Chapitre 3
Il faisait froid dans cette partie abandonnée du Centre. Miss Parker sentit des frissons parcourir ses bras sous son chemisier, mais ils n'étaient pas uniquement dû à la froideur des couloirs.
Elle n'avait vu ces lieux qu'à travers des photos, des clichés qu'elle aurait bien aimé supprimer de sa mémoire d'ailleurs.
La Miss sentit son souffle se couper à la vue de la porte se présentant devant elle, blanche, avec une petite fenêtre quadrillée et comportant le chiffre maudit 357.
Son cœur battait si fort à ses tempes, elle se sentait au bord de la crise d'angoisse. Alors que sa main se porta à la poignée, ses jambes se dérobèrent et elle tomba, sans réussir à se relever.
« Jarod »
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Putain de cuve.
Putain de travail.
Putain de Centre.
Broots jurait dans discontinuer dans sa tête alors que sa chemise aux motifs floraux ne cessait de faire disparaître derrière lui plusieurs kilos de poussières à chacun de ses pas.
Il avait ouvert la trappe, et comme un pauvre con, était tombé dedans tête la première. Il n'y avait que des cendres. Bordel, il l'avait prévenu pourtant ! Histoire de faire bonne figure, il avait tout de même tout fouillé durant près d'une heure et demi. Mais rien, absolument rien, pas un seul bout de dossier intact, pas même un objet quelconque.
C'est avec précipitation que Broots se dirigea au niveau souterrain le plus bas. Il n'allait pas entrer dans cette pièce, mais elle n'était pas remontée depuis son absence et… il redoutait le pire.
L'informaticien s'avança dans ce souterrain qu'il trouvait si glauque et à raison.
Il n'avait pas pu parcourir le dossier sur l'autopsie de Jarod à l'époque. Parker avait dû s'en charger, car elle, n'avait pas eu le choix. Tout ce qui en était ressorti, c'était plusieurs jours d'absence de sa part. Sydney, irrécupérable après la mort de Jarod avait été incapable d'aller la voir. Broots s'en était chargé, et il l'avait retrouvé dans ses toilettes, en train de vomir. Après une heure d'attente, plus ou moins, il s'était résolu à entrer et s'était contenté de lui tenir les cheveux durant trois jours quasi consécutifs. Et entre deux, elle avait pleuré, pleuré et encore pleuré.
Personne ne savait ce qu'elle avait lu, mais nul doute que cela avait été terrible.
Sa curiosité, un peu malsaine, l'avait fait investigué. Il avait entendu parlé de boucherie, de prélèvement, d'expériences. Bref, il avait refusé d'en savoir plus à partir de cet instant, mais c'est paradoxalement à cette période qu'il s'était approché de la Miss pour la soutenir. Jusqu'à la voir sombrer au plus profond des ténèbres.
« Il fait un froid de canard ici, marmonna-t-il alors que de la buée sortait de sa bouche. »
L'homme se figea soudain, avant de courir comme un fou furieux. Miss Parker était au sol, recroquevillée contre la porte fermant cette maudite salle. Lorsqu'il parvint à sa hauteur, il constata qu'elle était gelée. Ses lèvres commençaient à bleuir, et elle tremblait comme une feuille.
« Venez là. C'était une mauvaise idée.
_ Jarod, murmura la jeune femme, hagarde.
_ Jarod n'est plus là, lui dit-il avec une douceur insoupçonnée.
_ La... cuve.
_ Rien. Je vous l'avais dit Mademoiselle Parker. Il n'y avait rien. »
Broots porta le bras de la Miss sous son cou, et se redressa afin de porter son poids et l'aider à marcher. Alors, Parker cligna des yeux plusieurs fois, perdue.
« R… Rien ? répéta-t-elle.
_ Pas même un seul bout de papier. »
Miss Parker renifla. Puis, elle s'arrêta et s'accrocha au bras de Broots pour ne pas flancher de nouveau.
« Rien, répéta-t-elle.
_ Juste des cendres, oui.
_ Des cendres. »
Miss Parker répéta ce mot avant de se remettre sur ses pieds. Sa respiration devint irrégulière, chaotique même. Broots s'en inquiéta. Elle semblait faire une attaque.
« Des cendres. Rien, dit-elle en boucle.
_ Mademoiselle Parker !
_ Jarod est vivant. »
La jeune femme s'adossa à un mur et fixa Broots, incrédule.
« Jarod est vivant !
_ Mademoiselle Parker. Qu'est-ce qui vous prends ?
_ Je dois… je dois… »
Alors que la chasseresse tentait de faire machine arrière pour retourner dans la salle 357, elle s'évanouit. Pour de bon.
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Broots se trouvait au chevet de la jeune femme. Elle dormait depuis au moins 13 heures désormais.
Comment décrire sa sensation lorsqu'il s'était retrouvé avec une Miss Parker inconsciente dans un endroit du Centre où ils n'auraient clairement pas dû être ? Il l'avait porté à bout de bras, avec d'énormes difficultés et ce jusqu'à son bureau. Il avait trouvé un plaid, et en attendant qu'elle se réchauffe, s'était assuré qu'ils n'avaient pas été filmé.
Mais cette partie abandonnée du Centre n'intéressait plus personne, les caméras avaient été désactivées il y a fort longtemps. Alors, il avait trouvé un fauteuil roulant à l'infirmerie, et avait porté sa chef jusqu'à sa voiture.
Pour le reste, il s'était contenté de la coucher et de rester auprès d'elle, non sans appeler un médecin avant qui l'examina et diagnostiqua une grosse crise d'hypothermie ainsi qu'une légère hypoglycémie. Elle était si frêle qu'elle avait été plus sensible au froid qu'une personne lambda.
Toujours est-il que Broots s'était résolu à faire une chose impensable : il avait lu le rapport d'autopsie de Jarod.
Et… il aurait préféré ne pas le faire. Vraiment pas.
Tout avait été disséqué chez lui. Son cerveau avait été analysé sous toutes ses coutures, on avait gardé des centaines et des centaines d'extrait de son ADN, puis on l'avait vidé de tous ses organes qui avaient été distribué à des gens, appartenant surtout au Triumvirat. Quelques croyances voulaient, dans certains pays, qu'en ingurgitant un peu des organes de quelqu'un, on pouvait acquérir certaines de ses capacités. D'autres auraient été transplanté, ce qui fut apparemment le cas de sa thyroïde qui avait été prise en photo, pesée et envoyée en Egypte ainsi qu'un de ses reins qui se trouvait à présent Dieu sait où. Il y avait aussi des clichés d'échantillons de cheveux, de sang, d'ongles. Ses restes avaient été aussi battus, ils avaient pris des photos de son humiliation dans la mort, car il avait nargué le Centre.
Puis, il avait été démembré et brûlé dans l'incinérateur à dossiers qui fut par la suite, condamné. Car il n'avait pas été conçu pour ça.
Broots comprenait à présent pourquoi la chasseresse n'avait eu de cesse de vomir pendant des heures (et il avait éclipsé certains détails sordides du dossier).
Mais, après un rapport pareil, comment pouvait-elle dire de Jarod qu'il était vivant ?
« Jarod, murmura la chasseresse dans son sommeil tourmenté. »
Broots se tourna vers elle, mais elle dormait toujours. Sans doute rêvait-elle.
Il ne comprenait pas.
Quelque chose clochait dans cette histoire. Ce n'était pas logique. Le comportement de Miss Parker ne l'était pas.
Il avait vu Jarod mort.
Il se rappelait encore de son corps blanc, de son cou tranché, tout ce sang et Parker qui hurle son nom. Parker, dont le tailleur était imbibé de carmin, Parker tentant de refermer une plaie béante, Parker répétant le prénom de Jarod en boucle, l'appelant, le suppliant. Parker qu'une équipe de nettoyeurs avait dû évacuer de force, et qui avait manqué de tuer son frère de la même façon le lendemain à peine.
« Jarod, cria la jeune femme en sursautant dans son sommeil. »
Elle l'avait réveillé de nouveau. Et Broots sursauta lui aussi.
« Vous êtes dans votre lit Mademoiselle Parker, vous vous êtes évanouie. Reposez-vous, lui indiqua Broots en l'amenant à s'allonger de nouveau.
_ Le dossier. Jarod. »
Puis, les ténèbres de nouveau. Elle s'était rendormie aussitôt. Broots soupira en se frottant les yeux. Cette femme allait le rendre complètement chèvre.
Il cligna des yeux, avant de reprendre le dossier d'autopsie… Qu'il jeta tout aussi vite. Peut-être parlait-elle d'autre chose ?
Cette révélation faite, Broots s'éclipsa de la chambre de la Miss avant de prendre la direction de son bureau. Ce dernier était presque vide, couvert de poussière et pour cause : elle ne l'utilisait plus. L'informaticien ouvrit les tiroirs et en sortit tous les papiers. A son plus grand malheur : tous concernaient Jarod.
Le Caméléon faisait encore parti intégrante de sa vie, il en prenait conscience avec ces dizaines et dizaines de rapports divers et de photos éparpillées maintenant sur le sol. Cela lui faisait mal quelque part, car il découvrit certains clichés qu'il ne connaissait pas, de Jarod enfant, adolescent, d'eux même qui ont dû être pris par Parker elle-même durant ses années d'innocence. Sur certains, ils souriaient même. Il n'aimait pas cela, il avait l'impression de pénétrer dans l'intimité de Parker et il la respectait trop pour ça. Mais un dossier attira son attention, le premier, le plus important sans doute : son recueil médical.
Il faisait une vingtaine de pages. Tout y était détaillé : sa taille, son poids tous les mois depuis son arrivée au Centre, son âge, ses allergies, toutes ses maladies… Il avait été étoffé au fur et à mesure des années, comme lorsqu'on l'avait drogué à son insu ou encore, quand Raines et Lyle s'étaient amusé à arrêter et faire repartir son cœur.
Broots le parcourut pas moins de trois fois avant de tomber sur une information extrêmement insignifiante, et pourtant, capitale.
« Janvier 1971, sujet retrouvé dans les escaliers. Cheville fracturée. Pose d'une broche. »
Le regard de Broots s'arrondit avant qu'il ne parcourt les lignes avec frénésie. Aucune trace du retrait de cette broche.
Le titane ne brule pas. Cette broche aurait dû se retrouver dans la cuve. Et si elle n'y était pas, alors…
Broots ferma brutalement le dossier avant d'ouvrir la porte de la chambre de la chasseresse en fracas.
« Miss Parker ! »
