Chapitre 3 : Un peu de sérieux, que diable !
Henri comprit la bourde qu'il venait de commettre. Il chercha des yeux une personne susceptible de l'aider, mais dut se rendre à l'évidence, seul le néant total accompagnait ses pulsions cardiaques désordonnées.
- Mais, il faut les retransformer ! Il y a mes deux mamans ! Quelqu'un ! Au secours !
Les habitants regardaient le bambin apeuré, sans lever le petit doigt pour l'aider. Les seules personnes possédant de la magie étaient en train de courir comme des ânes, sur le terrain de paintball. Ce fut à ce moment-là que la situation dégénéra réellement. Si les personnes présentes au sein du public avaient les yeux rivés sur les animaux en vadrouille, aucune n'avait prêté attention à une anecdote d'importance capitale : tous ces animaux ne s'entendaient pas, et certains étaient des proies pour les autres. Le cirque commença tout d'abord par Emma, le beau golden, qui vit Regina, le chat. Leurs regards se croisèrent, et pendant un bref instant, on aurait pu croire que les deux femmes pouvaient retenir leurs instincts. Ce fut un vœu pieux stupide. Le golden se redressa subitement, faisant se hérisser les poils du chat, qui lui feula dessus, pour le mettre en garde. Le chien n'en tint nullement compte et se précipita vers le félin, qui déguerpit à la vitesse de la lumière. Voyant le désastre arriver, Henri se mit à courir derrière ses mères, les interpelant pour les faire stopper cette course-poursuite ridicule. Le chat tourna en rond autour de la cabane, et grimpa sur le toit au détour d'un pignon. Le chien n'en vit que du bleu et continua son manège autour de la maisonnette, Henri sur ses talons. Le chat s'assit tranquillement sur le toit, semblant se moquer du chien, qui paraissait vraiment stupide en cet instant. Tout d'un coup, Emma s'arrêta et regarda de tous les côtés pour apercevoir sa compagne de jeu. Regina en profita pour faire glisser une pomme de pin du toit, pile sur la truffe du golden. Celui-ci geignit, atteint sur son organe sensible. Il releva la tête et aboya gaiement sur le chat, qui commença à faire méticuleusement sa toilette.
Déjà, quelques personnes commençaient à faire des paris, pour savoir quel animal allait l'emporter. Les statistiques étaient clairement en faveur du matou. L'ancienne reine était toujours aussi mesquine, au grand dam du cabot. Emma, passablement énervée de s'être fait berner par Regina, fit quelques pas et revint à toute vitesse vers la cabane. Elle prit appui sur ses pattes arrières et fit un formidable bond sur le mur, le prenant comme tremplin, et arriva à la hauteur du chat, qui miaula comme un fou furieux, face à la menace immédiate. Le chien prit cela pour de la provocation et tacla d'un coup de patte vicieux le pauvre chat, qui fut délogé de son perchoir en un instant. Ce dernier retomba souplement par terre sur ses pattes, suivit de près par Emma. Le coup n'avait pas blessé le petit animal, mais son égo en avait largement pâti. En se postant devant Emma, Regina sembla prise d'un doute quant au comportement à adopter. Le golden était un monstre, comparé à la chatte gracieuse. Si la taille ne jouait pas en sa faveur, sa vitesse était nettement supérieure à celle de ce balourd. Aussi, dans un accès de confiance en elle, Regina sortit les griffes et porta une vilaine tape sur la gueule du chien, qui couina de douleur. Sa jolie truffe était maintenant barrée par trois griffures profondes. Ce dernier, mortifié d'avoir ainsi été balafré, se jeta sur le chat, qui réussit à s'éloigner de la première ruade. Mais il ne fut pas assez leste pour échapper aux mâchoires du golden, qui emprisonna une de ces pattes. Henri hurla à Emma de lâcher sa mère, ayant une peur panique de voir la magnifique brune estropiée. Le fiston mit une tape sur le derrière du golden, lui faisant lâcher prise. Ce dernier se détourna pour distinguer qui était l'importun qui osait le détourner de sa proie. Regina, voyant la réaction du chien, prit peur à son tour pour son fils ,et ne se posant plus aucune question, bondit vers la gorge du golden. Ce dernier recula maladroitement en direction du public, qui commençait à vider la place de toute urgence, face aux deux turbulents animaux, quelque peu enragés maintenant. Une bagarre entre les deux femmes semblant inévitable, toutes les personnes un tant soit peu censées prirent leurs jambes à leur cou, face aux deux combattantes. Des poils volaient par touffes, et des couinements retentissaient de-ci, de-là. Ce fut David, qui avait revêtu un pantalon de jogging, qui attrapa les deux gladiatrices par le collet. Emma se fit toute penaude, la queue et les oreilles soumises, alors que Regina continuait de cracher et labourait le bras du pauvre shériff, qui serrait les dents face au chat impétueux.
- Ça suffit maintenant, vos conneries ! Vous allez finir par vous blesser grièvement ! Regina, si tu n'arrêtes pas tout de suite de me lacérer le bras, je te donne de la pâtée jusqu'à la fin de tes jours, et ça a tendance à provoquer des flatulences ! Alors, c'est qui le patron ?!
Le prince était de retour, avec toute l'autorité dont il pouvait faire preuve face à ces deux sauvageonnes. Il regarda la chienne, qui baissa les yeux et gémit doucement en signe de soumission.
- Emma, tu me fais honte ! Tu aurais pu la tuer ! Tu dormiras à la niche, ce soir ! Et dehors cela va de soi !
Le chat sembla soudain arrêter de gigoter et une espèce de sourire fit retrousser ses babines.
- Inutile de jubiler, Regina, pour toi, ce sera la cave. Il y a des rats gigantesques, à ce qu'il paraît. Tu pourras y parfaire tes talents de chasseuse, car de ce que j'en ai vu, c'est pas gagné… Alors, les deux marioles, c'est fini le cirque ?
Le chat cracha une dernière fois, tandis que le chien faisait carrément le mort. Les deux femmes venaient de perdre le peu de crédibilité qui leur restait. Le silence s'abattit sur l'assemblée, jusqu'à ce qu'un cri ne l'interrompe.
Belle avait poussé un hurlement sauvage, lorsqu'elle avait vu son cher et tendre prendre en chasse Ruby. La lapine, les yeux exorbités, couraient en zigzag, pour échapper au prédateur. La hyène avait une démarche inhabituelle, du fait de sa patte folle. La pauvre serveuse allait finir croquée sous les chicots de la vilaine bestiole. Personne n'osa s'interposer pour sauver le petit lapin. Même si tout le monde appréciait beaucoup la serveuse, la hyène repoussante était un obstacle de taille. Ruby vit une vieille souche d'arbre et tenta de s'y glisser, mais son petit derrière ne lui permit pas de s'y faufiler totalement. Elle avait beau griffer le bois de ses pattes avants, elle n'arrivait à rien, et s'attendait à être mordue, queue la première. Alors que la hyène était à quelques pas du pauvre lapin, l'autruche déboula sur le champ de bataille, ailes écartées et cris rageurs à tue-tête. La hyène fit précipitamment machine arrière, devant le dindon géant énervé. L'autruche prit en chasse la hyène, qui partit la queue entre les jambes, afin de ne pas recevoir un coup de bec ravageur. Le volatile colossal continua de poursuivre l'abomination de poils, afin de s'assurer que le lapin aurait le temps de se sortir de son ornière. La hyène, malgré sa patte de travers réussit à distancer le piaf, en se cachant dans les fourrés. L'autruche fit demi-tour et vit que le lapin était toujours coincé. Elle s'approcha de Ruby et pinça sa queue, puis tira doucement pour la sortir de ce pétrin. Le lapin, une fois libéré, recommença à bondir autour de Mary-Margareth, lui signifiant sa gratitude.
David, qui avait assisté à toute la scène, comme l'ensemble des spectateurs rassemblés à la partie de paintball, soupira d'aise en voyant que sa femme avait sauvé la serveuse. Il relâcha le golden, qui commençait à peser son poids, mais préféra garder Regina dans ses bras. Cette dernière en profita pour se lover conter lui et se mettre à ronronner, en adressant un petit coup d'œil machiavélique à l'autruche. Cette dernière piaffa, mais ne put empêcher ce foutu matou de profiter des bras musclés de son homme. Elle se vengerait plus tard. Et sa vengeance ne serait pas froide, mais glacée. La lapine vint se frotter contre la jambe du shériff, provoquant l'hilarité des hommes présents. Les femmes rougirent ou désapprouvèrent le comportement libidineux du lapin. Décidément, même sous sa forme animale, Ruby restait une séductrice hors pair. Mary-Margareth, déjà passablement jalouse de Regina, donna un coup de bec sur le crâne de la lapine, pour lui signifier son mécontentement. Cette dernière couina et alla se réfugier dans les bras de sa grand-mère, à qui on avait fourni des vêtements décents.
Emma attendait sagement, à côté de son fils, que quelqu'un mette fin à son supplice. Lorsqu'une odeur alléchante la fit baver. Elle détourna subrepticement la tête et ouvrit la gueule, alléchée par ce fumet si caractéristique. Zelena se pavanait non loin de là, picorant le sol à la recherche de graines, ou de certains morceaux de sa barre de céréales énergétique. La blonde tenta de résister à l'appel de la chasse, mais l'idée de tordre le cou au poulet, et encore plus s'agissant de la rouquine, lui parut irrésistible. Elle flaira l'air pour voir si un danger aurait pu troubler son futur repas et s'élança brutalement en direction de la poule. Cette dernière poussa des caquètements grotesques, dignes d'une gamine cariée chez un dentiste sadique. La poule s'enfuit, battant des ailes à tout-va, créant un joyeux boxon sur le terrain, et soulevant des nuages de poussière. Le chien éternua bruyamment et se jeta plusieurs fois sur la poule, qui réussissait toujours à lui fausser compagnie au dernier moment. Emma se stoppa et d'un bond prodigieux, atterrit directement sur la poule qui ne comprit pas réellement ce qui venait de lui arriver dessus. Ses plumes volèrent lorsque Emma lui administra un magnifique coup de patte dans l'abdomen. David s'était précipité pour épargner une mort sanglante à la volaille, mais Regina fut plus rapide, ayant peur pour la vie de sa sœur, même si cette dernière était bien souvent imbuvable. Le chat bondit sur le chien et le mordit à l'encolure. Emma lâcha Zelena et se retourna sur le dos, tombant au sol, pour écraser ce saligaud de chat, qui lui faisait les mille misères. Regina, prise dans le feu de l'action, ne put se dégager à temps et se retrouva bloquée sous le golden. Son poids l'écrasait et elle griffait le dos du chien, pour qu'il dégage vite de son petit corps. Elle commençait à ressentir une vive douleur dans le bas de son anatomie, ses jambes devenant gourdes. Elle feula, mais ses poumons la brûlaient. Elle se sentit perdre connaissance. David prit Emma par l'encolure et la fit dégager en vitesse. Le pauvre minou était resté à terre, et ne bougeait presque plus. La poule n'était pas vraiment en meilleur état. Les spectateurs étaient choqués. Comment la sauveuse avait-elle pu se montrer aussi cruelle envers les deux sœurs ?
Henri prit délicatement le chat dans ses bras. Sa mère ouvrit un œil et lui lécha la main, pour lui faire comprendre qu'elle était encore vivante. La sœur aînée atterrit dans les bras de Granny, qui vit qu'une aile avait été salement amochée. David se retourna vers sa fille, horrifié par ses frasques.
- Mais merde, Emma ! Tu te rends compte de ce que tu as fait ?! Tu veux traumatiser Henri ? Parce que tu vas devoir ramer pour regagner notre confiance, sur ce coup-là !
Le golden gémit et s'approcha en rampant du shériff. Ce dernier, dans un mouvement de colère, abattit sa main sur le museau du chien, qui tressaillit sous la violence du choc. Il mit ses pattes dessus, pour se protéger et souffla pour montrer qu'il était vaincu. Emma tenta de quémander une caresse à son fils, mais le petit, tenant toujours fermement sa mère entre ses bras, prit peur et lui envoya un coup de pied dans la mâchoire. Le golden tituba et chuta lourdement. Ses pleurs étaient devenus une complainte stridente. La foule avait le cœur brisé, en voyant où leur envie de distraction avait mené les différents candidats.
Alors que personne n'entrevoyait une solution à la sortie de crise, la fée bleue fit son apparition. Elle semblait fort mécontente de la déconfiture à laquelle elle venait d'assister. Un silence religieux prit place.
- Je pense que le jeu devrait s'arrêter là pour aujourd'hui. Ce… massacre nous fait prendre conscience à tous qu'il faut un minimum de rigueur pour diriger cette ville. Je ne crois pas qu'il soit utile de continuer une telle mascarade. Je devrais pouvoir désenvoûter les animaux. Enfin, je croise les doigts pour que ça fonctionne…
Après une incantation et plusieurs tours de passe-passe, chaque animal reprit forme humaine. Gold et Ruby furent les premiers à se transformer. Ils avaient conservé leurs habits, au grand soulagement de tous. Ils allaient bien, mais les trois autres animaux prenaient beaucoup plus de temps à redevenir humain. Emma fut la suivante et reprit douloureusement sa forme originelle. Son visage était maculé de sang et elle semblait groggy. Elle resta assise par terre, se prenant la tête entre les mains, entamant un mouvement de balancier. Elle ne semblait pas avoir conscience du monde qui l'entourait. Elle releva soudain le visage et murmura doucement.
- Je suis désolée, j'ai pas pu me retenir… Je suis désolée… Je retire ma candidature, je ne mérite pas d'être maire. Pardon…
Elle reprit sa position initiale et ne fit plus aucun commentaire.
Zelena fut la suivante. Elle était consciente, mais son bras formait un angle bizarre. Archie, qui se tenait non loin de là, prit la parole.
- Mon dieu, Zelena, votre bras est cassé ! Il faut vous rendre à l'hôpital pour être soignée ! On vous emmène !
- Non ! Pas sans ma sœur ! Elle est toujours sous sa forme féline. Il y a un problème, je le sens.
Pour confirmer ses dires, un pauvre miaulement s'échappa de la brune. Archie proposa alors une alternative.
- On peut peut-être la mener chez un vétérinaire ?
- C'est une humaine ! Pas un vulgaire chaton !
- C'est-à-dire que ça ne saute pas aux yeux, là, tout de suite.
- Mais taisez-vous ! L'autre balourde de blondasse a failli la tuer ! Tu auras beau demander pardon, tu peux toujours courir pour qu'une telle chose arrive ! Si jamais il arrive un truc à ma sœur, je te découpe en jambon ! Compris Blondie ?!
Emma ne releva même pas la tête et partit d'un coup en prenant ses jambes à son cou. Ce fut un mauvais calcul. Elle était encore trop faible sur ses jambes, après les coups reçus en plein visage. Elle ne vit pas un gros caillou et s'effondra face contre terre. Elle ne bougea plus.
- Maman ! Mais faites quelque chose, les adultes ! Vous ne servez vraiment à rien ! Pire que des moustiques !
La chatte dans ses bras venait de voir toute la scène. Elle commença à se trémousser pour que son enfant la laisse par terre. Elle sentait les premiers changements s'opérer dans son corps, signe de sa transformation imminente. Le gamin comprit et déposa délicatement le chat blessé. Regina se transforma, mais resta à terre, elle aussi. Elle se tint les côtes et n'arrivait plus à bouger les jambes.
Les deux concurrentes étaient dans un sale état. Le public s'agita et une ambulance fut appelée sur les lieux. Les deux jeunes femmes furent rapidement prises en charge et disparurent de la circulation. David, pour sa part, emmena Zelena dans sa voiture de fonction, pour qu'elle se fasse soigner le bras. La partie prit ainsi fin, au grand soulagement de tous. Il venait d'être démontré que trop de fantaisie ne menait pas à grand-chose de bon. Chacun repartit chez soi, en attendant les prochaines décisions quant au déroulé de l'élection municipale.
Plusieurs jours plus tard, après que tout le monde soit sorti de l'hôpital et plus ou moins apte à tenir sur ses jambes, une nouvelle réunion fut décidée pour mettre à plat les modalités de l'élection. Tous les candidats étaient priés de se présenter à la mairie en fin d'après-midi, pour y assister, même Emma, qui avait pourtant jeté l'éponge. Regina était en retrait, alors qu'elle était l'actuelle mairesse. Sa sœur prit la parole, sous le regard acéré de la fée bleue. Cette dernière s'était auto-proclamée gardienne du bon sens, afin que la situation ne dégénère pas comme la partie de paintball. Zelena prit la parole.
- Bonsoir à tous. Merci aux habitants qui nous ont rejoints de frotter leurs chaussures sur le paillasson, il pleut à verse et ce n'est pas vous qui faites le ménage ici, ça se voit ! Ceci étant dit, bienvenue ! Bon, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Suite à la débandade du paintball, la fée bleue nous somme de rester dans un chemin plus conventionnel, pour assurer la pérennité du vote et la survie des candidats. Ainsi que la dignité de leur soutien. Donc il est formellement interdit de s'amuser.
Zelena se tourna vers la fée bleue, qui lui jeta un regard noir.
- Quelle empêcheuse de tourner en rond ! Bref, je vous rappelle tout de même qu'Emma a failli me tuer, ainsi que ma sœur. Si je n'ai qu'un bras cassé, ma pauvre petite sœur a eu plusieurs côtes fracturées et la colonne vertébrale écrasée. Heureusement que la fée bleue l'a guéri en grande partie, sinon, elle aurait été estropiée à vie par ce foutu clébard !
Emma, déjà tassée sur sa chaise, se fit encore plus petite, si une telle chose était possible. La rouquine passa sous silence que la blonde avait subi une importante commotion cérébrale, et qu'elle en gardait encore quelques séquelles, notamment un bégaiement léger. Emma préféra cependant se taire. La maîtresse de cérémonie, nouveau titre pompeux que s'était arrogée la rouquine, se tourna vers le public.
- Bien. Maintenant que les choses ont été dites, revenons-en à nos moutons. Pardon, mauvais jeu de mots. Hum. Blondie s'étant retirée de la course, et heureusement d'ailleurs, l'élection devrait reprendre sur un ton plus… Politique et moins remuant. Apparemment, nous sommes interdits de sorties… L'humour, ce n'est pas son fort, à la fée Schtroumpf. Oups ! La boulette… Hin Hin. Hum… La fée bleue, je voulais dire.
Et elle tira la langue à la femme, déjà visiblement irritée d'être ici. Elle revint au sujet initial.
- Y a-t-il des questions ? Pitié, faites que non… On ne va pas y passer la soirée, j'ai prévu une manucure dans pas longtemps. Et j'ai des priorités !
Une main se leva dans l'assemblée.
- Et crotte… Qui a osé ? C'était purement rhétorique, comme question !
- Je suis docker, madame. Et c'est vrai que c'était la honte, cette partie de paintball. Même si on a quand même bien rigolé avec les copains. Par contre, on est pas d'accord !
- Pourriez-vous expliciter votre pensée ? Pardon, je reformule pour vous : hein ?
- J'avais compris, merci bien. Je suis docker, pas stupide.
- Vous pourriez aussi être blond, sous votre bonnet. Et j'en connais une particulièrement bête… Suivez mon regard.
Elle se tourna vers Emma, qui baissa une fois de plus les yeux. Cette dernière n'avait pas confiance en elle, pour parler sans bégayer. Autant éviter de s'humilier davantage.
- Je vais faire comme si je n'avais rien entendu, madame.
- Pourriez-vous cesser de m'appeler ainsi ? C'est presque insultant.
- Vous avez pourtant dit, il n'y a pas si longtemps que vous étiez l'aînée des deux sœurs Mills. Et Mary-Margareth a clairement signifié que madame le maire n'est plus de la prime jeunesse. Donc vous, ça doit être pire, non ?
La foule hurla de rire. Zelena venait enfin d'être remise à sa place. Une moue boudeuse naquit sur son visage et elle préféra s'abstenir de renchérir, devant le regard inquisiteur de la fée bleue.
- Très drôle… Vous êtes satisfait ? Maintenant, peut-on avoir le privilège de savoir en quoi consiste votre désaccord ?
- Nous voulons que la shériff Swan continue. En fait, je suis même sûr que si le vote avait lieu aujourd'hui même, elle en sortirait vainqueur !
- Pardon ?! Et en quel honneur ? Ma sœur ne fait pas un bon boulot, peut-être ?
- Ça n'a rien à voir. Quoique. En fait, ce que j'essaie de vous expliquer, c'est qu'elle est unique en son genre. C'est la sauveuse, d'accord. Mais elle a surtout tenu tête aux sœurs Mills et c'est elle qui a gagné !
- Elle n'a pas gagné ! Elle nous a blessées ! Elle a profité de sa supériorité pour s'en prendre à deux pauvres petites choses sans défense… Vous vous rendez compte ?!
- La poule, je veux bien, ça n'a pas une grande utilité, à part dans l'assiette.
Le docker sourit largement, provoquant une fois de plus l'hilarité générale.
- Par contre, la chatte s'est défendue bravement. On ne peut pas lui retirer ça.
- C'est du parti pris !
- Mais c'est vrai. Donc, pour résumer, nous, on veut Emma Swan comme maire ! Mais on sait aussi qu'elle n'est pas la meilleure pour gérer une ville. Il faudrait trouver un moyen pour palier à cela. On vous fait confiance pour y réfléchir.
Tout le monde se tourna vers les candidats et les deux femmes qui présidaient la réunion. Personne ne pipait mot, et Emma était interloquée. Elle venait d'être à la fois complimentée et rabrouée. En somme, les habitants pensaient qu'elle avait assez de cran pour devenir maire et faire face à n'importe qui, mais qu'elle était intellectuellement incapable d'administrer une ville. Elle se sentait soulagée et insultée. Drôle de combinaison.
La fée bleue prit la parole, un petit sourire malicieux sur le visage. Elle s'éclaircit la voix, afin que tout le monde puisse entendre sa proposition.
- Mesdames et messieurs, je vois que le plébiscite pour la shériff est important. Néanmoins, afin de pouvoir vous soumettre mon idée, pourriez-vous lever la main, si vous pensez qu'Emma ferait un bon maire, si elle était correctement épaulée ?
Les habitants se regardèrent, puis des mains commencèrent à se lever. Au début, seules quelques mains timides se levèrent. Puis, les dockers se mirent debout comme un seul homme. C'était leur manière de montrer leur approbation. Dès lors, ce fut une armée de mains levées qui prit forme dans la salle. Tous les candidats étaient bouche-bée. Emma aurait gagné très haut la main l'élection.
- Hé bien, voici ce que j'appelle un verdict sans appel ! Dans ce cas, voici la proposition que je vous soumets, à vous, candidats et votants : Emma est d'office choisie comme mairesse. Mais une deuxième personne sera élue pour l'aider dans sa tâche. Il reste quatre candidats, faites votre choix !
Un brouhaha immense remplit la salle. Si personne n'avait demandé l'avis de la blonde, et visiblement, tout le monde s'en fichait, on entendait des hourras et des querelles naissantes. Zelena prit un sifflet, sorti de nulle part. Elle s'époumona dedans et tout le monde se figea, les oreilles transpercées.
- Voici un beau modèle de démocratie ! Fée bleue, je ne pensais pas que le pouvoir était un de vos objectifs ! Je présume que vous aussi, vous votez pour l'andouille de service, qui est doublée d'une brute, également ?
- Zelena, très chère, le pardon est source d'apaisement. Vous devriez peut-être essayer. Et aussi mettre un coup de frein sur le café… Vous n'en avez pas besoin pour être imbuvable…
- Je ne vous permets pas ! Les bonnes sœurs ne sont pas censées n'être qu'amour et silence ?
- Vous devez confondre avec Blanche-Neige. C'est elle qui ne dit jamais rien, puisqu'elle pionce, et qui aime sans commune mesure, surtout les piafs et les princes musclés. Et les nains… Nous, nous sauvons les âmes égarées. La vôtre semble s'être perdue si loin qu'on ne l'entend même plus chouiner. Si ce n'est pas malheureux. Le Monde Perdu doit être plus simple à trouver, même sans carte, ni GPS.
Zelena s'empourpra et foudroya du regard la femme qui osait s'interposer entre elle et son public. Néanmoins, elle ne put s'opposer à la foule, qui accueillit plutôt bien la nouvelle de cette codirection. Ainsi fut validée l'idée de ce partenariat hors norme. Elle reprit la parole, pour empêcher la nonne de médire sur son dos davantage.
- Très bien, puisque tout le monde semble d'accord pour cette sottise, elle est admise ! Nous aurons donc deux maires. Emma et … Suspense ! Je tiens tout de même à spécifier qu'il faudra sortir les pépètes, et ne pas avoir d'oursins dans les poches, bande de grippe-sous ! Ça fera deux personnes à payer pour le même boulot ! Vous vous trouvez moins malin, maintenant, n'est-ce pas ?
Une onde de protestation parcourut l'assemblée. Mais cela ne remit pas en cause la décision actée.
- Donc, nous avons la remplaçante. Maintenant, il faut élire notre représentant. Parce qu'une blonde pas très dégourdie, ça ferait un peu tâche. Comme les résultats de la partie de paintball ont été annulés par miss « je suis mieux que tout le monde », il va falloir tout recommencer. Oh pardon, j'aurais dû dire madame ? Vous n'êtes pas censée être mariée au Très Haut, ou un truc dans ce goût-là ?
- Zelena, fermez votre bec. Vous étiez tellement plus avenante en cocotte… Enfin. Appelez-moi comme bon vous semble, ce n'est pas comme si mon opinion comptait avec vous, miss Mills, de toute façon. Donc, nous avons encore quatre personnes susceptibles d'être élues. Sur les quatre, Regina Mills a su démontrer sa compétence et semble tout à fait convenir en tant que binôme. Mary-Margareth Blanchard, même si elle ne connaît pas grand-chose en gestion, jouit d'une bonne réputation et fait preuve de patience et d'empathie, qui sont des qualités essentielles pour aider les administrés. Ruby Lucas… Hé bien, comment dire ? Elle est … Euh… pétillante ? Désolée, mais je ne vois pas comment la municipalité peut s'en sortir si vous travaillez avec Emma. Ce serait une catastrophe.
Ruby encaissa la nouvelle, sans broncher. Mais elle ne put s'empêcher de demander insidieusement la raison de ce désaveu à la nonne.
- Madame bleue, je suis trop stupide, ou trop jeune ? Trop brune, peut-être ? Pas facile de choisir, j'en conviens.
- Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Vos caractères sont relativement semblables, avec la shériff. Vous êtes, l'une comme l'autre, fonceuses, rebelles, et vous prenez des risques inconsidérés. Si dans le métier de miss Swan, cela peut s'avérer utile, un tel binôme pour une mairie annonce déjà un fiasco monumental. Autant s'épargner cette peine, non ? Vous n'êtes pas de mon avis ?
- Au moins, ça mettrait de l'ambiance.
La fée bleue commençait à perdre patience. Aussi ne mâcha-t-elle pas ses mots pour mettre fin à cette joute verbale.
- Très bien, je vais être plus claire : vous êtes trop superficielle et dangereuse pour travailler en collaboration avec la shériff. Un seul modèle dans votre genre sera amplement suffisant ! Inutile de démultiplier les risques, avec vos frasques connues de tous ! Donc, votre candidature est retirée d'office ! Quelqu'un veut-il s'y opposer ?
La foule rassemblée dans le parterre se tut et on entendait les mouches volées.
- Très bien, motion acceptée ! Suivante !
Zelena regimba immédiatement.
- Hé ! C'est ma réplique, ça !
- Il n'y avait pas de brevet déposé, donc je me l'arroge ! Cessez de me faire tourner en bourrique ! Il faut bien un adulte responsable, dans tout ce merdier !
- J'ignorais que les bonnes sœurs avaient le droit de parler ainsi. Vous baissez dans mon estime !
- Au moins, j'y figure. Je ne peux pas en dire autant à votre encontre. Vous n'existez pas dans la mienne ! Maintenant, taisez-vous. Il y a encore une personne qui attend, inutile de la supplicier davantage.
- Vous maîtrisez le sujet, semble-t-il… Mon pauvre serpent, tu vas te faire bouffer tout cru par sœur Mary Clarence ! Musique !
La fée bleue ignora le tacle de la rouquine, pour ne pas continuer à se donner en spectacle. Elle se tourna vers Gold, qui avait un sourire mi-figé, mi-railleur sur le visage.
- Rumple Gold… je dois dire que votre cas est à la croisée des chemins. Vous êtes habile gestionnaire et politicien. Vous conviendriez à merveille pour ce poste. Mais lorsque je regarde la shériff Swan, qui fait une grimace de dégoût inimaginable, je ne vois pas de quelle manière votre coopération pourrait déboucher sur quoi que ce soit de positif. Je sais que vous adorez le pouvoir, et Emma perdrait tout son temps à essayer de vous museler. Ce ne serait payant pour personne. Une perte de temps, doublée de vilenies en tout genre…
Zelena coupa la parole à la fée.
- Oh ! Gold, vieux chenapan ! Tu lui as fait dire un mot obsolète, comme elle ! Alors madame désuète, ça fait quoi d'appartenir à un autre temps, un peu comme les dinosaures ?
Ce fut la tirade de trop pour la fée bleue, qui, en un geste, bâillonna la rouquine et entrava ses membres par magie.
Une voix retentit dans la salle, demandant qui avait piqué sa chaussette sale. Un cri étouffé monta de la gorge de la sorcière rousse, qui ne pouvait rien faire, à part subir le mauvais traitement infligé par la fée à bout de nerfs. Cette dernière, fière de son coup, ricana et reporta son attention sur Gold.
- Donc, comme je le disais avant d'être interrompue par la petite bécasse, vous n'êtes pas en adéquation avec la tenante du titre. Vous êtes le maillon faible, au revoir ! Une autre remarque impertinente, peut-être ?
Personne ne fut assez bête pour faire le moindre commentaire.
- Très bien. Donc, cette élection se jouera entre Mary-Margareth et Regina. Les urnes parleront d'ici deux semaines, le temps pour chacune de préparer ses idées et de montrer que l'alchimie avec Emma est bien présente.
Regina, les yeux ronds comme des soucoupes, intervint enfin dans ce délire sans nom.
- Donc, je dois faire face à Mary-Margareth, qui n'est pas du tout avantagée par le fait d'être la mère de la future mairesse ?! Vous vous foutez de moi ! Vous me virez exprès ! Ça y est, vous avez réussi à trouver une échappatoire au règne de la méchante reine, c'est ça ?! Espèce de …
- Regina, modérez vos paroles. Votre sœur a eu un bref aperçu de ma mauvaise humeur.
La brune coula un regard vers sa demi-sœur, qui tentait d'enlever, sans succès, le bâillon répugnant improvisé.
- Certes. Admettez que je pars avec un énorme handicap.
- Vous êtes aussi la mère de son fils, non ? Ce sera peut-être l'occasion de mieux vous connaître ?
- En deux semaines ? C'est une blague ?
- Je vous accorde un mois. Les habitants sont-ils d'accord ?
Un hochement de tête parcourut la salle, médusée par toute cette scène.
- Voilà, j'accède à votre requête. Dans un mois aura lieu le vote pour choisir le binôme qui dirigera la mairie. Satisfaite ?
- Non, mais visiblement, je n'ai guère le choix. C'est ça, ou être mise à la porte dès aujourd'hui. Je me trompe ?
- Ne soyez pas si théâtrale, je vous en prie. Storybrook a besoin de changement, et quoi de mieux que ce challenge, pour vous ? Vous n'êtes pas le genre de femme à se laisser marcher sur les pieds. Je suis sûre que vous trouverez un moyen de vous rapprochez d'Emma, afin de travailler en harmonie. Sinon, vous serez virée comme une malpropre, en effet.
Un léger frisson traversa la belle brune, lorsque la menace jaillit de la bouche de la fée bleue. Ses jours à la tête de la mairie étaient comptés.
Ruby et Gold se levèrent et partirent rapidement, trop abattus pour oser contrer la femme si psycho-rigide. Leur défaite avait été prononcée, sans que cela ne soulève la foule de colère, d'être ainsi spoliée de la moitié de ses candidats. Seule Emma, toujours choquée par son élection surprise, alors qu'elle ne se considérait même plus en lice, resta sagement assise. Lorsque Regina passa à côté d'elle, elle la retint par le bras, et lui murmura quelques mots.
- Je suis désolée, je ne voulais pas prendre votre job. Je vous assure que c'est un malentendu.
- Vous avez retrouvé votre langue ? J'ai une folle envie de faire de votre vie un enfer, mais j'aimerais aussi garder mon poste. Parce que je souhaiterais que les choses soient claires, miss Swan, si votre mère gagne, Dieu nous en préserve, je n'ai pas de raison de rester ici. Je franchirai la barrière magique, quitte à me retrouver démunie, et j'emmènerai Henri avec moi. C'est mon fils. Il me suivra sans discuter. Vous avez donc tout intérêt à ce que je sois renouvelée comme mairesse. À bon entendeur, miss Swan…
- Mais… Mais… Je … Regina !
La brune avait déjà tourné les talons, laissant la shériff dans un beau pétrin. Mary-Margareth s'installa près de sa fille et lui dit gentiment le fond de sa pensée.
- C'est du tout cuit ! Tu es ma fille, tu ne vas pas faire amie-amie avec cette psychopathe ! Elle peut déjà prendre ses cartons. On va n'en faire qu'une bouchée ! Nous allons travailler ensemble, c'est absolument exquis, tu ne trouves pas ?
- Si, c'est génial, maman.
Emma se mit debout, le sol récalcitrant taguait à qui mieux mieux. Elle se retint au mur et se redressa, pour ne pas alerter sa mère. Son choc à la tête avait été plus rude qu'elle ne l'aurait crû. L'avenir s'annonçait fort sombre pour la sauveuse, qui devait choisir entre sa mère ou son fils. Elle détestait la politique. Ce fut la seule certitude inébranlable de sa journée.
