2.1 And my spirit is crying for leaving
Le silence. Un battement de cœur. Se remplir du silence. S'en imprégner. Prendre une grande respiration. Sentir son corps. Et frapper. Le coup est si fort que le sac de sable part en arrière avant de revenir en oscillant. Encore. Ses jointures lui font mal à force de cogner. Encore. Le soleil commence à se lever doucement et projette sa lumière rose dans la salle. Encore. Lorsqu'il s'est réveillé, elle n'était plus là. Partie, sans même un mot. Frapper encore. Son odeur était encore présente. Les draps encore froissés. Marteler le sac, de plus en plus fort. Il avait enfoui son visage dans l'oreiller et avait pris une grande inspiration pour s'emplir d'elle. Taper, toujours plus. Il avait eu envie de pleurer. Parce qu'il aurait aimé qu'elle soit encore là. Le dernier coup part, le sac est projeté en arrière avec violence.
Hux s'arrête un instant, complètement essoufflé. Il n'y a personne dans la salle d'entraînement. La plupart des soldats sont encore en train de dormir ou de prendre leur petit-déjeuner. Il est seul. Il se laisse tomber sur le tapis de sol, épuisé. Complètement seul. Sa respiration rencontre son écho dans l'immense salle vide. Irrémédiablement seul. Une douleur gronde dans son ventre depuis qu'il s'est réveillé. Une douleur qu'il connaît bien. Il l'a ressentie tellement de fois. Lorsque son père le lançait dans des combats contre d'autres enfants. Lorsque les seuls garçons avec qui il tissait quelques liens fragiles risquaient de mourir de sa main, le lendemain. Il s'allonge sur le sol, fixe le plafond immaculé. Il entend toujours leurs cris. D'abord de rage, ce genre de hurlement qui fait frémir l'adversaire, qui libère toutes les forces. Puis de peur, lorsqu'ils comprennent que le garçon en face d'eux est plus fort. Plus fort qu'eux. Plus fort que tous. Ils réalisent qu'ils ne sont plus rien, qu'ils ne reverront plus jamais le soleil se lever, ne sentiront plus jamais l'odeur d'une fleur. Qu'ils vont mourir. Hux n'a jamais eu cette peur. Il en a eu, pourtant. Des centaines. Mais pas celle-là. Parce qu'il savait qu'il n'allait pas mourir. Qu'il allait continuer à vivre, encore et encore. Seul. Si seul.
Peut-être qu'il aurait fini par renoncer. Il se le demande, parfois. Peut-être qu'un jour, il les aurait laissés gagner. Il aurait arrêté de se battre, tout simplement. Il aurait encaissé les coups, au lieu de les donner. Il aurait fini par se faire transpercer par une lame, et tout aurait été fini. Mais en cédant, il aurait vu la déception dans les yeux de Brendol. Et c'est pour ça qu'il a continué. Parce que son père le regardait. Son père le lançait dans l'arène et l'observait éliminer une à une toutes les recrues de sa nouvelle armée. Il sélectionnait ceux qui arrivaient à lui faire toucher terre. Peu d'entre eux y parvenaient. Peu d'entre eux vivaient suffisamment longtemps pour ça. Il a envie de vomir. Il ne veut pas y penser. Ces quelques souvenirs lui compressent le cœur, l'empêchent de respirer. Il en rêve, parfois. Les seuls moments où les fantômes de ces enfants ne l'assaillent pas, c'est lorsqu'il est avec Raene. Dans ces moments, plus rien ne le hante. Il est serein. Lorsqu'il dort contre elle, c'est d'un sommeil de plomb, reposant. Il fait mine de se relever. Il faut qu'il aille la voir. Il faut qu'il soit tranquille. Non. Il renonce, reste au sol. C'est inutile. Ils ont tous les deux un autre avenir que celui d'être ensemble. Et ça lui va très bien.
De toute façon, rester seul est l'unique futur qui lui est promis. Il le sait. Son père le lui a suffisamment répété, lorsqu'il lui adressait encore la parole. Il a adopté cette idée, l'a intégrée en lui. Il est un bâtard, une tâche à son nom. Il contaminerait la moindre personne envers qui il ressentirait ne serait-ce qu'une once d'affection. Alors Hux s'y fait. Il n'aime pas. Il n'aimera jamais. Il a transformé son cœur en un bloc de marbre qu'il a entouré d'une muraille infranchissable. Il n'imposera son amour vicié à personne. Il continuera de travailler, encore et encore, d'être le meilleur, mais il n'aimera pas. Lorsqu'il sera de ceux qui dirigent la galaxie, il regardera son peuple du même air froid que son père et saura, au fond de lui, qu'il n'a aucune faiblesse.
Il n'a pas entendu le soldat arriver. Celui-ci tousse doucement pour signaler sa présence. Hux trésaille, comme si son corps avait été parcouru d'une décharge électrique. Il se sent rougir. Il ne veut pas qu'on le voit en position de faiblesse. Il ne veut pas que ses soldats puissent penser qu'il a la moindre faille. Il se relève d'un bon, le corps encore luisant de transpiration. Se tient droit. Reprend son regard de glace. Le soldat se balance sur ses jambes un moment, sans trop savoir quoi dire. A l'Académie, nombreux sont ceux qui sont intimidés par le Sergent. Il est connu pour être incroyablement intransigeant avec les hommes qu'il entraîne. Être dans sa troupe, c'est s'entraîner du matin au soir, sans répit. C'est recevoir d'avantage de critiques que d'encouragements. Après tout, c'est comme ça qu'on lui a toujours appris. Mais cela signifie aussi faire partie des meilleurs, de l'élite. Il a gagné le respect de tous les soldats qui travaillent avec lui.
— Et bien ? s'impatiente Hux. Un problème, soldat ?
— C'est le Général Sloane, Sergent... bafouille le jeune homme.
— Quoi, le Général Sloane ? Parle, avant que je te colle au ménage.
— Elle vous fait mander, Sergent.
Hux soupire. Il n'en peut plus de tous ces hommes complètement incapables. Pas fichu de délivrer un message simplement et rapidement. Il faut toujours les pousser. Il se défait des bandes de tissu dont il a entouré ses mains. Ses phalanges sont rouges et enflées, suite aux coups qu'il a donnés. Il y est allé trop fort. Il aura sans doute quelques difficultés à écrire, durant les prochaines heures. Il attrape sa serviette et essuie son visage moite. Le soldat est toujours là, regarde autour de lui comme s'il découvrait les lieux. Hux serre les dents. Quel imbécile. Il a envie de le gifler, simplement pour le faire réagir. La sélection de l'armée est trop légère, maintenant. Ils se retrouvent avec des empotés. Il faut prendre les meilleurs. Hux se dirige vers la sortie, sans prendre la peine de décrocher le sac de sable. Il servira bien à quelqu'un. Il espère.
— Vous comptez prendre racine ? crache-t-il au soldat en passant devant lui. Allez courir. Pendant deux heures. Pas de pause. Exécution.
Le soldat rougit, bredouille quelques excuses et s'en va en trottinant. Hux pourrait aisément lui faire un croche-pied. Le faire tomber. L'humilier. Il sert les poings. Ce ne serait pas professionnel. Il faut qu'il retourne frapper ce fichu sac de sable. Il faut qu'il évacue. Il faut qu'il laisse sortir toute la rage qu'il a en lui, aujourd'hui. Il se dirige vers ses appartements à grands pas rapides. Son statut lui permet d'avoir une petite chambre individuelle, et une salle de bain personnelle. Il n'est plus obligé de se mêler à tous ces imbéciles qui s'amusent comme des enfants dans les douches communes. Il peut rester tranquille. Seul. Ses draps sont encore défaits. Il sait que, s'il se penchait un peu au-dessus du lit, il pourrait encore sortir l'odeur du parfum de Raene. Il se retient. S'enferme dans la salle de bain.
Le jet d'eau froide le heurte de plein fouet. Coupe sa respiration. Il peine à reprendre son souffle. Sa tête tourne un instant. Puis il s'habitue. Il reste là, la tête posée contre le carrelage mural, à attendre que son corps se refroidisse. Les yeux grands ouverts, il essaye de calmer le monstre qui hurle au fond de sa poitrine. Ce monstre qui l'accompagne depuis toujours. Une chose inhumaine qui le dévore un peu plus chaque jour, le consume de sa rage et de sa rancœur. Plus le temps passe et plus il a du mal à le repousser, le contrôler. Aller frapper un sac de sable est bien la seule chose qui le calme. Ça, et Raene. Il augmente le débit de l'eau pour chasser cette idée de son esprit.
Il ne sort de la douche que lorsqu'il est entièrement propre. Sa peau est rouge tant il l'a frottée. La rage qui l'habite le rend si sale à l'intérieur qu'il préfère s'écorcher la peau pour être immaculé extérieurement. Il s'habille en silence, la tête légèrement plus vide qu'à son réveil. Le monstre gronde mais ne hurle plus. Il pousse un juron lorsqu'il voit l'heure. Il a perdu toute notion du temps et Sloane l'attend maintenant depuis plus d'une demi-heure. Alors qu'il s'apprête à partir, un léger éclat attrape son regard. Sur la table de nuit, deux petites boucles d'oreilles en or blanc. Raene les aura oubliées. Sans trop savoir pourquoi, il les enfourne dans sa poche et claque la porte de sa chambre. Il court presque dans les couloirs, peu désireux de faire attendre son mentor. Il a l'impression que le trajet n'a jamais été aussi long, il entend presque une petite montre égrainer les secondes à son oreilles.
Il arrive enfin devant la porte du bureau du Général, essoufflé. Il frappe timidement. Sloane va très probablement lui faire un sermon, et à raison. Il faut qu'il soit parfaitement ponctuel. C'est une question d'ordre. De discipline. Sans discipline, le monde n'est que chaos et anarchie. La voix dure et autoritaire de Sloane lui ordonne d'entrer. Il pousse la porte doucement, prend le temps de la refermer. Ne pas montrer qu'il a couru. Garder la face en toute circonstance. Donner l'illusion de contrôler parfaitement la situation. La Général est assise derrière son immense bureau. Elle termine d'écrire un message sans même lever les yeux. Hux reste debout, les mains derrière le dos. Il a beau venir régulièrement ici, il ne peut s'empêcher d'être séduit par l'impression de puissance qui se dégage du mobilier. Toutes ces énormes bibliothèques, chargées de livres et de dossiers, ces fauteuils confortables, ce bureau gigantesque. Et cette immense baie vitrée. De là, Sloane peut admirer l'immensité d'Arkanis, les hauts immeubles de verres qui s'étendent à perte de vue, les ruines d'anciennes civilisations qui bordent la ville et où les enfants se retrouvent pour jouer... et où Hux et Raene se donnent régulièrement rendez-vous.
La Général pointe un des fauteuil du doigt, toujours concentrée sur son écran. Hux s'exécute et s'installe. Il se laisse enrober par le cuir confortable et moelleux. A envie de fermer les yeux et de ne plus jamais bouger. Mais il reste aux aguets, imperturbable.
— Prends un biscuit, Armitage.
— Pardon, mon Général ?
— Prends un biscuit.
Du bout du doigt, elle lui tend une petite boîte de bois gravée dans laquelle sont soigneusement posés quelques biscuits. Perplexe, Hux obéit et se saisit d'une des gâteries. Il ne sait plus trop où se mettre. De longues, trop longues secondes s'écoulent. Finalement, Sloane lâche l'écran des yeux et se laisse tomber sur le dos de son fauteuil. Elle joint le bout de ses doigts et observe un instant le jeune homme devant elle. Un léger sourire éclaire son visage d'ordinaire si fermé.
— Raene Inkari. Tu vois qui c'est, je suppose ?
Hux rougit, baisse la tête. Il était sûr que les événements de la réception finiraient par revenir sur le tapis, un jour ou l'autre. Peut-être même que son père avait chargé Sloane de le reprendre.
— D'où est-ce que tu la connais ?
— Nous sommes... étions des camarades de jeux lorsque nous étions petits.
— Eh bien, sourit le Général, la soirée des Inkari devait être une bonne occasion d'évoquer de vieux souvenirs.
Il ne dit rien. Il n'a rien à dire. Des occasions, ils en ont eu des dizaines. Ils l'ont déjà fait. Il n'est cependant pas assez fou pour le préciser à son mentor. Ce genre d'incartade pourrait lui valoir son rang, sa place dans l'armée. Il pourrait même très probablement finir ses jours derrière les barreaux. Alors il se tait. Il n'a rien d'autre à dire. Il sait que cela ne dérangera pas Sloane. Après toutes ces années, ils ont appris à communiquer en silence, se comprendre sans les mots. Il ne peut cependant pas s'empêcher de laisser ses pensées vagabonder vers son enfance. Lorsqu'il était encore trop jeune pour réellement comprendre le principe de classes sociales et qu'il passait ses journées dans la rue, à courir avec les autres gamins du quartiers, lorsque son père n'exigeait pas sa présence à l'Académie. Ils se mélangeaient tous, héritiers, enfants de domestiques, fils et filles de commerçants... bâtards. Ils se lançaient dans de grands jeux qui leur duraient toute la journée, et souvent même celle du lendemain. Se pourchassaient entre les étalages des vendeurs, escaladaient les murs, se roulaient dans la poussière. Parfois, lorsque le soleil était au plus haut, ils chipaient un fruit et devaient se carapater sous les hurlements du marchand. C'était lors de ces jours heureux qu'il avait rencontré Raene.
Il n'était qu'un gosse parmi les autres, ou presque, mais il s'était toujours sentit supérieur. Il était celui qui devait commander. Le chef ultime. Peut-être à cause des combats. Peut-être parce que c'était dans son sang. La plupart du temps, les autres s'inclinaient, principalement parce qu'il était celui qui tapait le plus vite et le plus fort. Mais pas Raene. Elle lui avait tenu tête, inlassablement, jusqu'à ce qu'il lui concède de mauvaise grâce la place de second. Parfois, elle avait même exigé qu'il la laisse diriger, mais c'était plutôt rare. Elle se fichait bien de la hiérarchie, du pouvoir qu'elle avait sur les autres. Elle ne faisait ça que pour le contrarier. Lui montrer que tout ne lui était pas acquis. Cette petite fille, plus jeune que la majorité des autres enfants, était donc arrivée comme une reine et avait tenue sa place durant des années. Encore aujourd'hui, certains enfants, qui sont désormais des hommes plus haut placés qu'elle, continuent de lui montrer le respect d'un subordonné envers son chef.
— Je suis désolé, mon Général, mais je ne vois pas très bien où vous voulez en venir... risque Hux.
Il a soudain peur qu'elle lui annonce qu'elle sait. Depuis le début. Peut-être qu'en quittant ses appartements, cette nuit, elle a été vue... Elle fait particulièrement attention, en général, mais un soldat croisé, un bruit qui court et tout est fini. Il savait bien que c'était trop dangereux de la faire venir ici.
— Armitage, est-ce que tu sais ce qu'est la plus grande faiblesse du Premier Ordre ?
Cette fois, il est définitivement perdu. Il n'a plus la moindre idée de ce qu'elle peut bien vouloir lui dire. Il regarde le biscuit auquel il n'a pas touché et le fait tourner entre ses doigts. Une discussion informelle.
— Nous sommes en sous-nombre, assène Sloane. Les quelques planètes sur lesquelles nous avons réussi à nous réfugier étaient pratiquement vides lorsque nous sommes arrivés. Nous sommes certes parvenus à reprendre du poil de la bête mais la Nouvelle République nous écrase encore largement sous son poids. Est-ce que tu comprends ?
Il hausse les épaules. Il comprend très bien ce qu'elle est en train de lui dire, mais il ne saisit absolument pas son besoin de le faire mander pour lui raconter tout ça. Ni pourquoi elle a commencé en parlant de Raene...
— Tu as déjà pensé à te marier ? finit par demander Sloane.
Il a l'impression que tous ses organes se ratatinent à cette question. Il commence vaguement à voir le lien entre les sujets amenés par le Général, mais il ne l'avait jamais envisagé, même dans ses pires cauchemars. Sa bouche devient sèche, sa gorge se serre. Dans son ventre, le monstre se retourne, commence à le griffer pour sortir. Non, il n'a jamais pensé au mariage. Il n'y a pas le droit. Il sera seul toute sa vie. Crèvera seul. Ses doigts écrasent le biscuit qui s'effrite sur son costume sans qu'il ne s'en rende compte. Il aimerait pouvoir partir en courant, retourner frapper dans son sac de sable, mais il semble collé au fauteuil.
— Non, mon Général.
— Il faudrait. Peut-être. J'y ai longuement réfléchi et je pense qu'après quelques négociations, Joren Inkari acceptera de te céder sa fille. Tu es un membre prometteur de l'Académie et tout le monde sait que tu es promis à de grandes choses. Bien sûr, il faudra que tu...
— Sauf votre respect, mon Général, la coupa Hux en se redressant, mais il ne faudra rien du tout. Je ne compte pas me marier, particulièrement avec Raene Inkari et encore moins au terme de « négociations », comme vous dites. Je suis entièrement voué à mon travail ici, à l'Académie, et une famille serait un fardeau dont je ne veux pas. Spécialement avec quelqu'un que je n'ai pas choisi.
Il s'est complètement levé, alors qu'il parlait. Les poings serrés, il se tient droit, face à Sloane qui le regarde sans rien dire. Le monstre prend de plus en plus d'ampleur dans son ventre. Un mot de trop de son mentor, et il prendrait complètement le contrôle. Malgré tout le respect pour la hiérarchie dont il peut faire preuve, Hux tourne les talons. Il le faut. Il le faut ou il explosera. Il ne peut pas rester dans cette pièce où ses cauchemars le rattrapent. Une famille avec Raene... Son seul lien avec les enfants a été créé dans une arène, un poignard à la main. Son unique modèle familiale est celui d'une mère morte en couche et d'un père qui brisait une trique sur son dos quand il ne le forçait pas à combattre. Une famille, pour lui, c'est la mort. Purement, et simplement.
— Mais enfin, Armitage, lance Sloane, tu ne vas pas rester seul toute ta vie !
— Si, gronde-t-il. Précisément.
Il claque la porte du bureau un peu plus fort qu'il ne l'aurait voulu. Il ne sent pas l'unique larme rouler sur sa joue alors qu'il se dirige à grands pas vers la salle d'entraînement. Seul.
