Chapitre 3
La peur me serre le coeur. Tu n'es toujours pas là. Peut-être ne reviendras-tu pas... C'est comme si j'avais une plaie ouverte et un couteau qui ne cesse de remuer à l'intérieur, l'empêchant ainsi de cicatriser. La peur me hante, me prend au piège et m'étouffe peu à peu dans son emprise.
Toi, tu avais pansé la plaie et, petit à petit, elle avait commencé à se refermer et le couteau avait disparu. Tu as toujours su comment la panser parce que je t'ai toujours fait confiance, parce que tu m'as dit qu'on allait s'en sortir ensemble et parce que je t'aime.
Mais ta main a été arrachée trop tôt et la plaie s'est rouverte. Le sang coule encore et je ne sais plus comment l'arrêter. Reviens, s'il te plait, repose ta main sur la plaie jusqu'à ce qu'elle soit complètement cicatrisée et j'en ferai de même pour toi.
À la fenêtre, un bruissement. L'oiseau de feu aux ailes élancées se pose à la fenêtre. Son plumage est terni par l'hiver. Ses grands yeux mélancoliques me fixent, moi, accroupi dans un coin sombre. Il tient quelque chose dans son bec. Est-ce une clé ou bien une toute petite dague?
L'objet métallique glisse de son bec et se heurte au sol blafard. L'oiseau le regarde, puis s'envole comme pour fuir ce lieu damné. Je me lève avec peine. Le froid a engourdi mes articulations, la faim m'a affaibli, je ne tiens debout que par ma volonté te sortir de cet enfer.
Je ramasse l'objet… une minuscule pierre, blanche marbrée de nacre.
Je ne sais pas encore ce que j'en ferai, mais peut-être ne ma sera-t-elle pas inutile.
Un bruit…
La pierre est rapidement dissimulée sous mes vêtements, à l'abri des regards. Est-ce toi qui m'es ramenée?
La porte s'ouvre dans un grand fracas, et je fixe les indigènes. Ils s'approchent mais tu n'es pas là. Où es-tu?
Ils m'empoignent et me traînent sur le sol jonché de terre effeuillée. La faible lumière est tamisée par le voile de bouillard, mais au loin, je vois le pieu où nous avions vu la petite fille désarticulée.
Plus nous avançons, et plus je vois que ce n'est plus la petite fille qui y est attachée, mais bien toi…je me tords, je ne veux pas voir. La peur me ronge, mais j'ouvre les yeux, le coeur prêt à être arraché.
Immobile, la tête démise, je ne vois pas ton visage caché par tes boucles ternies. Souillée, brisée, mon ange aux ailes brisées. Tu n'es plus qu'un amas de blessures dont le sang s'écoule lentement, mais mes mains sont trop loin, elles se referment sur du vide.
Te voir ainsi est comme un coup au ventre, j'ai mal au cœur, je ne sais pas comment réagir à ce spectacle d'horreur. Mon âme se convulse, mon cœur se révulse, les vertiges me piègent dans leur emprise.
-Non! Pét…
Mais à ma grande surprise, tu relèves faiblement la tête, et une étincelle apparaît dans tes yeux ternis. Le fantôme d'un sourire relève timidement le coin de tes lèvres.
-Flav…
Des mains me forcent à genoux, me brutalisent, m'écrasent et me mutilent, mais je ne les sens pas. Mon regard est accroché au tien, la seule lumière qui me reste, le seul espoir auquel je puisse m'accrocher.
Mes lèvres gercées prononcent difficilement, mais clairement les syllabes que je ne saurais trahir : « À jamais… »
Les bras forcés autour du pieu, je te regarde prononcer les mêmes mots à quelques mètres de moi.
« À jamais… »
Quelques mètres trop loin…
Quelques mètres cruellement vides…
Je sens une pointe métallique sur mes mains jointes, une cime froide et aiguisée. Tu fermes les yeux.
Observant la perle qui humecte ta joue, je comprends.
Le métal pénètre ma chair, la déchire, la taillade, et la transperce d'un coup, me clouant au pieu comme un vulgaire pantin disloqué. Mon corps entier se raidit, grognant et se révulsant contre la douleur, mais la sensation se transforme rapidement en engourdissement. Je reprends mon souffle en plusieurs inspirations pénibles et je sens le sang se mélanger à la sueur entre mes mains brisées.
Les indigènes s'en vont. Ils nous laissent là, la chair ensanglantée et le visage inondé. Nous sommes seuls. Nous sommes ensemble. Seulement nous ne sommes pas que deux. Il y a le froid, qui ressert autour de nous son étau funeste, qui nous serre un peu plus le cœur à chaque seconde… et il y a les loups, qui ne sortent de leur antre que lorsque les ombres sont assez ténébreuses pour s'y terrer…
Viendront-ils rôder cette nuit?
