- Ca va, Mikasa ?

L'intéressée tourna la tête vers la voix qui l'avait interpellée. La douce et gentille Christa la fixait de ses grands yeux bleus, l'air sincèrement inquiet.

- Très bien, merci, lâcha Mikasa d'un ton plus coupant qu'elle ne l'aurait souhaité.

- Tu es sûre ? Tu n'as quasiment pas décroché un mot depuis ton duel avec Conny et je t'entends grincer des dents depuis mon lit. Si tu continues comme ça toute la nuit, demain matin il ne te restera plus que les gencives.

Embarrassée, Mikasa se força à détendre les mâchoires. Est-ce qu'Eren la rejetterait si jamais elle se retrouvait sans dentition… ? Peut-être que des fausses dents pourraient compenser, mais le résultat n'était pas garanti et ce genre de soins coûtait affreusement cher elle ne pourrait jamais se le permettre.

- Euh… Je ne voulais pas t'inquiéter encore plus… reprit Christa en voyant l'air anxieux qui s'était formé sur le visage de Mikasa. Est-ce que… tu veux en parler ? Ça restera entre nous, je t'assure.

Mikasa regarda autour d'elle. Cela faisait près d'une heure qu'elle fusillait le plafond du regard, allongée sur son lit. Les lampes disposées dans le dortoir seraient bientôt éteintes, conformément au règlement. Entre temps, la plupart des soldates vaquaient à leurs occupations, discutaient entre elles ou essayaient déjà de s'endormir. Constatant que personne ne se trouvait à proximité immédiate, Mikasa se redressa en poussant un soupir.

- Excuse-moi. Je n'arrive pas à m'enlever de la tête ma défaite contre Conny.

- Ce n'est pas si grave, tu sais… Et puis sa technique n'était pas très fair-play, il a été obligé de tricher pour t'avoir.

- Tricher ? murmura Mikasa, pensive. Non, il a eu raison. En situation de combat réel, personne ne te fera de cadeau, surtout les titans. Tous les coups sont permis. Le principal est de s'en tirer vivant. Mais je n'ai pas su anticiper sa manœuvre. J'aurais dû me méfier en voyant qu'il avait une larme rangée dans son fourreau, j'aurais dû deviner qu'il avait un plan et qu'il pouvait tenir quelque chose dans la main… J'aurais dû le prendre de vitesse… J'aurais dû contre-attaquer ou réussir à me mettre à l'abri, même en n'y voyant plus rien…

Christa émit un petit sifflement.

- Je ne pensais pas que tu ruminais autant après un échec. Je veux bien croire que ton amour-propre en ait pris un coup, mais est-ce si…

- Il ne s'agit pas de cela, l'interrompit Mikasa.

Christa la dévisagea en silence, attendant la suite.

- Ce n'est pas une question d'amour-propre. C'est une question de force, de capacité à protéger ce qui compte réellement pour moi.

Christa lui adressa un de ces doux sourires dont elle avait le secret.

- Je sais que sous tes airs un peu sauvages, tu es une fille bien. Mais ne tombe pas dans l'excès. La perfection n'existe pas. Les victoires ne sont pas envisageables sans échecs. Aujourd'hui tu as perdu, mais tu as surtout appris. Plus personne ne pourra t'avoir de cette manière car tu y es préparée. Tu devrais remercier Conny, car ce soir tu es plus forte que tu ne l'étais ce matin.

Mikasa écarquilla les yeux.

- Christa… murmura-t-elle.

Elle fut interrompue par l'arrivée inopinée d'Ymir, qui envahit tout son champ de vision.

- Mikasa ! Christa ! De quoi parlez-vous ?

- Ymir, c'est personnel, répondit gentiment la jeune fille blonde.

- Personnel ?

Voyant qu'Ymir la scrutait d'un air inquisiteur, Mikasa se sentit obligée de la rassurer :

- Je t'assure que je ne suis obsédée que par Eren.

- Hein ? s'étonna Christa. Pourquoi tu dis ça Mikasa ?!

Ymir l'ignora, son attention focalisée sur la jeune asiatique.

- Je vois… Effectivement, je suis rassurée. Christa, je retourne dans mon lit mais je ne désespère pas de réussir à trouver un couchage plus proche du tien ! Ymir marmonna entre ses dents : Quitte à me salir les mains…

- Ymir, que viens-tu de dire ? Je ne suis pas sûre d'avoir saisi…

- Je disais : Bonne nuit ma petite Christa, et à demain !

Ymir lui déposa un baiser sur le front et s'éloigna vers son lit, situé à deux rangées de là.

- Elle est un peu bizarre des fois, non ? s'étonna Christa.

- Tu trouves ? répondit prudemment Mikasa.

- Oui… Mais ce n'est pas grave, je pense qu'elle est un peu comme toi avec Eren. Elle veut à tout prix me protéger.

Mikasa esquissa un sourire. Au même moment, l'ordre de l'extinction des feux fut donné dans le dortoir et les lampes s'éteignirent une à une au milieu de l'agitation des soldates qui regagnaient leurs couchettes.

Allongée sur le dos, Mikasa contempla à nouveau le plafond même si elle n'y voyait plus rien. Elle se sentait complètement rassérénée et constata non sans surprise que ses mâchoires étaient complètement détendues.

« J'aurais peut-être encore des dents à mon réveil… »

Sa voisine de lit avait raison. Elle était ici pour s'entraîner, pour apprendre, et pour être prête à toutes les extrémités. A cet égard, intégrer le bataillon d'exploration était sûrement la meilleure des manières de protéger Eren.

- Christa ? Chuchota-t-elle.

- Mmh ?

- Merci.

~°o°~

Trois jours plus tard, le petit déjeuner fut soudainement interrompu :

- Ceci est un appel pour les nouvelles recrues ! Venez me rejoindre immédiatement au milieu de la cour ! J'ai une annonce de la plus haute importance à vous faire !

Alors que la voix enthousiaste d'Hanji achevait de résonner dans le réfectoire, la tablée des nouveaux engagés se leva avec perplexité.

- Sasha, qu'est-ce que tu fabriques ? s'exclama Jean, qui était coincée derrière elle.

L'intéressée s'immobilisa un instant, une pomme dans chaque main, les joues particulièrement arrondies.

- Che fais quelques réserves, expliqua-t-elle, la bouche pleine. Tout le monde n'a pas terminé ches fruits, et si che ne les prends pas cha risque de finir à la poubelle, alors…

- Je vois, c'est ta bonne action du jour, répliqua Jean en levant les yeux au ciel. Mais grouille-toi, tu vas encore te faire remarquer !

Sasha fourra les deux pommes dans sa poche droite et se saisit de celles de Bertolt et Reiner, qui s'étaient déjà éloignés. Elle les enfonça dans sa poche gauche.

- On ne chais chamais quand aura lieu notre prochain repas, poursuivit Sasha avec philosophie.

- Oui oui, j'ai compris l'idée. Allez, avance !

Le duo se hâta de rejoindre le petit groupe qui les avait devancés. Jean eut l'impression que les autres soldats, encore attablés, chuchotaient sur leur passage et leur jetaient des regards narquois, mais se convainquit que ce devait être à cause de Sasha et de ses poches remplies de nourriture.

« On n'a pas idée d'être aussi morfale… »

Une fois que toutes les nouvelles recrues furent réunies autour d'Hanji, celle-ci reprit la parole d'une voix excitée :

- Bien le bonjour à tous. Je crois que nous n'avons pas officiellement été présentés : je suis la chef d'escouade Hanji Zoe. Enchantée !

Elle parlait avec un enthousiasme débordant qui surprit les nouvelles recrues, desquelles ne jaillirent que quelques timides « bonjour ». Elle ne parut toutefois pas s'en formaliser et poursuivit sur sa lancée :

- Je vous ai réunis ici à la demande du caporal Livaï. Car aujourd'hui, le soldat le plus puissant de l'humanité a besoin de votre aide ! Il m'a demandé de sélectionner cinq d'entre vous pour une mission de la plus haute importance. Une mission capitale pour la survie de l'humanité. Une mission qui va faire souffler un vent nouveau, qui va révolutionner l'ordre des choses, qui va vous obliger à faire des choix cruciaux ! Seuls les cinq premiers à se manifester pourront accéder à ce privilège ! Alooors, lesquels d'entre v… ?

- MOI !

Eren, Reiner et Mikasa s'étaient avancés comme un seul homme. Jean et Armin leur emboîtèrent le pas.

- Magnifique ! Nos cinq volontaires sont au complet ! Suivez-moi, je vais vous conduire jusqu'au bâtiment principal. Les autres, vous pouvez disposer.

- Chouette ! s'exclama Sasha. On va pouvoir digérer tranquillement !

Conny lui envoya un coup de coude dans les côtes.

- Tout doux ! Ne nous fais pas remarquer ou on va se retrouver avec des corvées.

Mais Hanji s'éloignait déjà d'un pas sautillant, n'ayant apparemment rien entendu.

- Chef Hanji ! De quoi s'agit-il exactement ? interrogea Reiner alors qu'ils cheminaient vers un grand bâtiment en pierre.

L'intéressée se retourna avec un sourire jusqu'aux oreilles.

- Oooh ! J'aime bien quand un grand gaillard comme toi m'appelle « Chef Hanji » !

Elle s'approcha tout près de Reiner et lui tâta le biceps.

- Dis-moi, comment fais-tu pour être aussi costaud ? Tu dois te déchaîner pendant les séances de musculation ?

- Euh… balbutia Reiner, visiblement décontenancé.

Hanji éclata de rire.

- Je plaisante ! Ne nous révélons pas tous nos petits secrets dès la première rencontre. Ce n'est pas drôle sinon !

- Certes mais… vous n'avez pas répondu à ma question…

- Vraiment ? fit mine de s'étonner Hanji tout en repartant à grande enjambées.

- Pas la peine, soupira Eren, tu n'en tireras rien.

Il se tourna vers Mikasa, intrigué :

- Dis donc, pourquoi t'es-tu proposée aussi vite ? Il me semble pourtant que tu ne portes pas le caporal Livaï dans ton cœur…

- Je savais que tu allais te porter volontaire, rétorqua Mikasa en haussant les épaules. C'était normal que je sois à tes côtés.

- Ah… Et toi, Armin ?

- Tu n'es pas le seul à te préoccuper de la survie de l'humanité, sourit le blondinet. Et puis, on forme une bonne équipe tous les trois, non ?

Eren approuva avec un large sourire.

- Quelle que soit la mission qu'on va nous confier, on va donner notre maximum ! s'exclama-t-il avec détermination.

Ils pénétrèrent dans le hall du bâtiment avec curiosité. Le caporal Livaï se trouvait au pied d'un grand escalier, en pleine discussion avec le major Erwin. Ils interrompirent leur conversation pour les dévisager.

- Ah, voici nos courageux volontaires ! sourit Erwin.

- Nous sommes prêts, major ! s'écria Eren en frappant son poing sur la poitrine.

Livaï regarda le petit groupe d'un air ennuyé.

- Hanji… Je suppose que tu ne leur as rien expliqué, comme d'habitude ?

- Bien sûr que si ! s'offusqua Hanji. Enfin… peut-être pas en des termes très explicites, mais…

- Évidemment, soupira Livaï. Erwin, on se voit plus tard. Allez les bleus, suivez-moi. Je vais vous donner votre matériel.

Ils le suivirent jusqu'au premier étage, le regardèrent ouvrir une porte qui donnait sur un placard, farfouiller à l'intérieur et leur tendre le premier élément de leur équipement.

Eren se frappa la main sur le front et Mikasa l'entendit marmonner avec détresse :

- J'aurais dû m'en douter…

Voyant que personne ne bougeait, Livaï agita le bras d'un air agacé :

- Oh ! Je ne vais pas tenir ça toute la journée ! Que le premier se dévoue !

Reiner se saisit de l'objet, perplexe.

- Mais, caporal… c'est un balai… ?!

- Perspicace !

Livaï sortit quatre autres balais, des plumeaux, des seaux ainsi que des serpillières qu'il leur tendit sans autre cérémonie :

- Réjouissez-vous, vous allez faire preuve d'autonomie et d'initiative au cours des deux prochaines heures.

Il noua un foulard au niveau de sa bouche.

- Mon équipe et moi nous occupons du rez-de-chaussée, et vous du premier étage. Je vous laisse vous organiser entre vous. L'important est que le résultat soit là.

- Le résultat… ? répondit Reiner d'une voix faible. Mais la mission, qu'est-ce que… ?

Livaï émit un claquement de langue agacé.

- Et moi qui louais ton sens de l'observation il y a deux secondes à peine… Votre mission ? Elle est on ne peut plus simple : Ranger. Balayer. Astiquer. Récurer. Et que ça saute !