Merci encore pour vos commentaires, c'est fabuleux :D
Réponse à Avril : Les qualités de Eric ne vont en effet pas aider Sherlock, lui qui s'interroge sans cesse. Après tout ce qu'il a subit, je voulais qu'il reçoive beaucoup de douceur. La scène entre Lestrade et Sherlock me fait toujours rire, et je tenais à la retranscrire à ma façon dans cette histoire :D Merci pour ton commentaire !
LE PRISME DE VERRE
•
Chapitre 3 : Violet
Les trottoirs de Londres ont l'habitude d'être rapidement foulés par des milliers d'habitants et de touristes tous les jours, incluant dans l'équation Sherlock. Cependant, le détective marche aujourd'hui d'un rythme lent, irrégulier, emprunt d'une profonde fatigue. Or, ce n'est pas de la fatigue physique qui altère la démarche de Sherlock, mais bien une grande déception. Déception est un mot trop faible pour exprimer son ressenti. Peut-être que chagrin est plus approprié. Son visage en exprime en attendant tous les « symptômes », de son regard assez vide à son sourire vaporisé ainsi que son nez expulsant régulièrement des soupirs. Sherlock ne peut empêcher son cerveau de rejouer en détail la scène qu'il vient de vivre il y a un petit moins d'une heure.
Sans l'intervention de Mary, John n'aurait pas pu contenir un nouvel accès de colère, et de au minima pousser Sherlock pour que ce dernier prenne plus vite la porte. Et malgré la venue directe de sa fiancée blonde dès les premières injures vociférées de John, le détective a tout de même eu le temps d'être à nouveau marqué par les paroles de son ami, son vocabulaire s'étant limité à des « Égoïste, ignare, abruti, connard, va te faire foutre » et autres tristes mots suffisant pour perturber Sherlock. Dans cette lamentable scène, le limier est tout de même reconnaissant envers Mary, qui a accepté d'une part de l'aider à entrer, mais ensuite de sortir sans subir de véritables dégâts collatéraux. Il a déjà vu John être prit d'une puissante colère, notamment à Baskerville, mais pas une aussi violente, et encore moins au point de vouloir visiblement s'en prendre au moindre objet passant sous sa main. Avec du recul, Sherlock se dit qu'en deux ans, John a peut-être changé, et pas forcément pour le mieux. Non. Il ne peut pas penser cela. Il ne veut pas. John fait parti de cette catégorie de personne qui paraît de prime abord particulière, que ce soit par un côté froid, introverti ou grognon, mais qui s'avère être très attachant dès qu'on commence à faire connaissance. Et le côté « attachant » de John a bien plus marqué Sherlock qu'il ne le pense.
Progressant ainsi d'un rythme lent, le détective se sent complètement déboussolé, perdu, et même quelque part vide, ayant la désagréable sensation de ne pas avoir saisi quelque chose d'essentiel, et surtout d'avoir fait bon nombre d'efforts pour amener à aucun résultat véritablement satisfaisant. La partie rationnelle et optimiste de son cerveau lui rappelle d'un ton plus ou moins joyeux que les autres personnes de son entourage sont heureuses de son retour, particulièrement Lestrade et madame Hudson. Mais Sherlock sait, même si ce n'est pas gentil de le penser, que ça n'a pas la même valeur. Le refus de Lestrade ou de Molly l'aurait bien moins affecté que celui de John. Sherlock est presque frustré de ne pas comprendre. Oui, il se doutait bien que son ami n'allait pas dire Amen en quelques secondes, mais cette répulsion aussi prononcée échappe totalement à Sherlock, se sentant désormais coupable. Qu'est-ce que j'ai fais de mal ? se demande t-il, marchant sans prêter attention à l'environnement qui l'entoure, si bien qu'il finit par bousculer quelqu'un sans le vouloir. Il marmonne vaguement un pardon, mais le passant semble si pressé qu'il n'en tient guère compte. Sherlock se décale alors sur le côté du trottoir, marchant au bord, à moins d'un mètre des véhicules passant à un rythme soutenu.
La période de l'année, fin octobre, fait que la nuit commence à tomber relativement tôt, et Sherlock décide de prendre un taxi. Il constate avec un maigre sourire que deux ans après, les taxis londoniens sont très vite à sa disposition, à se demander s'il n'y a pas une part de mystère la dedans.
Confortablement installé à l'arrière du véhicule, Sherlock ne fait guère attention au début des regards que le chauffeur lui jette à maintes reprises dans le rétroviseur, ses yeux exprimant une forme d'impatience, se conjuguant bien avec ses mains semblant frétiller sur le volant.
- Vous êtes Sherlock Holmes ? demande t-il finalement d'une voix mal assurée.
- Oui, répond le détective d'un ton absent, ses yeux louchant sur son téléphone.
- On parle quasiment que de vous sur internet ! Tout le monde écrit des messages de soutien et de fans ! Je suis tellement content que vous soyez en vie !
- Mh.
Sherlock émet un vague marmonnement, guère plus, percevant à peine la voix énergique du conducteur. Les doigts du détective bougent avec nervosité sur l'écran de son téléphone, hésitant pendant une bonne partie du trajet à appuyer sur « John » dans la liste de contact d'appels. Même le chauffeur remarque son trouble, arrêtant de parler pour ne plus déranger, se contentant au final de quelques regards jetés de temps en temps dans le rétroviseur. Sherlock prend une profonde inspiration, et décide d'appeler John.
Une sonnerie, puis deux, puis trois. Une quatrième commence à venir, mais le téléphone indique aussitôt que l'on raccroche à l'autre bout du fil. Il sait que ce n'est pas poli, mais Sherlock s'en moque, alors il tente tout de suite un second appel. Même résultat. Un troisième appel. Pareil. Un quatrième. John finit par décrocher.
- Fous-moi la paix.
Sherlock n'a pas le temps d'émettre la moindre syllabe, John raccroche sur-le-champ. Résigné, le limier ne cherche pas à l'appeler une cinquième fois. D'un air désolé, il se contente de regarder les rues défiler, la tête à moitié appuyée sur la vitre et l'habitacle de la voiture.
•
À la fin du trajet, Sherlock commence à chercher son portefeuille dans son manteau, mais le chauffeur lui explique avec un sourire que la course est gratuite. Le détective ne sait pas pourquoi, mais il remercie d'un léger hochement de tête, et sort du taxi, la porte du 221 a quelques mètres de lui. Sherlock entre, toujours l'air maussade, soupirant à nouveau. Le bruit de la porte se refermant attire aussitôt Hudson, qui sort de son appartement les mains encore humides, après avoir fait la vaisselle. Remarquant la mine de son garçon préféré, elle comprend tout de suite. Avant qu'il ne parte au cabinet, Sherlock a expliqué la situation à sa logeuse, cette dernière le soutenant comme à son habitude, et désolée que John soit aussi amer. D'un ton incertain, la vieille dame demande au détective :
- Est-ce que John… ?
- Non.
- Oh, je suis désolée.
- Ce n'est pas votre faute.
Sherlock dit cela d'un ton neutre, comme par automatisme. Pourquoi les gens s'excusent de manière aussi spontanée ? Sherlock repense à Eric qui semblait aussi désolé quant à sa situation. Le détective stoppe sa montée dans les escaliers, son pas se figeant entre deux marches. Les évènements de la journée impliquant la revue avec ses proches, le grand ménage avec Hudson, certaines personnes l'accostant dans la rue pour lui demander si c'est bien lui et s'il va bien, et surtout le nouveau rejet de John donnent le vertige à Sherlock, ayant l'impression que cette journée a duré plus de vingt quatre heures. Revoir Eric lui effleure l'esprit un instant, mais avec du recul, il a envie d'être seul, dans un appartement qu'il connaît.
Une vingtaine de minutes plus tard, Sherlock se tient à table d'un air absent, tandis que son assiette de filet mignon accompagné de champignons en sauce à peine entamée refroidi au fil des minutes. Madame Hudson monte voir si son protégé mange un peu, et est quelque peu attristée en voyant la mine de ce dernier, n'ayant visiblement mangé que deux ou trois bouchées. D'habitude, il mange avec un assez bon appétit, du moins quand il n'enquête pas. Mais les circonstances actuelles justifient bien l'absence de faim. D'un pas discret, elle fait le tour de la table et se tient à côté du cadet Holmes.
- Sherlock, si vous avez besoin de quoique ce soit…
- Désolé pour votre repas, madame Hudson. Je suis sûr qu'il est délicieux, mais… je n'ai vraiment pas faim. Je n'arrive pas à manger.
- Ce n'est pas grave, je le garderai pour demain.
La logeuse distingue un léger mouvement de tête de la part du détective, ce dernier pose son regard sur la vieille dame. Hudson soupire à son tour. Elle a déjà vu Sherlock en proie à quelques moments semblables à de la mélancolie, notamment avant sa rencontre avec John, ou quand le médecin était absent, mais de ce qu'elle a pu voir, elle n'a guère souvenir d'une telle détresse dans les yeux d'habitude pétillants et aux aguets du détective consultant. Elle hésite un court instant, mais décide tout de même de d'abord poser une main sur l'épaule voûtée de Sherlock, ce dernier tressautant un petit peu au contact, pour après se détendre. La logeuse est rassurée quand Sherlock se détend complètement, tandis qu'elle l'enlace par dessus, ses bras entourant son buste et son visage se posant avec douceur sur son crâne. Aussitôt, elle sent une main moite entourer son poignet et le serrer, juste avant qu'une goutte ne tombe sur sa peau flétrie. Tous deux ne disent rien, et Hudson commence à bercer Sherlock, sentant sa respiration se détendre un peu.
•
Allongé dans son lit, Sherlock a prit le temps de se mettre dans une tenue adéquate pour le sommeil, c'est-à-dire son vieux pyjama délavé, enfilé à l'envers comme il préfère, et sa robe de chambre en soie bleue. Échoué comme une étoile de mer sur le matelas, Sherlock a le dos de la main droite posée sur le front, essayant de calmer ses pensées. Il faut dire que le câlin de madame Hudson l'a beaucoup aidé. Il avait l'impression d'avoir de nouveau six ou sept ans, quand sa mère ou son frère venait le réconforter alors qu'il venait de se faire embêter par un quelconque camarade de classe plus grand que lui, ou qu'on refusait de jouer avec lui dans la cour parce qu'il était, d'après les enfants, bizarre.
Les dires de John remuent cette douleur du passé, pas aussi empoisonnés que ceux innocents des enfants, mais tout aussi perturbants. John ne l'a guère traité de taré ou d'une quelconque insulte de ce style, mais ses réflexions quant à une hypothétique absence de conscience et d'un égoïsme remettent en question tout ce qu'il a accompli. Aurait-il dû en parler à John ? Le mettre au courant ? Connaissant le phénomène, et sa fidélité (à l'époque), Sherlock ne doute pas un instant que John l'aurait même suivi à travers le monde pour détruire le réseau de Moriarty. Mais le détective n'a pas voulu. John aurait été trop exposé en danger. Il espère que son ami le comprendra un jour, et peut-être le pardonnera. Pour l'heure, rien n'est sûr.
Dans un accès d'espoir, Sherlock prend son téléphone. Il n'appelle pas John, il est tard, et il est peu probable qu'il décroche. À la place, il écrit un message des plus sincères.
Je suis désolé. Vraiment. -SH
Sherlock préfère continuer de signer, n'étant guère sûr que John ait gardé son numéro dans ses contacts… Penser cela fait à nouveau glisser une larme sur sa joue. Avec un nouveau soupir, le détective se dit qu'en attendant une quelconque réponse, il peut toujours reprendre là où il s'est arrêté. Avec l'annonce de son retour, sa boîte mail déborde de messages, tantôt de soutien, tantôt de demande d'enquêtes plus ou moins intéressantes et orthographiées. Dans cette journée interminable, Sherlock est aussi reconnaissant envers Mycroft, son frère n'ayant envoyé qu'un message pour confirmer l'officialisation de son retour, ainsi que l'élimination complète du réseau. Il s'attendait à ce que son aîné le nargue quant à sa situation avec John, mais à part une vague remarque à son bureau, Mycroft n'a pas insisté. À la place, il a fait en sorte qu'aucun journaliste ou photographe ne vienne s'agglutiner au 221.
Sherlock est aussi redevable pour son sauvetage en Serbie. Le groupe était le tout dernier du réseau, et Mycroft est venu le chercher après qu'ils aient perdus tout moyen de contact pendant deux mois. Sherlock ne le dira jamais de vive voix, sauf en cas de situation exceptionnelle, mais il doit beaucoup à son frère, se sentant parfois bête à lui rendre la vie difficile. Mais cette espèce de rivalité est le seul moyen de garder une constance entre eux.
Une vibration sort Sherlock de ses pensées. Son téléphone. Surpris, puis impatient, il récupère en un quart de seconde l'appareil émettant de la lumière suite à la réception d'un message. Pressé, Sherlock déverrouille le téléphone. Et déchante vite. Le message reçu provient d'un numéro non enregistré.
C'est Mary. Encore désolée pour ce qu'il s'est passé hier et tout à l'heure. J'ai essayé d'en discuter avec lui, mais il est très buté. Je vais retenter dans les jours qui suivent, pour qu'il arrête au moins de grogner. Je te tiens au courant si il change d'avis. Un conseil, évite de lui envoyer des messages ou de l'appeler, il se renferme un peu plus à chaque tentative. Bonne nuit quand même.
Sherlock ne sait guère trop quoi penser en lisant ce message. Mary est aussi de son côté, et au fond, ça l'étonne. Il s'attendait à ce qu'elle soit choquée et qu'elle donne raison à John, mais ses tentatives de justification sont touchantes dans un sens. Cependant, si John est si buté, comme dit la blonde, Sherlock est très pessimiste. À ce stade, il préfère attendre de manière neutre, quitte à dès demain se bourrer le crâne à coup d'enquêtes et d'expériences scientifiques.
Il pose ainsi son téléphone, ne répondant pas au message, et éteint la lampe de chevet, la seule source de lumière dans la chambre provenant maintenant de la fenêtre.
•
Quatre jours passent, et Sherlock est content d'avoir une enquête suffisamment intéressante pour ne penser à rien d'autre.C'est Lestrade qui est venu lui apporter dès le lendemain de leurs retrouvailles, tous les membres de Scotland Yard étant tous bouche bée du retour de Sherlock Holmes. La grande majorité s'en veut de nouveau, la plupart des policiers ayant cru la rumeur que Sherlock était un imposteur. Mais le plus concerné n'y prête aucune attention, remerciant simplement Lestrade d'être toujours aussi fidèle au poste. L'inspecteur avait commencé à présenter ses excuses alors qu'il tenait le dossier de l'enquête, mais Sherlock a tôt fait de le rassurer, rapprochant le retour de leur collaboration comme celui de leur confiance. Avec du recul, Sherlock se dit que si Lestrade ne l'avait pas pardonné comme John, le temps serait devenu bien long et ravageur s'il ne pouvait plus avoir accès aux scènes de crimes.
Ainsi, l'enquête que l'inspecteur lui a donné concerne un homme non identifié d'une trentaine d'années, auteur de plusieurs trafics sur la voie publique, mettant en danger les automobilistes (ayant saboté des feux tricolores pour perturber la circulation), des piétons, mais aussi divers lieux publics comme des parcs, des ports ou encore le métro. L'homme a pu être filmé çà et là, mais il porte à chaque fois une tenue dissimulant en grande partie son visage. Ses trafics sont à l'origine de plusieurs accidents, dont un ayant causé trois morts. Aujourd'hui commence la tournée d'une fête foraine, débutant à la capitale, et bon nombre de policiers sont en renfort à la place où se trouve l'évènement, étant donné les penchants du criminel. Le profil du type intriguant fortement Sherlock, il se décide à se rendre à cette fête foraine, espérant le trouver, avec l'aide des sans abris.
N'étant guère familiarisé avec cet environnement, Sherlock se sent vite submergé par la population, les différents stands, attractions et petits camions vendant toutes sortes de nourriture. Sans parler de la musique forte craché par les haut parleurs. Le détective a déployé une trentaine de sans abris, tous déjà payés à l'avance, puis une grande récompense si l'un parvient à localiser le criminel. Les yeux aux aguets, Sherlock sent tout de même son regard se perdre çà et là pour observer tout ce qu'il y a autour de lui. Cela lui rappelle ses nombreux lieux qu'il a dû infiltrer pendant sa mission, cherchant parfois des personnes gravement dangereuses au milieu d'endroits inoffensifs, comme le Taj Mahal, des hôtels, des quais, ou tout simplement des supermarchés. Le contraste avec ses recherches et l'endroit est parfois très ironique.
Pour l'occasion, Sherlock a sorti une de ses nombreuses tenues d'infiltrations, ayant mit cette fois-ci une tenue digne d'un type lambda qui se rendrait à un festival de rock. Madame Hudson était surprise de voir le détective en jean noir, bottines, chemise à carreaux et veste en cuir. Habillé ainsi, personne ne le reconnaît, l'effervescence autour du retour de Sherlock étant encore très présente.
Alors qu'il consulte son téléphone pour vérifier si un sans abri lui a envoyé un message, ce qui n'est pas le cas, Sherlock entend une voix plutôt familière à sa gauche.
- Hé, Sherlock !
Pendant un instant, le limier craint que sa couverture soit brisée, mais les gens sont tant absorbées par l'ambiance de la fête foraine qu'ils n'ont rien entendu. À sa gauche se trouve un stand de barbe à papa, une odeur de sucre et de confiserie chatouillant ses narines. Sherlock est surpris d'y trouver…
- Eric ?
Le détective sourit timidement en reconnaissant cet homme. Eric a la même tenue de travail qu'à la friterie, et ses cheveux sont un peu ébouriffés, accompagnant bien son visage transpirant. Sherlock devrait trouver cela peu ragoûtant, mais les manches retroussées de la chemise noire de Eric, laissant apparaître une partie de ses tatouages, ainsi que ladite sueur font quelque part effet au limier. Et la tenue de ce dernier ne laisse pas le gérant indifférent.
- Je n'aurais jamais pensé que tu porterais ce genre de vêtement, dit Eric tandis que Sherlock se rapproche du comptoir.
- J'enquête, alors je me déguise.
- Et bien ton « déguisement » te va très bien.
Eric dit cela avec une expression qui en dit long, et Sherlock ne peut s'empêcher d'émettre un petit rire mi-gêné mi-flatté. Il tente de se changer les idées, ne voulant pas penser à… ce genre de choses.
- Qu'est-ce que tu fais ici ? demande t-il à ce qui semble être maintenant un ami.
- J'aide un pote qui est gérant de ce stand. Son assistant n'est pas dispo, alors je me suis proposé. Là, il est en pause, mais il m'a dit que je peux le laisser d'ici une demie heure, il y a moins de clients à cette heure-là.
- Dans une demie-heure, tu dis ? questionne Sherlock, ne pouvant retenir son intérêt.
- Ouais. On se rejoint quelque part ?
- Où… Où donc ?
Eric se penche légèrement en avant pour indiquer une direction. Il ne remarque pas les yeux de Sherlock louchant brièvement sur son col de chemise entrouvert, laissant apercevoir la fin des ronces de son tatouage sur la clavicule. Le limier retient tout de même l'endroit que lui indique Eric, à savoir des bancs installés non loin de la sortie et d'une grande roue.
- Bonne chance pour ton enquête ! s'exclame Eric en souriant.
- Merci, à tout à l'heure.
Juste après, deux clientes, des jeunes filles d'à peine une vingtaine d'années s'approchent pour commander de la barbe à papa. Il ne faut pas moins d'une demie seconde pour que Sherlock remarque le regard enflammé d'une des clientes qu'elle adresse à Eric. Il ne peut s'empêcher de froncer les sourcils, mais en voyant l'absence de réaction de la part de son ami, il est vite rassuré. Mais rassuré de quoi ? Son téléphone vibre, coupant son train de pensée. Juste un message d'un sans abri disant RAS. Décidé, Sherlock se remet dans le bain de foule, espérant trouver des indices d'ici le petit rendez-vous.
•
John a toujours aimé les petites sorties le weekend, et il n'a pas besoin d'aller bien loin pour se détendre. Il avait ainsi nerveusement proposé à Mary d'aller à la fête foraine, et était ravi que cette dernière accepte avec un grand sourire. Leur amour similaire des petites attractions concorde bien avec la fête, étant donné qu'il y a divers manèges calmes, à côté de ceux à sensation fortes. Avec les précédents évènements impliquant Sherlock, John s'en veut d'avoir été très bougon avec Mary. Il l'a d'ailleurs remercié pour sa patience en même temps qu'il s'est excusé. Et Mary lui a là aussi tout de suite pardonné, avec juste comme avertissement que si une telle colère lui reprenait, alors il devrait sortir prendre l'air, ou écouter de la musique très forte au casque comme il fait des fois.
Cela fait donc trois jours que ni l'un ni l'autre n'aborde le sujet sensible, et tous deux ont pu reprendre un sommeil convenable, surtout une fois après une longue soirée en amoureux, impliquant un repas quelque peu aphrodisiaque (là aussi, ils sont un amour commun pour le chocolat et les fraises) et une longue étreinte charnelle dans leur lit. Aujourd'hui est une bonne journée, étant donné qu'ils ont passés beaucoup de temps à la fête foraine, riant et mangeant un peu n'importe comment. John avait oublié à quel point il aime la barbe à papa ! Pour conclure cette sortie, c'est spontanément que John et Mary se sont dirigés vers la grande roue. Et même si elle n'égale pas le London eye, elle a l'avantage d'avoir des cabines avec peu de sièges, et donc plus de tranquillité pour chaque occupant. Après avoir payé les places, John tient la main de Mary avec tendresse, attendant que leur nacelle s'arrête et s'ouvre à leur niveau.
Une minute plus tard, ils se retrouvent déjà à environ six mètres du sol, le vent soufflant sur leurs visages détendus. Mary garde les yeux fermés, savourant la petite brise, la lumière du soleil faisant ressortir la couleur délicate de sa peau et la blondeur de sa chevelure. En la regardant, John ne peut s'empêcher de sourire. Il est vraiment chanceux d'avoir rencontré cette femme incroyable et à l'écoute. À l'époque, il commençait vaguement à se remettre de la mort de Sherlock, et n'avait pas très bonne mine. Mais le caractère taquin et pétillant de Mary a eu tôt fait de le refaire sourire, puis rire, puis tomber amoureux. Mary est comme une seconde chance offerte par la vie, et il ne compte pas la laisser passer. Le soleil fait alors scintiller la bague à son doigt, et John se sent définitivement bien.
Mary rouvre les yeux, ses iris bleus en parfait accord avec la lumière qui l'entoure. Elle sourit davantage en voyant l'expression de John. Elle se racle alors la gorge, prenant une brève inspiration, tandis que la roue progresse lentement, la nacelle se trouvant désormais au sommet, à une quinzaine de mètres du sol.
- Dis-moi, John, est-ce que tu comptes le recontacter ?
- Pour… pourquoi tu me demandes ça ? demande John d'un ton incertain.
- Sherlock a comprit ta colère, et il t'a laissé tranquille. Si ni l'un ni l'autre relance tout, vous allez vous perdre de vue.
- Mary, je te l'ai déjà dis, je n'arrive pas à le pardonner. Il saute devant moi, il a bien mit en scène sa mort avec Molly, son frère et ses potes sans abris, et il ne donne aucun signe de vie pendant deux ans. T'en connais des personnes qui font ça ?
- Non, et tu sais pourquoi.
- Mary, je-
- S'il te plaît, va lui parler. En vrai. Ne serait-ce que pour éviter de laisser à chacun une mauvaise impression.
- Je vais réfléchir…
John soupire. Il se sent bête quelque part de se comporter ainsi avec Sherlock. Mais ce sentiment de trahison demeure bien présent, et il n'arrive pour le moment pas à s'en dépêtrer. Le tour en roue continue tranquillement, et le couple regarde d'un air évasif le panorama.
•
Assis sur un des bancs en bois sur une zone dite de pique nique, Sherlock se sent étrangement nerveux. La demie heure est vite passée, et ni lui ni un seul sans abri n'a ne serait-ce soupçonné la présence du criminel. De toute façon, le limier est aussi en contact avec Lestrade, pouvant l'appeler à tout instant en cas d'urgence.
Sherlock regarde d'un œil distrait ce qui l'entoure, que ce soit les personnes, les stands, le ciel quelque peu orangé grâce à la future venue du couchant, mais surtout la grande roue. C'est le genre d'attraction qui rassemble le plus de couples, et Sherlock ne peut s'empêcher de faire un rictus amusé. À l'époque, quand John sortait avec différents rencards, Sherlock ne s'y intéressait guère, se bourrant le crâne à coup d'enquête et d'expériences pour ne pas y réfléchir. Mais avec du recul, le détective se demande ce que son ami faisait autrefois, et ce qu'il fait aujourd'hui avec Mary. Ils ont certainement voyagé, étant donné que Mary aime ça, Sherlock ayant déduit plusieurs choses sur cette femme. Et de ce qu'il en a aperçu, Mary a l'air effectivement la femme idéale pour John. Constater cela le fait soupirer.
- Tout va bien ?
Sherlock se retourne en reconnaissant la voix de Eric, ce dernier tenant une petite barbe à papa déjà entamée. Et comme à son habitude, l'homme semble inquiet en voyant l'expression de Sherlock.
- Un peu… mélancolique, justifie ce dernier.
- Je vois. Tu peux me dire si ça ne va pas.
- Merci, Eric. Désolé de ne pas t'avoir encore contacté.
- T'inquiètes, je ne t'obliges à rien. Tu en veux ? demande Eric en tendant le nuage rose sucré.
N'ayant pas souvenir d'avoir goûté cela, Sherlock accepte, tirant du bout des doigts un généreux morceau. Au début, il est assez surpris par le goût très sucré, mais très vite, il s'habitue à la saveur, et prend régulièrement un morceau, la barbe à papa réduisant vite face à la gourmandise des deux hommes. Quelques minutes plus tard, il ne reste plus que le bâton, qui est jeté dans une poubelle juste à côté.
Ils regardent sans un mot la population circuler énergiquement. Sherlock se tourne vers Eric, ce dernier s'étant fait un brin de toilette avant de venir. La lumière du soleil donne des teintes variées au bout de ses mèches, de même que son regard saphir brille. Sherlock rougit malgré lui. Il sait à quel point il est chanceux de rencontrer cet homme au caractère si léger et à l'écoute. L'homme frémit en sentant la main du détective se poser sur la sienne, son visage se tournant naturellement vers celui de son semblable. Il remarque alors une certaine forme de tristesse ans son regard.
- Parle-moi, Sherlock, chuchote Eric.
- J'ai revu l'autre jour John. Et il ne m'a pas écouté. J'ai essayé de l'appeler, mais il refuse de me parler, pareil pour les messages. Je...J e ne sais pas quoi faire…
- Il était déjà rancunier comme ça ?
- Plutôt, mais à la fin, il me pardonnait toujours. Là, j'ai l'impression qu'il ne veut pas, et… ça fait mal.
Eric ne sait pas quoi dire, alors il se contente de couvrir la main qui superpose la sienne, son pouce caressant le dos de la main. De son côté, Sherlock ne sait pas comment formuler sa prochaine phrase, ses lèvres bougeant sans émettre le moindre son. Il réfléchit, et finit par se lancer.
- Eric, je… Je veux que tu saches que… Je suis content de t'avoir rencontré. C'est peut-être cliché à dire, mais… te rencontrer m'a fait beaucoup de bien. Je… Je me sens bien avec toi.
Sherlock frémit en sentant les doigts de Eric saisir délicatement son menton pour remonter son visage, une poignée de centimètres les séparant. Eric se rapproche davantage, avec un regard doux, et un sourire tendre, tandis que sa main glisse sur sa joue.
- Je m'en fiche bien des clichés, tu sais.
Le visage de son ami (amant ?) se rapproche encore, et Sherlock ferme les yeux. Il sourit en sentant le goût sucré des lèvres de Eric. Tous deux demeurent très chaste, bécot sur bécot, avec un ou deux coups de langues furtifs, mais guère plus. Cela n'empêche guère Sherlock de se sentir plus léger, plus détendu, probablement grâce à la chaleur de la main de Eric qui entoure sa nuque. Une intense chaleur commence à s'étendre dans tout son corps.
- Ça va ? On ne vous dérange pas ?
Le ton agressif surprend Sherlock et Eric, ce dernier s'écartant pour regarder qui vient de débarquer. Le détective fait de même, observant en quelques secondes toute sorte de choses. Mais le plus évident demeure la mine outrée de l'homme en surpoids qui vient d'apparaître. Sherlock n'est pas trop sûr de comprendre pourquoi cet homme se retrouve dans cet état.
- Qu'est-ce qui dérange ? demande t-il alors d'un ton neutre.
- Ce qui dérange ? Vous ! Ça vous amuse de faire vos saletés en public ?!
- Pardon ?
Sherlock cligne des yeux, espérant vraiment saisir ce qui lui échappe, mais Eric parle plus vite.
- Quoi, c'est interdit de s'embrasser en public maintenant ?
- J'en sais rien, et je m'en fous, répond l'homme de plus en plus énervé. Il y a des familles, des gamins, alors vos délires déviants, vous pouvez vous les garder !
Sherlock ne remarque pas l'expression attristée de Eric, et choisit de jouer avec l'énergumène qui s'énerve tout seul.
- Déviants ? Peut-on parler de votre infidélité et de vos nombreuses amantes ?
- Je vous demande pardon ?!
- Ne niez pas, je sens au moins trois parfums féminin à deux mètres de vous. Mhm, J'adore, Black Opium et Chanel N°5, je dirais. Elles sont au courant que vous leur chiper de la lingerie ?
- Espèce de petit-
Sherlock esquive facilement le coup de poing qu'essaye de donner l'homme, Eric se décalant en même temps. L'homme demeure vautré sur le banc, à moitié sonné du au choc de la chute. Eric prend la main de Sherlock, les faisant partir à grandes enjambées, sans plus un regard à leur pathétique agresseur. N'ayant pas de gants, Sherlock sent la peau moite de Eric. Maintenant à l'écart de l'individu, les deux hommes se séparent, et Eric prend un ton inquiet :
- Pourquoi tu as fait ça ? Il aurait pu te faire mal !
- Tu as vu comment il bougeait ? Même un gamin de six ans pourrait s'en débarrasser. Et puis je n'allais quand même le laisser nous insulter.
- Tu réponds toujours du tac au tac, comme ça ? demande Eric avec un drôle de sourire.
- Plutôt, oui.
- Intéressant. J'aimerai bien en savoir plus sur toi.
Sherlock rougit une fois de plus. D'habitude, c'est lui le plus direct dans ses paroles. Il n'aurait jamais pensé que le même style de langage chez quelqu'un d'autre viendrait à lui faire autant plaisir. Ce sentiment se renforce tandis que Eric pose ses mains sur ses hanches, sous la veste en cuir. À quelques centimètres de ses lèvres, il lui murmure :
- Merci de nous avoir défendu en tout cas, je ne suis pas doué pour ça.
Ils ont à peine le temps de s'embrasser qu'un son grave et mécanique se fait entendre sur une large zone de la fête foraine. Cela provient de la grande roue. Aussitôt, Sherlock et Eric accourent pour voir, et le détective comprend aussitôt qu'il s'agit d'un coup de sa cible. Au loin, il voit le moniteur du manège faire tout le nécessaire pour arrêter la roue, annonçant dans un haut parleur la situation. De ce qu'il observe en quelques secondes, Sherlock voit que le criminel a dû trafiquer la base de la roue plus tôt dans la journée, et a actionné un quelconque système pour dérégler le manège, faisant violemment secouer les nacelles. Heureusement, le réflexe du moniteur fait que les passagers du manège sont de nouveau sur une surface stable.
Sherlock sort son téléphone pour contacter Lestrade. Au même moment, il remarque plusieurs silhouettes se retourner brusquement, étant bousculées. Le criminel s'enfuit ! Le cerveau du limier tourne à plein régime.
- Eric ! Dis à l'inspecteur Lestrade que je suis à la poursuite du criminel, demande des renforts pour sécuriser la zone et aider les passagers !
- D'accord ! Fais attention !
Sherlock entend son ami s'époumoner tandis qu'il court à toute allure dans les allées de la fête, apercevant à une dizaine de mètres l'homme en fuite. Le détective a pleine confiance en son endurance, le réseau de Moriarty l'ayant poussé dans de nombreux retranchements. Dans sa course, il croise plusieurs sans abris de son réseau qui accourent en direction de la grande roue.
•
La grande roue commence à descendre, n'étant plus qu'à quelques mètres du sol, tandis que John préfère éviter de ruminer leur petite conversation. Le manège s'arrête d'un coup, la nacelle commençant à se balancer violemment. John entend des cris de part et d'autre, notamment chez Mary, ayant poussé un bref cri de surprise, avant de s'accrocher par réflexe à la barre principale de la nacelle. John fait de même, sentant son cœur battre la chamade. Il sait que lui et Mary ne sont pas en grand danger, mais ils s'inquiètent pour les passagers du haut, qui n'en finissent plus de crier ou de hurler des appels à l'aide. John regarde Mary, cette dernière ayant un teint livide.
- Ça va aller, ne t'inquiètes pas. Les équipes de sécurité vont arriver.
Incapable de parler, Mary se contente de hocher la tête, ses mains agrippant celles de John. Une minute (interminable) plus tard, les nacelles semblent toutes à peu près stables. John peut apercevoir les gens s'écarter pour laisser passer des policiers, ceux de surveillance depuis le début de la journée. Il voit aussi d'autres personnes intervenir. Les hommes en uniformes acceptent leur aide, en attendant de véritables renforts.
Quelques minutes passent encore, et les secours sont là, ayant harnais de sécurité et des membres du personnel se préparant pour monter aider les passagers. John et Mary étant parmi les plus proches, ils retrouvent vite la terre ferme. John aide sa fiancée à marcher, même si elle commence déjà à reprendre des couleurs. En observant son entourage, le médecin reconnaît des sans abris de Sherlock réconforter les passagers. Il reconnaît aussi le vendeur de barbe à papa, et… Lestrade.
Soutenant toujours Mary, John se dirige vers l'inspecteur. Il est rassuré quand sa fiancée se redresse, mais serre sa main à en écraser les doigts. Le policier semble surpris en voyant le blond.
- John ! Tout va bien ?
- Oui, oui, plus de peur que de mal. Vous savez qui est le responsable de ce sabotage ?
- On le recherche depuis un moment. Ce monsieur m'a contacté au nom de Sherlock pour signaler l'accident.
Le vendeur fait un bref hochement de tête, la mine inquiète. John tique sur deux choses. Qui est cet homme, s'il connaît Sherlock ? Et surtout, où est Sherlock ? John pose cette question à Lestrade, mais ce dernier n'est pas plus renseigné, le détective ayant filé. Entendant la conversation, un des sans abri se manifeste.
- J'ai contacté un pote. Il a vu a l'instant un type être poursuivi par Sherlock à côté du théâtre d'Aldwych.
Lestrade appelle tout de suite d'autres renforts, décrivant la dernière position de Sherlock. De son côté, John est très tiraillé. Il ne veut pas laisser en plan Mary, mais il s'inquiète désormais pour le détective. Mais il sent la main de sa fiancée le tirer légèrement. Elle a une expression plus sûre et rassurante que tout à l'heure.
- Vas-y, et fais attention à toi.
John hoche la tête et fonce à son tour, ignorant les protestations de Lestrade. Il ignore tout autant celles des passants qu'il bouscule en courant à toutes jambes, le cœur battant. Son cerveau bouillonne aussi d'impatience.
Sherlock. Si tu te remets en grand danger, je te jure que je vais te tuer de mes propres mains. Tu as intérêt à rester en vie !
o
À suivre...
