si ça fait mal de se prendre dans la gueule qu'on a failli. Il veut lui demander pardon mais il sait que c'est inutile car Ron lui a déjà pardonné. Il veut lui dire que c'est dur de faire comme si tout allait bien alors qu'il a l'impression d'avoir un trou béant dans la poitrine mais il suppose que Ron le sait déjà. L'image de Draco Malfoy flotte dans son esprit et ce n'est plus parler mais hurler qu'il veut faire, même après deux ans.
Cependant, il se tait. Ils se taisent tous les deux, buvant leur bière en regardant les étoiles mais sa gorge est tellement serrée que chaque gorgée à avaler est douloureuse.
« Le vide est mieux que la tristesse », se répète-t-il mais Ron a secoué quelque chose en lui et ces mots perdent déjà de la puissance de leur impact.
Alors à la place, il pense « Ron a raison, je ne peux pas rester comme ça. »
Mais il ne sait pas quoi faire pour aller mieux. Il est effrayé à l'idée d'empirer les choses et d'avoir mal de nouveau.
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En fait, l'apparence douce patience et compréhension de Hermione à son égard n'était qu'un leurre. Harry s'en rend compte quand deux jours plus tard, il se retrouve à la table de ses amis à manger aussi avec ses deux anciens élèves.
Harry pense qu'il préfère la mise au point franche de Ron que cette mascarade de soirée. Car son ami avait raison quand il disait qu'il avait peur que le bonheur de Léto et O'Flaherty lui éclate à la gueule. Les voir interagir en face de lui, lui révèle impitoyablement ce qu'il aurait pu avoir s'il n'avait pas été si lâche.
Il se renfrogne à mesure que les minutes passent. Les deux jeunes hommes ne font pourtant rien de spécial, ils sont même quasiment toujours en train de se chambrer. Mais parfois Léto frôle la main de O'Flaherty et il a l'air bêtement gêné. Parfois les yeux du grand roux brillent d'une lueur spéciale quand il se pose sur l'ancien serpentard, comme si le monde se résumait juste à une personne.
Devnet physiquement s'est bien remis de l'attaque mais quand il en parle une ombre passe sur son visage. Ils sont bien sûrs contents que les agresseurs aient été rattrapé. Harry ne mentait pas quand il disait que l'affaire serait vite bouclée. Devnet avait raison, la piste de l'hôpital pour des soins sur un pénis à moitié arraché avait été la bonne. Une fois le premier type identifié et interrogé, trouver le reste de la bande avait été facile.
Sauf qu'il est devenu évident que les cinq salopards ne risquent que très peu et avec un bon avocat ils peuvent même s'en sortir avec un peu de travaux d'intérêt général. Normalement Harry ne s'occupe pas de l'après dossier, quand c'est au tour des juges de faire leur travail, à moins qu'il soit appelé à témoigner à la barre. C'est trop d'implication et il préfère se contenter de plonger dans une nouvelle mission. Mais cette fois l'impression d'injustice ne veut pas partir et le repas qu'à concocté Ron a un gout amer.
Il sent les yeux d'Hermione sur lui tout au long de la soirée et ça l'énerve un peu de savoir qu'elle est en train de disséquer son attitude pour savoir ce qu'il est en train de penser.
Il entend la résignation de Léto quand il dit : « Au moins on a fait tout ce qu'on pouvait faire… ».
-ça va recommencer, dit Harry après ça d'une voix lente, vous devriez peut être déménagé dans un autre quartier et ne pas vous afficher comme un couple.
Devnet le foudroie du regard et Ophiuchus hésite avant de regarder son amant d'un air inquiet. Apparemment Harry a mis le doigt sur un sujet à controverse.
-J'ai proposé cette solution…après l'attaque, commence l'ancien serpentard d'une voix un peu fatiguée. Devnet pense que ça serait leur donner raison.
Devnet attrape la main de Léto sur la table et ce dernier sursaute mais ne la retire pas. Il regarde Harry avec défi, il n'a plus rien du jeune homme encore sous le traumatisme d'un tabassage dans les règles.
-Je ne vais pas me cacher car j'aime un homme. Je ne pense même pas être gay, bordel ! Mais je suis prêt à être catalogué comme tel si ça me permet de tenir la main et d'embrasser Ophiuchus à chaque fois que j'en ai envie. Je n'aime pas être regardé comme une bête de foire et je ne m'en fous pas dès que j'entends qu'on me traite de malade mental. Non, tous ces cons me donnent plutôt envie de hurler. Mais personne, même pas le fichu héros du monde sorcier, ne doit me dire d'avoir honte de ce que je suis et de qui j'aime.
Harry baisse la tête et ricane.
Quand il relève la tête, il a les larmes aux yeux et il a peur.
Hermione ne regarde comme si elle savait. Bien sûr qu'elle sait.
Il se souvient du fait d'être rejeté, d'être traité de monstre et mit à l'écart dans un placard. Il a fait en sorte que ça n'arrive plus jamais, même si pour ça il a perdu l'homme qu'il aimait.
Mais maintenant il n'a plus rien à perdre et deux garçons devant lui se regardent et s'aiment et s'en fichent d'être des monstres.
Et il sait qu'il doit faire ce qui est juste, pour eux et pour tous les autres dans le même cas.
-Ok, dit-il à sa meilleure amie après avoir pris une grande respiration tremblante, rendant les armes, même s'il est toujours incroyablement effrayé. Il est évident que tu as un plan. Quoi que ce soit, j'en suis.
-Oh Harry, murmure Hermione et elle aussi a soudainement les larmes aux yeux, alors que les trois autres garçons de la pièce ne comprennent rien de ce qui est en train de se jouer même si Ron a probablement quelques soupçons, « je suis tellement fière de toi ! »
°O°O°O°O°O°
Il se trouve que Harry avait raison quand il pensait qu'Hermione avait un plan. Ce qu'il ignorait c'était que sa meilleure amie avait commencé à y réfléchir plus de dix ans plus tôt quand, avec une excuse boiteuse, il leur avait annoncé que c'était fini avec Ginny et qu'après une longue discussion –bien que ce fut surtout Hermione qui avait parlé et Ron et Harry qui avaient écouté -, Harry avait admis à mots couverts que peut-être les filles n'étaient pas forcément sa tasse de thé.
Il ignorait aussi qu'une des parties de ce plan serait d'annoncer au monde entier qu'il aimait les hommes. Mais ils ont eu deux jours pour le préparer et à présent, il se sent plutôt déterminé ce qui est bien. Mais il a aussi la désagréable impression d'être un condamné à mort attendant son bourreau alors qu'il regarde la salle du ministère qu'Hermione a choisi pour sa conférence de presse s'emplir peu à peu de journalistes.
La sensation de fatalité qui pèse sur lui, lui retourne l'estomac.
-ça va aller, murmure Ron derrière lui en pressant son épaule, et puis Hermione sera avec toi.
Harry acquiesce même si à cet instant il déteste sa meilleure amie ainsi que le fait d'être le survivant, le fait d'être gay, le fait de tout simplement exister et devoir parler à un parterre de journalistes des choses les plus intimes de sa vie, des choses qui, il le pense encore, ne regardent personne d'autre que lui.
Il lui semble que tous ce qui compte de travailleurs dans la presse sorcière anglaise est venu à la conférence, à croire qu'ils n'ont rien de mieux à foutre.
Hermione de l'autre côté de la porte qui les cachent encore aux journalistes ne semble pas perturbée par la foule grandissante. Elle lui avait dit qu'étant donné qu'il n'avait donné qu'une seule conférence de presse depuis la fin de la guerre, l'annonce de celle-ci ferait l'effet d'une petite bombe dans le milieu journalistique. Harry déteste quand elle a raison.
Il pense à Léto et O'Flaherty et à tous les hommes et les femmes obligés de cacher leur inclination pour ne pas être regardé de travers dans la rue et ça l'aide un peu. Si Hermione a raison pour ça aussi alors ce qu'il s'apprête à faire aura une utilité.
« -Tu es Harry Potter, lui a-t-elle lors du fameux repas où il a finalement décidé d'agir, ce que tu diras, la façon dont tu le diras va bousculer le monde sorcier. Tes mots ont plus de poids que ceux du Ministre en personne ! Les gens t'aiment, te font confiance et t'écoutent… »
Les gens l'aimaient, lui faisaient confiance et l'écoutaient quand ils pensaient que leur héros était un homme à femmes. Après cette journée, il n'est pas certain que cet amour inconditionnel soit toujours d'actualité.
-Il est l'heure, dit finalement Hermione en le poussant doucement vers la porte.
Il entre dans la salle le premier et les flashs crépitent à qui mieux-mieux, l'éblouissant à moitié. Un brouhaha s'élève déjà alors qu'il se dirige vers l'estrade et s'assoit derrière la table, vite rejoint par Hermione.
Il est agacé par le bruit et à presque l'impression d'être de nouveau en face d'une classe d'élèves indisciplinés. Quand il commence à parler pour leur demander de se taire il se rend compte qu'il a oublié de lancer un sonorus sur sa gorge et que seul le premier rang peut l'entendre. Ça l'irrite encore plus, il se demande vaguement si toute la conférence va être comme ça, avec lui tellement sur les nerfs qu'il a l'impression de pouvoir imploser à tout moment alors que Hermione lui a expressément demandé d'être patient et poli. Il jette le sortilège sur ses cordes vocales peut être un peu brusquement parce que sa meilleure ami lui jette un regard alarmé.
-ça va, lui croasse-t-il bien que sa gorge pique comme l'enfer. Bonjour, dit-il plus fort pressé d'en finir et sa voix retentie dans toute la salle. Je vous remercie de vous être déplacés. Voilà comment ça va se passer, je vais parler et ensuite je répondrais aux questions que je juge pertinentes et quand je le déciderais cette conférence prendra fin.
Il laisse quelques murmures passer et des questions fusent déjà mais il fait comme s'il n'entendait rien. A la place il avale une grande gorgée d'eau et commence à lire le discours qu'Hermione et lui ont préparé depuis deux jours. Quand les mots sortent de sa gorge il est presque dans un état second. Il se rappelle qu'il était dans cet état quand il a dû combattre le dragon en quatrième année, et la fois où sur un balais il fallait à tout prix qu'il attrape cette main pâle qui se tendait vers lui alors que tout brûlait autour, ou quand il s'est retrouvé face à Voldemort. C'est ridicule car il n'est pas en danger de mort cette fois mais ça n'empêche que ses oreilles bourdonnent et que son cœur bat si fort qu'il est certain que ses battements résonnent dans toute la pièce comme un gros tambour déréglé.
Heureusement, il connait le texte pratiquement par cœur et au fond de ses tripes il sait que ce qu'il fait est juste, que ce qu'il dit est nécessaire et il approuve chaque mot écris sur le parchemin. Mais ça ne rend pas moins cet exercice de mise à nu une des choses les plus difficiles qu'il eut jamais eu à faire.
Quand il finit de parler il y a un silence assourdissant et il lève enfin les yeux sur son auditoire.
Il y a des regards dégoutés, d'autres choqués mais la majorité des sorciers en face de lui sont simplement incrédules. Harry a l'impression qu'il vient d'annoncer qu'il vient d'une autre galaxie et non qu'il est gay. Puis c'est l'explosion, les questions fusent mais ça ressemble plus à des cris de stupeurs et à des demandes express de démentis.
-C'est une blague ! s'exclame un journaliste du daily prophète avec un rire nerveux. Vous nous faites marcher Harry !
Harry fronce les sourcils se demandant pourquoi diable ce mec pense qu'il puisse faire une blague sur un sujet pareil.
-Non, répond-t-il, je suis sérieux. Comme je l'ai dis, je pense qu'il était temps pour moi de dévoiler cet aspect de ma vie pour que les gens dans mon cas, les homosexuels, comprennent qu'il n'y a aucune honte à aimer quelqu'un du même sexe. Il est temps aussi que la société sorcière évolue et accepte que nous existons et que notre sexualité n'a rien à voir avec ce que nous valons réellement, c'est simplement une petite partie de ce qui nous définit.
-Si vous voulez aider la cause des gays, pas besoin d'aller aussi loin, devenez membre d'une association. Bon sang, vous n'êtes pas crédible Harry, la semaine dernière encore vous étiez avec Andrea Lournes à la soirée des Orphelins de guerre !
Harry ne sait pas qui dit ça mais c'est une voix d'homme.
Il y a des petits rires rassurés voir même graveleux dans l'assistance et Harry hallucine de comprendre que ces crétins ne le croient vraiment pas.
-Calme-toi, chuchote Hermione à son oreille. On dirait que tu es sur le point de jeter un impardonnable.
Harry prend une grande inspiration et essaie de rester concentré. Ça serait en effet du plus mauvais effet qu'il s'énerve. Il imagine déjà les prochains gros titres « Harry Potter GAY et complétement FOU FURIEUX ».
-Miss Lournes était simplement ma cavalière, se justifie-t-il d'un ton posé qui fait sûrement la fierté de sa meilleure amie, ma dernière véritable copine était Ginny Weasley et c'était il y a plus de dix ans.
-Vous ne pouvez pas être gay ! s'exclame une femme quelque part sur sa droite. Vous êtes…vous n'avez rien d'efféminé…vous vous comportez en homme…
-Oui vous êtes tellement viril, reprend une autre d'une voix féminine quasiment surexcitée, toutes mes lectrices vous veulent dans leur lit ! Ne voulez-vous pas plutôt que je vous organise des rendez-vous ?
Il y a de nouveaux rires. Harry secoue la tête sentant sa patience si chèrement reprise s'effilocher à nouveau.
-J'aime les hommes, dit-il d'une voix sombre, je me moque que vous me croyez ou non. C'est juste un fait. Et si les prochaines questions sont encore de ce lamentable niveau, la conférence va s'arrêter là.
Il y a un silence et les journalistes ont l'air un peu outrés qu'il se permette de critiquer leurs propos mais il s'en fiche. En fait depuis qu'il a fini de lire son texte, il se sent certes agacé, mais surtout comme si un poids venait d'être retiré de ses épaules. Un poids qu'il porte depuis qu'il est adolescent, le jour où il a commencé à soupçonner qu'il aimait les garçons.
A présent les dés sont jetés.
Le reste de la conférence se passe sans véritable accident. Les journalistes sont un peu plus secs dans leurs questions et beaucoup d'entre elles sont émises d'un ton qui ressemble à s'y méprendre à du dégout. Harry décide de ne répondre qu'à celles qu'il juge intéressantes (c'est-à-dire pas beaucoup) et de faire obstruction les autres. C'est ça, où il risque vraiment de jeter des impardonnables et aucun de ces cons ne mérite qu'il aille à Azkaban.
Quand finalement deux heures plus tard, Hermione met fin à la rencontre il est véritablement soulagé que ce soit terminé. Il a l'impression que son énergie a été drainée et qu'il pourrait dormir pendant un mois complet.
Sauf que bien entendu tout cela n'est que le début. Sa déclaration a fait l'effet d'une bombe, quand il rentre chez Ron et Hermione des dizaines de hiboux sont déjà là alors que la conférence vient à peine de se terminer et il reçoit personnellement le patronus du Ministre de la magie, exigeant de le voir immédiatement.
La réunion avec le Ministre est éprouvante. Son chef est là aussi, ainsi que Shakelbolt qui s'il n'est plus ministre, ni même d'ailleurs chef des Aurors reste un des hommes les plus influents du ministère. Mais Harry pense qu'il est surtout là parce que le ministre doit penser que c'est sur Harry qu'il a de l'influence. Après un long débat durant lequel Harry a du affirmer plusieurs fois que non il ne ferait pas de démenti et que le monde sorcier allait devoir apprendre à vivre avec leur héros étant aussi gay qu'un arc en ciel, les trois hommes ont rendus les armes. Ils l'ont laissé partir non sans le mettre en garde contre les difficultés à venir et le combat éprouvant dans lequel il venait de s'engager. Sauf que ce sont des choses que Harry sait déjà. Dans l'ensemble il trouve qu'entre la conférence de presse et cette réunion imprévue, il a plutôt bien géré cette matinée.
Le reste de l'après midi il reste chez Ron et Hermione où les hiboux ont été bloqué. Il est content d'avoir toute la journée de repos et il sait que ce n'est pas une bonne chose de se terrer mais il a eu sa dose de journalistes, de questions et d'insultes pour la journée. Il décide même de ne regarder aucun des journaux qui sortent dans la soirée.
Ron dit que la pression retombera d'ici quelques semaines : « Si les gens ont pu se faire à cette sinistre barbe, ils surmonteront aussi ton homosexualité ».
Harry sait que Ron ne veut pas vraiment dire que sa barbe est moche et qu'il est simplement jaloux parce que quand il est revenu des Etat Unis, Hermione lui a dit que ce nouveau look le rendait encore plus sexy, alors il se contente de lui répondre en levant son majeur.
Plus tard, il s'endort difficilement dans la chambre d'amis des Weasley, malgré son état d'épuisement mais quand il le fait finalement c'est d'un sommeil sans rêve.
°O°O°O°
Il est réveillé en pleine nuit par une atroce douleur dans le bras gauche. Il retient de justesse un cri de souffrance mais il ne peut s'empêcher de gémir en tenant son poignet, à l'endroit où il lui semble que la chair pulse tellement que ça ne l'étonnerait pas de la voir prendre feu.
Il a déjà ressenti une fois ce genre de douleur et il croit qu'il va finir par s'évanouir si ça continue mais à l'instant où il se fait cette réflexion, l'intensité se fait moins forte sans pour autant cesser complétement. Le front moite d'une sueur froide et tremblant de tous ses membres il arrive tout de même à enfiler une paire de jean et un t-shirt.
Il regarde son bracelet de cuir comme s'il voulait l'arracher avec les dents et arracher aussi la marque qui se trouve en dessous et qui le met dans cet état. Mais la douleur reflue en second plan quand il comprend que la marque a été peut être activée parce que Malfoy est en danger et l'appelle à l'aide. Alors il commence doucement à s'affoler. S'il n'était pas Auror et s'il n'avait pas survécu à une guerre, il est probable qu'il aurait paniqué pour de bon rien qu'à l'idée de ne pas être assez rapide, de ne pas arriver assez vite auprès de Draco. Mais étant donné ce qu'a été sa vie, il parvient à garder la tête froide.
Il attrape sa baguette et se rend jusqu'à la cheminée du salon de ses amis. Essayant d'oublier son bras qui le lance toujours affreusement, il attrape de la poudre de cheminette et annonce comme destination « la Tête du Sanglier ».
Il atterrit dans l'auberge comme un homme saoul, à moitié titubant. Il salue Abelforth qui l'accueille avec une baguette pointée sur lui, un bonnet et une chemise de nuit pour le moins perturbants. Après des explications assez vagues mais pressantes quant à l'urgente nécessité pour l'aubergiste de lui laisser utiliser le passage du tableau pour aller à Poudlard, Harry parvient enfin au salon à l'étage. Quand plusieurs minutes plus tard après une avancée sous terraine, l'odeur de chèvre qui envahissait l'établissement du frère d'Albus Dumbledore fait place à une autre plus humide mais qui rappelle à Harry aussi l'odeur des livres et d'un reste de gâteau aux citrouilles, il sait qu'il est sur le point d'arriver à Poudlard.
Une fois entre les murs du château il hésite un instant même si c'est difficile de réfléchir car la douleur lancinante de son bras et la peur d'arriver trop tard menacent d'engloutir sa raison. Il ne sait pas si Malfoy est toujours dans la chambre qu'il avait avant leur séparation. Il peut soit aller taper à la porte de Minerva Mc Gonnagall et perdre de précieuses minutes, soit parier sur le fait que Draco n'ait pas changer de chambre en deux ans, dans le cas contraire, il perdra encore plus de temps.
Il décide de tenter directement la chambre de Draco, la sensation d'urgence qu'il ressent est trop importante pour qu'il tergiverse plus longtemps.
Il a essayé toute cette journée, comme toutes les autres journées depuis presque deux ans d'ailleurs, de ne pas penser à Malfoy (et certains jours il y arrive vraiment) mais là c'est comme si son esprit se vengeait de cette omission volontaire parce qu'à chaque inspiration il pense « Draco » et à chaque expiration il se dit « plus vite ! ». Plus tard il comprendra que c'est dû au tatouage que Malfoy a sciemment déclenché, tout comme Voldemort déclenchait la marque des Ténèbres pour appeler ses fidèles. Mais pour l'instant tout ce qu'il sait c'est qu'il est saturé de Draco Malfoy et que s'il n'est pas à ses côtés très vite quelque chose d'affreux va avoir lieu.
Il traverse les couloirs en courant, bénissant le fait que ce soit les grandes vacances et qu'il n'y a aucun risque qu'un élève enfreignant le couvre feu découvre l'Elu à bout de souffle essayant désespérément d'arriver à la porte de leur professeur de Magie Noire. D'ailleurs il ne sait même pas pourquoi il est tellement certain que Malfoy se trouve à Poudlard. Il le sait, c'est tout.
« Tout comme les Mangemorts rappliquaient directement à l'endroit où se trouvait leur maître », se dira-il amèrement plus tard quand il aura de nouveau toutes ses facultés mentales.
Quand il arrive devant la porte de Malfoy son cœur bat furieusement et ce n'est pas seulement à cause son marathon nocturne. Il ne prend pas la peine de frapper et tourne directement la poignée, cherchant déjà sans son esprit un sortilège de déverrouillage si jamais elle refuse de s'ouvrir.
Mais elle s'ouvre et il en est tellement surpris qu'il déboule dans la pièce avec le reste de l'élan qu'il avait mis pour dans sa course.
Ses yeux tombent directement sur Draco Malfoy qui se tient avachi sur un fauteuil et le sentiment d'urgence ainsi que la douleur à son poignet s'évanouissent, remplacés par le soulagement indescriptible d'être enfin arrivé là où il doit être. Il a l'affreuse envie de mettre un genou à terre et d'offrir à Malfoy sa force, son âme, sa vie, n'importe quoi qui puisse lui être utile mais la sensation que tout ceci est bizarre pénètre peu à peu dans son esprit, alors il se contente de rester planté là, indécis, attendant que les battements de son cœur reviennent à une allure normale.
Malfoy ne reste pas longtemps assis, dès qu'il se rend compte de sa présence (ce qui est rapide étant donné que Harry a débarqué avec la grâce et la subtilité d'un troupeau d'éléphant), il se lève. Il est à présent debout et le dévisage comme s'il n'arrive pas à croire que Harry soit ici.
Harry remarque les changements les plus évidents depuis leur dernière réunion. Les cheveux blonds sont devenus assez longs pour que Malfoy les coiffent en arrière comme à l'époque de Poudlard mais à cette heure-ci ils tombent en mèches désordonnées sur son front, lui cachant une partie de son regard. Ses joues sont un peu rouges, son souffle est aussi court que le sien. Il est bien évidement toujours un peu plus grand que lui, pas que Harry ait pu faire une poussée de croissance à trente ans de toute façon.
Harry secoue la tête, se demandant ce qu'il fait là. Malfoy va bien apparemment. Il regarde son poignet toujours camouflé par le bracelet en cuir commancant doucement à comprendre ce qu'il s'est passé.
-Ainsi donc, Barbe Noire rapplique comme un bon chienchien… confirme Malfoy avec un sourire sadique. Je ne pensais pas vraiment que ça marcherait après tout ce temps.
Sa voix est éraillée et un peu pâteuse aussi comme s'il sortait d'une grippe ou comme s'il avait crié pendant des heures et Harry remarque seulement à présent le reste de ce qui les entoure. Il voit le cadavre d'une bouteille de whisky pur feu par terre et il voit aussi des journaux avec sa tête dessus et les mots « homosexuel », « gay », « sodomite » associé à son nom selon les unes.
-Tu es saoul, constate Harry.
-Bon sang, vous autres Aurors quand on n'est pas habitué, ça impressionne une telle capacité de déduction…
Harry inspire profondément car ça fait mal de réentendre son ironie mordante après tout ce temps et de se rendre compte que ça lui a manqué avec la même intensité que tout ce qui définit l'homme devant lui.
Draco fait un pas vers lui avant de tituber et de se tenir au dossier de son fauteuil. De peur qu'il ne parvienne jusqu'à lui et le touche Harry a reculé, ce mouvement instinctif n'échappe à aucun d'entre eux.
Harry n'est pas surpris de voir que la capacité d'élocution de Malfoy semble être la dernière de ses facultés à être écornée par l'alcool alors qu'en revanche il peut à peine tenir debout.
Malfoy a un rire sans joie et il passe une main dans ses cheveux dégageant ses yeux. Ils sont injectés de sang et le fixent haineusement mais ils sont encore beaux. Harry les déteste.
-Enfoiré, grogne Harry entre ses dents, les poings serrés même s'il sait que c'est inutile de débattre avec Malfoy quand il est dans cet état. Il devrait tourner les talons et le laisser cuver son whisky mais ses mots sortent malgré lui de sa bouche, plein d'amertume et de colère. « Tu as utilisé la marque pour me faire venir ici. Tu avais promis de ne plus t'en servir ! »
Malfoy humecte ses lèvres en fronçant les sourcils. Harry sait qu'il fait ça quand il cherche ses mots et cette fois ça lui prend plus de temps pour former une pensée cohérente.
-Les choses qu'on promet, tu sais, répond-t-il finalement d'une voix plus traînante que d'habitude, sans doute là encore à cause de son état d'ivresse, comme être fidèle ou certifier qu'on veut rester dans le placard à tout jamais, ça n'a pas beaucoup de poids. Et je dis ça d'après une expérience personnelle.
Harry sent l'aiguillon la honte s'enfoncer dans son ventre mais la colère qu'il ressent d'avoir été manipulé ce soir comme une marionnette par un homme ivre est toujours présente. Le pouvoir que détient Draco sur lui depuis qu'il l'a marqué a toujours été latent mais cette nuit c'est comme s'il lui signifiait que ce problème était en fait plus que jamais d'actualité.
Et Harry a horreur qu'on le mette devant le fait accompli.
-Je pars, dit-il froidement, on reparlera de tout ça quand tu seras dans un état moins lamentable.
-Va te faire foutre, répond Draco alors qu'il a déjà le dos tourné vers la porte, puis il rajoute d'un ton presque joyeux. Après tout, c'est une chose que tu sais très bien faire après une petite altercation. Je suis certain que Crivey n'attends que ça.
Harry ferme la porte brusquement puis frappe rageusement le mur d'à côté avec son poing sous l'exclamation choquée du tableau qui se trouve à proximité.
Puis il quitte Pouldard alors qu'une douleur sourde se propage de sa main blessée, au moins cette fois, il sait pourquoi il a mal.
A suivre….
