La contemplation mutuelle se fait en silence, honnêtement je sais plus si lui avoir demandé d'enlever son casque était une bonne idée. Il me déstabilise, et je sais que le sentiment n'est pas dû qu'à l'alcool.
Tout est tellement plus expressif tout d'un coup, mais une chose me reste à l'esprit : il m'a réellement écouté, il a enlevé son masque. Je sais pertinemment qu'étant donné qu'il est dans ses appartements, il l'aurait ôté tôt ou tard, que je lui ai demandé ou non.
Cependant il aurait très bien pu poursuivre cet échange sans masque, comme il le fait toujours. Et ça fait bizarre qu'il ait écouté cette demande, lui qui d'habitude est borné et n'écoute rien de ce que je pourrais lui dire.
— Tu es blessée.
Au départ je ne comprends pas sa phrase, si c'est une question, si c'est un constat, je ne comprends que lorsque je fronce les sourcils et que mon crâne me fait mal.
Avant son arrivée, l'alcool m'avait complètement anesthésié, il avait annihilé mes sensations, engourdis mes sens. Mais je sens sur le moment, alors que je fronce mon front, que ça tire, ça fait mal à deux endroits.
L'une des douleurs provient de mon front près de la naissance de mes cheveux à ma droite, la seconde s'étend sur une partie de ma joue et ma lèvre. La lèvre, je l'avais remarqué, elle me meurtrissait à chaque fois que j'amenais le col de ma bouteille à ma bouche.
J'avais dû me l'ouvrir. Concernant mon front, j'avais une petite idée de la manière dont cette douleur et ce potentiel hématome avait pris place.
— Que t'est-il arrivé ?
Je n'ai pas envie de répondre à sa question, tout simplement parce que j'ai honte de la réponse. Pour me procurer ces bouteilles, je ne m'étais pas servie dans la cale de Snoke. Je m'étais rendue à la cantine où était aménagée une partie bar.
Il y avait d'autres Stormtrooper, certains habillés en civils comme ça pouvait être parfois le cas. Les Stormtrooper venaient souvent dans cette partie de la cantine, c'était comme une sorte de salle commune où tout le monde se retrouvait pour discuter et passer des bons moments.
Mais c'était aussi un endroit sympathique pour boire, autant de simples rafraîchissements comme de la Spotchka que des alcools plus ou moins forts. J'étais à la base partie pour un simple verre d'alcool très fort pour éteindre d'un seul coup ce sentiment qui me rongeait désagréablement.
Mais l'un des Stormtrooper m'avait appelé. Un groupe de soldats, pour la plupart habillés de simples vêtements et d'autres dans leurs armures sans casques, m'avait invité. Ils entretenaient une sorte de concours de shot dont le principe ressemblait à toutes les autres compétitions d'alcool.
Ils me proposèrent de les joindre, se demandant comment une Sith pouvait gérer l'alcool. J'étais venue pour me saouler, je ne perdais rien en échange de cet engagement, alors j'ai tout simplement accepté.
Alors que trois troopers avaient déjà roulés sous la table et que d'autres avaient abandonné, je faisais l'affront du dernier encore debout. Il vacillait, ses yeux luttant contre l'envie presque irrésistible de clore ses paupières et de s'endormir.
Je n'étais pas loin de m'abandonner au sommeil non plus, mais probablement moins que lui. Nous prenons notre shot suivant, ne détachant pas nos yeux l'un de l'autre. Je commençais à être lassé de ce jeu, il commençait à se faire tard et qui sait ce à quoi mon emploi du temps ressemblerait le lendemain.
Alors que nous retournions notre shot sur la table, s'alignant avec tous les autres en un groupe grotesque, j'utilisais discrètement la Force en lui lâchant un simple mais convaincant : « t'as l'air crevé, ça serait pas mieux si tu résistais plus ? ».
Après qu'il ait acquiescé, absolument manipulé et obnubilé, je l'autorisais à lâcher prise. Il tomba tête la première sur la table. Sauf qu'un trooper titubant, l'alcool circulant dans ses veines, remarqua mon raccourci à la victoire.
Une dispute violente et houleuse entre personnes déchirées, dont moi-même, éclata. La querelle grimpa rapidement, je senti mon bras se faire fermement agripper, et ça m'a suffit pour vriller.
J'ai éjecté un soldat contre un mur, écrasant une chaise ou deux au passage. L'un d'eux m'asséna un coup lâche mais assez puissant sur le crâne avec sa matraque, je ressens encore la douleur du coup. Je lui envoyais mon poing dans la figure et renversait d'un geste vague la table sur lui grâce à la Force.
Un autre bondit sur moi, m'envoyant une droite sur la joue et en partie sur ma bouche. J'empoignais une chaise et lui envoyait avec cette dernière un coup impressionnant dans le ventre. Le souffle coupé, il se rétame au sol en avalant de grandes goulées d'air, mieux qu'il n'avale l'alcool.
La Force est tellement plus simple à utiliser sous alcool et la colère, je m'en souviendrais peut-être pour plus tard. J'observais les dégâts puis crachais dans un de mes anciens verres de shot : la salive se mélangea au carmin du sang, ma lèvre s'était ouverte.
La cantine avait l'aspect d'un petit champ de bataille. Aucun autre trooper n'osait s'avancer, ils avaient raison, il semblerait que j'avais du mal à me contrôler moi-même.
Je me dirigeais alors au bar, le barman semblait effrayé, mais tout ceci ne lui paraissait pas nouveau. Je lui demandais alors une bouteille de Raava. Doucement, il me fit comprendre qu'il n'en avait plus, le groupe de soldats et moi-même ayant terminé toutes les bouteilles.
Je soupirais puis pris une grosse inspiration. Le reste de la salle retenait son souffle. Je demandais alors une bouteille de Spotchka. Je devais freiner l'alcool pour ce soir, la Spotchka m'aiderait probablement à légèrement décuver.
Hâtivement, il posa une bouteille de verre dans laquelle était contenu le fameux liquide bleu luisant. Je fouillais dans mes poches un crédit, après le minuscule massacre que je venais de faire dans la salle commune, je pouvais au moins donner un pourboire au pauvre barman.
Je posais la pièce dorée sur la résine noire vernis. Bouteille en main, chancelante, je regagnais la sortie sous le regard de tous les troopers.
Effectivement, raconter cet épisode peu honorable à Kylo était une chose que je souhaitais éviter. Je lui répondis simplement :
— Tu entendras probablement parler d'un léger incident à la cantine qui n'est pas de mon fait.
Il incline sa tête légèrement en arrière, comme s'il ne me dominait pas assez ainsi. Le jugement que possèdent ses yeux est tellement intense que je lutte pour ne pas détourner le regard. Il est mécontent, inutile de poser la question.
Si on condense jusqu'ici mes actes glorieux se résument à mon ingurgitation assez conséquente d'alcool avec de simples soldats, l'enclenchement une bagarre qui s'est conclu en plusieurs blessés et du mobilier à remplacer, ainsi qu'une effraction dans les appartements de Kylo sans son consentement. Tout ça, en une seule soirée.
Alors oui, nul besoin de lire dans ses pensées pour savoir que toutes ces bêtises ont été effectuées en un temps record durant son absence. Il doit même se demander le nombre de stupidités que j'ai pu faire pendant le reste de son séjour.
Deux jours, ça faisait seulement deux jours qu'il était partit et je me retrouvais dans un état pathétique. Les conséquences retomberaient probablement sur lui. En tant qu'apprentie Sith, qui plus est nouvelle et débutante, je ne pouvais porter toutes ces responsabilités.
J'avais l'air bien idiote, là, avec ma bouteille de Spotchka dont je n'avais bu qu'un tiers. Tout l'alcool circulant dans mes veines commençait à transporter tous les regrets, et le trafic était fluide sur l'autoroute de la culpabilité.
Il semble détailler mes égratignures, ce n'est pas quelque chose de nouveau sur mon corps. Les coups lors de certains entraînements forment parfois des nuages d'ecchymose sur ma peau, séjournant pendant plusieurs semaines.
Et pourtant, j'ai toujours l'impression qu'il se retient.
— Qu'est-ce que tu as bu ?
Sa question sonne comme un ordre. La deuxième partie de son interrogation aurait probablement été « pour finir tellement déchiré que tu t'es dis que venir ici serait une bonne idée ? ». Je ne lui réponds pas, me sentant honteuse et ayant peur que la suite de sa question concerne la quantité.
— Pas d'Accarragm j'espère ?
Je pouffe.
— Bien sûr que non, je préfère m'amuser un bout de temps avant de tomber raide.
La réponse semble presque le satisfaire, mais il semble toujours exaspéré.
— Tant que tu ne fais pas l'idiote après un shot de Namana...
Mais il ne finit pas sa phrase, il n'en a pas besoin. Accarragm, fait à partir de champignons, est un alcool très fort fabriqué par les wookies, une fois consommé par un être humain, ça vous assomme quasiment d'un coup.
La Namana quant à elle était une liqueur faite avec un fruit exotique, potable pour humain. Elle avait pour effet de produire un effet euphorique et addictif.
Mais étrangement, malgré tout ceci, Kylo et moi on se comprend. On peut pas se blairer plus de deux minutes, certes, mais ils nous arrivent d'avoir des petits moments d'ententes étranges, des moments où on se fiche bien de comment l'autre va le prendre.
Je commence à le contempler, il semble fatigué, des cernes sombres assombrissaient ses yeux. Je me sens coupable, les deux jours qu'il a passés n'ont vraiment pas dû être de tout repos, surtout lorsqu'on sait que Kylo dort très peu.
Il vient toujours aux entraînements avec de sacrés cernes lorsqu'il ne porte pas son masque, je doute qu'il ne fasse des nuits pleines. Il est souvent occupé par les batailles, les stratégies, les rapports à effectuer…
Jamais il ne semble se reposer pleinement, et je viens l'emmerder alors qu'il ne cherche probablement que le repos ? Mais quelle égoïste je fais, quelle imbécile.
Mon attention dérive sur ses cheveux, si sombres. Ils ressemblent au courant calme et noir d'un ruisseau de pétrole. Ils doivent être si doux au toucher, glisser tout seuls entre les doigts, caressant la paume dans leur évasion. Soudain il demande :
— Pourquoi tu me regardes comme ça ?
