Kurono n'était habituellement pas celui qui s'occupait des courses. Il ne rechignait pas à faire le ménage ou la vaisselle mais en contrepartie il laissait à Kan le plaisir de remplir leur frigidaire. La plupart du temps, ils faisaient comme ça. Pourtant, plus ou moins avant chaque sortie scolaire ou conseil de classe, Kan se retrouvait submergé de travail. Et Kurono, quoi qu'il puisse en dire, faisait tout pour le soulager un peu de sa charge, ce qui voulait dire se charger des courses.
Au moment de passer en caisse, il se retrouva derrière un jeune couple avec leur enfant installé dans le cadi, un enfant qui pleurait et qui hurlait. Kurono eut très envie de trouver un moyen de le faire taire, notamment via un oreiller. Puis, après encore quelques minutes de calvaire, la petite famille partie et le calme du magasin, somme tout relatif, reprit sa place. Encore quelques minutes de plus et il était dehors.
Tout en marchant vers chez lui, il vit placardé sur un poteau une vieille affiche aux coins abîmés, les couleurs presque effacé par le temps, sur laquelle une petite fille aux cheveux argentés souriaient timidement. Le cœur de Kurono se serra. Cette avis de disparition datait d'il y a, quoi, bien sept ans maintenant. Sept et quelques mois, oui. Pourtant, la fillette n'avait toujours pas été retrouvé.
Kurono se souvenait de cette petite, de ses pas timides dans la grande maison du clan, de ses grands yeux rouges, des ses jolies robes. Il avait l'impression qu'hier encore, elle venait rendre visite à son grand-père. Il avait toujours l'espoir que quelqu'un la retrouve ou qu'elle rentre enfin à la maison.
Kurono se força à reprendre sa marche. Sept ans et la douleur était aussi vive qu'au premier jour.
Une part de lui voulait se résigner, accepter qu'elle était sûrement morte et que personne ne découvrirait jamais son cadavre. Mais une autre part, plus coriace, persistait dans son espoir. Un jour, que ce soit demain ou dans dix ans, Eri réapparaîtrait. Jusqu'à ce que ce jour arrive, Kurono n'aurait de cesse de relancer les recherches, encore et encore.
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Au même moment, une adolescente d'un peu plus d'une dizaine d'années terminait de se coiffer. Eri resserra l'élastique qui tenait sa queue de cheval en place et vérifia dans le miroir qu'aucune mèche ne dépassait. Une fois satisfaite, elle enfila sa veste et sa casquette et sortie. Là, trois personnes l'attendaient, trois adultes dans leur vingtaine, deux hommes et une femme. Eri leur sourit.
« C'est bon, je suis prête ! »
L'un des hommes, le blond, lui sourit à son tour.
« Alors on peut y aller. »
Sur ces mots, les quatre se mirent en route. Le mois de mars touchait à sa fin alors que le printemps remplissait les rues de jolies bourgeons prêts à éclore. Cette année, Eri, Togata, Hado et Amajiki prévoyaient de fêter le Hanami ensemble. Pour cette occasion, Hado avait suggéré de prendre quelques jours pour eux, avec Eri de son côté, les garçons n'avaient pas été trop durs à convaincre. Même après tout ce temps, ils craignaient que des héros ou des policiers reconnaissent Eri. Cependant, elle avait beaucoup grandit depuis sa disparition et de plus, elle prenait toujours grand soin de cacher sa corne, il n'y avait aucun souci à se faire.
Ils arrivèrent assez vite dans l'une des zones piétonnes de la ville. L'architecture criait le XIXe siècle, des dizaines de boutiques s'étendaient aux pieds des bâtiments et, un peu plus loin, la place accueillait des artistes ambulants.
Tout d'un coup, Hado releva la tête et plongea ses yeux dans ceux d'Eri, une lueur pétillante au fond de ses prunelles.
« J'y pense Eri, il n'y avait pas une audition de théâtre où tu voulais aller ? »
Eri rentra dans son jeu et feint d'avoir oublié ce détail.
« Mais oui, c'est vrai. Tu fais bien de me le rappeler ! (elle regarda l'heure sur son téléphone) Ouf, j'ai encore un peu de temps, mais faudrait pas traîner. On se retrouve au café de la place ? »
Si Hado hocha prestement de la tête, Amajiki eut l'air plus inquiet.
« Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée… Ça ne serait pas mieux qu'on t'accompagne ? »
À ses côtés, Togata opina. Aussitôt, Eri agita les bras devant elle.
« Non, c'est pas la peine, si vous êtes avec moi je crois que je serais trop stressé pour jouer correctement. Et j'ai mon téléphone, si jamais j'ai un problème, je peux vous appeler.
- Oui, ajouta vivement Hado. Notre petite Eri n'est plus une enfant et je pense qu'il est temps qu'on commence à lui laisser du temps pour elle. On sera pas loin de toute façon, il n'y a aucun risque. »
Face aux efforts combinés de Hado et Eri, les garçons cédèrent. Elles avaient raison, Eri était grande maintenant, elle savait se défendre et elle ne serait seule qu'une ou deux heures, rien d'insurmontable. Ce qu'ils ignoraient, c'était qu'Eri n'avait aucune audition de prévu.
Quelques jours plus tôt, alors qu'Amajiki et Togata étaient occupé dehors, les deux filles avaient monté un plan. Un plan pour que l'adolescente puisse enfin avoir du temps rien que pour elle et du temps que Hado pourrait passer avec ses petits-amis en toute tranquillité. Cela ne signifiait en rien qu'elles ne supportaient pas le compagnie de l'autre, absolument pas. Simplement, elles souhaitaient passer plus de temps comme si elles n'étaient que des civils comme les autres et pas des Vilains recherchés. Depuis le jour où le Big Three avait recueillit Eri, ils étaient devenue une véritable famille, avec des hauts et des bas, mais leurs noms n'étaient certainement pas inconnus, ils leur fallaient donc être en permanence sur leur garde. Cependant, avec le Hanami proche, les rues seraient bondés et les héros plus relaxés, ce n'était vraiment pas grand-chose, et puis, une seule fois, ça n'allait faire de mal à personne.
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« Ça n'aillait faire de mal à personne », pourquoi ce genre de phrase avait toujours tendance à attirer les problèmes ? Pourquoi fallait-il que ça arrive le seul jour où Eri était seule ? Pourquoi son déguisement n'avait-il pas suffit ? Et que foutait Fat Gum ici ? De tous les lieux et de toutes les heures, pourquoi ici et maintenant ?!
Elle sortait d'une boutique où elle avait acheté un nouvel ensemble aux couleurs de la saison, elle n'avait pas vu le héros, d'ailleurs, sûrement ne l'avait-il pas vu non plus, mais il avait fallut qu'elle trébuche précisément à ce moment-là, et qu'il la rattrape par réflexe à l'exact même moment. Ils s'étaient excusé mais Fat Gum s'était soudainement figé et un nom avait quitté sa bouche.
« …Eri ? »
Elle aurait du nier, faire l'ignorante, paraître confuse. Elle savait faire, avait appris au cours des années. Mais elle avait paniqué, parce qu'elle était seule pratiquement pour la première fois de sa vie et qu'elle s'était mise dans le pétrin et que les autres allaient mourir d'inquiétude quand ils l'apprendraient. Elle était resté silencieuse trop longtemps et maintenant le héros ne voulait plus la lâcher et quand elle se débattait pour lui échapper, sa prise sur son bras ne faisait que de se resserrer encore et encore.
Si elle n'arrivait pas à s'enfuir, si Fat Gum la ramenait, si Maman était –
Non ! Pas ça !
Fat Gum, remarquant sa respiration difficile, essaya de la calmer.
« Hé, petite, ça va aller. Respire. Inspire doucement et expire. »
Il se mit à exagérer chacune de ses respirations comme pour lui montrer l'exemple et, malgré elle, malgré sa conscience qui lui criait de fuir, elle se mit à l'imiter.
Autour d'eux, les passants ralentissaient en les voyant, certains s'arrêtant en reconnaissant Fat Gum, d'autres prenant des photos et il fallut à Eri toute sa capacité de concentration pour ne pas paniquer encore plus parce que son visage allait apparaître sur ces photos et que son avis de recherche pourrait être mis à jour.
Puis, une fois qu'Eri respirait de nouveau normalement, Fat Gum repris.
« Je vais devoir appeler des collègues et après on ira au poste de police le plus proche, d'accord ? Je te laisse pas alors par de panique. »
Eri hocha la tête. Quand il serait au téléphone, elle aurait une ouverture. Elle se prépara et, dès que le héros sortie son téléphone et engagea la conversation, elle le repoussa et s'enfuit en courant de toutes ses forces. Elle naviguait entre les passants en se servant de sa petite taille, là où le héros était fatalement ralentit, et prenait le plus de détours possible. Gauche, droite, demi tour dans une rue très fréquenté. Elle laissa tombé ses achats sur son chemin, prenant juste le temps d'attraper un bonnet neuf pour remplacer celui qu'elle portait.
Elle arrêta de courir et força son pas à se fondre sur celui des passants qui l'entourait. Les mains tremblantes, le souffle cours, elle prit son téléphone et composa un numéro. Elle le porta à son oreille et pria qu'il décroche vite.
« Allô ? Tu as déjà finis ton audition ? »
La voix de Togata, comme à chaque fois, parvint à soulager Eri d'un peu de son inquiétude. Trop peu malheureusement pour qu'elle réussisse à parler, elle était trop essoufflée et sa voix semblait coincée dans sa gorge. Derrière elle, elle put entendre la voix de Fat Gum l'appeler au loin.
Face à son silence, Togata redemanda.
« Eri ? Tu m'entends ? Tout va bien ? »
Elle prit une profonde inspiration et accéléra le rythme de ses pas.
« Fat Gum m'a vu et il arrête pas de me suivre, je sais pas si j'arriverai à le semer et – »
Elle se coupa. Elle savait qu'elle ne ferai que divaguer si elle continuait à parler et ce n'était certainement pas ce dont elle avait besoin en ce moment.
« Tient encore un peu, on arrive. »
Eri hocha la tête alors que l'appel se coupait. Elle devait tenir. Il y avait une puce GPS dans son téléphone, les autres n'auraient aucun mal à la retrouver, du moment qu'ils en avaient le temps. Du temps. Oui, elle allait faire ça.
Prudemment, elle jeta un regard derrière elle et sursauta en voyant à quel point le héros était proche, une quinzaine de mètres au mieux, et il continuait de se rapprocher.
Tant pis pour sa couverture, elle devait courir. Elle repartit à vive allure, ses jambes protestants contre l'effort incessant qu'elle leur demandait. Le héros la repéra et l'interpella mais elle ne ralenti pas, elle ne pouvait pas se le permettre.
Manque de chance, elle percuta quelqu'un sur son passage et trébucha. La femme voulut l'aider à se relever mais Eri le remarqua à peine. Elle essaya de se redresser pour reprendre sa course et écrasa son lacet, l'envoyant une nouvelle fois au sol. Quand elle parvint à repartir, Fat Gum était tout proche d'elle. Elle était épuisée, les jambes lourdes et le souffle court, elle perdait de la vitesse.
Moins d'une dizaine de secondes plus tard, une main s'abattit sur son épaule.
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Hado et Togata arrivèrent en grande pompe, Hado dans les airs et Togata passant au travers de chaque surface. Dans la foule, caché par son manteau, Amajiki avançait dans la même direction, ses pas assurés et vifs.
L'appel d'Eri avait été une surprise et sa déclaration plus encore.
Amajiki s'en voulait. Il savait que ce n'était pas une bonne idée de laisser Eri seule. Elle était encore si jeune et toujours activement recherché. Il n'aurait pas dû se laisser avoir par les filles. Tout était de sa faute.
Un coup d'œil sur l'écran de son téléphone qu'Eri n'était plus qu'à une rue de sa position.
Plus haut, Togata et Hado lancèrent leur mise en scène. Hado fit éclaté le toit d'un bâtiment alors que Togata phasait au travers et arrivait en plein centre de la rue, face à Fat Gum. Le blond laissa un sourire suffisant prendre place sur ses lèvres, ses yeux brillants d'un éclat féroce, alors qu'il se glissait dans la peau de son personnage, dans un rôle mainte fois répété et pourtant parfaitement naturel.
« Fat Gum, j'aurai cru avoir droit à un peu de répit. Ça tuerait de prendre un peu de vacances ? »
Fat Gum lança quelques regards entre les vilains qui venaient de surgir, les civils qui cédaient à la panique et la jeune Eri près de lui. Elle profiterait sûrement de l'occasion pour s'enfuir… Tant pis. Il la retrouverait, pour l'instant, la priorité allait aux civils et à l'arrestation des vilains.
« Navré mais le boulot me colle à la peau. »
Malgré son ton léger, Fat Gum n'en menait pas large. Il était seul et même s'il avait prévenu le bureau de police de son arrivé et que son absence prolongé ajouté à l'arrivé de vilains aboutirait à l'envoie de renforts, ça risquait de prendre du temps. Et l'alter de Togata rendait les combats particulièrement délicat. Sans oublier que Togata n'était que l'un des membres du Big Three et que les deux autres étaient sûrement dans les parages. Fat Gum pouvait déjà voir Hado dans les airs détruire les bâtiments qui longeaient la rue mais pas Amajiki.
Sans perdre plus de temps, il passa à l'attaque. Il devait retenir ces vilains coûte que coûte.
Le combat s'engagea, Togata naviguant sans difficulté entre les débris déjà au sol et ceux que Hado faisait pleuvoir du ciel là où Fat Gum était contraint de tout esquiver. Le héros devait en plus se charger des civils qui n'avaient pas fuis assez vite.
Plus loin, Eri soupira de soulagement en voyant les secours. Elle ne se laissa toutefois pas le temps de se reposer. Dès que Fat Gum s'éloigna, elle repris sa course.
Puisqu'Amajiki ne se battait pas avec eux, Eri supposait que ce serait lui qui viendrait la récupérer. Il était rapide, elle n'avait qu'à courir jusqu'à ce qu'il lui mette la main dessus.
À peine eut-elle formuler cette pensée que deux bras la soulevaient du sol. Si elle commença d'abord à craindre qu'un héros l'ai trouvé, elle fut immédiatement rassuré en voyant la touffe de cheveux bruns d'Amajiki. Un sourire soulagé prit place sur ses lèvres.
Amajiki l'installa contre lui et accéléra sa course, ses jambes changeant de forme jusqu'à ressembler à celle d'un bouc. Eri noua ses bras autour de son cou et posa sa tête sur son épaule.
« Désolée. J'aurais pas dû partir toute seule.
- Tu pouvais pas savoir que des héros te reconnaîtrais. Et on aurait pas dû te laisser non plus.
- Uhn. »
Tout de même, elle s'en voulait. Tout ça à cause d'un caprice.
« Eri, ça va aller. Hado et Togata savent ce qu'ils font. »
Elle hocha la tête et ferma les yeux. Oui, elle pouvait leur faire confiance. Jamais ils ne l'abandonnerait.
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La nuit était tombé depuis bien longtemps quand le Big Three put se retrouver en tête à tête. Ils avaient préféré passé le reste de la journée tranquillement et remettre leur discussion à plus tard, la petite avait déjà eut son lot d'émotions fortes pour la journée.
Ils installés dans le vieux canapé de leur squat, une tasse de café entre les mains.
Hado laissa le silence s'étirer un peu plus avant de parler.
« Y avait pas d'audition. On a bricolé ça avec Eri. »
Hado vit les jointures de Togata virer au blanc tant il serrait sa tasse. À sa droite, Amajiki s'enfonça dans le canapé.
« Pourquoi ? »
Togata retenait sa colère, c'était évident jusque dans sa voix. Hado savait que face à n'importe qui d'autre, il aurait laissé libre court à sa rage, mais pas avec eux, jamais. Ils formaient un ensemble soudé, indissociable. Jamais ils ne se feraient le moindre mal. De la même façon, Hado ne se ferma pas face au ton sec et répondit calmement.
« Eri voulait sortir un peu seule.
- Seule ?! Elle est recherchée et les yakuzas continuent de mettre la pression sur les fédéraux pour garder le dossier ouvert. Et avec aujourd'hui, ça va juste leur donner un moyen de se justifier.
- Je sais mais elle a treize ans ! Elle veut juste faire ce que font les gens de son âge.
- Sauf qu'elle n'est pas comme eux.
- Oui mais elle a envie d'être comme eux. Et les gamins de treize ans ont pas trois gardes du corps pour les materner dès qu'ils veulent sortir un peu !
- On a des raisons de faire ça, ce n'est pas pour la punir.
- Et elle le sait. Elle ne fait jamais de caprices ou quoi que ce soit. Je voulais… Je voulais lui faire plaisir pour une fois. J'avais vérifier, personne de notable devait être dans le secteur. »
Elle soupira et Togata en fit de même. Aucun d'eux n'aimait quand le ton montait mais quand il était question d'Eri, c'était difficile de rester calme. Leur petite était un tel petit ange, ils cherchaient à la protéger, ils voulaient qu'elle soit heureuse.
Amajiki posa sa tête sur son épaule et proposa.
« Peut-être que, la prochaine fois, vous pourrez vous faire une sortie entre filles. C'est sûr que c'est pas tout à fait ce qu'elle voudrait mais ça serait sûrement mieux que d'habitude. »
Hado sourit en hochant la tête.
« Ouais, ça me paraît bien. »
Un silence tranquille s'installa. Dans leurs tasses, le café refroidit sans personne pour s'en soucier. Chaud ou froid après tout, il est toujours aussi mauvais.
« Et pour Fat Gum ? » demanda Hado
Ils prirent le temps de réfléchir. Il avait bien faillit leur arracher Eri et il l'avait terrorisé.
« On n'a qu'à taper là ça fait mal. », suggéra Amajiki.
« Parce que tu en sais assez sur lui pour ça ?
- Non, mais je sais qui saura.
- Ah oui ? Qui ça ?
- Uravity. »
Parce qu'Eri était leur petite chérie, tout aussi indispensable à leur existence que l'air qu'ils respiraient et plus précieuse encore. Et parce que quiconque s'en prenait à un membre du Big Three subirait le courroux des deux autres, mais quiconque faisait du mal à Eri devrait face au trio complet et n'aurait plus que ses yeux pour pleurer.
