Petit mot de l'auteure : ce texte a été écrit en une heure pour la 137e nuit du FoF sur le thème "Attention". A force, je crois que je vais finir par parler que de la tentative de suicide de Thomas dans ce recueil...

Merci à Marina, Ava, Wizzette et Jess pour leurs review sur le texte précédent !


Cela faisait deux semaines depuis la tentative de suicide de Thomas lorsque ce que Mary Crowley avait toujours pensé impossible arriva : Thomas s'était mis à pleurer.

Rien ne laissait présager que le valet de pied allait craquer ainsi. Il était étrange de faire ce constat puisque l'homme venait tout récemment d'attenter à ses jours, mais il avait semblé avoir repris rapidement du poil de la bête. Après une semaine de repos, il avait repris son service, comme si rien ne s'était passé. Toutefois, personne n'était dupe, et chacun avait essayé d'entourer Thomas d'attentions discrètes et subtiles – même à l'article de la mort, tous étaient conscient que Thomas Barrow refuserait le moindre signe de compassion, qu'il interpréterait en pitié. Madame Patmore avait cuisiné ses scones préférés, Monsieur Carson lui avait demandé de s'occuper des horloges, Andy lui avait demandé de l'aider avec la lecture... Tous essayaient de garder un œil sur lui, en particulier ceux qui l'avaient surpris dans cette baignoire, les veines ouvertes. Anna en avait été si traumatisée qu'elle était même allée voir Mary pour lui demander de surveiller discrètement son état lorsqu'il officiait à l'étage. Mary l'avait rassuré en disant que bien sûr, elle ferait attention, et sa femme de chambre avait soupiré de soulagement.

Ainsi, lorsque Thomas entra dans sa chambre pour lui porter son petit déjeuner – rôle qu'il n'aurait pas dû faire mais était le seul disponible pour, Anna étant retenue par sa grossesse – Mary se fit attentive alors que les larmes d'Anna lui revenaient à l'esprit. À vrai dire, elle se serait inquiétée sans l'intervention de sa femme de chambre. Même si elle ne le montrait pas, la tentative de Thomas l'avait remuée. L'homme était chez eux depuis si longtemps, et c'est ainsi qu'ils avaient récompensés toutes ces années de service ? En le poussant à bout ? Certes, la famille Crowley n'était pas aussi proche de Thomas que les autres domestiques, ne vivait pas vraiment avec lui et n'avait pas l'occasion de développer de véritables liens d'amitié, la distance entre leurs deux mondes l'interdisant. Mais tout de même. Leur comportement insensible et, elle osait le dire, psychologiquement violent envers lui n'avait aidé en rien.

Elle s'apprêtait donc à prendre de ses nouvelles lorsque Thomas fit une chose qui lui était inhabituelle : il laissa échapper le plateau de ses mains, qui alla se fracasser sur le sol. Mary en resta médusée ; non pas qu'elle fut indignée, simplement surprise. Thomas avait de nombreux défauts, mais personne ne pouvait nier qu'il savait faire son travail impeccablement. Laisser tomber quelque chose de lui ressemblait pas.

Après ces quelques secondes de stupeur, elle se leva pour aller l'aider à ramasser les divers éléments éparpillés au sol.

- Je suis vraiment, vraiment désolé, ma lady, s'excusa-t-il d'un ton effaré en constatant les dégâts.

- Ce n'est pas grave, Barrow, la rassura-t-elle d'un sourire. Tous les valets de pied ont fait tomber un plateau au moins une fois dans leur vie. C'est vrai que généralement ils le font au début de leur service, lorsqu'ils apprennent le métier et pas au bout de dix ans mais... après tout, Thomas Barrow n'est pas réputé pour faire les choses comme tout le monde, n'est-ce pas ?

Elle ponctua sa question taquine d'un léger clin d'œil auquel le valet de pied répondit par un léger sourire. Mary crut ainsi que la crise était passée, lorsqu'elle se rendit compte que Thomas s'était figé. S'était-elle trompée ? Sa remarque qui s'était voulue dédramatisante et complice n'avait-elle était au fond qu'accusatrice ? Elle allait s'excuser lorsqu'elle se rendit compte de ce que tenait le valet de pied : un bout de céramique coupant. Celui-ci provenait du bol qui s'était brisé en tombant au sol.

Mary se savait pas bien comment réagir alors que Thomas regardait fixement le petit bout tranchant qu'il avait dans les mains. Avant qu'elle n'eut le temps de trouver quelque chose à dire, l'impensable se produisit : Thomas craqua complètement.

Mary n'avait jamais été douée pour consoler les gens qui pleuraient. Peut-être parce qu'elle même ne s'autorisait pas à le faire, quand bien même en aurait-elle besoin. Les pleurs étaient une faiblesse, lui avait-on appris, et elle ne pouvait se montrer faible. Gérer des crises de larmes lui était donc difficile. Mais cela l'était encore plus lorsque la personne qui pleurait n'était autre que Thomas Barrow. De tous les domestiques, Mary avait toujours pensé que Thomas était celui qui lui ressemblait le plus – ils étaient tous deux ambitieux, désireux de faire leurs preuves, n'hésitant pas à écarter les autres au passage. Alors voir celui qu'elle considérait comme une sorte d'alter ego craquer la remua profondément, si bien qu'elle en resta pantoise quelques instants.

Mais très vite, elle se reprit. Elle ne pouvait le laisser pleurer ainsi, quand bien même cette vision la renvoyait à ses propres failles. Elle le prit alors dans ses bras pour lui murmurer « Tout ira bien. Je vous le jure. ».

Elle ne savait pas pourquoi elle avait dit cela. Elle n'avait pas pour habitude de jurer quoi que ce soit à qui que ce soit – elle avait promit à Matthew de l'aimer pour le restant de sa vie, et il avait été fauché par la Mort. Depuis, elle ne s'était plus aventurée à faire des promesses que la vie ne l'autoriserait pas à tenir. Mais en cet instant où Thomas était tremblant entre ses bras, sa détermination la surpris elle-même : oui, tout irait bien pour lui. Elle s'en assurerait personnellement.