Plusieurs jours étaient passés. Jean avait beaucoup de mal à récupérer, ce qui ne manquait pas d'inquiéter sa petite sœur. Habituellement… non. Ce n'était pas habituel qu'elle revienne d'une mission dans un état pareil. C'était même la première fois.
Une jambe cassée, l'épaule luxée, plusieurs côtes fêlées, certaines brisées... Barbara faisait également très attention car en s'occupant de son aînée, elle avait remarqué une large entaille sur son cuir chevelu, à l'arrière. Sans oublier les coupures, les bleus… Une poupée martyrisée par un enfant s'en serait mieux sortie.
Pour autant, tous les matins, lorsqu'elle venait s'occuper d'elle, l'alitée lui posait toujours la même et identique question.
« Tu as des nouvelles de Diluc ? »
Et comme tous les matins, Barbara se mordait la lèvre imperceptiblement, honteuse de devoir mentir à sa sœur adorée.
« Non, désolé. »
Comment lui avouer la vérité ? Jean était déjà très affaibli, mais la lui avouer serait un choc terrible. Ces deux-là étaient des amis, de très proches amis. Peut-être même plus, la nonne n'avait jamais vraiment su. Pour autant un lien particulier les unissait, ça c'était sûr.
« Comment tu te sens ce matin ? » demanda l'infirmière, changeant de sujet.
« Mieux qu'hier, j'imagine. » répondit la maîtresse suppléante de Favonius un peu amer, son regard perdu vers l'horizon de sa fenêtre.
Voir sa frangine ainsi lui nouait l'estomac, mais… en ce moment, c'était elle la « grande sœur », elle devait prendre soin d'elle du mieux possible.
« Est-ce que tu veux qu'on aille prendre un peu l'air devant l'église après le petit déjeuner ? » tenta-t-elle, enjouée, « Il fait très beau aujourd'hui et il n'y a qu'une légère brise. »
Mais Jean refusa poliment. Elle n'avait pas l'envie, encore moins le courage de se montrer dans un tel état aux passants. Sa faiblesse lui faisait honte, elle qui se devait d'être un pilier en équipe. Elle qui était connue pour ses sorts de guérison puissants. A présent, elle était incapable de puiser dans la magie de son œil divin, se retrouvait dans un état tel, que même son adorable cadette ne pouvait guérir à l'aide de son propre cristal magique, et par-dessus tout, elle ne savait pas où et dans quel état se trouvait Diluc.
Kaeya était bien venu la voir pourtant, lui qui était informé de tout, mais il lui avait été impossible de lui soutirer la moindre information. Tout ce qu'il avait pu lui avouer, c'était la difficulté à s'occuper de Klee, qui tentait de tuer tous les monstres avec ses bombes pour la venger. Et pas que des monstres parfois. Elle s'était d'ailleurs disputée avec le petit Timmy car sans le vouloir, une de ses bombes était malencontreusement tombée sur un des pigeons adorés du garçon. Savoir la petite mage en de bonnes mains la rassurait, mais… la bonde ne pouvait s'empêcher d'avoir les idées noires depuis que les pièces du puzzle embrouillé dans son esprit s'étaient finalement rassemblées.
Tous les soirs, quand elle était seule, ses larmes coulaient abondamment en repensant à ce cuisant échec et à son incapacité. Qu'aurait fait Vanessa à sa place ? Peut-être que lorsque ses jambes fonctionneront toute deux correctement, elle pourrait se rendre à l'arbre de Ventelevé pour réfléchir calmement à tout cela.
Le temps passait et la chevalière se remettait doucement de sa dernière péripétie, écoutant assidûment les ordres de sa petite infirmière particulière. Bien qu'elle doive encore se ménager, son moral allait un peu mieux, en apparence du moins. Ses doutes devaient restés secrets, pour Mondstadt.
Mais jouer la comédie était également une spécialité de l'idole de la ville, qui avait vu clair dans son jeu.
Se rendant dans les quartiers de l'ordre à la première heure, elle se dirigea rapidement vers le bureau habituellement occupé par Jean.
A cette heure, tout était encore assez calme et contrairement à ce qu'on pouvait penser, Kaeya travaillait ardemment, assis derrière ce grand bureau en bois qu'elle ne connaissait pas aussi bien qu'elle l'aurait voulu. A droite, Lisa, déjà le nez dans des piles de documents. Tous deux semblaient un peu étonnés de la voir ici, leur visages prenant un air grave, voir anxieux. Il n'était pas habituel que Melle Pegg vienne les voir, d'autant plus au vu de la situation actuelle de son ainée.
« Jean va bien ? » s'enquit aussitôt la mage à la robe violette.
« … Je n'en suis pas sûre. » avoua aussitôt la Diaconesse, « Tous les jours elle réclame des nouvelles de Diluc. Elle est coincée dans son lit, refuse de sortir. » expliqua-t-elle après avoir prit le soin de fermer la porte, « Elle sourit, mais… Ce n'est pas son sourire habituel. Je pense qu'on devrait lui dire pour lui… »
Les deux autres se regardèrent, baissant les yeux, puis Kaeya donna son accord. Après tout, il avait été témoin depuis longtemps des liens tissés entre son petit frère et sa patronnes, et accessoirement ses amis. Il savait que la laisser dans l'incertitude ne lui ferait pas de bien, au contraire.
« Je l'emmènerais le voir tout à l'heure. Lisa, tu pourras rester toute seule aujourd'hui ? » questionna l'utilisateur de glace.
« Bien sûr »
S'entendant sur les détails de la journée, Barbara s'en alla, sans oublier de faire un crochet par l'appartement du pissenlit pour nourrir, comme tous les jours, sa tortue de compagnie qui devait se sentir bien seule en ce moment, puis retourna à l'église apporter son petit déjeuner à l'alité.
Vu la nouvelle qui allait être faite, la jeune fille avait préféré changer le menu, optant pour tout un tas de choses que sa sœur appréciait particulièrement en temps normal, espérant lui remplir un peu l'estomac, au moins ce matin.
La cuisinière attitrée aux repas, Noëlle, s'était fait un plaisir de bouleverser ses habitudes pour préparer pleins de douceurs. Thé, gelée à la menthe, pancakes, et même des beignets de lotus, recette qu'elle avait spécialement apprise, espérant que le goût de l'inhabituel donnerait un peu plus d'appétit à la jeune femme.
Pas besoin de connaître la demoiselle à la rose pour savoir qu'elle appréciait la maîtresse suppléante, tout le monde l'appréciait et était prêt à se mettre en quatre pour l'aider à guérir rapidement, la plupart de la ville étant au courant d'un évènement grave l'impliquant elle et le célèbre barman de la taverne de l'ange.
Le plateau dans les mains, Barbara entra doucement dans la pièce, posant ce dernier sur un petit bureau d'appoint qu'elle occupait quelques heures tous les jours pour tenir compagnie à l'épéiste.
Jean était déjà réveillé, observant ce qu'elle pouvait de la ville par la fenêtre. Elle avait vu l'inhabituel plateau que la chanteuse avait apporté, mais… comme toujours, rien ne lui faisait envie. Elle savait quelle allait être la réponse à sa première question après tout.
« Des nouvelles de Diluc ? » demanda-t-elle lascivement.
« Oui. » répondit prudemment la plus jeune.
Pardon ? « Oui » ? Avait-elle bien entendu ? Enfin. Voilà qui suscitait son intérêt, fixant son regard bleuté sur la religieuse, elle attendait la suite avec impatience.
« J'ai parlé avec Kaeya ce matin. Il passera tout à l'heure pour t'emmener le voir. » expliqua-t-elle, « Mais avant d'aller le voir, tu dois manger un peu. »
Cette réponse n'avait pas franchement réveillé son estomac, mais elle était prête à faire un effort. Surtout vu ce qu'elle avait pour le petit déjeuner.
Ce matin-là, Jean s'était efforcé d'être plus présentable que d'ordinaire, priant sa petite infirmière de l'aider à cacher le plus possible ses blessures. Elle n'avait pas vu le Capitaine depuis plusieurs jours non plus, il fallait qu'elle fasse bonne figure pour que personne ne s'inquiète.
Devant l'excitation de la blessé, Barbara ne pouvait s'empêcher d'être triste en imaginant la scène des retrouvailles qui devait avoir lieu un peu plus tard, mais il ne fallait surtout pas lui mettre la puce à l'oreille, pas maintenant alors qu'elle avait enfin décidé de faire un effort pour se reprendre un peu en main. Même si… cela ne durerait peut-être pas bien longtemps…
